Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2013 et 2014.
Par un jugement n° 2003806 du 18 novembre 2022, le tribunal administratif d'Orléans a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de décharge, à hauteur du dégrèvement de 35 543 euros accordé en cours d'instance et sur les conclusions à fin de sursis de paiement et a rejeté le surplus de leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 20 janvier et 15 septembre 2023 et le 6 janvier 2025, M. et Mme A..., représentés par Me Prigent, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu restant à leur charge pour un montant de 352 238 euros.
Ils soutiennent que :
- le tribunal a commis une erreur d'appréciation en ne tenant pas compte du changement de motivation des redressements en cours d'instance ;
- c'est à tort que l'administration a refusé de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires alors qu'ils en avaient fait la demande et que la réponse aux observations du contribuable leur en donnait la possibilité ; les désaccords subsistants concernaient bien des questions de fait, pour lesquelles la commission est compétente, et sur des rectifications fondées sur l'acte anormal de gestion et sur la valeur réelle d'un immeuble ; la qualification par l'administration des rectifications de revenus distribués ne saurait les priver de la possibilité de saisir la commission ; la procédure d'imposition est donc irrégulière ;
- l'administration a changé le motif des rectifications devant le tribunal administratif ; elle estime désormais que la somme de 348 000 euros, versée par la société Alcaro à Mme A..., dissimule une donation entre époux ; or, cette donation n'aurait aucune conséquence en matière d'impôt sur le revenu, puisqu'ils font l'objet d'une imposition commune, mais seulement en matière de droits d'enregistrement, qui ne relèvent pas de la compétence du juge administratif ; cette somme n'est que le remboursement, au foyer fiscal, d'une somme prêtée à la société par Mme A... par l'intermédiaire du compte courant d'associé de son mari ; la rectification correspondante dans la société a d'ailleurs été abandonnée ; il n'y a eu aucun désinvestissement de la part de la société ;
- l'administration ne prouve pas non plus que l'immeuble remis à Mme A... a été sous-évalué alors que la preuve lui en incombe, la rectification étant fondée sur la théorie de l'acte anormal de gestion.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 juin 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Liogier,
- et les conclusions de M. Illouz, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme C... A... ont fait l'objet d'un examen de leur situation fiscale personnelle au titre des années 2012 à 2014. Parallèlement, l'établissement français de la société de droit britannique Alcaro Ltd, dont M. A... était associé et dirigeant et qui exerçait une activité de marchand de biens, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur ses exercices clos en 2013 et 2014. A l'issue de ces contrôles, des rectifications ont été notifiées aux requérants en matière d'impôt sur le revenu, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers et des revenus d'origine indéterminée, et de contributions sociales. Une partie de ces rectifications a été abandonnée avant la mise en recouvrement intervenue le 31 octobre 2017. M. et Mme A... doivent être regardés comme faisant appel du jugement du 18 novembre 2022 du tribunal administratif d'Orléans en tant qu'il rejette le surplus de leur demande de décharge des impositions restant à leur charge après le dégrèvement intervenu en cours d'instance le 26 mars 2021.
Sur la régularité du jugement :
2. Si les requérants reprochent aux premiers juges d'avoir commis une erreur d'appréciation, cette circonstance est sans incidence sur la régularité du jugement. Ce moyen doit donc être écarté.
Sur la procédure d'imposition :
3. Aux termes de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales, dans sa version alors applicable: " I - La commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient lorsque le désaccord porte : / 1° Sur le montant du résultat industriel et commercial, non commercial, agricole ou du chiffre d'affaires, déterminé selon un mode réel d'imposition ; / 2° Sur les conditions d'application des régimes d'exonération ou d'allégements fiscaux en faveur des entreprises nouvelles (...)/ 3° Sur l'application du 1° du 1 de l'article 39 et du d de l'article 111 du même code relatifs aux rémunérations non déductibles pour la détermination du résultat des entreprises industrielles ou commerciales, ou du 5 de l'article 39 du même code relatif aux dépenses que ces mêmes entreprises doivent mentionner sur le relevé prévu à l'article 54 quater du même code ; 4° Sur la valeur vénale des immeubles, des fonds de commerce, des parts d'intérêts, des actions ou des parts de sociétés immobilières servant de base à la taxe sur la valeur ajoutée (...). / II. -Dans les domaines mentionnés au I, la commission (...) peut, sans trancher une question de droit, se prononcer sur les faits susceptibles d'être pris en compte pour l'examen de cette question de droit. /Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, la commission peut se prononcer sur le caractère anormal d'un acte de gestion, sur le principe et le montant des amortissements et des provisions ainsi que sur le caractère de charges déductibles des travaux immobiliers. ". Aux termes de l'article L. 76 du même livre, dans sa rédaction applicable : " (...) Lorsque le contribuable est taxé d'office en application de l'article L. 69, à l'issue d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires peut être saisie dans les conditions prévues à l'article L. 59 (...) ".
4. Il résulte de l'instruction que les rectifications proposées aux requérants l'ont été par deux propositions de rectification du 24 décembre 2015 et du 20 juillet 2016 dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, selon la procédure de rectification contradictoire, et en tant que revenus d'origine indéterminée, selon la procédure de taxation d'office visée aux articles L. 16 et L. 69 du livre des procédures fiscales. A l'issue d'un recours hiérarchique, l'administration a abandonné, par un courrier du 4 avril 2017, les rectifications en tant que revenus d'origine indéterminée taxés entre les mains de M. A..., seuls restant en litige les revenus réputés distribués sur le fondement du c de l'article 111 du code général des impôts. S'il est constant que les requérants ont demandé la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires par courrier du 23 février 2017, en l'absence de cette saisine, ils n'ont été privés d'aucune garantie de procédure dès lors que les impositions restant en litige procèdent de rectifications dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, pour lesquelles la commission précitée n'est pas compétente. Les circonstances que le différend avec l'administration fiscale porte sur des questions de fait, que les impositions procèdent de rectifications à l'encontre de la société Alcaro Ltd, portant sur un acte anormal de gestion et sur la valeur vénale d'un immeuble cédé par la société, et que la possibilité de saisir cet organisme figure sur la première page dans la réponse aux observations des contribuables du 8 janvier 2017 sont sans incidence à cet égard. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.
Sur le bien-fondé des impositions :
5. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...)/ c. Les rémunérations et avantages occultes (...) ". En cas d'acquisition par une société à un prix que les parties ont délibérément majoré par rapport à la valeur vénale de l'objet de la transaction, ou, s'il s'agit d'une vente, délibérément minoré, sans que cet écart de prix comporte de contrepartie, l'avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au sens des dispositions précitées du c. de l'article 111 du code général des impôts. La preuve d'une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé et, d'autre part, d'une intention, pour la société, d'octroyer et, pour le cocontractant, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession.
6. Il résulte de l'instruction que la société Alcaro Ltd, dont M. A... était associé et dirigeant, a procédé à des virements en 2013 et 2014 au profit de Mme A... pour un montant total de 38 000 euros. Par ailleurs, par un acte notarié du 9 janvier 2014, elle a cédé divers biens immobiliers, dont une maison située 6 impasse des hautes granges à Blois, estimés à une valeur de 310 002 euros, dont 310 000 euros pour la seule maison. L'acte précise, s'agissant du paiement du prix, que Mme A... étant titulaire d'une créance sur la société d'un montant de 348 000 euros, le prix de l'opération serait payé par compensation, en vertu des articles 1289 et suivants du code civil. L'administration a considéré, d'une part, que Mme A... n'était titulaire d'aucune créance sur la société et que la vente était ainsi consentie sans contrepartie et que, d'autre part, la maison avait été sous-évaluée, fixant, en dernier lieu, sa valeur à 350 000 euros lors de l'interlocution du 3 novembre 2017. La somme totale de 388 002 euros a été taxée entre les mains de Mme A... en sa qualité de bénéficiaire de revenus distribués sur le fondement du c de l'article 111 du code général des impôts. Contrairement à ce que les requérants soutiennent, en se bornant à évoquer l'hypothèse que cette opération pourrait être une donation entre époux pour se soustraire aux droits d'enregistrement, l'administration n'a pas substitué la base légale du rehaussement.
En ce qui concerne l'existence et le montant des revenus distribués :
7. D'une part, s'agissant de l'existence d'une créance de Mme A... vis-à-vis de la société Alcaro Ltd, il résulte de l'instruction que Mme A... a effectué des virements en faveur de la société Alcaro Ltd, seulement à compter de l'année 2012 et pour un montant total d'environ 253 000 euros entre janvier 2012 et décembre 2013, ainsi qu'il ressort du détail du compte courant d'associé 467 " F. A... " versé à l'instance et des relevés bancaires de Mme A.... Toutefois, ces seuls versements, dont aucune pièce ne permet au demeurant de confirmer la nature, ne suffisent pas à établir l'existence d'une dette de la société vis-à-vis de Mme A... au moment de la cession d'un bien immobilier le 9 janvier 2014, dès lors que sur la même période de janvier 2012 à décembre 2013, la société lui a reversé environ 260 000 euros, ainsi qu'il ressort des mêmes pièces. En ce qui concerne plus particulièrement le virement de 348 000 euros du 18 mai 2010 en faveur de la société dont se prévalent les requérants, il résulte de l'instruction que cette somme a été versée par M. A..., marié sous le régime de la séparation de biens jusqu'en 2018, la justification de cet apport ayant d'ailleurs permis de valider l'inscription d'une dette dans la comptabilité de la société vis-à-vis de M. A.... Rien ne permet donc de confirmer, ainsi que les requérants le prétendent, que cette opération aurait été faite pour le compte de Mme A... qui, sur la période en litige, n'était ni associée ni dirigeante de la société. Cette allégation serait d'ailleurs contredite par les premières affirmations des requérants, en réponse à la proposition de rectification, selon laquelle la somme constituait un prêt, consenti sans intérêt, à la société anglaise de la part du couple. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction, notamment de documents comptables de la société, qui a été radiée dès le 9 janvier 2014, que cette cession aurait effectivement permis d'apurer la dette constatée dans le compte courant d'associé. Au regard de l'ensemble de ces éléments et des explications contradictoires des requérants, l'attestation non datée d'un expert-comptable, produite seulement après la réponse aux observations du contribuable du 9 janvier 2017, qui indique que la société avait une dette vis-à-vis des associés qui provenait " essentiellement d'un apport de 348K€ effectuée par Mme B... A... " ne suffit pas à contredire l'ensemble des éléments relevés par l'administration, qui apporte la preuve qui lui incombe de ce que Mme A... n'était titulaire d'aucune créance sur la société Alcaro Ltd que la cession du 9 janvier 2014 serait venue compenser.
8. D'autre part, pour évaluer la maison d'habitation de 204 m² cédée le 9 janvier 2014 à Mme A... par la société Alcaro Ltd, l'administration a fondé son analyse sur cinq ventes de maison, à proximité du bien litigieux, effectuées en 2012 et 2013. Elle a ainsi abouti à un prix de vente médian de 2 000 euros par mètre carré, c'est-à-dire un prix total de 408 000 euros. Pour tenir compte des spécificités tenant au bien, dont faisaient état les requérants, tenant notamment à son insertion dans une co-propriété, l'administration a consenti à réduire ce prix à 1 715 euros par mètre carré, soit 350 000 euros pour la maison, prix approchant celui auquel la société avait acquis le bien, près de quatre ans auparavant, pour 355 000 euros auprès de particuliers, alors même que la société a effectué quelques travaux dans la maison, une division parcellaire et demandé le retrait de la co-propriété, retrait constaté par acte notarié publié le 8 août 2013. Si les requérants, qui ne critiquent d'ailleurs pas le calcul de l'administration, présentent une attestation d'une agence immobilière datée du 18 juillet 2013 faisant état pour un " appartement en cours de rénovation " d'un prix net vendeur entre 300 et 310 000 euros, soit un prix moindre que le prix d'acquisition, cette unique attestation, qui n'est appuyée sur aucune donnée ou transaction comparable, ne suffit pas à justifier de ce que le bien, acquis par un professionnel de l'immobilier et malgré sa transformation en une maison indépendante et quelques travaux, ait perdu de la valeur entre mai 2010 et janvier 2014. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l'administration apporte la preuve qui lui incombe de ce que la maison cédée par la société Alcaro Ltd à Mme A... valait, au moment de sa cession le 9 janvier 2014, 350 000 euros.
9. Il s'ensuit que l'administration apporte la preuve qui lui incombe de l'existence d'un écart significatif, d'un montant de 350 000 euros, entre la valeur de la maison d'habitation cédée le 9 janvier 2014 par la société Alcaro Ltd et la somme, nulle, réclamée à Mme A... en contrepartie de cette acquisition.
En ce qui concerne l'intention libérale :
10. Il résulte de l'instruction, notamment des constats relevés dans la proposition de rectification du 20 juillet 2016, que la société Alcaro Ltd était détenue intégralement par M. A..., ainsi qu'il ressort des statuts de la société enregistrés au Royaume-Uni que l'administration a pu consulter. Aucune pièce relative à la vie sociale de cette entreprise, que les requérants sont les seuls à même de produire, n'est produite au dossier et rien ne permet ainsi de contredire ces éléments officiels et d'établir que la société serait détenue par une société établie au Delaware, ainsi que M. A... l'a prétendu lors de la création de son établissement en France, ou par Mme A..., ainsi qu'ils l'ont soutenu devant l'interlocuteur départemental. En outre, il résulte également de l'instruction que M. A... a dirigé l'établissement de cette société établi en France, y compris après le changement officiel de dirigeant déclaré par la société le 26 novembre 2013, dès lors qu'il était le seul à disposer de la signature bancaire et qu'il a continué à représenter la société vis-à-vis des tiers, lors des cessions immobilières par exemple. L'intention libérale de l'avantage consenti peut ainsi se présumer en raison des liens familiaux entre l'associé et dirigeant de la société cédante et l'acquéreur. Les requérants ne justifient ni même n'allèguent que l'écart significatif mentionné au point 9 aurait eu une contrepartie pour la société cédante. L'administration a donc pu, à bon droit, considérer que la cession de cette maison d'habitation, ainsi que les autres sommes mentionnées au point 6, constituaient des revenus distribués au sens du c de l'article 111 du code général des impôts au profit de Mme A....
11. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté le surplus de leur demande de décharge.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 27 mai 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Besson-Ledey, présidente,
Mme Danielian, présidente assesseure,
Mme Liogier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juin 2025.
La rapporteure,
C. LiogierLa présidente,
L. Besson-Ledey
La greffière,
T. TollimLa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23VE00135 2