Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision de l'inspecteur du travail en date du 13 juillet 2021 autorisant son licenciement.
Par un jugement n° 2111550 du 9 février 2023, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 7 avril 2023, 30 novembre 2023 et 18 janvier 2024, M. A..., représenté par Me Porcheron, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision ;
3°) de mettre conjointement à la charge de l'Etat et de la société Sogedev le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur de fait dans l'appréciation de sa prétendue insuffisance professionnelle ;
- l'inspecteur du travail a commis une erreur d'appréciation sur sa prétendue insuffisance professionnelle, notamment en utilisant les tableaux fournis par la société, qui sont erronés et qui n'ont fait l'objet d'aucune consultation de la part du comité social et économique (CSE), en violation des articles L. 2312-37 et L. 2312-38 du code du travail ;
- il a, également, commis une erreur d'appréciation en ne prenant pas en compte les difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécution de ses missions et en considérant que l'employeur avait démontré l'impossibilité de le reclasser au sein de l'entreprise, ou plus généralement, au sein du groupe ;
- le jugement est aussi entaché d'une erreur de droit en ce qu'il considère qu'aucun texte législatif ou réglementaire ni aucun principe n'impose à un employeur qui souhaite licencier un salarié auquel il reproche une insuffisance professionnelle de chercher à reclasser ce dernier ;
- enfin, l'inspecteur du travail, et ensuite le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, ont dénaturé les pièces du dossier pour considérer que son licenciement est sans lien avec son mandat.
Par deux mémoires en défense enregistrés les 17 juillet et 22 décembre 2023, la société de gestion et de développement (Sogedev), représentée par Me Thivillier, avocat, conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
- le jugement doit être confirmé, notamment quant à l'analyse de la décision d'autorisation de licenciement ;
- l'enquête de l'inspecteur du travail respecte le contradictoire ;
- l'inspecteur du travail a fait une exacte appréciation de l'insuffisance professionnelle de M. A... ;
- l'inspecteur du travail n'a pas commis une erreur d'appréciation en considérant qu'elle avait démontré l'impossibilité de reclasser M. A... au sein de l'entreprise ;
- l'inspecteur du travail a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, considérer qu'il n'est pas établi que le licenciement de M. A... présente un lien avec le mandat exercé par ce dernier.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Albertini,
- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,
- et les observations de Me Michl, substituant Me Porcheron, pour M. A... et de Me Thivillier, pour la société Sogedev.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., employé au sein de la société Sogedev depuis le 8 juin 2011, a, d'abord, été titulaire de la délégation unique du personnel le 5 janvier 2017, avant d'exercer, à compter du 25 mai 2020, un mandat de délégué syndical. Par un courrier du 18 mai 2021, la société Sogedev a sollicité, après avis du comité social et économique, l'autorisation de licencier M. A..., salarié protégé au titre de son mandat, pour insuffisance professionnelle. Par une décision du 13 juillet 2021, l'inspecteur du travail de la section 6 de l'unité de contrôle des Hauts-de-Seine a autorisé son licenciement, qui lui a été notifié le 15 juillet 2021. Par un jugement du 9 février 2023 dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande d'annulation de la décision autorisant son licenciement pour insuffisance professionnelle.
Sur la régularité du jugement :
2. Hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. M. A... ne peut donc utilement se prévaloir des erreurs de droit ou de fait, ou des erreurs d'appréciation qu'auraient commises les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
3. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'insuffisance professionnelle, il appartient à l'inspecteur du travail et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si cette insuffisance est telle qu'elle justifie le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
En ce qui concerne l'absence de contradictoire :
4. M. A... soutient que l'inspecteur du travail aurait manqué au contradictoire en ne lui communiquant pas certaines pièces fournies par l'employeur précisant l'impossibilité de le reclasser. Toutefois, y compris en appel, il n'identifie pas les documents en cause, alors que l'impossibilité invoquée de le reclasser figurait dans la demande d'autorisation de licenciement présentée par l'employeur, puis dans les observations de l'employeur, au cours de l'enquête de l'inspection du travail, dont il a eu communication. Il y a lieu, dès lors, d'écarter le vice de procédure allégué.
En ce qui concerne l'insuffisance professionnelle et son appréciation :
5. En premier lieu, l'insuffisance professionnelle du salarié s'apprécie compte tenu notamment de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des caractéristiques de l'emploi exercé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat.
6. M. A... reproche à la décision de l'inspecteur du travail autorisant son licenciement d'être entachée d'une erreur d'appréciation en ce qu'elle considère que son insuffisance professionnelle est établie, alors qu'elle se base notamment sur des tableaux dont il conteste l'exactitude. Toutefois, pour considérer qu'il y a effectivement insuffisance professionnelle, l'inspecteur du travail prend en compte les moyennes d'appels quotidiens sortants de M. A... pour l'année 2019 et pour le 1er trimestre de l'année 2021, moyennes qui se trouvent être inférieures dans une proportion pouvant aller jusqu'à environ 30 % d'appels en moins à celles des autres salariés de la société qui exercent les mêmes missions. Il est également précisé que M. A... n'apporte aucun élément déterminant démontrant que ce fait ne lui est pas imputable, alors, qu'à l'inverse, il ressort aussi des pièces du dossier que la société, à plusieurs reprises, a rappelé à l'ordre M. A... s'agissant de ses missions. S'il invoque l'inexactitude des tableaux fournis par la société, sur lesquels s'est notamment fondé l'inspecteur du travail pour prendre sa décision, il ne démontre ni ne justifie les différences significatives et récurrentes entre sa moyenne d'appels et celle des autres salariés. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier qu'un objectif de 50 appels sortants a été fixé aux salariés, ce nombre pouvant être diminué si le nombre de projets de soutien à l'investissement validés par les chargés d'affaires atteint l'objectif mensuel fixé dans les notes de travail annuelles transmises au salarié. Cet objectif était clairement fixé et connu des salariés, contrairement à ce que soutient M. A..., qui depuis 2017, n'a pas atteint ses objectifs de manière persistante et régulière, sans que la prise en compte de ses heures de délégation ou des ralentissements informatiques ponctuels puisse expliquer cet écart. Ainsi, même après un décompte de ses heures de délégation, sa moyenne d'appels demeure largement insuffisante en comparaison avec celle de ses collègues, comme a pu justement le constater l'inspecteur du travail. S'il invoque également l'absence de certaines heures de délégation, qu'il entend démontrer par la production de bons de délégation, ces bons ne permettent pas d'établir la matérialité des faits en ce qu'ils soit ne sont pas signés, soit ne sont pas datés, soit visent des périodes qui ont effectivement été comptabilisées dans le tableau récapitulant ses heures de délégation.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2312-37 du code du travail : " Outre les thèmes prévus à l'article L. 2312-8, le comité social et économique est consulté dans les conditions définies à la présente section dans les cas suivants : 1° Mise en œuvre des moyens de contrôle de l'activité des salariés (...) ". Aux termes de l'article L. 2312-38 du même code : " (...) Le comité est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en œuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés. ".
8. Il résulte de ces dispositions que, si l'employeur peut contrôler et surveiller l'activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas fait l'objet, préalablement à son introduction, d'une information et d'une consultation du comité social et économique et qui n'a pas été porté à la connaissance des salariés et qu'à défaut, le dispositif de surveillance ne peut constituer un mode de preuve licite. Toutefois, le contrôle de l'activité d'un salarié, au temps et au lieu de travail, par un service interne de l'entreprise chargé de cette mission ne constitue pas, en soi, même en l'absence d'information préalable du salarié en application de l'article L. 1222-4 du code du travail et du comité d'entreprise en application de l'article L. 2323-32 du même code, un mode de preuve illicite devant le juge administratif. Ainsi, si M. A... invoque, pour la première fois en appel, le moyen selon lequel la société ne justifie pas avoir informé le comité social et économique (CSE) du dispositif d'évaluation des salariés, la simple surveillance du salarié par un supérieur hiérarchique ou un service interne à l'entreprise ne constitue pas un tel procédé clandestin ou dissimulé de surveillance du salarié, au temps et au lieu de travail, par un service interne à l'entreprise chargé de cette mission et ne constitue pas, en soi, même en l'absence d'information préalable du salarié, un mode de preuve illicite, la preuve étant également valablement recueillie, même sans information préalable du salarié, lorsqu'elle résulte de la seule utilisation de techniques connues et légitimes, tels les relevés de communications téléphoniques fournis par les opérateurs à l'entreprise. A l'inverse, lorsqu'un système de surveillance a dès l'origine une double finalité et est utilisé par l'entreprise non seulement pour contrôler le respect de ses procédures internes mais aussi pour surveiller le comportement des salariés, le CSE doit en être préalablement informé conformément à l'article L. 2323-38 du code du travail. En l'espèce, la traçabilité des appels était effectuée hebdomadairement et de manière parfaitement connue de tous. Le moyen de M. A... tiré de ce que la preuve de son insuffisance professionnelle a été obtenue au moyen d'une preuve illicite doit, par suite, être écarté.
9. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient M. A..., l'entreprise Sogedev fournit la liste des formations délivrées aux employés et à M. A..., lesquelles ne portent pas que sur les produits vendus mais également sur le poste de commercial sédentaire. M. A..., qui ne conteste pas par ailleurs avoir suivi plusieurs formations, n'a pas assisté aux formations proposées par la société entre 2018 et 2020, en justifiant ses refus réitérés par son expérience professionnelle et par les compétences qu'il avait déjà acquises. En outre, il n'apporte en appel aucun élément permettant de démontrer qu'il aurait souhaité bénéficier d'une formation particulière auprès de la société. Dès lors, son employeur n'a pas méconnu son obligation de formation et d'adaptation au poste à son égard.
En ce qui concerne le manquement à l'obligation de reclassement :
10. Aucun texte législatif ou réglementaire ni aucun principe n'impose une obligation de reclassement à un employeur qui souhaite licencier un salarié auquel il reproche une insuffisance professionnelle, les dispositions du code du travail ne prévoyant une telle obligation que dans les hypothèses où le licenciement est justifié soit par un motif économique soit par l'inaptitude physique du salarié. Il ressort à cet égard des pièces du dossier et des motifs de la décision en litige autorisant le licenciement de M. A... qu'il est licencié pour insuffisance professionnelle, et non pour un motif économique ou une inaptitude physique. Par ailleurs, alors même que M. A... soutient qu'aucune justification n'a été apportée par la société, ou ne lui a été communiquée, pour démontrer qu'elle avait effectivement satisfait à l'obligation de reclassement, il ressort des motifs de la décision contestée que l'inspecteur du travail s'est assuré que l'employeur avait satisfait à une telle obligation, c'est donc à bon droit que les premiers juges ont estimé que le moyen tiré de la méconnaissance de l'obligation de reclassement par la société Sogedev est inopérant.
En ce qui concerne le lien avec le mandat :
11. M. A... fait valoir que la demande d'autorisation de licenciement présente un lien avec son mandat, principalement parce qu'à compter de son élection en tant que délégué du personnel en 2017, il n'a plus été mis à même d'exercer normalement ses fonctions. Toutefois, s'il invoque les différents recadrages et sanctions dont il a fait l'objet depuis qu'il exerce son mandat, il ressort des pèces du dossier que ces démarches de l'employeur, qui ne constituent en rien des " pressions ", ne sont que le résultat d'une attitude d'opposition et de contradiction vis-à-vis de sa hiérarchie et ne sont que des tentatives de l'alerter soit à propos de son comportement soit de ses résultats jugés insuffisants. Il a ainsi notamment fait l'objet à ce titre d'une mise à pied disciplinaire de trois jours en 2019, puis d'une première demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire, rejetée par l'inspecteur du travail, parce qu'il avait refusé de quitter le bureau du directeur associé tant que ce dernier ne lui avait pas communiqué un document dont la communication ne présentait pas un caractère d'urgence et qu'il n'a, par ailleurs, pas refusé de lui transmettre, comme M. A... le reconnaît dans ses écritures. S'il reproche aussi à la direction de la société de l'avoir isolé des autres salariés dès qu'il a exercé des fonctions représentatives, la seule circonstance qu'il a été placé dans un bureau contigu à l'espace ouvert de travail où se trouvaient ses collègues, et séparé d'eux uniquement par une cloison vitrée dotée d'une porte, ne constitue pas un tel isolement. Il ne démontre pas non plus en appel, par les pièces au dossier, qu'il aurait été contraint, ainsi qu'il le soutient, de s'installer face à un mur et dos à son supérieur hiérarchique. Dès lors, le moyen tiré de ce que la demande d'autorisation de licenciement serait en lien avec l'exercice de son mandat par M. A... doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat et de la société Sogedev, qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme de 3 000 euros que M. A... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la société Sogedev présentées sur le même fondement.
ORDONNE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Sogedev au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la société Sogedev et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.
Copie en sera adressée au directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 30 mai 2024, à laquelle siégeaient :
M. Albertini, président de chambre,
M. Pilven, président assesseur,
Mme Florent, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 juin 2024.
Le président-assesseur,
J.-E. PILVENLe président-rapporteur,
P.-L. ALBERTINILa greffière,
S. DIABOUGA
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 23VE00732