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29/03/2024 | FRANCE | N°22VE02544

France | France, Cour administrative d'appel de VERSAILLES, 6ème chambre, 29 mars 2024, 22VE02544


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A..., employé par la société Proxiserve en qualité d'ingénieur commercial, a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'article 2 de la décision du 29 mai 2019 par laquelle la ministre du travail a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire.



Par un jugement n° 1909605 du 15 septembre 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l'article 2 de la décision du 29 mai 2019 de la ministre du travail.




Procédure devant la cour :



Par une requête et des mémoires, enregistrés les 10 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A..., employé par la société Proxiserve en qualité d'ingénieur commercial, a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'article 2 de la décision du 29 mai 2019 par laquelle la ministre du travail a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire.

Par un jugement n° 1909605 du 15 septembre 2022, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l'article 2 de la décision du 29 mai 2019 de la ministre du travail.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 10 novembre 2022, 6 mars 2023, 29 juin 2023 et 19 septembre 2023, la société Proxiserve SA, représentée par Me Anisten, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. A... tendant à l'annulation de l'article 2 de la décision du 29 mai 2019 de la ministre du travail ;

3°) de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement du 15 septembre 2022 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est entaché d'une insuffisance de motivation, en omettant de se prononcer sur l'usage de la carte de péage d'autoroute par M. A... et en ne précisant pas en quoi la faute, tenant à une absence d'information sur sa qualité de propriétaire de l'immeuble où se situe l'agence, ne serait pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ;

- ce jugement a omis de statuer sur le moyen tiré de l'absence de faute à avoir utilisé sa carte d'essence et de péage pendant ses congés ;

- le tribunal a commis une erreur de droit et de dénaturation des faits en retenant qu'un salarié ne pouvait utiliser un véhicule de fonctions à des fins personnelles, dès lors que cela est autorisé ;

- M. A... a utilisé, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, sa carte de carburant et de péage pendant ses congés payés ou ses week-ends, alors qu'aucun motif professionnel ne le justifiait ; le caractère fautif est ainsi établi sur ce point ;

- il n'a pas non plus informé la société Proxiserve de sa qualité de propriétaire du bâtiment de l'agence ce qui constitue une faute grave de nature à justifier elle-aussi son licenciement pour manquement à son obligation de loyauté et pour s'être placé dans une situation de conflits d'intérêts.

Par trois mémoires, enregistrés les 23 mai 2023, 25 mai 2023 et 25 juillet 2023, M. A..., représenté par Me Ménage, conclut au rejet de la requête et demande qu'il soit mis à la charge de la société Proxiserve la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- le jugement est suffisamment motivé et n'est entaché d'aucune omission à statuer ;

- l'utilisation de la carte de péage et d'essence est justifiée par la circonstance qu'il travaillait souvent pendant ses jours de congés comme cela est attesté par divers témoignages ;

- la plupart des faits fautifs qui lui sont reprochés sont prescrits en application de l'article L. 1332-4 du code du travail ;

- aucun élément ne permet d'établir qu'il a utilisé la carte d'essence et de péage à des fins personnelles ; la société Proxiserve avait la possibilité de contrôler l'utilisation de cette carte ; eu égard à son ancienneté, à l'absence d'antécédent disciplinaire et à ses qualités professionnelles, cette décision est entachée d'illégalité ;

- aucun manquement à son obligation de loyauté ne peut être retenu à son encontre pour ne pas avoir prévenu qu'il détenait une part du capital de la société possédant les murs de l'agence ; par ailleurs, cette circonstance est restée sans incidence sur le montant des loyers.

Par un mémoire, enregistré le 3 juillet 2023, le ministre chargé du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut à l'annulation du jugement attaqué et au rejet de la demande de M. A... en première instance.

Il fait valoir que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- M. A... a utilisé la carte d'essence et de péage à des fins personnelles ;

- l'absence d'information de M. A... sur sa qualité de propriétaire des murs de l'agence est une faute grave, constitutive d'un manquement à son obligation de loyauté.

Par ordonnance du 25 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 13 octobre 2023 à 12 h 00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pilven,

- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,

- les observations de Me Loiseau, substituant Me Anisten, pour la société Proxiserve SA, et de Me Ménage, pour M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., employé par la société Proxiserve SA en contrat à durée indéterminée depuis le 24 septembre 1991 et travaillant en qualité d'ingénieur commercial dans une agence située à Saint-Herblain en Loire-Atlantique, exerçait le mandat de délégué du personnel suppléant. Par une demande du 27 juillet 2018, la société Proxiserve SA a sollicité auprès des services de l'inspection du travail des Hauts-de-Seine l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire. Cette demande a été implicitement rejetée mais, par une décision du 27 novembre 2018, l'inspecteur du travail a retiré son refus implicite et a autorisé le licenciement de M. A.... L'intéressé a formé un recours hiérarchique auprès de la ministre du travail qui a, par une décision du 29 mai 2019, retiré la décision de l'inspecteur du travail du 27 novembre 2018 et autorisé le licenciement de M. A.... La société Proxiverse SA demande l'annulation du jugement du 15 septembre 2022, par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l'article 2 de cette décision du 29 mai 2019, autorisant le licenciement de M. A....

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. La société Proxiserve SA soutient que le jugement du 15 septembre 2022 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est insuffisamment motivé en ne mentionnant pas l'utilisation illégale de la carte de péages, en ne justifiant pas des motifs pour lesquels la faute de M. A..., à ne pas avoir informé ses responsables de sa qualité de propriétaire des murs de l'agence, ne serait pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement et en omettant de statuer sur la faute à avoir utilisé la carte d'essence et de péages. Toutefois, le tribunal administratif, qui n'est pas tenu de statuer sur l'ensemble des arguments présentés devant lui ne peut être regardé comme ayant entaché son jugement d'irrégularité pour insuffisance de motivation. Par ailleurs, la qualification de faits fautifs reprochés à M. A... par la société Proxiserve et de leur gravité relève du bien-fondé et non de la régularité du jugement. Par suite, les moyens tirés d'une motivation insuffisante et d'une omission à statuer doivent être écartés.

Sur les conclusions en annulation :

3. Il ressort des pièces du dossier et notamment des stipulations du contrat de travail de M. A..., en date du 31 octobre 2014, et des dispositions du règlement intérieur de la société Proxiserve que M. A... était autorisé à utiliser sa voiture de fonctions à des fins personnelles mais que les frais d'essence et de péages restaient, dans ce cas, à sa charge. La décision contestée de la ministre du travail retient que M. A... a fait usage à 16 reprises de sa carte d'essence et de péage pendant des périodes de congés ou des week-ends, ce que ne conteste pas M. A.... Ce dernier fait toutefois valoir qu'il lui arrivait de remplir le réservoir du véhicule le week-end pour pouvoir être opérationnel dès le lundi matin et qu'il lui arrivait fréquemment de venir travailler pendant les périodes de congés. Il produit à cet effet des témoignages d'anciens collègues de travail précisant qu'il restait au bureau parfois tard le soir et venait souvent sur le lieu de son emploi pendant des périodes de congés et qui dressent le portrait d'une personne très impliquée professionnellement. En raison de cette autorisation d'utilisation du véhicule personnel en période de week-end ou de congés, les pleins d'essence effectués en semaine, un jour de week-end ou un jour férié ne permettent pas de savoir si l'utilisation de cette essence a été effectuée à des fins personnelles ou professionnelles, un plein d'essence effectué un vendredi pouvant servir à des déplacements le week-end et un plein le dimanche à des déplacements réalisés en semaine pour le travail. En outre, les dépenses d'essence litigieuses pour les 21 et 26 décembre 2017, 20 janvier 2018, 4 février 2018, 18 février 2018, 21 mars 2018, 7 avril 2018, 4 et 27mai 2018 se situent dans un environnement proche de l'agence de Saint-Herblain, à Nantes ou Ancenis alors que le requérant justifie, comme cela a été dit, par les témoignages produits venir travailler à l'agence, y compris pendant ses périodes de congés, de sorte que le caractère fautif de ces pleins d'essence ne peut être retenu. En revanche, si M. A... fait valoir qu'il venait de temps à autre travailler à l'agence ou simplement s'assurer du bon fonctionnement de son équipe pendant ses jours de congés, et qu'il utilisait alors sa carte de péage, il n'apporte aucune précision de nature à établir que l'ensemble des factures de péage litigieuses entre la période de décembre 2017 et avril 2018, soit les 19, 21 et 27 décembre 2017, 14 janvier 2018, 19 et 20 mars 2018 et 6 avril 2018, correspondaient à des déplacements professionnels de sorte qu'il doit être regardé, au moins pour partie, comme ayant utilisé cette carte de péage pour des besoins privés. Par suite, ces faits peuvent être qualifiés pour une part de fautifs, sans que M. A... ne puisse se prévaloir de la prescription de ces fautes, en application des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail, dès lors que la société Proxiserve SA n'a eu une connaissance complète de ces dépenses d'essence et de péages routiers qu'à la fin du mois de juin 2018, à la suite de vérifications menées à l'issue de son entretien avec la présidente directrice générale de la société Proxiserve le 26 juin 2018.

4. Par ailleurs, par la décision contestée du 29 mai 2019, la ministre du travail a retenu le grief tenant à l'absence d'information de son employeur par M. A... du fait qu'il détenait 35 % du capital de la SCI Lomavi, propriétaire de l'agence de Saint Herblain de la société Proxiserve SA et qu'il existait ainsi, en raison de l'intérêt indirect que M. A... pouvait avoir dans le contrat de location établi avec la société Proxiserve SA, une méconnaissance de son obligation de loyauté vis-à-vis de son employeur. A supposer même que M. A... n'ait pas été mis au courant du nouveau règlement intérieur applicable à compter du mois de mai 2018, prévoyant dans son article 18 l'obligation du salarié concerné par un risque de conflits d'intérêts réel ou supposé d'en faire état auprès de son supérieur hiérarchique direct ou indirect, il lui appartenait en application de son obligation de loyauté d'informer sa hiérarchie de cette situation, afin de s'assurer de l'absence de conflits d'intérêts. En s'abstenant de procéder à cette information, il doit être regardé comme étant fautif.

5. Toutefois, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

6. Il ressort des pièces du dossier que si le défaut d'information par M. A... de sa participation dans la société propriétaire du bâtiment de l'agence de Saint-Herblain appartenant à la société Proxiserve constituait une manquement à son obligation de loyauté, il n'est pas établi que cette faute ait eu une quelconque incidence financière au détriment de la société Proxiserve SA, notamment par un alourdissement des charges de la société requérante ou par une fixation du montant du loyer supérieur au prix du marché, la société requérante reconnaissant elle-même que le prix du loyer n'avait pas augmenté lors de la reconduction du bail en 2016. Par ailleurs, si M. A... peut être reconnu comme ayant utilisé en partie sa carte de péage sans justifier du caractère professionnel de l'ensemble de ses déplacements, il ressort des relevés de péage produits au dossier que le total des paiement litigieux, les 19 décembre, 21 décembre et 27 décembre 2017, 14 janvier 2018, 19 et 20 mars 2018 et 6 avril 2018 se monte à une somme totale de 11,50 euros. Il résulte de ce qui précède que si la ministre du travail était fondée à retenir le comportement fautif de l'intéressé pour s'être abstenu d'informer son employeur de sa participation dans la société propriétaire des murs de l'agence de Saint-Herblain et le comportement fautif à avoir utilisé la carte de péage en période de congés sans pouvoir justifier d'un impératif de service, ces faits n'étaient pas d'une gravité suffisante, eu égard d'une part à l'absence d'incidence ou de préjudice financier sur le montant du loyer ou des charges de l'agence de Saint-Herblain et d'autre part au montant faible des factures de péages en litige, pour justifier un licenciement de M. A..., alors au demeurant que l'implication professionnelle de M. A... n'est nullement remise en question et qu'il n'est pas allégué qu'il aurait fait l'objet de sanctions disciplinaires dans le passé.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Proxiserve et le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion ne sont pas fondés à se plaindre que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l'article 2 de la décision du 29 mai 2019 de la ministre du travail. Il suit de là que leurs conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions de la société Proxiserve SA tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Proxiserve SA la somme de 1 500 euros à verser à M. A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Proxiserve SA et les conclusions du ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion sont rejetées.

Article 2 : La société Proxiserve SA versera la somme de 1 500 euros à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Proxiserve SA, à M. A... et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2024, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président,

M. Pilven, président assesseur,

Mme Florent, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mars 2024.

Le rapporteur,

J-E. PILVENLe président,

P-L. ALBERTINILa greffière,

F. PETIT-GALLAND

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 22VE02544002


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE02544
Date de la décision : 29/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02-02 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés. - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. - Licenciement pour faute. - Absence de faute d'une gravité suffisante.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: M. Jean-Edmond PILVEN
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : ANISTEN

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-29;22ve02544 ?
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