La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/01/2024 | FRANCE | N°21VE03153

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 23 janvier 2024, 21VE03153


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 28 mai 2019 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement.



Par un jugement n° 1902051 du 30 septembre 2021, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire enregistrés le 26 novembre 2021 et le 6 février 2022, M. A..., représenté par Me Leduc, av

ocat, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement ;



2°) d'annuler cette décision ;



3°) de me...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 28 mai 2019 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1902051 du 30 septembre 2021, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 26 novembre 2021 et le 6 février 2022, M. A..., représenté par Me Leduc, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'enquête disciplinaire a été menée à charge à son encontre ;

- la décision attaquée est entachée d'un vice de procédure en ce que l'entretien préalable à son licenciement aurait été transformé en enquête interne à charge ;

- l'employeur n'a pas saisi le conseil de discipline régional dans le délai de 5 jours ouvrés prescrit par l'article 48 de la convention collective nationale de travail du 8 février 1957 du personnel des organismes de sécurité sociale modifiée ;

- la composition du conseil de discipline régional n'est pas conforme à l'article 49 de cette convention collective, et il n'est pas établi que le quorum aurait été atteint lors de la séance du 15 avril 2019 ;

- il n'est pas établi qu'il aurait eu la parole en dernier lors de la tenue de ce conseil de discipline ;

- l'avis du conseil de discipline n'est pas motivé en méconnaissance de l'article 53 de la convention collective précitée ;

- l'inspecteur du travail n'a pas rendu sa décision dans le délai de quinze jours prescrit par les dispositions de l'article R. 2421-4 du code du travail issues du décret n° 2008-244 du 7 mars 2008, applicables dès lors que la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Eure-et-Loir ne s'est pas dotée d'un conseil économique et social ;

- l'employeur a méconnu l'article R. 2421-6 du code du travail en ne demandant l'autorisation de licenciement que 28 jours après avoir prononcé une mise à pied conservatoire à son encontre ;

- il n'a pas été informé de la possibilité de se faire assister, lors de l'enquête contradictoire, d'un représentant de son syndicat ainsi que d'un avocat ;

- l'inspecteur du travail n'a pas justifié du respect du principe du contradictoire, notamment de la transmission au requérant des éléments déterminants qui auraient pu être recueillis au cours de l'enquête ;

- la décision autorisant son licenciement est insuffisamment motivée, dès lors qu'elle ne mentionne pas son mandat de représentant syndical au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ;

- la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie,

- il existe un lien entre les mandats qu'il détient et la mesure de licenciement prononcée à son encontre ;

- l'absence de gravité des éventuelles fautes qu'il aurait commises a été reconnue par la CPAM d'Eure-et-Loir, qui a levé le 17 avril 2019 la mise à pied prise à son encontre ;

- la sanction prise à son encontre est en tout état de cause disproportionnée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2022, la CPAM d'Eure-et-Loir, représentée par Me Lumeau, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 8 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 27 septembre 2023 en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de procédure civile ;

- l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 ;

- le décret n° 2017-1819 du 29 décembre 2017 ;

- la convention collective nationale de travail du 8 février 1957 du personnel des organismes de sécurité sociale modifiée par avenant du 17 février 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pham, première conseillère,

- les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteure publique,

- et les observations de Me Leduc, pour M. A... et de Me Amrouni, substituant Me Lumeau, pour la CPAM d'Eure-et-Loir.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... A... a été embauché au sein de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Eure-et-Loir le 29 mars 1982, et il y exerçait en dernier lieu les fonctions de conseiller support utilisateurs, catégorie employé, au sein du service informatique, suivant un contrat à durée indéterminée en date du 1er janvier 1984. Il était par ailleurs titulaire des mandats de délégué syndical CGT-FO, de représentant du personnel au comité d'entreprise, de délégué du personnel, de représentant syndical au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et de représentant du personnel au conseil de la CPAM d'Eure-et-Loir. Le 9 janvier 2019, Mme E..., employée par la CPAM d'Eure-et-Loir en qualité de téléconseillère au sein de la plateforme téléphonique services (PFS) de Chartres, a alerté son employeur d'une situation de harcèlement sexuel dont elle était victime sur son lieu de travail, depuis le mois de juin 2018, et a mis en cause M. A.... La CPAM d'Eure-et-Loir a diligenté une enquête interne visant à établir la réalité des faits. Une première procédure disciplinaire a été engagée le 7 février 2019 à l'encontre de M. A..., qui a donné lieu à un refus d'autorisation de licenciement en raison d'un vice de procédure. Son employeur a décidé d'engager une nouvelle procédure disciplinaire à son encontre à raison des mêmes faits.

2. A l'issue d'un entretien qui s'est tenu le 20 mars 2019 en présence des délégués du personnel, M. A... s'est vu notifier sa mise à pied conservatoire avec effet immédiat. Par courrier du 13 mars 2019, la CPAM d'Eure-et-Loir a convoqué M. A... à un entretien préalable à une éventuelle sanction pouvant aller jusqu'au licenciement pour faute grave, lequel s'est tenu le 25 mars 2019. Consulté en application de l'article L. 2421-3 du code du travail, le comité d'entreprise a rendu, lors d'une réunion extraordinaire du 29 mars 2019, un avis favorable au projet de licenciement pour faute grave du salarié, à raison de quatre voix en faveur du licenciement et d'une voix contre. En revanche, le conseil régional de discipline, réuni le 15 avril 2019, n'a pas été en mesure d'émettre un avis en raison du partage des voix de ses membres. Le 18 avril 2019, la CPAM d'Eure-et-Loir a sollicité auprès de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier M. A..., qui lui a été accordée par décision du 28 mai 2019. Par un jugement n° 1902051 du 30 septembre 2021, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de cette décision. M. A... relève appel de ce jugement.

Sur la légalité externe de la décision attaquée :

En ce qui concerne l'enquête disciplinaire :

3. M. A... n'établit pas que l'enquête disciplinaire aurait été menée à charge, alors qu'il a été entendu à trois reprises, le 14 janvier 2019, le 23 janvier 2019 et le 24 janvier 2019, soit autant de fois que Mme E.... Contrairement à ce qu'il affirme, les propos tenus par le directeur de la CPAM d'Eure-et-Loir ne manifestent aucune partialité à son égard. Le moyen tiré du manque d'impartialité de cette enquête doit en conséquence être écarté.

En ce qui concerne l'entretien préalable au licenciement :

4. Aux termes de l'article L. 1232-3 du code du travail : " Au cours de l'entretien préalable, l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié. ". Si M. A... soutient que l'entretien préalable au licenciement aurait été mené comme une enquête interne dirigée à son encontre, il ressort du compte-rendu de cet entretien, qui a été versé aux débats, que son employeur a indiqué à M. A... les motifs de la décision envisagée, a retracé l'historique de la procédure, lui a donné lecture des attestations qui lui ont permis de conclure que les faits reprochés pouvaient lui être imputés et que M. A..., qui était assisté d'une personne de son choix, a eu l'opportunité de donner toutes les explications qu'ils jugeaient utiles. Le simple fait que son interlocuteur lui aurait demandé de préciser sa version des événements et aurait attiré son attention sur le caractère contradictoire ou non crédible de certaines de ses déclarations ne révèle pas que cet entretien aurait été mené de manière partiale alors que, au cours de cet entretien, M. A... a indiqué avoir eu une relation avec Mme E... vingt ans auparavant, ce qu'il avait toujours nié.

En ce qui concerne la procédure suivie devant le conseil de discipline :

5. En premier lieu, aux termes de l'article 641 du code de procédure civile : " Lorsqu'un délai est exprimé en jours, celui de l'acte, de l'événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir ne compte pas. ". Aux termes de l'article 48 de la convention collective nationale de travail du 8 février 1957 du personnel des organismes de sécurité sociale modifiée : " (...) Le directeur a 5 jours ouvrés maximum à compter du jour de l'entretien pour demander la convocation du conseil de discipline (...) ". Ces dispositions ont été respectées par la CPAM d'Eure-et-Loir dès lors que l'entretien préalable s'est tenu le 25 mars 2019 et que le conseil de discipline a été saisi par le directeur de la CPAM d'Eure-et-Loir le lundi 1er avril 2019.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 49 de la convention collective précitée : " Il est institué, dans chaque région, un conseil de discipline composé paritairement de : deux administrateurs de la région ; deux agents de direction de la région ; quatre représentants des employés de la région ; (...) ". L'article 48 de cette même convention dispose : " (...) le conseil de discipline ne peut valablement délibérer que si le quorum est atteint dans chaque collège et si la parité est assurée. (...) ". D'une part, si M. A... soutient qu'il n'est pas possible de savoir dans quel collège siégeaient les deux représentants des organisations syndicales présents, il résulte des dispositions de l'article 51 de la convention collective précitée, qui dispose que " les représentants du personnel sont désignés par les organisations syndicales nationales de salariés les plus représentatives ", que ces représentants siégeaient nécessairement dans le collège des employés de la région. D'autre part, en l'absence d'aucune disposition définissant le quorum du conseil de discipline et eu égard au principe de parité, il y a lieu d'entendre par quorum la moitié des membres prévus pour chacun des collèges devant être représenté. Par suite, le quorum était atteint lors de la séance du 15 avril 2019 à laquelle siégeaient un administrateur de la région, un agent de direction de la région et deux représentants des employés de la région, et le conseil de discipline était composé conformément aux dispositions précitées. Le moyen tiré de l'irrégularité de la composition du conseil de discipline doit en conséquence être écarté.

7. En troisième lieu, M. A... soutient que la procédure est entachée d'irrégularité, dès lors qu'il n'est pas établi que le conseil de discipline lui aurait donné la parole en dernier. Toutefois, ni la convention collective précitée, qui dispose à son article 53 que " Le conseil de discipline entend le directeur et l'agent de l'organisme en cause. Il délibère hors de leur présence (...) ", ni aucun principe général du droit n'imposent que le conseil de discipline demande expressément à M. A... de prendre la parole en dernier. En tout état de cause, le procès-verbal de la séance du 15 avril 2019 indique que M. A... a parlé après son employeur et avant de se retirer avec son employeur afin de laisser le conseil délibérer. Ce moyen doit donc être écarté.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 53 de la convention collective précitée : " Le conseil de discipline (...) rédige des conclusions motivées qui doivent être adoptées à la majorité absolue des membres présents. ". En l'espèce, le conseil de discipline a indiqué qu'il n'était pas en mesure de rendre un avis au motif qu'il s'était prononcé à deux voix pour et deux voix contre sur la réalité des faits, sur leur caractère fautif, sur la gravité des faits et sur la sanction envisagée. De tels motifs éclairent suffisamment les raisons pour lesquelles le conseil de discipline n'a pas rendu d'avis. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cet avis doit en conséquence être écarté.

En ce qui concerne la procédure devant l'inspection du travail :

9. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2421-14 du code du travail : " En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail. La consultation du comité social et économique a lieu dans un délai de dix jours à compter de la date de la mise à pied. La demande d'autorisation de licenciement est présentée dans les quarante-huit heures suivant la délibération du comité social et économique. Si l'avis du comité social et économique n'est pas requis dans les conditions définies à l'article L. 2431-3, cette demande est présentée dans un délai de huit jours à compter de la date de la mise à pied. La mesure de mise à pied est privée d'effet lorsque le licenciement est refusé par l'inspecteur du travail ou, en cas de recours hiérarchique, par le ministre. ". Les délais fixés par l'article R. 2421-14 du code du travail dans lesquels la demande d'autorisation de licenciement d'un salarié mis à pied doit être présentée, ne sont pas prescrits à peine de nullité de la procédure de licenciement. Toutefois, eu égard à la gravité de la mesure de mise à pied, l'employeur est tenu, à peine d'irrégularité de sa demande, de respecter un délai aussi court que possible pour la présenter. Par suite, il appartient à l'administration, saisie par l'employeur d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé auquel s'appliquent ces dispositions, de s'assurer que ce délai a été, en l'espèce, aussi court que possible pour ne pas entacher d'irrégularité la procédure antérieure à sa saisine. M. A... soutient qu'un délai excessif s'est écoulé entre sa mise à pied conservatoire, prononcée le 20 mars 2019, et la demande d'autorisation de licenciement.

10. Le projet de licenciement de M. A... devait faire l'objet d'un avis du comité d'entreprise en application de l'article L. 2421-3 du code du travail et cet avis ne pouvait, aux termes de l'article R. 2421-8 du code du travail, être rendu avant l'entretien préalable au licenciement. Cet entretien préalable s'est tenu le 25 mars 2019, jour où le comité d'entreprise a été convoqué. Il s'est réuni le 29 mars suivant. Le conseil de discipline, qui doit obligatoirement rendre un avis sur tout projet de licenciement pour motif disciplinaire en application de l'article 48 de la convention collective du personnel des organismes de sécurité sociale, a été saisi peu de temps après, par un courrier du 1er avril 2019. Il s'est réuni le 15 avril 2019 et ses conclusions ont été notifiées à la CPAM d'Eure-et-Loir et à M. A... le 16 avril par courriel, puis par lettre recommandée réceptionnée le 18 avril 2019. L'inspecteur du travail a été saisi le même jour. Ainsi, la chronologie de la procédure interne ne fait pas apparaître de délais significatifs entre les différentes phases obligatoires d'entretien avec le salarié et de saisine du comité d'entreprise et du conseil de discipline. Aucun manque de diligence et de célérité ne peut être imputé à l'employeur. Dans les circonstances de l'espèce, les délais écoulés entre la mise à pied et la demande d'autorisation de licenciement ne peuvent être regardés comme excessifs.

11. En deuxième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article R. 2421-4 du code du travail : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. (...) ". Ces dispositions n'imposent pas à l'inspecteur du travail de rappeler au salarié protégé qu'il a la possibilité de se faire assister d'un représentant de son syndicat ou d'un avocat. En tout état de cause, l'inspecteur du travail a bien informé M. A... de la faculté de se faire assister d'un représentant de son syndicat dans le courrier de convocation à l'enquête contradictoire qu'il lui a adressé le 29 avril 2019.

12. En troisième lieu, il ressort des termes du courrier de convocation de M. A... à l'enquête contradictoire qu'étaient joints à ce courrier la demande d'autorisation adressée par l'employeur, ainsi que les documents afférents à cette demande. Ces pièces doivent donc être considérées comme ayant été communiquées au requérant. Par ailleurs, si M. A... se plaint qu'on ne lui aurait pas communiqué les éléments déterminants recueillis par l'inspecteur du travail au cours de l'enquête contradictoire, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment de la motivation de la décision attaquée, qui ne mentionne que des pièces jointes à la demande d'autorisation de licenciement, que l'inspecteur du travail se serait fondé sur d'autres documents. Le moyen tiré de la violation du principe du contradictoire doit en conséquence être écarté.

13. En quatrième lieu, pour opérer les contrôles auxquels elle est tenue de procéder lorsqu'elle statue sur une demande d'autorisation de licenciement, l'autorité administrative doit prendre en compte chacune des fonctions représentatives du salarié. Lorsque l'administration a eu connaissance de chacun des mandats détenus par l'intéressé, la circonstance que la demande d'autorisation de licenciement ou la décision autorisant le licenciement ne fasse pas mention de l'un de ces mandats ne suffit pas, à elle seule, à établir que l'administration n'a pas, comme elle le doit, exercé son contrôle en tenant compte de chacun des mandats détenus par le salarié protégé. En l'espèce, la demande d'autorisation de licenciement et le courrier de la CPAM d'Eure-et-Loir du 22 mars 2019 informant l'inspecteur du travail de la mise à pied conservatoire de M. A... mentionnent son mandat de représentant syndical au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. L'inspecteur du travail avait donc connaissance de l'exercice d'un tel mandat par M. A.... Par suite, la simple omission de ce mandat syndical dans les motifs de la décision d'autorisation de licenciement n'entache pas celle-ci d'insuffisance de motivation, ni d'illégalité.

14. En cinquième lieu, M. A... soutient que la décision attaquée est illégale, dès lors que l'inspecteur du travail n'a pas rendu sa décision dans le délai de quinze jours mentionné par les dispositions de l'article R. 2421-4 du code du travail dans leur rédaction issue du décret n° 2008-244 du 7 mars 2008, selon lui applicables dès lors que la CPAM d'Eure-et-Loir ne s'est pas encore dotée d'un comité social et économique. Toutefois, l'article R. 2421-4 du code du travail ne figurant pas dans une des parties du code du travail mentionnées au V de l'article 9 de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, étaient applicables, à compter du 1er janvier 2018 et en application de l'article 6 du décret n° 2017-1819 du 29 décembre 2017 relatif au comité social et économique, la rédaction de l'article R. 2421-4 du code du travail issue de ce décret, selon laquelle " (...) L'inspecteur du travail prend sa décision dans un délai de deux mois. Ce délai court à compter de la réception de la demande d'autorisation de licenciement. (...) ". Ce délai a été respecté, dès lors que la demande d'autorisation a été présentée le 19 avril 2019 et que la décision attaquée date du 28 mai 2019. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 2421-4 du code du travail doit en conséquence être écarté.

Sur la légalité interne de la décision attaquée :

15. Aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail : " Aucun salarié ne doit subir des faits : / 1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante (...) ".

16. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... et M. A... ont tous deux affirmé se connaître depuis une vingtaine d'années mais n'avoir été que de simples connaissances. Le 9 janvier 2019, Mme E... a fait part à son employeur de ce qu'elle subissait un harcèlement sexuel de la part de M. A... depuis le mois de juin 2018, consistant à l'enlacer en lui touchant les fesses et à lui murmurer des mots injurieux à l'oreille quand il lui faisait la bise sur la plateforme téléphonique, à lui caresser les seins et les fesses quand il la croisait dans un couloir sans témoin, à l'attendre dans la rue le soir pour l'enlacer et procéder à des attouchements non consentis. Selon son témoignage, le 7 janvier 2019, M. A... s'est rendu sur son lieu d'entraînement de volley-ball et à la fin de son entraînement, il l'aurait prise par la taille et ordonné de monter dans sa voiture. Face à son refus d'obtempérer, il l'a suivie en voiture jusqu'au parking privatif de son domicile. Lorsqu'elle a repoussé une nouvelle fois ses avances, il lui a répondu qu'il n'était pas un homme à qui on dit non, et qu'elle ne savait pas de quoi il était capable.

17. Une collègue, Mme D..., a attesté à deux reprises avoir vu, le 7 janvier 2019, M. A... dire à Mme E..., en levant le doigt et en adoptant un air égrillard, " si il faut que je te parle petite salope ". Mme B..., une autres collègue et amie de Mme E..., atteste de ce que, le 7 janvier 2019 à 23 heures, elle a reçu un appel de Mme E..., paniquée et en pleurs, qui lui a relaté l'incident de la soirée. Entre le 7 et le 10 janvier, Mme E... a parlé à trois de ses collègues, qui ont attesté en ce sens, du harcèlement dont elle faisait l'objet. En outre, cinq de ses collègues témoignent de ce que M. A... a cherché à parler à Mme E... de manière insistante lors de la semaine du 7 janvier 2019 et deux attestations font état du fait qu'elle a semblé, le 9 janvier 2019, se décomposer à l'arrivée de M. A... ou du moins être mal à l'aise. Trois de ces collègues témoignent également de ce que Mme E..., auparavant joviale, se montre triste et déprimée depuis un certain temps, qu'elle semble paniquée au moindre bruit, qu'elle ne se maquille plus et ne porte plus que des vêtements amples. Il ressort enfin des certificats médicaux versés aux débats que Mme E... suit un traitement narcoleptique, qu'elle exprime une grande fatigue, un profond désarroi et manifeste des troubles anxio-dépressifs importants. Ces attestations concordantes confirment les déclarations cohérentes, constantes et détaillées de Mme E....

18. M. A... a toujours nié vigoureusement les faits qui lui sont reprochés. Toutefois, ses déclarations sont entachées de nombreuses contradictions. Ainsi, après avoir affirmé que lui et Mme E... n'étaient que de simples connaissances, il a révélé tardivement, le 29 mars 2019, qu'ils auraient eu une relation amoureuse il y a vingt ans et qu'elle l'aurait embrassé de sa propre initiative le 7 janvier 2019. Les explications qu'il a fournies concernant son revirement, à savoir une promesse de ne pas révéler ces faits donnée à Mme E... et qu'il aurait tenue jusqu'alors malgré les accusations portées à son encontre, ne sont pas crédibles. De même, il a donné successivement trois motifs différents justifiant qu'il se serait rendu à l'entrainement de volley-ball de Mme E... le 7 janvier 2019. D'autres de ses déclarations se sont révélées fausses. Alors qu'il soutenait, lors des débats devant le comité d'entreprise, qu'il n'employait jamais les mots injurieux que lui prêtait Mme E..., n'adoptait jamais l'attitude de lever le doigt sauf pour pointer un objet et qu'il n'enlaçait jamais ses collègues, différents collègues ont réagi en affirmant, pour chacun de ces faits, qu'ils l'avaient vu adopter précisément de tels comportement et l'avaient notamment entendu, au cours d'une conversation entre hommes, employer une expression caractéristique rapportée par Mme E..., à savoir " casser les pattes arrière ". De même, s'il a affirmé que Mme E... l'aurait embrassé au moment où il lui tenait la porte du local donnant sur l'extérieur afin de lui permettre de passer, ses collègues lui ont fait remarquer qu'il n'avait pu tenir ouverte cette porte, qui était condamnée à cette période-là, ce qu'il a reconnu.

19. Ni les attestations de collègues ou d'anciennes collègues produits par le requérant, affirmant qu'il s'est toujours montré respectueux à leur égard, ni le rapport d'expertise psychiatrique rendu au cours de la procédure pénale engagée à son encontre, qui conclut à l'absence de déviance ou de perversité chez lui, ne sont de nature, de par leur caractère général, à infirmer les attestations précises et concordantes sur lesquelles s'est appuyé l'inspecteur du travail. Le classement sans suite de la plainte pénale de Mme E..., même s'il a été prononcé au motif que les faits n'ont pu être établis, n'empêche pas que la procédure disciplinaire soit poursuivie. La circonstance que Mme E... n'a signalé le harcèlement sexuel dont elle faisait l'objet qu'en janvier 2019 alors qu'il durait depuis juin 2018 n'enlève pas toute crédibilité à ses accusations, dès lors qu'elle a indiqué à ses collègues qu'elle avait souhaité dans un premier temps régler le problème seule, mais que le fait que M. A... se soit introduit dans son parking privatif et ait proféré des menaces l'avait amenée à en décider autrement. Par ailleurs, aucun indice ne permet d'établir un lien entre le projet de licenciement et les mandats détenus par M. A.... Si celui-ci soutient que ces accusations sont montées de toutes pièces par le syndicat UNSA qui cherche à lui nuire, il n'établit pas la réalité de ses allégations en se contentant de produire des tracts, des déclarations et des appels à la grève émanant du syndicat CGT-FO, qui sont en outre, pour la plus grande partie, datés de 2016 et 2017.

20. Ainsi, la version de Mme E... est étayée par des témoignages précis, concordants et constants, alors que les allégations de M. A... se sont montrées contradictoires et pour certaines fallacieuses. Ces témoignages permettent, contrairement à ce que soutient le requérant, de tenir pour établi les faits qui lui sont reprochés, à savoir avoir tenu des propos injurieux et à connotation sexuelle à Mme E... et lui avoir fait subir des attouchements non consentis, régulièrement de juin 2018 à janvier 2019, ce qui a porté atteinte à sa dignité et à sa santé. De tels faits sont constitutifs d'un harcèlement sexuel.

21. Si M. A... soutient que son employeur aurait lui-même relativisé la gravité de cette faute en levant la mesure de mise à pied conservatoire prononcée à son encontre, la CPAM d'Eure-et-Loir a affirmé, dans ses écritures en défense, qu'elle n'avait agi ainsi qu'en vue d'appliquer les dispositions de l'article 48 de la convention collective nationale de travail du 8 février 1957, qui indique qu'une telle mesure est prononcée " en attendant que le conseil de discipline se soit prononcé ", ce qui implique qu'elle soit levée une fois l'avis du conseil de discipline rendu. Ainsi, la levée de cette mesure conservatoire ne relativise en rien la faute de M. A....

22. Les faits, eu égard à leur nature, leur gravité et à leur caractère répété, constituent une faute d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de M. A..., malgré l'ancienneté de l'intéressé et le classement sans suite de la plainte pénale déposée par Mme E.... Par suite, l'inspecteur du travail a pu, sans entacher sa décision d'une erreur d'appréciation, autoriser le licenciement de M. A....

23. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la CPAM d'Eure-et-Loir, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. A... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de M. A... une somme de 1 500 euros à verser à la CPAM d'Eure-et-Loir sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : M. A... versera à la CPAM d'Eure-et-Loir une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A..., à la CPAM d'Eure-et-Loir et au ministre de l'emploi, du travail et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Brotons, président de chambre,

Mme Pham, première conseillère,

Mme Bonfils, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2024.

La rapporteure,

C. PHAM Le président,

S. BROTONS

La greffière,

S. de SOUSA

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 21VE03153


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de VERSAILLES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE03153
Date de la décision : 23/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Christine PHAM
Rapporteur public ?: Mme VISEUR-FERRÉ
Avocat(s) : SCP WOOG & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-23;21ve03153 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award