Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... E... D... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté en date du 2 août 2022 notifié le 13 août 2022 par lequel la préfète du Loiret a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2202991 du 20 juillet 2023, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 23 janvier 2024, Mme D..., représentée par Me Greffard-Poisson, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet du Loiret de délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " à Mme D... sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir.
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne le refus de séjour :
- la décision portant refus de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît aussi l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît enfin l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle méconnaît l'article L. 611-3 5° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît également l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît aussi l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 décembre 2023 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Versailles.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Albertini,
- et les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante angolaise, né le 7 mars 1984 à Luanda (Angola), a déclaré être entré en France en 2019. Par un arrêté du 2 août 2022, notifié le 13 août 2022, la préfète du Loiret a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme D... relève appel du jugement du 20 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité du refus de titre de séjour :
2. Aux termes de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France et qui établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ". Selon l'article 371-2 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. ".
3. Il résulte de ces dispositions que l'étranger qui sollicite la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au motif qu'il est parent d'un enfant français doit justifier, outre de sa contribution effective à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, de celle de l'autre parent, de nationalité française, lorsque la filiation à l'égard de celui-ci a été établie par reconnaissance en application de l'article 316 du code civil.
4. Pour refuser de délivrer à Mme D... un titre de séjour, le préfet du Loiret s'est fondé sur le motif que la requérante n'établissait pas que le père de sa fille contribuait à son entretien et à son éducation. La requérante soutient, d'une part, que le père de cette enfant, M. B... C..., est retourné en France suite à la naissance de leur fille et ne lui a alors plus donné de nouvelles, d'autre part qu'il a convenu avec elle de verser une pension mensuelle de 100 euros, dont le versement est effectif depuis janvier 2022. Si Mme D... justifie par la production de relevés bancaires de tels versements, ceux-ci ne se sont pas poursuivis en 2023, avant le prononcé de la décision en litige, et ne sont pas suffisants à établir que le père de sa fille contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de celle-ci, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, ni même qu'il entretienne des relations affectives stables avec cette enfant en bas âge. Par suite, c'est sans erreur d'appréciation et sans porter atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant de la requérante que la préfète a refusé de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant susvisée : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
6. Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Toutefois, aucune circonstance ne fait obstacle à ce que la vie familiale de Mme D... se poursuive avec sa fille hors de France. Le moyen tiré de ce que l'arrêté en litige méconnait l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit, dès lors, être écarté.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Mme D... est entrée en France le 28 décembre 2019 à l'âge de 35 ans, accompagnée de ses trois enfants en bas âge, les deux premiers, de nationalité angolaise, étant nés en septembre 2011 et mai 2014. Elle précise qu'elle est sans nouvelles du père de ces deux premiers enfants et du père de son enfant de nationalité française. Il ressort aussi des pièces du dossier qu'elle a trouvé un emploi et travaille sous couvert d'un contrat à durée déterminée en date du 1er juillet 2022, en qualité d'agent de service hospitalier. Dans ces conditions, eu égard au caractère récent et aux conditions de sa présence en France, l'arrêté en litige ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit par suite être écarté.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français avec un délai de départ volontaire de trente jours :
9. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile aux termes duquel " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ". Si le bénéfice de ces dispositions protectrices est subordonné à la condition que l'étranger se prévalant de sa qualité de parent d'enfant français contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil, cette condition, propre à l'étranger visé par les dispositions du 6° de l'article L. 511-4, n'implique pas que l'autre parent apporte également cette contribution.
10. A l'appui de sa demande, Mme D... a soulevé un moyen tiré de ce que la décision l'obligeant à quitter le territoire français méconnaissait l'article L. 611-3 5° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'elle est la mère d'un enfant français, dont elle contribue à l'entretien et à l'éducation. Le préfet du Loiret ne peut utilement, dans ces conditions, lui opposer que le père de son enfant ne contribue pas à l'entretien de ce dernier pour l'obliger à quitter le territoire français.
11. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... vit avec sa fille, de nationalité française, qu'elle élève depuis sa naissance en contribuant à son entretien et à son éducation, et ses deux autres enfants nés en 2011 et 2014, issus d'une autre union. Par suite, elle remplit les conditions énoncées au 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
12. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête que Mme D... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande en tant qu'elle tend à l'annulation des décisions l'obligeant à quitter le territoire français avec un délai de départ volontaire de trente jours et fixant le pays de destination de l'éloignement.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Eu égard au motif d'annulation retenu, il y a lieu d'enjoindre uniquement au préfet du Loiret de procéder au réexamen de la situation de Mme D... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et de munir la requérante sans délai d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler en application de l'article R. 431-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans qu'il soit besoin de prononcer une astreinte.
Sur les frais relatifs à l'instance :
14. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Mme D... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 20 juillet 2023 du tribunal admiratif d'Orléans est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de Mme D... à fin d'annulation des décisions contenues dans l'arrêté du 2 août 2022 par lesquelles la préfète du Loiret lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de l'éloignement.
Article 2 : L'arrêté de la préfète du Loiret du 2 août 2022 est annulé en tant qu'il fait obligation à Mme D... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixe le pays de destination de l'éloignement.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Loiret de procéder au réexamen de la situation de Mme D... dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et de munir la requérante sans délai d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler en application de l'article R. 431-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Article 4 : L'Etat versera à Mme D... la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet du Loiret.
Délibéré après l'audience du 25 avril 2024, à laquelle siégeaient :
M. Albertini, président de chambre,
M. Pilven, président-assesseur,
Mme Florent, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 mai 2024.
Le président-assesseur,
J.-E. PILVENLe président-rapporteur,
P.-L. ALBERTINILa greffière,
F. PETIT-GALLAND
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 24VE00202