La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/06/2024 | FRANCE | N°21VE03368

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 4ème chambre, 18 juin 2024, 21VE03368


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SAS Frans Bonhomme a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler, d'une part, la décision du 11 septembre 2019 par laquelle la ministre du travail a, en premier lieu, retiré la décision implicite de rejet, née le 4 juin 2019, du recours hiérarchique qu'elle a formé contre la décision du 8 janvier 2019 par laquelle l'inspectrice du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. A... C... pour motif disciplinaire et, en second lieu, explicitement rejeté ce

recours hiérarchique, et d'autre part, la décision de l'inspectrice du travail du 8 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Frans Bonhomme a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler, d'une part, la décision du 11 septembre 2019 par laquelle la ministre du travail a, en premier lieu, retiré la décision implicite de rejet, née le 4 juin 2019, du recours hiérarchique qu'elle a formé contre la décision du 8 janvier 2019 par laquelle l'inspectrice du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. A... C... pour motif disciplinaire et, en second lieu, explicitement rejeté ce recours hiérarchique, et d'autre part, la décision de l'inspectrice du travail du 8 janvier 2019 rejetant la demande d'autorisation de licenciement qu'elle a présentée.

Par un jugement n° 1908533 du 21 octobre 2021, le tribunal administratif de Versailles a rejeté cette demande et mis à la charge de la SAS Frans Bonhomme la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 décembre 2021, la SAS Frans Bonhomme, représentée par Me Petrel, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision de la ministre du travail du 11 septembre 2019 et la décision de l'inspectrice du travail du 8 janvier 2019 ;

3°) d'enjoindre à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social de procéder au réexamen de sa demande d'autorisation de licenciement ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Elle soutient que :

- la décision de la ministre du travail est insuffisamment motivée ;

- les deux décisions attaquées sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors, d'une part, que tous les faits reprochés à M. C... sont matériellement établis et fautifs et, d'autre part, qu'ils présentent un degré de gravité suffisant pour justifier le licenciement de l'intéressé ;

- c'est à tort que l'inspectrice du travail a retenu la circonstance que l'entreprise n'avait subi aucun préjudice ;

- il n'existe aucun lien entre la demande d'autorisation de licenciement et le mandat détenu par M. C....

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 avril 2022, M. A... C..., représenté par Me Abadie, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que soient mis à la charge de la SAS Frans Bonhomme la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Il soutient que :

- il y a lieu de faire application des dispositions de l'article R. 612-5-1 du code de justice administrative, dès lors que la requête a perdu tout intérêt pour la SAS Frans Bonhomme depuis son licenciement pour inaptitude le 18 mars 2022 ;

- les conclusions de la SAS Frans Bonhomme tendant à l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 8 janvier 2019 et de la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique née le 4 juin 2019 sont irrecevables, dès lors, ainsi que l'a relevé le tribunal, qu'elle n'a pas présenté en première instance de conclusions tendant à l'annulation de ces deux décisions, ni soulevé de moyens à l'encontre de celles-ci ;

- les moyens soulevés par la SAS Frans Bonhomme ne sont pas fondés.

La requête de la SAS Frans Bonhomme a été communiquée au ministre du travail, de la santé et des solidarités qui n'a pas produit d'observations.

Par une ordonnance du 19 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Ablard,

- les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteure publique,

- et les observations de Me Abadie, pour M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... C... a été recruté le 3 octobre 2011 par la SAS Frans Bonhomme afin d'exercer les fonctions de " magasinier chauffeur livreur poids lourds ". Il a été titulaire du mandat de délégué du personnel, et désigné en qualité de représentant d'une section syndicale au comité d'entreprise. Par un courrier reçu le 9 novembre 2018, la SAS Frans Bonhomme a demandé à l'inspection du travail des Yvelines l'autorisation de licencier M. C... pour motif disciplinaire. Par une décision du 8 janvier 2019, l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle n° 4 des Yvelines a rejeté cette demande. Le recours hiérarchique formé par la SAS Frans Bonhomme contre cette décision a été implicitement rejeté par la ministre du travail le 4 juin 2019. Par une décision du 11 septembre 2019, la ministre du travail a retiré cette décision implicite de rejet et confirmé la décision de l'inspectrice du travail. La SAS Frans Bonhomme relève appel du jugement du 21 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions des 8 janvier 2019 et 11 septembre 2019.

Sur les conclusions présentées par M. C... au titre de l'article R. 612-5-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article R. 612-5-1 du code de justice administrative : " Lorsque l'état du dossier permet de s'interroger sur l'intérêt que la requête conserve pour son auteur, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction, peut inviter le requérant à confirmer expressément le maintien de ses conclusions. La demande qui lui est adressée mentionne que, à défaut de réception de cette confirmation à l'expiration du délai fixé, qui ne peut être inférieur à un mois, il sera réputé s'être désisté de l'ensemble de ses conclusions ".

3. M. C... soutient qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article R. 612-5-1 du code de justice administrative, dès lors que la requête a perdu tout intérêt pour la SAS Frans Bonhomme depuis son licenciement pour inaptitude le 18 mars 2022. Toutefois, il n'appartient pas aux parties à l'instance de se prévaloir de ces dispositions, lesquelles, pour leur application, relève du pouvoir propre du juge. Par suite, les conclusions de M. C... tendant à l'application des dispositions précitées doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la légalité externe :

4. La décision de la ministre du travail du 11 septembre 2019 a confirmé, sans s'y substituer, la décision de l'inspectrice du travail du 8 janvier 2019 rejetant la demande d'autorisation de licenciement de M. C.... Dans ces conditions, le moyen tiré d'une insuffisante motivation de la décision de la ministre du travail du 11 septembre 2019 est inopérant et doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

5. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

6. A l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement de M. C... pour motif disciplinaire, la SAS Frans Bonhomme reproche à l'intéressé d'avoir, le 11 octobre 2018, conduit pendant une dizaine de minutes le camion d'un autre chauffeur poids-lourds, sans autorisation de sa hiérarchie, sans sa carte conducteur, et sans ses chaussures de sécurité. La SAS Frans Bonhomme reproche également à M. C... d'avoir insulté et menacé, à son retour, le responsable de site, le chef-magasinier et le vendeur-magasinier.

Quant à la matérialité des faits reprochés et leur caractère fautif :

7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. C... a, le 11 octobre 2018, conduit pendant quelques minutes le camion attribué à l'un de ses collègues, qui lui avait demandé, ainsi qu'il ressort d'une attestation établie le 18 octobre par ce dernier, de tester le système de freinage du véhicule, possiblement défectueux. Si ces faits sont établis, la circonstance que M. C... a conduit un court moment, sans autorisation de sa hiérarchie, le camion d'un collègue à seule fin de lui fournir l'avis que ce dernier sollicitait ne présente pas un caractère fautif, peu important à cet égard la circonstance que les véhicules de la société font en principe l'objet d'un suivi par la société FATEC. Par suite, c'est sans commettre d'erreur que l'administration a écarté ce grief.

8. En deuxième lieu, si M. B..., responsable du site où M. C... exerçait ses fonctions, a indiqué dans son attestation établie le 29 octobre 2018 que l'intéressé ne portait pas ses chaussures de sécurité le jour des faits, cette affirmation n'est pas corroborée par les autres pièces versées au dossier. Par suite, c'est sans commettre d'erreur que l'administration a considéré qu'il existe un doute qui doit bénéficier à M. C....

9. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier, et n'est pas contesté par M. C..., que l'intéressé a conduit le véhicule de son collègue sans utiliser sa carte de conducteur et en laissant en place celle de ce dernier. Ces faits, qui sont ainsi établis, présentent un caractère fautif, dès lors que le salarié a méconnu ses obligations professionnelles de chauffeur poids lourds, ainsi que l'a d'ailleurs estimé l'administration.

10. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier, et en particulier des attestations concordantes établies le 29 octobre 2018 par messieurs B..., responsable du site, et Kettenmeyer, chef-magasinier, que M. C..., après être revenu sur le site avec le camion de son collègue, leur a adressé les propos suivants en apprenant qu'ils avaient averti la direction : " vous êtes des vendus ", " des balances ", " on ne va pas en rester là, ça va dégénérer ". Si ces propos, dont la matérialité est établie, doivent être regardés comme des injures constitutives d'une faute, ils ne peuvent être considérés pour autant comme des menaces visant personnellement messieurs B... et Kettenmeyer, comme l'a, sans commettre d'erreur, considéré l'administration.

11. Il résulte de ce qui précède que seules la conduite d'un véhicule de la société sans utilisation de la carte de conducteur et les insultes adressées au responsable du site ainsi qu'au chef-magasinier sont établies par les pièces du dossier et présentent un caractère fautif.

Quant à la gravité des faits reprochés :

12. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. C... a fait l'objet de trois sanctions entre 2015 et 2018 : un avertissement le 28 juillet 2015 pour avoir, le 18 mai précédent, " omis d'activer la pause méridienne obligatoire d'au moins 45 minutes sur le chronotachygraphe " ; un avertissement le 1er février 2017 pour avoir, le 14 décembre 2016, activé deux pauses de 30 et 19 minutes sur le chronotachygraphe au lieu d'une période continue de 45 minutes, et n'avoir pas activé une telle pause le 19 décembre 2016 ; un avertissement le 30 mai 2018 en raison de plusieurs retards dans sa prise de poste au cours du mois d'avril 2018, de l'absence de port d'équipements de protection individuelle, et de dommages causés aux panneaux d'une porte qu'il avait insuffisamment ouverte lors du déplacement d'un chariot élévateur. Toutefois, et comme l'a relevé à juste titre le tribunal, ces trois avertissements concernent des faits qui ne sont pas de même nature que ceux qui sont mentionnés au point 11 du présent arrêt. D'autre part, les seuls griefs mentionnés au point 11 du présent arrêt, compte tenu de leur nature et d'un climat social dégradé au sein de l'entreprise, ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement pour motif disciplinaire de l'intéressé. Par suite, et nonobstant la circonstance que l'inspectrice du travail a, par un motif surabondant, relevé que l'employeur n'avait subi aucun préjudice pécuniaire, le moyen tiré d'une erreur d'appréciation commise par l'administration doit être écarté.

Quant à l'existence d'un lien avec les mandats :

13. Aux termes de l'article R. 2421-16 du code du travail : " L'inspecteur du travail et, en cas de recours hiérarchique, le ministre examinent notamment si la mesure de licenciement envisagée est en rapport avec le mandat détenu, sollicité ou antérieurement exercé par l'intéressé ". Toutefois, et ainsi qu'il a été dit, l'administration a en premier lieu fondé son refus d'autorisation de licenciement de M. C... sur la circonstance que les fautes qui lui étaient reprochées par son employeur n'étaient pas établies ou n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement. L'administration pouvait, pour ce seul motif, refuser à la SAS Frans Bonhomme l'autorisation de licencier M. C... et n'était pas tenue de se prononcer, par un motif surabondant, sur le lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les mandats détenus par M. C.... Par suite, il résulte de ce qui a été dit aux points 7 à 12 du présent arrêt que la SAS Frans Bonhomme ne peut utilement soutenir que l'administration a considéré à tort qu'il existait un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les mandats détenus par M. C....

14. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que la SAS Frans Bonhomme n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Il y a lieu, par suite, de rejeter ses conclusions à fin d'annulation, ainsi que ses conclusions à fin d'injonction.

Sur les dépens :

15. Aucuns dépens n'ayant été exposés dans la présente instance, les conclusions de la SAS Frans Bonhomme et de M. C... tendant au remboursement des dépens sont sans objet et doivent, par suite, être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SAS Frans Bonhomme demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SAS Frans Bonhomme le versement à M. C... d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SAS Frans Bonhomme est rejetée.

Article 2 : La SAS Frans Bonhomme versera à M. A... C... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. C... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Frans Bonhomme, à M. A... C... et au ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré après l'audience du 21 mai 2024, à laquelle siégeaient :

M. Brotons, président de chambre,

M. Ablard, premier conseiller,

Mme Pham, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juin 2024.

Le rapporteur,

T. ABLARD

Le président,

S. BROTONS

La greffière,

S. de SOUSA

La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 21VE03368


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE03368
Date de la décision : 18/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: M. Thierry ABLARD
Rapporteur public ?: Mme VISEUR-FERRÉ
Avocat(s) : ABADIE

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-18;21ve03368 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award