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18/07/2024 | FRANCE | N°23VE01248

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 6ème chambre, 18 juillet 2024, 23VE01248


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... E... et Mme A... E... ont demandé au tribunal administratif de condamner in solidum, la commune de Freneuse et son assureur la société Groupama, le syndicat intercommunal d'assainissement Bonnières-Freneuse (SIABF) et son assureur la société Axa France, la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France (CCPIF) et son assureur la société Axa France, à verser à Mme A... E... en son nom propre et en sa qualité d'ayant-droit de M. D... F... et à M. B... E... et M

. C... E... en leur qualité d'ayants-droits de M. D... F..., la somme de 261 598,27 eur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... et Mme A... E... ont demandé au tribunal administratif de condamner in solidum, la commune de Freneuse et son assureur la société Groupama, le syndicat intercommunal d'assainissement Bonnières-Freneuse (SIABF) et son assureur la société Axa France, la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France (CCPIF) et son assureur la société Axa France, à verser à Mme A... E... en son nom propre et en sa qualité d'ayant-droit de M. D... F... et à M. B... E... et M. C... E... en leur qualité d'ayants-droits de M. D... F..., la somme de 261 598,27 euros à parfaire, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis du fait d'inondations successives du sous-sol de leur propriété située 4bis route nationale 13 sur la commune de Freneuse.

Par un jugement n° 1601271 du 12 avril 2019 le tribunal administratif de Versailles a condamné la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France et la société Axa France Iard solidairement à verser à Mme A... E... en son nom propre et à Mme A... E..., M. C... E... et M. B... E... en leur qualité d'ayants-droits de M. D... E..., une somme globale de 226 068,42 euros. Le tribunal a assorti cette somme des intérêts au taux légal à compter du 11 janvier 2016 et de leur capitalisation à la date du 11 janvier 2017 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date. Enfin le tribunal a décidé que les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 13 579,48 euros par l'ordonnance du président du tribunal en date du 22 avril 2015, seraient mis à la charge définitive et solidaire de la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France et de la société Axa France Iard.

Première procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 avril 2019 sous le n° 19VE01493, la société Axa France Iard, représentée par Me Capdevila, avocat, a demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, de la mettre hors de cause et de condamner Mme A... E..., M. C... E... et M. B... E... à lui verser solidairement la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) à titre subsidiaire, de réduire le montant des indemnités allouées aux consorts E... en évaluant le coût de la réparation du mur de clôture à la somme de 8 929,56 euros HT, le trouble de jouissance à la somme de 10 000 euros et le préjudice moral à la somme de 3 000 euros.

Elle soutenait que :

- le jugement attaqué est entaché d'une contradiction de motifs ; elle n'a pas à garantir la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France dès lors que le contrat d'assurance comporte une clause d'exclusion de garantie en cas d'insuffisance de capacité du réseau ;

- en outre, les deux inondations de 2007 n'ont pas été déclarées par le souscripteur lors du renouvellement du contrat d'assurance le 22 avril 2008 ; le contrat ne présentait pas de caractère aléatoire au sens de l'article 1964 du code civil ;

- à titre subsidiaire, le coût des travaux retenu par l'expert, de 146 068,42 euros, permet de réaliser une digue destinée à protéger le pavillon et ne correspond pas à une simple réfection d'un mur à l'identique pour laquelle un devis de 8 929,56 euros HT a été fourni ; ce devis doit être retenu et indexé selon l'indice Insee du coût de la construction ;

- elle s'en rapporte pour les pertes matérielles à l'évaluation forfaitaire par le tribunal à la somme de 24 000 euros ;

- le tribunal a statué ultra petita en leur attribuant la somme de 36 000 euros au titre du préjudice de jouissance ; la demande des victimes doit être réduite sensiblement sur ce point ;

- le préjudice moral doit être évalué à la somme de 3 000 euros.

Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement le 3 juillet 2019 et le 28 mai 2021, Mme A... E..., en son nom propre et en sa qualité d'ayant-droit, et MM. C... et B... E..., en leur qualité d'ayants-droits, représentés par Me Abella, avocate, demandaient à la cour :

1°) de condamner in solidum la commune de Freneuse et son assureur, la société Groupama, la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France et son assureur, Axa France Iard, à leur verser la somme de 271 798,27 euros, à parfaire, en réparation de leurs préjudices, assortie des intérêts au taux légal à compter du 11 janvier 2016 et avec capitalisation des intérêts ;

2°) de condamner in solidum la commune de Freneuse et son assureur, la société Groupama, la communauté de communes Les portes d'Ile-de-France et son assureur, Axa France Iard, à leur verser la somme de 12 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) de condamner in solidum la commune de Freneuse et son assureur, la société Groupama, la communauté de communes Les portes d'Ile-de-France et son assureur, Axa France Iard, aux dépens à hauteur de la somme de 2 194 euros à parfaire.

Ils faisaient valoir que :

- la responsabilité pour faute de la commune doit être engagée au titre des pouvoirs de police générale du maire qui n'a pas pris toutes les mesures pour assurer la sécurité et la salubrité publiques après les orages de 2007 ; en outre, le maire a conservé ses pouvoirs de police spéciale en matière d'assainissement jusqu'au 30 juin 2011 ; le dépôt de pierres sur les regards à l'origine des inondations et le creusement d'une rigole étaient insuffisants à prévenir tout nouveau sinistre ;

- la responsabilité pour faute de la commune est également engagée pour défaut d'assistance et d'information ; les travaux pour circonscrire la cause des sinistres n'ont jamais été effectués par la commune depuis 2007 ; aucune indemnisation ne leur a été versée ; ils n'ont pas été assistés pour les réparations et le nettoyage et dans leurs démarches administratives ; la commune ne les a informés que tardivement du transfert de la compétence relative à l'assainissement au syndicat intercommunal d'assainissement Bonnières-Freneuse ;

- la responsabilité de la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France est également engagée sans faute à raison des dommages qu'ils ont subis en tant que tiers à un ouvrage public ;

- les assureurs doivent être condamnés in solidum avec la commune et la communauté de communes ; le risque était bien aléatoire ; le contrat d'assurance de 2008 dont se prévaut la société Axa France Iard n'a pas été signé par l'assuré ; il ne leur est pas opposable ; ils n'ont pas la preuve de la connaissance de ces exclusions par l'assuré ; les clauses applicables en 2007 ne sont pas fournies ; le caractère aléatoire du risque étant établi, la clause d'exclusion n'est pas applicable ;

- les préjudices qu'ils ont subis sont indemnisables dès lors qu'ils ont pour cause directe le dysfonctionnement du réseau d'assainissement et la carence fautive de l'administration ;

- les travaux visant à mettre fin aux désordres s'élèvent à la somme 146 068,42 euros pour la reconstruction du mur de soutènement ;

- les préjudices matériels s'élèvent non à la somme de 24 000 euros allouée par le tribunal mais au total à la somme de 33 129 euros, soit 2 500 euros pour la fourniture et la pose d'une nouvelle porte de garage, à hauteur de 2 029,85 euros pour la dépose des anciennes dalles et la fourniture et la pose de nouvelles dalles au sous-sol, à hauteur de 22 000 euros pour les objets perdus lors des sinistres, à hauteur de 6 600 euros pour le nettoyage du garage ;

- la privation de la jouissance du sous-sol s'élève à la somme de 42 600 euros en mai 2021 ;

- leur préjudice moral doit être indemnisé par le versement d'une indemnité de 50 000 euros, le tribunal n'ayant retenu que la somme de 20 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juillet 2019, la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France, représentée par Me Piquet, avocate, demandait à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête ;

2°) à titre subsidiaire, de la déclarer hors de cause ou de condamner la société Axa France Iard à la garantir des condamnations prononcées contre elle par l'arrêt à intervenir ;

3°) de condamner la société Axa France Iard à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle faisait valoir que :

- à titre principal, la société Axa France Iard doit la garantir intégralement des condamnations prononcées contre elle ; la survenance des deux premiers sinistres à la date de renouvellement du contrat d'assurance est sans incidence ;

- la clause d'exclusion de garantie est inopérante en l'espèce ;

- à titre subsidiaire, à défaut de procès-verbal prévu par les dispositions de l'article L. 1321-1 du code général des collectivités territoriales, seule la responsabilité de la commune de Freneuse, qui doit être regardée comme propriétaire du réseau d'assainissement, peut être engagée ;

- à titre subsidiaire, l'indemnisation des consorts E... au titre de la reconstruction du mur doit être ramenée à la somme de 17 129,34 euros ; l'indemnisation des préjudices nés du troisième sinistre ne saurait être mise à sa charge dès lors qu'ils sont dus à la passivité de la commune de Freneuse ; la demande d'indemnisation à hauteur de 50 000 euros au titre du préjudice moral n'est pas justifiée.

La procédure a été communiquée à la commune de Freneuse qui n'a pas produit d'observations.

Par un arrêt n° 19VE01493 du 24 mars 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté la requête de la société Axa France Iard.

Procédure devant le Conseil d'Etat :

Par une décision n° 464218 du 9 juin 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi par la société Axa France Iard, annulé cet arrêt en tant qu'il a condamné la société Axa France Iard à verser aux consorts E..., s'agissant du mur séparatif bordant leur propriété, une somme excédant celle correspondant à sa réfection à l'identique et renvoyé, dans cette mesure, l'affaire devant la cour administrative d'appel de Versailles.

Procédure devant la cour après le renvoi du Conseil d'Etat :

Par un mémoire, enregistré le 28 juillet 2023, la société Groupama Paris Val de Loire, représentée par Me Malnoy, avocat, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la société Axa France Iard, et de confirmer le jugement du 12 avril 2019 du tribunal administratif de Versailles ;

2°) ou, à titre subsidiaire, de condamner la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France, son assureur Axa France Iard et le syndicat intercommunal Bonnières-Freneuse à la garantir des condamnations prononcées à son encontre ;

3°) de mettre une somme de 3 000 euros à la charge de toute partie perdante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la responsabilité de la commune de Freneuse ne peut être recherchée, en qualité de maître de l'ouvrage, des dysfonctionnements du réseau d'assainissement, ou à raison de ses pouvoirs de police ;

- le montant de l'indemnisation ne peut excéder la valeur du mur existant ;

- en cas de condamnation, elle est fondée à demander la condamnation de la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France et de son assureur Axa France Iard à la garantir des sommes mises à sa charge et à opposer la franchise prévue au contrat d'assurance souscrit par la commune de Freneuse.

Par deux mémoires enregistrés les 29 septembre et 9 novembre 2023, M. C... E... et M. B... E... agissant en qualité d'ayants-droits de M. D... E... et Mme A... E..., agissant en son nom propre et en qualité d'ayant-droit de M. D... E..., représentés par Me Abella, avocate, demandent à la cour :

1°) de condamner solidairement la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France et son assureur Axa France Iard à leur verser une somme de 103 248 euros TTC pour la réfection du mur de soutènement ;

2°) de condamner la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France à leur verser la somme de 87 211,69 euros ;

3°) de condamner la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France à leur verser la somme de 5 400 euros en complément de l'indemnisation du trouble de jouissance ;

4°) de condamner la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France à leur verser la somme de 8 000 euros au titre du complément d'indemnisation du préjudice moral ;

5°) d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter du 11 janvier 2016 et de la capitalisation de ces intérêts ;

6°) de mettre à la charge solidaire de la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France (CCPIF) et de son assureur Axa France Iard la somme de 12 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- un nouveau devis doit être communiqué en raison de l'augmentation du coût de la vie et des matériaux depuis 2012 ; par ailleurs les devis produits en 2007 et 2008 ne peuvent être retenus dès lors qu'ils ne correspondent pas à la construction du mur à l'identique et qu'ils correspondent à la situation du mur avant l'effondrement total ; un premier devis évalue les travaux à la somme de 89 654,79 euros TTC ; un second à la somme de 103 248 euros ;

- en raison de l'absence d'intervention de la CCPIF sur le réseau d'assainissement qui est sous-dimensionné et de la violence des intempéries, et en raison de la nécessité de mettre en place un mur d'un montant de 146 068,42 euros TTC, la CCPIF doit prendre en charge la différence entre le coût de reconstruction à l'identique et le coût de la construction du mur telle que prescrite par l'expert judiciaire, soit la somme de 56 414 euros TTC et doit intervenir pour éviter de nouveaux sinistres ; le devis de la société Novalex a été réactualisé à la somme de 190 459,69 euros ;

- les préjudices de jouissance doivent être réévalués à hauteur de 5 400 euros, les travaux n'ayant pu intervenir, faute de décision définitive par la cour, et le préjudice moral à hauteur de 8 000 euros.

Par deux mémoires enregistrés les 10 octobre 2023 et 21 juin 2024, la société Axa France Iard, représentée par Me Capdevila, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 12 avril 2019 en tant qu'il a condamné in solidum la communauté de communes Les portes d'Ile-de-France et la société Axa France Iard au paiement de la somme de 146 068,42 euros au titre du préjudice matériel subi du fait de la destruction du mur de soutènement ;

2°) de retenir un coût de réparation d'un montant de 8 929,56 euros HT soit la somme de 10 800 euros TTC ;

3°) de condamner les consorts E... à verser à la société Axa France Iard le trop-perçu soit la somme de 135 268,42 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2022 ;

4°) de mettre à leur charge la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que le coût de réfection du mur ne peut correspondre qu'à des prestations de réfection à l'identique, ce qui n'est pas le cas du dernier devis produit par les consorts E....

Par un mémoire, enregistré le 3 octobre 2023, la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France, représentée par Me Piquet, avocate, demande à la cour :

1°) de rejeter les conclusions dirigées à son encontre ;

2°) de mettre à la charge de la société Groupama et des consorts E..., chacun pour moitié, la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que la cour ne peut se prononcer que dans les limites du renvoi par le Conseil d'Etat de sorte qu'elle ne peut se prononcer que sur la somme globale déjà payée par la société Axa France Iard, pour prévoir un coût de réfection à l'identique, les autres conclusions des parties dirigées à l'encontre de la communauté de communes étant irrecevables.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des assurances ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pilven,

- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gonthier substituant Me Abella pour Mme A... E... et MM. C... et B... E... et celles de Me Piquet pour la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France.

Considérant ce qui suit :

1. A l'occasion d'épisodes pluvieux intenses les 19 juin 2007, 15 juillet 2007 et 16 juillet 2009, M. et Mme E... ont été victimes d'inondations dans le sous-sol de leur maison d'habitation située 4 bis route nationale 13, sur la commune de Freneuse (Yvelines). La société Axa France Iard a relevé appel du jugement du tribunal administratif de Versailles du 12 avril 2019 qui l'a condamnée, solidairement avec la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France (CCPIF), à verser à Mme E... et à ses enfants, la somme globale de 226 068,42 euros en réparation de leurs préjudices causés par ces inondations et à garantir la communauté de communes à hauteur de 100 % des condamnations prononcées contre elle. Par la voie de l'appel incident et de l'appel provoqué, les consorts E... ont demandé à la cour de condamner in solidum la commune de Freneuse, son assureur, la société Groupama, la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France et son assureur, la société Axa France Iard, à leur verser la somme de 271 798,27 euros en réparation de leurs préjudices. Par un arrêt n° 19VE01493 en date du 24 mars 2022, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté la requête de la société Axa France Iard et les conclusions présentées par les consorts E... et par la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France. Par une décision n° 464218 du 9 juin 2023, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi présenté par la société Axa France Iard, a annulé l'arrêt du 24 mars 2022 de la cour en tant qu'il a condamné la société Axa France Iard à verser aux consorts E..., s'agissant du mur séparatif bordant leur propriété, une somme excédant celle correspondant à sa réfection à l'identique et renvoyé l'affaire, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Versailles.

Sur l'étendue du litige :

2. Les consorts E... demandent à la cour de condamner la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France à leur verser la somme de 5 400 euros en complément de la réparation du trouble de jouissance ainsi que la somme de 8 000 euros au titre du complément de la réparation du préjudice moral, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 11 janvier 2016 et de la capitalisation de ces intérêts, ces deux préjudices ayant déjà été indemnisés par le tribunal administratif.

3. La personne qui a demandé au tribunal administratif la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors qu'ils se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle. Il en va ainsi même lorsque le requérant n'a spécifié aucun chef de préjudice précis devant les premiers juges. Toutefois, en cas de renvoi à une juridiction après cassation partielle par le Conseil d'Etat, cette juridiction est tenue de se prononcer uniquement dans les limites de ce renvoi, les points n'ayant pas fait l'objet d'une cassation étant devenus définitifs.

4. La cour administrative d'appel de Versailles a fixé, par un arrêt du 24 mars 2022, le montant de l'indemnisation des troubles de jouissance à la somme de 36 000 euros et du préjudice moral à la somme de 20 000 euros. La décision rendue par le Conseil d'Etat, le 9 juin 2023, n'annule l'arrêt de la Cour qu'en tant qu'il a condamné la société Axa France Iard à verser aux consorts E... une somme excédant celle correspondant à la réfection du mur de séparation à l'identique, les sommes attribuées au titre du préjudice moral et des troubles de jouissance n'ayant au demeurant pas été contestées en cassation. Par suite, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles étant devenu définitif sur ce point, les conclusions des consorts E... tendant à la revalorisation des sommes allouées par la cour au titre du préjudice des troubles de jouissance et du préjudice moral ne peuvent qu'être rejetées comme irrecevables.

Sur l'indemnisation relative à la réfection du mur séparatif de la propriété des consorts E... :

5. Les consorts E... demandent dans leurs dernières écritures la condamnation solidaire de la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France et de son assureur Axa France Iard à leur verser une somme de 103 248 euros TTC pour la réfection du mur de soutènement ainsi que la condamnation de la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France à leur verser la somme de 87 211,69 euros, correspondant au coût total de reconstruction d'après un dernier devis d'un montant total de 190 459,69 euros. Ils soutiennent, d'une part, que les devis produits en 2007 et 2008 ne peuvent être retenus dès lors qu'ils ne correspondent pas à la reconstruction du mur à l'identique mais à la situation du mur avant l'effondrement total et font valoir la nécessité de prendre en compte l'augmentation du coût de la vie et des matériaux depuis 2012. D'autre part, ils font valoir qu'en raison de l'absence d'intervention de la CCPIF sur le réseau d'assainissement qui est sous-dimensionné, de la violence des intempéries et de la nécessité de mettre en place un mur en mesure d'éviter des dommages futurs, la CCPIF doit prendre en charge la différence entre le coût de reconstruction à l'identique et le coût de la construction du mur telle que prescrite par l'expert judiciaire.

6. Toutefois, par sa décision du 9 juin 2023, le Conseil d'Etat n'a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 24 mars 2022 qu'en tant qu'il a condamné la société Axa France Iard à verser aux consorts E..., en réparation des dommages relatifs au mur bordant leur propriété, une somme excédant celle correspondant à sa réfection à l'identique. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la capacité et les dimensions du réseau d'assainissement étaient conformes aux prescriptions techniques de sorte que les sinistres ne provenaient pas d'un risque n'ayant pas de caractère aléatoire du fait d'un vice de conception de l'ouvrage, d'un défaut d'entretien ou d'une insuffisance de capacité du réseau et qu'enfin aucun épisode pluvieux dommageable n'est intervenu depuis la construction du bâtiment à part ceux de 2009 et 2011. Dès lors, la demande de condamnation de la CCPIF pour un montant de 87 211,69 euros correspondant à la réparation d'un dommage excédant la réfection à l'identique du mur endommagé, au motif qu'elle serait indispensable pour suppléer aux insuffisances et défauts du réseau d'assainissement existant, doit être rejetée.

7. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la cause des dommages et leur étendue étaient connus dès la survenue des sinistres, notamment au moment de l'expertise amiable diligentée par l'assureur des consorts E... en 2009 au vu d'un devis du 10 novembre 2008 produit à cette occasion. Les consorts E... n'établissent pas s'être trouvés dans l'impossibilité matérielle ou financière de les exécuter. La demande des consorts E... tendant à prendre en compte l'évolution des coûts doit dès lors être rejetée. Par ailleurs, s'ils se fondent sur un dernier devis d'un montant de 103 248 euros du réseau d'artisans étoilés, en alléguant qu'il correspond à des prestations de simple réfection d'un mur à l'identique, il ressort toutefois de son descriptif qu'il correspond plus à un mur de soutènement, par son terrassement et la réalisation de 90 m² de murs en bloc à bancher, destiné en fait à protéger leur pavillon des pressions hydrauliques d'un nouveau terrain de boues et non d'une simple reconstruction du mur détruit, comme cela ressort aussi de la différence de coût entre ce devis et celui produit par la société Alazard en date du 10 novembre 2008 d'un montant total de 9 420,69 euros TTC, soit environ onze fois moindre que celui du réseau des artisans étoilés.

8. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de fixer le montant de l'indemnisation du préjudice subi par les consorts E... pour la réfection du mur de leur propriété à la somme de 9 420,69 euros toutes taxes comprises et de condamner solidairement la société Axa France Iard et la CCPIF à leur verser cette somme.

Sur la demande de la société Axa France Iard tendant au reversement du trop-perçu par les consorts E... :

9. Lorsque le juge d'appel infirme ou réduit une condamnation prononcée en première instance, sa décision, dont l'expédition notifiée aux parties est revêtue de la formule exécutoire prévue à l'article R. 751-1 du code de justice administrative, permet par elle-même d'obtenir, au besoin d'office, le remboursement de sommes déjà versées en vertu de cette condamnation. Il suit de là que les conclusions de la société Axa France Iard tendant à ce qu'il soit enjoint aux consorts E... de lui rembourser la somme de 135 268,42 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2022, sont sans objet. Elles ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

Sur les appels provoqués :

10. La société Groupama demande de condamner la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France, son assureur Axa France Iard, le syndicat intercommunal Bonnières-Freneuse à la garantir des condamnations prononcées à son encontre. Toutefois sa situation n'étant pas aggravée en appel, ses conclusions à fin d'appel provoqué doivent être rejetées comme irrecevables.

11. La communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France et la société Axa France Iard ont été condamnées, par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Versailles du 12 avril 2019 confirmé par l'arrêt de la cour du 24 mars 2022, à verser solidairement la somme de 226 068,42 euros aux consorts E.... La décision du 9 juin 2023, par laquelle le Conseil d'Etat a annulé partiellement l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 24 mars 2022, aggrave la situation de la communauté de communes qui se trouve exposée, en raison de la solidarité avec la société Axa France Iard retenue par les premiers juges, à devoir payer aux consorts E... le coût de la réparation du mur bordant leur propriété pour un montant de 146 068,42 euros alors que la somme à laquelle la société Axa France Iard est condamnée est ramenée par le présent arrêt à un montant de 9 420,69 euros, à la suite de la décision du Conseil d'Etat du 9 juin 2023. La communauté de communes est dès lors recevable à demander, par la voie de l'appel provoqué, que la condamnation prononcée par le tribunal administratif à son encontre soit réduite dans cette proportion. Ainsi, il y a lieu de réduire à un montant total de 89 420,69 euros la somme totale à laquelle la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France a été condamnée solidairement avec la société Axa France Iard par le jugement du tribunal administratif de Versailles du 12 avril 2019, au titre de la réparation du préjudice subi du fait de la destruction du mur séparatif bordant la propriété des consorts E... pour un montant de 9 420,69 euros TTC, des préjudices matériels subis pour un montant de 24 000 euros, du préjudice lié à la perte de jouissance partielle de leur propriété pour un montant de 36 000 euros et du préjudice moral pour un montant de 20 000 euros.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Axa France Iard est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles l'a condamnée solidairement avec la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France à verser à Mme A... E... en son nom propre, à Mme A... E..., M. C... E... et M. B... E... en leur qualité d'ayants-droits de M. D... E... la somme de 146 068,42 euros au titre de la reconstruction du mur bordant leur propriété, et à demander que cette somme soit réduite à un montant de 9 420,69 euros TTC.

Sur les conclusions relatives à l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. La société requérante et la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France n'étant pas les parties perdantes, les conclusions des consorts E... tendant à mettre une somme à leur charge au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Il n'y a pas lieu non plus de faire droit aux conclusions présentées à ce titre par la société Groupama à l'encontre de toute partie perdante ni par la communauté de communes à l'encontre de la société Groupama, ni encore par la société Axa France Iard et la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France à l'encontre des consorts E... en mettant une somme à leur charge en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France et la société Axa France Iard ont été condamnées solidairement à verser à Mme A... E... en son nom propre, à Mme A... E..., M. C... E... et M. B... E... en leur qualité d'ayants-droits de M. D... E... par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Versailles du 12 avril 2019 est ramenée à un montant total de 89 420,69 euros, au titre de la réparation du préjudice subi du fait de la destruction du mur séparatif bordant leur propriété pour un montant de 9 420,69 euros TTC, des préjudices matériels subis pour un montant de 24 000 euros, du préjudice lié à la perte de jouissance partielle de leur propriété pour un montant de 36 000 euros et du préjudice moral pour un montant de 20 000 euros.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête et des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Versailles du 12 avril 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Axa France Iard, à la communauté de communes Les portes de l'Ile-de-France, à Mme A... E..., à M. C... E..., à M. B... E..., à la commune de Freneuse et à la société Groupama Paris Val de Loire.

Délibéré après l'audience du 27 juin 2024, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Pilven, président-assesseur,

Mme Florent, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2024.

Le rapporteur,

J-E. PILVENLe président,

P.-L. ALBERTINILa greffière,

S. DIABOUGA

La République mande et ordonne au préfet des Yvelines en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 23VE01248002


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23VE01248
Date de la décision : 18/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-03 Travaux publics. - Différentes catégories de dommages. - Dommages causés par l'existence ou le fonctionnement d'ouvrages publics.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: M. Jean-Edmond PILVEN
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : CAPDEVILA

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-18;23ve01248 ?
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