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06/02/2024 | FRANCE | N°21VE02107

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 06 février 2024, 21VE02107


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 8 mars 2018 par laquelle l'inspectrice du travail des Hauts-de-Seine a accordé à la société Teva Santé France l'autorisation de procéder au transfert de son contrat de travail à la société Theramex France.



Par un jugement n° 1804166 du 24 juin 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour

:



Par une requête enregistrée le 22 juillet 2021, Mme B..., représentée par Me Ciray, avocat, demande...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 8 mars 2018 par laquelle l'inspectrice du travail des Hauts-de-Seine a accordé à la société Teva Santé France l'autorisation de procéder au transfert de son contrat de travail à la société Theramex France.

Par un jugement n° 1804166 du 24 juin 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 juillet 2021, Mme B..., représentée par Me Ciray, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'activité " Santé de la Femme " ne constituait pas une entité économique autonome distincte et détachable au sein de la société Teva Santé France dès lors que les résultats, l'activité et les objectifs de cette activité étaient totalement noyés et intégrés dans la direction de la " business unit " médicale et que cette activité ne faisait pas l'objet d'une stratégie de développement propre et distincte des autres aires thérapeutiques ;

- il n'y a pas eu, à la date de l'autorisation litigieuse, de transfert ni de personnel, ni de moyens corporels et incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'activité " Santé de la femme " ;

- l'opération consiste en un simple démembrement de l'activité " Santé de la femme ", la société Theramex agissant comme un sous-traitant, et constitue un détournement de procédure.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 octobre 2021, la société Theramex, représentée par Me Déniel-Allioux et Me Blin, avocates, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme B... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 octobre 2021, la société Teva Santé, représentée par Me Fiedler, avocate, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme B... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 27 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 juillet 2023 en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pham, première conseillère,

- les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteure publique,

- et les observations de Me Ciray, pour Mme B..., de Me Champetier de Ribes, substituant Me Fiedler, pour la société Teva Santé France et de Me Bendavid, substituant Me Déniel-Allioux et Me Blin, pour la société Theramex France.

Considérant ce qui suit :

1. Le groupe Teva a décidé de céder l'activité " Santé de la femme " au groupe CVC Capital Partners. Ce dernier a créé une nouvelle entité, dénommée NewCo, qui a acquis le 6 décembre 2017 la société par actions simplifiée Theramex France, devenue sa filiale française, afin de développer et promouvoir les médicaments associés à l'aire thérapeutique " Santé de la Femme " en France. La cession incluant le transfert à la société Theramex France de soixante-cinq contrats de travail de salariés de la société Teva Santé France, filiale française du groupe Teva, celle-ci a sollicité de l'unité territoriale des Hauts'de'Seine, par un courrier reçu le 10 janvier 2018, l'autorisation de procéder au transfert du contrat de travail de Mme B..., occupant les fonctions de déléguée médicale et exerçant les mandats de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et de déléguée du personnel. Par une décision du 8 mars 2018, l'inspectrice du travail a accordé l'autorisation sollicitée. Mme B... relève appel du jugement du 24 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

2. Aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail : " Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ". Aux termes de l'article L. 2414-1 du même code, dans sa version applicable au litige : " Le transfert d'un salarié compris dans un transfert partiel d'entreprise ou d'établissement par application de l'article L. 1224-1 ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail lorsqu'il est investi de l'un des mandats suivants : (...) / 2° Délégué du personnel ; / 3° Membre élu du comité d'entreprise ; / 4° Représentant syndical au comité d'entreprise ; (...) / 7° Représentant du personnel ou ancien représentant au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; (...) ". Aux termes de l'article L. 2421-9 du code du travail : " Lorsque l'inspecteur du travail est saisi d'une demande d'autorisation de transfert, en application de l'article L. 2414-1, à l'occasion d'un transfert partiel d'entreprise ou d'établissement, il s'assure que le salarié ne fait pas l'objet d'une mesure discriminatoire ".

3. Lorsqu'elle est saisie d'une demande d'autorisation du transfert du contrat de travail d'un salarié protégé présentée en application de ces dispositions, il appartient à l'autorité administrative, en premier lieu, de vérifier que les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail sont applicables au transfert partiel d'entreprise ou d'établissement en cause, ce qui suppose qu'il concerne une entité économique autonome. Constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité qui poursuit un objectif propre, conservant son identité, et dont l'activité est poursuivie par le nouvel employeur. Lorsque les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail sont applicables, l'autorité administrative doit, en second lieu, contrôler que le salarié protégé susceptible d'être transféré ne fait pas l'objet à cette occasion d'une mesure discriminatoire. A ce titre, elle doit s'assurer, d'une part, que le contrat de travail du salarié protégé est en cours au jour de la modification intervenue dans la situation juridique de l'employeur, d'autre part, que ce salarié exerce ses fonctions dans l'entité transférée.

4. En premier lieu, le groupe Teva est un groupe pharmaceutique organisé en deux unités commerciales ou " business unit " (BU), l'une concernant les médicaments génériques et l'autre les spécialités, cette dernière BU étant elle-même organisée en quatre aires thérapeutiques : neurologie, pneumologie, oncologie et santé de la femme. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du document d'information présenté au comité d'entreprise de la société Teva France, que les 65 salariés transférés avaient une activité majoritairement dédiée à l'activité " Santé de la femme ". La circonstance qu'ils étaient parfois amenés à s'occuper ponctuellement de la promotion de produits relevant d'autres aires thérapeutiques et qu'ils bénéficiaient au sein de leur BU de formations, d'offres de mobilité interne, d'objectifs et de séminaires communs n'est pas de nature à leur retirer ce caractère de personnel dédié. En outre, l'activité " Santé de la femme " disposait de son propre compte de résultat, permettant aux dirigeants de l'entreprise de lui assigner des objectifs propres. Elle disposait également de moyens spécifiquement affectés tels que le matériel informatique, les véhicules, les stocks de médicaments, les autorisations de mise sur le marché, les concessions de licences, de brevets et de marques. Par conséquent, cette activité constituait une entité économique autonome au sein de la société Teva Santé.

5. En deuxième lieu, si Mme B... soutient que le directeur général de la BU Médicale et l'assistante de direction, ainsi que les membres du réseau pharmaceutique Teva Santé auraient également dû faire l'objet d'un transfert, il n'incombe pas au juge de l'excès de pouvoir de rechercher si l'intégralité des salariés affectés à une entité économique autonome a été transférée. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces personnels avaient une activité majoritairement dédiée à l'activité " Santé de la femme ".

6. D'autre part, la société Teva Santé et la société Theramex France ont produit les décisions de transfert des autorisations de mise sur le marché des médicaments de l'aire thérapeutique " Santé de la femme " à la société Theramex France, la convention de cession partielle de fonds de commerce en date du 31 janvier 2018 cédant à la société Theramex France les actifs corporels que sont les livres, registres, comptes, et fichiers relatifs aux salariés transférés, ainsi que le matériel informatique utilisé par ces derniers, et la convention tripartite passée entre les sociétés ALD Automotive, Teva Santé et Theramex France par laquelle les contrats de longue durée de véhicules automobiles souscrits par la société Teva Santé et mis à la disposition des salariés transférés ont été cédés à la société Theramex France. Le transfert du personnel affecté à l'activité " Santé de la femme " ainsi que des actifs corporels et incorporels nécessaires à la poursuite de cette activité est donc bien établi.

7. De troisième part, le transfert des autorisations de mise sur le marché n'a pu être effectué avant le mois de novembre 2018, ce qui a obligé la société Teva Santé à intervenir dans la gestion de l'activité " Santé de la femme " entre février et novembre 2018 en application d'un accord de transition et d'une convention de prestations de services, des termes desquels Mme B... déduit que la société Theramex France est un simple sous-traitant. Pendant cette période de transition, la société Theramex France était prestataire pour la promotion des produits tant qu'ils appartenaient à la société Teva et pouvait bénéficier de manière transitoire des logiciels, d'outils et de certaines fonctions supports de la société Teva pour les besoins de la gestion de l'activité " Santé de la femme ". Néanmoins, dès la date du transfert, le 1er février 2018, la société Theramex France assurait de manière autonome pour les salariés transférés la gestion de la paie, la définition des équipes, le pouvoir de surveillance et de direction. En outre, il ressort des termes de ces conventions, et notamment de l'article 2 de la convention de prestation de services, qui a d'ailleurs fait l'objet d'un acte de résiliation signé le 26 novembre 2018, que cette organisation ne concernait que cette période de transition. Après le transfert des autorisations de mise sur le marché à son bénéfice, la société Theramex France a commercialisé lesdits médicaments sous son nom et développé son activité dans le secteur de la santé de la femme, acquérant notamment un laboratoire pharmaceutique en région parisienne, ainsi que de nouvelles molécules afférentes à cette aire thérapeutique. Il s'ensuit que les moyens d'exploitation transférés ont été affectés à la même activité que l'entité économique initiale. Toute l'activité de l'entité économique autonome " Santé de la femme " a été reprise quasiment à l'identique, comme cela était prévu dès la cession. Ainsi, seul le délai nécessaire au transfert des autorisations de mise sur le marché a justifié la mise en place d'une période transitoire durant laquelle la société Theramex France ne pouvait pas exercer de manière totalement autonome son activité. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail doit en conséquence être écarté.

8. En troisième lieu, Mme B... soutient que la cession de l'activité " Santé de la femme " constitue un détournement de procédure visant à ne pas inclure les salariés transférés dans le plan de sauvegarde de l'emploi mis en place par la société Teva France au cours de l'année 2018, la société Theramex France constituant un simple démembrement de la société Teva France mais restant sous son contrôle. Toutefois, la société Teva France a légitimement cherché à assurer la continuité de l'emploi des salariés affectés à l'activité " Santé de la femme " en sollicitant le transfert de leur contrat de travail. Par ailleurs, il résulte de ce qui précède que, une fois les autorisations de mise sur le marché transférées, la société Theramex France a exercé de manière autonome son activité et a procédé à des investissements importants. Par ailleurs, s'il existe un décalage entre l'introduction des demandes d'autorisation de transfert de personnel, en janvier 2018, et celle des demandes de transfert d'autorisation de mise sur le marché, en septembre 2018, la société Teva France explique ce décalage par la nécessité, pour société Theramex France, d'être pourvue d'un personnel et de moyens matériels afin d'assurer ses chances de succès d'obtenir le transfert des autorisations de mise sur le marché. Le détournement de procédure n'est donc pas établi.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que Mme B... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de Mme B... une somme de 1 000 euros à verser à parts égales aux sociétés Theramex France et Teva Santé sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Mme B... versera aux sociétés Theramex France et Teva Santé la somme de 1 000 euros à répartir à parts égales au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B..., au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, à la société Teva Santé et à la société Theramex France.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Brotons, président de chambre,

Mme Le Gars, présidente assesseure,

Mme Pham, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 février 2024.

La rapporteure,

C. PHAM Le président,

S. BROTONS

La greffière,

S. de SOUSA

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 21VE02107


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE02107
Date de la décision : 06/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-075 Travail et emploi. - Transferts.


Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Christine PHAM
Rapporteur public ?: Mme VISEUR-FERRÉ
Avocat(s) : AARPI BIRD & BIRD

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-06;21ve02107 ?
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