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25/06/2024 | FRANCE | N°20VE01720

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 6ème chambre, 25 juin 2024, 20VE01720


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La commune de Mantes-la-Ville a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner, à titre principal, la société par actions simplifiée (SAS) Oteis à lui verser la somme de 766 380,30 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 octobre 2017 et de la capitalisation de ces intérêts, sur le fondement de la responsabilité contractuelle ou, à défaut, sur celui de la responsabilité décennale, au titre des désordres affectant

le système d'aération du groupe scolaire des Merisiers, à titre subsidiaire, de condamner so...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Mantes-la-Ville a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner, à titre principal, la société par actions simplifiée (SAS) Oteis à lui verser la somme de 766 380,30 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 octobre 2017 et de la capitalisation de ces intérêts, sur le fondement de la responsabilité contractuelle ou, à défaut, sur celui de la responsabilité décennale, au titre des désordres affectant le système d'aération du groupe scolaire des Merisiers, à titre subsidiaire, de condamner solidairement les membres du groupement conjoint de maîtrise d'œuvre ou, à défaut, la SAS Consultants, à lui verser les mêmes sommes sur le fondement de leur responsabilité contractuelle au titre des mêmes désordres et, à titre infiniment subsidiaire, de condamner solidairement les sociétés Oteis, AAVP Architecture, BTP Consultants, Bureau Veritas, Entreprise point Service ainsi que M. A... B... et le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Yvelines à lui verser les mêmes sommes sur le fondement de leur responsabilité décennale au titre des mêmes désordres.

Par un jugement n° 1707040 du 28 mai 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté ces demandes et a mis les frais et honoraires d'expertise à la charge de la commune de Mantes-la-Ville à hauteur de 13 764,13 euros et à la charge de la SARL AAVP Architecture, de M. A... B... et de la SAS BTP consultants à concurrence de 6 882,06 euros chacun.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 24 juillet 2020 et 11 août 2021, la commune de Mantes-la-Ville, représentée par Me Frölich, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner solidairement les sociétés AAVP Architecture, M. A... B..., la SAS Ginger Sechaud Bossuyt, la SARL Projet Base, les sociétés Point service, Poulingue, Lugne Electricité, BTP consultants, Quassi ainsi que le bureau Véritas et le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Yvelines à lui verser la somme de 766 380,30 euros toutes taxes comprises, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la requête et de la capitalisation ;

3°) de mettre à la charge solidairement des parties perdantes la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune de Mantes-la-Ville soutient que :

- les conclusions dirigées à l'encontre des sociétés Quassi, Poulingue et du SDIS des Yvelines ne sont pas irrecevables ;

- les premiers juges ont dénaturé ses conclusions et omis de statuer sur le moyen tiré à titre subsidiaire de la responsabilité du maître d'œuvre sur le fondement de la garantie décennale en se limitant à statuer sur la responsabilité décennale de la SAS Ginger Sechaud Bossuyt et de la SARL Projet base ; par ailleurs, le tribunal n'a pas statué sur la responsabilité décennale de la SAS BTP Consultants ;

- le bien-fondé du jugement est entaché de plusieurs erreurs de droit :

- en premier lieu, le tribunal a tout d'abord rejeté à tort les conclusions formées au titre de la garantie décennale des constructeurs ; ce n'est que deux ans après la désignation de l'expert le 23 août 2016 que les causes des désordres ont été connues et portées à sa connaissance, soit le 13 octobre 2018, date de remise du rapport d'expertise ; ce n'est qu'à cette date que la commune a eu connaissance de l'absence de ventilation et de la conception d'un ouvrage quasiment hermétique qui le rendent impropre à sa destination, ce qui n'était pas décelable en cours d'exécution du chantier ; aucun système de désenfumage des classes n'a été mis en place ; les désordres reposent donc entièrement sur la mauvaise conception de l'ouvrage et sont de nature à engager la responsabilité de la maîtrise d'œuvre ;

- en deuxième lieu, la responsabilité de la maîtrise d'œuvre est aussi engagée au titre d'une méconnaissance de son devoir de conseil et de surveillance, notamment lors de la réception des travaux, ainsi que celles du bureau Véritas, de la société Quassi, du SDIS des Yvelines et des sociétés Point service, Poulingue et Lugne Electricité ; or les dommages ne peuvent être regardés comme imputables à la commune à hauteur de 20 % dès lors que le maître d'œuvre a commis une faute dans son devoir de conseil au moment de la réception de l'ouvrage ; à cette date, le 2 septembre 2014, la commune n'avait pas connaissance des causes des désordres et a prononcé la réception des travaux sans réserve sur les conseils de la maîtrise d'œuvre ;

- en troisième lieu, la charge du coût des travaux supplémentaires ne peut être intégralement supportée par la commune ; le tribunal ne pouvait faire application d'une jurisprudence du Conseil d'Etat portant sur un appel en garantie du maître de l'ouvrage contre le maître d'œuvre alors que la commune recherchait la responsabilité de la maîtrise d'œuvre sur le fondement de la responsabilité contractuelle et décennale et n'avait pas à établir qu'elle aurait renoncé à la réalisation de travaux de restructuration du groupe scolaire si elle avait eu connaissance des travaux supplémentaires nécessaires ni à établir que le montant de ces travaux supplémentaires aurait été supérieur au coût des travaux de restructuration si aucune faute de conception n'avait été commise ; en tout état de cause, si la commune avait eu connaissance des travaux supplémentaires à réaliser afin de rendre l'ouvrage conforme aux règles de l'art, elle aurait renoncé à ce projet ;

- en quatrième lieu, la répartition du paiement des frais et honoraires de l'expertise ne pouvait laisser à la charge de la commune une somme de 13 764,13 euros alors qu'elle n'a commis aucune faute et que les désordres sont exclusivement imputables à la maîtrise d'œuvre ; par ailleurs, elle n'est pas la partie perdante et ne peut voir les dépens mis à sa charge en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.

Par des mémoires enregistrés les 12 janvier et 5 octobre 2021, la SAS Qualiconsult Sécurité Quassi, exerçant sous l'enseigne Quassi, représenté par Me Lacaze, avocate, conclut :

1°) au rejet de la requête de la commune de Mantes-la-Ville ;

2°) à la condamnation in solidum des sociétés Oteis Sechaud Bossuyt, AAVP Architecture, PL Architecture M. B..., BTP Consultants, Etablissements Poulingue à la garantir en cas de condamnation à son encontre ;

3°) à la mise à la charge de la commune de Mantes-la-Ville de la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la demande de condamnation à son encontre est nouvelle en appel et par suite irrecevable ;

- les conditions de la responsabilité décennale ne sont pas remplies, les désordres étant apparents lors de la réception ; et les conditions de la responsabilité contractuelle ne sont pas remplies, la réception ayant été prononcée sans réserve ;

- les rapports d'expertise ne lui sont pas opposables ; en tout état de cause, sa responsabilité n'est pas retenue par l'expert judiciaire.

Par un mémoire, enregistré le 11 février 2021, le service départemental d'incendie et de secours des Yvelines, représenté par Me Beaumont, avocate, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de toute partie perdante une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable dès lors que la commune se borne à reprendre ses écritures de première instance, sans critique du jugement du tribunal administratif ;

- aucun manquement ne peut être retenu à son encontre.

Par un mémoire enregistré le 25 mars 2021, la SARL AAVP Architecture et M. A... B..., PL Architectures, représentés par Me Bazelaire de Lesseux, avocat, concluent :

1°) au rejet de la requête de la commune de Mantes-la-Ville ;

2°) à titre subsidiaire, à la condamnation de la société Oteis Sechaud Bossuyt à les garantir de toute condamnation prononcée à leur encontre ;

3°) à ce que la somme de 10 000 euros soit mise à la charge de toute partie perdante en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- ils ne peuvent être tenus comme responsables des désordres constatés ni au regard de la responsabilité contractuelle ni au regard de la responsabilité décennale ;

- l'appel en garantie de la société Oteis Sechaud Bossuyt doit être rejeté comme non fondé ;

- l'intervention volontaire de la société Aviva Assurances est irrecevable ;

- son appel en garantie n'est par ailleurs pas fondé, de même que celui de la société SAS Quassi.

Par un mémoire enregistré le 9 avril 2021, la société Poulingue, représentée par Me Sebag, avocate, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire à être garantie par la société Oteis Sechaud Bossuyt de toute condamnation prononcée à son encontre ;

3°) à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune de Mantes-la-Ville et la société Oteis Sechaud Bossuyt en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la demande de condamnation formée en appel par la commune requérante est nouvelle en appel et par suite irrecevable ;

- en tout état de cause, cette demande de condamnation n'est pas fondée en l'absence de responsabilité de sa part.

Par trois mémoires, enregistrés les 13 avril 2021, 26 janvier et 6 mai 2024, la société Oteis Sechaud Bossuyt, représentée par Me Launey, avocat, conclut :

1°) au rejet de la requête et des demandes formées par la commune de Mantes-la-Ville ;

2°) au rejet de l'appel en garantie formé par la société Quassi ;

3°) à titre subsidiaire à la condamnation in solidum des sociétés AAVP, PL Architecture, M. B..., BTP Consultants, Projet Base, Point Service, Poulingue, Lugne Electricité, Quassi, Bureau Véritas à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

4°) à ce que la somme de 6 000 euros soit mise à la charge de toute partie perdante en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le caractère apparent des désordres fait obstacle à la mise en jeu de la garantie décennale ;

- la responsabilité contractuelle ne peut être recherchée dès lors que le décompte général est devenu définitif ;

- aucune somme ne peut être allouée à la commune dès lors qu'il n'est pas établi que la commune aurait renoncé à ce projet immobilier si elle avait eu connaissance des travaux supplémentaires indispensables et d'un coût supérieur au coût de la construction ;

- en cas de condamnation, l'appel en garantie à l'encontre des autres participants au marché doit être retenu ; la commune doit être aussi reconnue pour partie comme responsable des désordres, ayant réceptionné sans réserve l'ouvrage alors que les désordres étaient apparents.

Par un mémoire, enregistré le 14 avril 2021, la société BTP Consultants, représentée par Me Tirel, avocat, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire, à être garantie en cas de condamnation à son encontre par les sociétés Bureau Véritas, Point Services, Oteis Sechaud Bossuyt, son assureur Aviva, les sociétés Quassi et Poulingue ;

3°) à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune ou de toute partie perdante en application de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les demandes sur le fondement de la responsabilité contractuelle ou de la responsabilité décennale ne sont pas fondées ;

- elle devrait être garantie en cas de condamnation par les sociétés Bureau Véritas, Point Services et Oteis Sechaud Bossuyt et son assureur Aviva, ainsi que par les sociétés Quassi, Poulingue et Lugne Electricité.

Par deux mémoires, enregistrés les 16 avril 2021 et 22 avril 2024, la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP) et la société Point Service, représentées par Me Waligora, avocate, concluent au rejet de la requête, à titre subsidiaire à ce que la société Oteis les garantisse en cas de condamnation, le cas échéant avec les sociétés BTP consultants, AAVP Architecture, M. A... B... et la société Poulingue et demandent qu'une somme de 2 000 euros à verser à chacune d'entre elles soit mise à la charge de la commune de Mantes-la-Ville sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles font valoir que :

- la cour administrative d'appel n'est pas compétente pour statuer sur la demande de condamnation de la SMABTP, le contrat passé avec la société Point Service étant de droit privé ;

- la responsabilité de la société Point Service n'est pas établie, que ce soit au titre de la responsabilité décennale ou de la responsabilité contractuelle.

Par un mémoire en intervention volontaire, enregistré le 12 mai 2024, la société Abeille Iard et Santé (anciennement Aviva Assurances), représentée par Mes Wolf et Rogel, avocats, conclut au rejet de la requête et demande à titre subsidiaire que la société AAVP Architecture, PL architecture, M. B..., les sociétés BTP Consultants, Projet base, Point service, Poulingue, Lugnes Electricité, Quassi, Bureau Véritas la garantissent en cas de condamnation à son encontre et que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge des parties perdantes en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que son intervention est recevable, qu'elle justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir, que le caractère apparent des désordres exclut la garantie décennale et que la société Oteis est responsable sur un fondement contractuel pour défaut de conseil lors des opérations d'expertise et que la commune de Mantes-la-Ville n'avait subi aucun préjudice.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des assurances ;

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pilven,

- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,

- les observations de Me Frölich pour la commune de Mantes-la-Ville, de Me Ben Halima substituant Me Launey pour la société Oteis venant aux droits de la société Ginger Sechaud Bossuyt, de Me Petit, succédant à Me Lacaze, pour la société Qualiconsult, et de Me Mokadem pour la société Abeille Iard et Santé.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre d'un marché de travaux ayant pour objet la restructuration du groupe scolaire des Merisiers, la commune de Mantes-la-Ville a confié le 29 janvier 2010 au groupement conjoint composé de la SARL AAVP Architecture, de M. A... B..., de la SAS Ginger Séchaud Bossuyt et de la SARL Projet Base, une mission de maîtrise d'œuvre. Ces travaux étaient soumis au contrôle technique de la SAS BTP consultants. Les lots n° 1B " charpente bois - ossature bois - vêture bois " et n° 3 " menuiseries extérieures " ont été confiés à la SAS Poulingue qui avait, notamment, la tâche de réaliser deux façades bioclimatiques se superposant au sud et à l'ouest aux façades du bâtiment existant. Ces façades ont été posées au cours des mois d'avril et mai 2014 et ont été terminées au cours du mois de juillet suivant. Dès le début de l'installation de ces ouvrages, les utilisateurs du groupe scolaire se sont plaints de maux de tête, d'odeurs nauséabondes et de sensations de manque d'air. La commune a alors demandé au laboratoire central de la préfecture de police de procéder à des analyses de la qualité de l'air du bâtiment. Le rapport du 12 juin 2014 établi par ce service a relevé un taux très élevé de dioxyde de carbone en période d'utilisation des classes correspondant à un confinement très élevé. En dépit de la mise en œuvre des préconisations de ce rapport qui recommandait d'améliorer les conditions d'aération des salles, les désordres liés au manque d'air frais ont perduré. La réception des travaux est néanmoins intervenue le 2 septembre 2014 avec des réserves ne portant pas sur ces problèmes de renouvellement d'air. La commune n'a déclaré que le 14 janvier 2015 les désordres affectant l'aération du groupe scolaire à son assureur qui lui a refusé sa garantie. L'expert chargé par le juge des référés du tribunal administratif de Versailles de déterminer l'origine de ces problèmes, leur imputabilité et le coût des solutions de reprise, a relevé dans son rapport du 13 octobre 2018 que ces désordres résultaient d'une erreur de conception des façades bioclimatiques imputable au bureau d'études techniques Ginger Séchaud Bossuyt et a préconisé des travaux supplémentaires d'installation d'un système de ventilation et d'aération ainsi qu'un système de désenfumage du groupe scolaire d'une valeur totale de 766 380,30 euros. La commune de Mantes-la-Ville a demandé, à titre principal, que la SAS Oteis qui vient aux droits de la SAS Ginger Sechaud Bossuyt, soit condamnée à lui verser cette somme sur le fondement de sa responsabilité contractuelle ou, à défaut, sur celui de sa responsabilité décennale, à titre subsidiaire, la condamnation solidaire des membres du groupement de maîtrise d'œuvre ou, à défaut, de la SAS BTP consultants, à lui verser la même somme sur le fondement de leur responsabilité contractuelle ou décennale, et, enfin, à titre infiniment subsidiaire, la condamnation solidaire des sociétés Oteis, AAVP Architecture, BTP Consultants, Bureau Veritas, Entreprise point Service ainsi que de M. A... B... et du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Yvelines à lui verser ladite somme sur le fondement de leur responsabilité décennale. La commune de Mantes-la-Ville demande l'annulation du jugement du tribunal administratif de Versailles du 28 mai 2020, et la condamnation solidaire de la SARL AAVP Architecture, de M. A... B..., de la SAS Ginger Sechaud Bossuyt, de la SARL Projet Base, de la SAS Poulingue, des sociétés Point Service, Lugne Electricité, BTP Consultants, de la SAS Quassi, du Bureau Véritas ainsi que du service départemental d'incendie et de secours des Yvelines à lui verser la somme de 766 380,30 euros toutes taxes comprises.

Sur les interventions de la société Abeille Iard et Santé et de la SMABTP :

2. La société Abeille Iard et Santé, en sa qualité d'assureur de la société Oteis, présente une intervention à l'appui de la défense de cette dernière. Il y a lieu d'admettre cette intervention dès lors que cette société justifie d'un intérêt suffisant au regard de la nature et l'objet du litige. En revanche, l'intervention de la SMABTP, assureur de la société Point Service, à l'égard de laquelle aucune condamnation n'est demandée, et qui n'a pas été formée par mémoire distinct, est irrecevable.

Sur les fins de non-recevoir opposées par la commune de Mantes-la-Ville :

3. Si la commune de Mantes-la-Ville recherche la responsabilité des maîtres d'œuvre, des entreprises titulaires des lots n° 1B, 3, 7 et 8, du bureau de contrôle, de la société BTP Consultants, du coordinateur SSI, de la société Quassi et du coordinateur sécurité-protection de la santé, du bureau Véritas et du SDIS des Yvelines, il résulte de l'instruction que la commune n'avait présenté en première instance aucune demande à l'encontre des sociétés Quassi, Poulingue et Lugne. Dès lors les conclusions présentées en appel pour la première fois à leur encontre sont nouvelles et doivent être rejetées comme irrecevables.

Sur la régularité du jugement :

4. La commune de Mantes-la-Ville soutient que les premiers juges ne se sont pas prononcés sur le moyen de la responsabilité de la société AAVP Architecture, de M. B... et de la SAS BTP Consultants au titre de la garantie décennale.

5. Toutefois, le tribunal administratif a retenu que la responsabilité des sociétés membres du groupement de maîtrise d'œuvre, à l'exception de la SAS Oteis en raison de l'intervention du décompte général relatif à cette société, pouvait être recherchée sur le fondement de la responsabilité contractuelle. Il a, par ailleurs, retenu que le contrôleur technique, la SAS BTP Consultants, pouvait aussi voir sa responsabilité contractuelle recherchée. Il en a conclu que la SARL AAVP Architecture, M. A... B... et la SAS BTP Consultants étaient responsables à hauteur de 20 % chacun des désordres. Dès lors que le tribunal avait retenu la responsabilité contractuelle de ces sociétés dans les désordres constatés et reconnus comme apparents au moment de la réception, au titre du défaut de conseil des sociétés de maîtrise d'œuvre ou de défaut d'avis du contrôleur technique, il doit être regardé comme ayant implicitement écarté la garantie décennale de ces sociétés, présentée à titre uniquement subsidiaire, de telle sorte que le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait omis de statuer sur le moyen tiré de la responsabilité décennale de ces sociétés doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité contractuelle de la maîtrise d'œuvre et de la société de contrôle technique :

6. Les premiers juges ont retenu que la responsabilité contractuelle de la SARL AAVP Architecture et de M. A... B... était engagée pour méconnaissance de leurs obligations de conseil à la réception des travaux ainsi que celle de la SAS BTP Consultants en sa qualité de contrôleur technique pour s'être abstenue de remettre en cause la solution technique préconisée par la SAS Ginger Sechaud Bossuyt. La responsabilité de la SAS Ginger Sechaud Bossuyt ne peut être recherchée au titre de la responsabilité contractuelle, eu égard au caractère définitif du décompte général de cette société. La commune de Mantes-la-Ville conteste que les désordres aient été apparents lors de la réception de l'ouvrage le 2 septembre 2014 dès lors qu'elle n'en a eu connaissance complète qu'à compter du dépôt du rapport d'expertise le 12 avril 2016 par l'expert judiciaire et des solutions réparatoires à retenir qu'à compter du second rapport d'expertise déposé le 13 octobre 2018. Toutefois, la commune de Mantes-la-Ville a eu connaissance des désordres, par un rapport du 12 juin 2014 établi par le laboratoire central de la préfecture de police, à la demande du directeur adjoint des bâtiments de la mairie de Mantes-la-Ville, mettant en évidence que le renouvellement de l'air était insuffisant, avec un taux de dioxyde de carbone très élevé en période d'utilisation des classes avant la réception de l'ouvrage. Si le cabinet Saredec Construction, mandaté par l'assureur de la commune, la SMABTP, n'a relevé aucun désordre lors de son expertise du 23 avril 2015, le simple constat d'un renouvellement d'air insuffisant, et de ses conséquences sur les élèves et sur le personnel, avec notamment des maux de tête, et le signalement de mauvaises odeurs permet de retenir que ces désordres étaient apparents à la date de réception de l'ouvrage. Par suite, la commune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu la responsabilité de la maîtrise d'œuvre à titre contractuel.

En ce qui concerne l'absence d'indemnisation de la commune pour les travaux supplémentaires :

7. Il résulte des pièces versées au dossier et notamment des marchés de travaux passés par la commune postérieurement à la réception ainsi que des conclusions du rapport de l'expert désigné le 23 août 2016 par le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, que la réparation des désordres affectant le groupe scolaire des Merisiers a nécessité la réalisation d'un système complet de ventilation et de désenfumage comprenant, pour la ventilation des bâtiments, la mise en place d'une centrale double flux sur la terrasse de chaque bâtiment avec une batterie à eau chaude sur chaque centrale double flux alimentée depuis la chaufferie, un réseau de gaines calorifugées alimentant chaque salle de classe avec des diffuseurs, des clapets coupe-feu à la traversée de chaque niveau, des faux plafonds dans chaque classe pour dissimuler les gaines, la régulation de chaque centre de traitement d'air (CTA) par un automate, une alimentation électrique de ces CTA double flux depuis le tableau général basse tension (TGBT) ainsi que l'asservissement à la détection incendie et, pour le désenfumage du bâtiment, le remplacement des châssis de ventilation basse et de ventilation haute par des châssis d'amenée d'air (DAS) asservis à la centrale de détection incendie. Il résulte de l'instruction que ces travaux qui n'étaient pas prévus initialement par les concepteurs de l'ouvrage constituent une plus-value pour le maître de l'ouvrage et que leur montant a été évalué par l'expert judiciaire à la somme totale de 766 380,30 euros toutes taxes comprises.

8. Or, comme l'a à juste titre relevé le tribunal administratif, le maître d'ouvrage est fondé à rechercher la responsabilité contractuelle des constructeurs lorsque la nécessité de procéder à des travaux supplémentaires indispensables à la réalisation d'un ouvrage dans les règles de l'art n'est apparue que postérieurement à la passation du marché, en raison d'une mauvaise évaluation initiale par le maître d'œuvre, et qu'il établit qu'il aurait renoncé à son projet de construction ou modifié celui-ci s'il en avait été avisé en temps utile. Il en va de même lorsque, en raison d'une faute du maître d'œuvre dans la conception de l'ouvrage ou dans le suivi de travaux, le montant de l'ensemble des travaux qui ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art est supérieur au coût qui aurait dû être celui de l'ouvrage si le maître d'œuvre n'avait commis aucune faute, à hauteur de la différence entre ces deux montants.

9. La prise en compte d'une éventuelle plus-value au bénéfice du maître d'ouvrage à l'occasion de l'exécution de travaux supplémentaires indispensables à la réalisation de l'ouvrage doit être faite, non seulement lorsque le maître de l'ouvrage appelle en garantie le maître d'œuvre en raison des fautes qu'il a commises mais aussi, contrairement à ce que soutient la commune de Mantes-la-Ville, lorsque le maître de l'ouvrage forme une demande indemnitaire directement à l'encontre du maître d'œuvre en raison des travaux supplémentaires qu'il a dû réaliser. En outre, si la commune soutient, dans ses dernières écritures, que si elle avait eu connaissance des travaux supplémentaires à réaliser afin de rendre l'ouvrage conforme aux règles de l'art, elle aurait renoncé à son projet, elle ne l'établit aucunement alors que ce projet comportait des travaux sans lien avec la création de deux façades bioclimatiques, tels que la restructuration complète du rez-de-chaussée, l'extension aux trois étages du bâtiment de l'accessibilité aux personnes handicapées et l'isolation extérieure des deux façades. Par suite, la commune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande d'indemnisation pour les travaux supplémentaires indispensables à la réparation des désordres constatés.

En ce qui concerne la répartition du paiement des frais et honoraires de l'expertise :

10. La commune soutient que les frais d'expertise ne pouvaient être partiellement mis à sa charge dès lors qu'elle n'avait, à la date de réception des travaux, connaissance ni de la nature des désordres ni de leur ampleur. Toutefois, comme cela a été dit au point 6 du présent arrêt, elle avait une connaissance suffisante de l'existence de désordres dans le système d'aération pour ne pas accepter sans aucune réserve sur ce point la réception des travaux. Dès lors, la commune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont mis à sa charge une somme de 13 764,13 euros au titre des frais et honoraires de l'expertise.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Mantes-la-Ville n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Versailles n'a pas fait droit à sa demande de condamnation solidaire de la société AAVP Architecture, de M. A... B..., de la SAS Ginger Sechaud Bossuyt, de la SARL Projet Base, des sociétés Point service, Poulingue, Lugne Electricité, BTP consultants, Quassi ainsi que du bureau Véritas et du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Yvelines à lui verser la somme de 766 380,30 euros toutes taxes comprises, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la requête et de la capitalisation.

Sur les appels provoqués des sociétés Quassi, AAVP Architecture, de M. A... B..., des sociétés Poulingue, Oteis Sechaud Bossuyt et BTP Consultants :

12. Le présent arrêt n'ayant pas pour effet d'aggraver la situation de la SAS Qualiconsult Sécurité Quassi, exerçant sous l'enseigne Quassi, ses conclusions d'appel provoqué tendant à la condamnation in solidum des sociétés Oteis Sechaud Bossuyt, AAVP Architecture, PL Architecture M. B..., BTP Consultants, Etablissements Poulingue à la garantir en cas de condamnation à son encontre sont irrecevables.

13. Le présent arrêt n'ayant pas pour effet d'aggraver la situation de la SARL AAVP Architecture et de M. A... B..., PL Architectures, leurs conclusions d'appel provoqué tendant à la condamnation de la société Oteis Sechaud Bossuyt à les garantir de toute condamnation prononcée à leur encontre sont irrecevables.

14. Le présent arrêt n'ayant pas pour effet d'aggraver la situation de la société Poulingue, ses conclusions d'appel provoqué tendant à être garantie par la société Oteis Sechaud Bossuyt de toute condamnation prononcée à son encontre sont irrecevables.

15. Le présent arrêt n'ayant pas pour effet d'aggraver la situation de la société Oteis Sechaud Bossuyt, ses conclusions d'appel provoqué tendant à la condamnation in solidum des sociétés AAVP Architecture, M. B..., PL Architectures, BTP Consultants, Projet Base, Point Service, Poulingue, Lugne Electricité, Quassi, Bureau Véritas à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre sont irrecevables.

16. Le présent arrêt n'ayant pas pour effet d'aggraver la situation de la société BTP Consultants, ses conclusions d'appel provoqué tendant à être garantie en cas de condamnation à son encontre par les sociétés Bureau Véritas, Point Services, Oteis Sechaud Bossuyt, son assureur Aviva, les sociétés Quassi et Poulingue sont irrecevables.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur ce fondement par la commune de Mantes-la-Ville. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Mantes-la-Ville la somme de 1 000 euros à verser à chacune des parties suivantes, les sociétés AAVP Architecture, M. A... B..., la SAS Oteis Sechaud Bossuyt, les sociétés Point service, Poulingue, BTP consultants, Quassi ainsi que le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Yvelines au titre des mêmes dispositions. Il n'y a pas lieu en revanche de mettre à la charge de la commune de Mantes-la-Ville une somme à verser à la SMABTP ou à la société Abeille Iard et Santé au titre des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : L'intervention de la société Abeille Iard et Santé est admise.

Article 2 : L'intervention de la SMABTP n'est pas admise.

Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Mantes-la-Ville à l'encontre des sociétés Quassi, Poulingue et Lugne sont rejetées.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Les conclusions d'appel provoqué présentées par les sociétés Quassi, AAVP Architecture, M. A... B..., les sociétés Poulingue, Oteis Sechaud Bossuyt et BTP Consultants sont rejetées.

Article 6 : La commune de Mantes-la-Ville versera la somme de 1 000 euros à chacune des parties suivantes, les sociétés AAVP Architecture, M. A... B..., la SAS Oteis venant aux droits de la société Ginger Sechaud Bossuyt, les sociétés Point service, Poulingue, BTP consultants, Quassi ainsi que le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Yvelines en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Mantes-la-Ville, à la société AAVP Architecture, à M. A... B..., à la société Oteis venant aux droits de la société Ginger Sechaud Bossuyt, à la SARL Projet Base, aux sociétés Point service, Poulingue, Lugne Electricité, BTP consultants, Quassi, Abeille Iard et Santé, SMABTP, Bim Ingénierie ainsi qu'au service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Yvelines.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2024, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Pilven, président assesseur,

Mme Florent, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 juin 2024.

Le rapporteur,

J-E. PILVENLe président,

P.-L. ALBERTINILa greffière,

S. DIABOUGA

La République mande et ordonne au préfet des Yvelines en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 20VE01720 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20VE01720
Date de la décision : 25/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Exécution financière du contrat - Règlement des marchés - Décompte général et définitif.

Marchés et contrats administratifs - Rapports entre l'architecte - l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage - Responsabilité contractuelle.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: M. Jean-Edmond PILVEN
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : FRÖLICH

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-25;20ve01720 ?
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