Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... et Mme B... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler les arrêtés du 7 février 2023 par lesquels le préfet d'Indre-et-Loire a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et leur a fait interdiction de retour en France pendant une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2300684 et 2300685 du 14 avril 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 6 mai 2023, M. D... et Mme B..., représentés par Me Rouille-Mirza, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, ces arrêtés ;
3°) d'enjoindre au préfet d'Indre-et-Loire de leur délivrer un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à tout le moins, de procéder au réexamen de leur situation et de leur délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de leur conseil, la somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- les refus de titre de séjour ne sont pas suffisamment motivés, sont entachés d'un défaut d'examen complet et méconnaissent l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l'intérieur et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les obligations de quitter le territoire ne sont pas suffisamment motivées et méconnaissent l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- les décisions fixant le pays de renvoi ne sont pas suffisamment motivées, méconnaissent l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et doivent être annulées en raison de l'illégalité des décisions de refus de séjour et portant obligation de quitter le territoire sur lesquelles elles se fondent ;
- les interdictions de retour sur le territoire doivent être annulées en raison de l'illégalité des décisions d'obligation de quitter le territoire et fixant le pays de renvoi et sont disproportionnées.
La requête a été communiquée au préfet d'Indre-et-Loire qui n'a pas produit d'observations.
Par une ordonnance du 16 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 décembre 2023.
M. D... et Mme B... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du bureau d'aide juridictionnelle du 4 juillet 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience dans la présente instance.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Florent a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... et Mme B..., ressortissants ivoiriens nés les 28 août 1990 et 10 décembre 1994, ont déclaré être entrés en France le 17 juin 2018 sans pouvoir justifier d'une entrée régulière. Le 30 juillet 2018, ils ont sollicité leur admission au séjour au titre de l'asile. Placés en procédure Dublin, les autorités italiennes ont tacitement accepté leur responsabilité puis, par des arrêtés du 31 janvier 2019, le préfet du Loiret a décidé leur transfert aux autorités italiennes et les a assignés à résidence. Leur transfert n'ayant pas été réalisé dans le délai légal, leurs demandes, placées en procédure normale, ont été rejetées le 30 décembre 2020 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides puis le 9 novembre 2021 par la Cour nationale du droit d'asile. Le 2 décembre 2022, ils ont sollicité le réexamen de leurs demandes d'asile. Ces demandes ont été rejetées, pour irrecevabilité, par décisions du 20 décembre 2022 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. En parallèle, le 6 mai 2022, ils ont sollicité auprès de la préfecture d'Indre-et-Loire leur admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par deux arrêtés du 7 février 2023, le préfet d'Indre-et-Loire a rejeté leurs demandes d'admission exceptionnelle au séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours à destination de la Côte-d'Ivoire et leur a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par la présente requête, M. D... et Mme B... relèvent appel du jugement du 14 avril 2023 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande tendant à l'annulation des arrêtés du 7 février 2023.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la légalité des décisions portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination :
2. M. D... et Mme B... reprennent en appel les moyens, qu'ils avaient invoqués en première instance et tirés de ce que les décisions précitées ne sont pas suffisamment motivées et de ce que les décisions portant refus de titre de séjour sont entachées d'un défaut d'examen complet et méconnaissent la circulaire du 28 novembre 2012 du ministre de l'intérieur. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le magistrat désigné du tribunal administratif d'Orléans aux points 5, 8, 9 et 11 de son jugement.
3. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. "
4. Les requérants soutiennent qu'ils résident en France depuis quatre ans et huit mois, qu'ils ont développé et noué des attaches particulièrement solides et intenses en France, plus particulièrement dans la ville de Tours, que M. D... participe à des activités de bénévolat au sein de l'association des Restos du Cœur et travaille en contrat en durée indéterminée au sein de l'entreprise CIRCET en tant que technicien depuis octobre 2022, que Mme B... travaille comme livreuse Uber Eats, que deux de leurs trois enfants sont nés en France les 23 mars 2019 et 23 mai 2021, que leur première fille, arrivée en France à l'âge de trois ans et scolarisée depuis cinq ans, est bien intégrée dans sa classe de CE1 et participe à des cours de danse à la Maison des jeunes et de la culture de Joué-lès-Tours et qu'enfin, ils maîtrisent parfaitement le français et ne constituent pas une menace à l'ordre public. Toutefois, si les requérants justifient d'une bonne intégration sur le territoire français, leur présence en France demeure relativement récente à la date des arrêtés attaqués et les requérants, de même nationalité, disposent toujours d'attaches dans leur pays d'origine, où ils ont respectivement vécu au moins jusqu'à l'âge de 25 et 21 ans et où résident toujours leurs parents et leurs frères et sœurs.
5. Par ailleurs, M. D... et Mme B..., d'ethnies Abron et Bété et de confession musulmane appartenant selon leur dires à une famille traditionnaliste, font valoir que leurs deux filles risquent de subir une excision en cas de retour dans leur pays d'origine et indiquent qu'ils ont déposé une demande de réexamen de leur demande d'asile en produisant de nouvelles pièces constituées en particulier d'un certificat de décès de leur première fille à l'âge de trois mois des suites de son excision et deux certificats médicaux indiquant que les sœurs de M. D... et Mme B... ont elles-mêmes subi des mutilations génitales. Il ressort toutefois de la décision de la Cour nationale du droit d'asile produite au dossier que les intéressés ont déclaré qu'après le décès de leur fille, ils ont quitté la ville de Bondukou, située dans le nord-est de la Côte-d'Ivoire, pour Abidjan et ont déclaré, de façon peu plausible, qu'alors que Mme A... était enceinte de leur deuxième enfant, elle aurait croisé sa mère par hasard à Abidjan, qui lui aurait alors indiqué qu'elle devait être excisée avec sa fille et qu'ils auraient plus tard été menacés par des cousins s'ils ne retournaient pas à Bondukou pour que soient effectuées ces excisions.
6. Il ressort par ailleurs de l'étude " Côte-d'Ivoire : les mutilations sexuelles féminines " de février 2017, en libre accès sur le site internet de la CNDA, et confirmé par une étude de mai 2023 de la CNDA, que le taux de prévalence de l'excision est de moins de 3% chez le groupe ethnique des Akans, auquel appartient le sous-groupe des Abrons, et que l'excision n'est traditionnellement pas pratiquée par l'ethnie Bété. Par ailleurs, si les mutilations sexuelles féminines sont pratiquées de façon importante dans le nord et le nord-ouest du pays, le taux de prévalence dans la région de Bondukou dont sont originaires M. D... et Mme B... est de 25 %, de même qu'à Abidjan où résidaient en 2015 les requérants. Enfin, l'excision, largement pratiquée en Côte-d'Ivoire par le passé, tend à diminuer de façon importante dans la nouvelle génération et touche désormais 10 % des filles âgés de 0 à 14 ans. Dans ces conditions et alors que le récit de M. D... et Mme B... lors de leur audition par l'OFPRA et la CNDA est apparu peu vraisemblable quant aux représailles dont ils seraient personnellement l'objet en cas de retour dans leur pays d'origine, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il existe des circonstances particulières faisant obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue en Côte-d'Ivoire et que les enfants du couple y poursuivent leur scolarité. Par suite, les requérants, qui ne justifient pas de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels, ne sont pas fondés à soutenir que le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. Pour les mêmes motifs, l'arrêté attaqué ne portent pas une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de leur vie privée et familiale ou à l'intérêt supérieur de leurs enfants et les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés.
8. Il en va de même des moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les requérants n'établissant pas la réalité du risque qu'ils allèguent.
9. Enfin, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les refus de séjour et les obligations de quitter le territoire ne sont pas entachées d'illégalité. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à demander, par la voie de l'exception, l'annulation de la décision fixant le pays.
En ce qui concerne la légalité des décisions portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens relatifs à ces décisions ;
10. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 621-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ".
11. Les décisions litigieuses font état de ce que les requérants, s'ils ne présentent pas une menace à l'ordre public, sont entrés récemment en France, le 17 juin 2018, que leurs demandes de protection sur le territoire français ont été rejetées, qu'ils sont sans lien fort avec la France puisqu'ils ne justifient pas d'attaches familiales dans ce pays, qu'ils ont des attaches familiales dans leur pays d'origine dans lequel vivent leurs parents et des frères et sœurs et qu'ils ont déjà fait l'objet d'une décision de transfert vers l'Italie à laquelle ils n'ont pas déféré. Toutefois, les requérants contestent s'être soustraits à la décision de transfert prise à leur encontre et il ne ressort pas des pièces du dossier, ni n'est allégué par le préfet que les intéressés auraient été placés en situation de fuite empêchant l'exécution de l'arrêt de transfert à destination de l'Italie ou même que le préfet les auraient informés du lieu et de la date à laquelle ils devaient se présenter pour l'exécution de la décision de transfert, conformément à l'article 26.2 du règlement Dublin. En outre, ainsi qu'il a été dit précédemment, M. D... et Mme B... sont bien intégrés en France, où ils vivaient depuis près de cinq ans à la date de l'arrêté attaqué. Dans ces conditions, les décisions prononçant à leur encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans méconnaissent les dispositions précitées de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... et Mme B... sont uniquement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande d'annulation des décisions d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans prononcées à leur encontre.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. L'annulation des seules interdictions de retour sur le territoire français n'impliquant aucune mesure d'exécution, les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte présentées par les requérants doivent être rejetées.
Sur les frais relatifs à l'instance d'appel :
14. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme que les requérants sollicitent, au bénéfice de leur conseil, au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Les décisions du 7 février 2023 du préfet d'Indre-et-Loire interdisant à M. D... et Mme B... de revenir sur le territoire français pour une durée de deux ans sont annulées.
Article 2 : Le jugement du 14 avril 2023 du tribunal administratif d'Orléans est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... et Mme B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... D... et Mme E... C... au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet d'Indre-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 11 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
M. Albertini, président de chambre,
M. Pilven, président assesseur,
Mme Florent, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 janvier 2024.
La rapporteure,
J. FLORENTLe président,
P-L. ALBERTINILa greffière,
F. PETIT-GALLAND
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 23VE00946