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26/10/2023 | FRANCE | N°23VE00202

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 26 octobre 2023, 23VE00202


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... A... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 16 mars 2022 par lequel le préfet du Val-d'Oise a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2205416 du 11 janvier 2023, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l'arrêté du 16 mars 2022 et enjoint au préfet du Val-d'Oise de délivrer à M. A... un titre de séjo

ur dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Procédu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... A... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 16 mars 2022 par lequel le préfet du Val-d'Oise a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2205416 du 11 janvier 2023, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l'arrêté du 16 mars 2022 et enjoint au préfet du Val-d'Oise de délivrer à M. A... un titre de séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Procédure devant la cour :

I- Par une requête, enregistrée le 27 janvier 2023 sous le n° 23VE00202, le préfet du Val-d'Oise demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif ;

Il soutient que :

- le tribunal a insuffisamment motivé son jugement et a méconnu son office en s'abstenant d'examiner les pièces fournies en défense ;

- c'est à tort que le tribunal a considéré que les médicaments nécessaires au traitement de M. A... sont indisponibles dans son pays d'origine.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juillet 2023, M. B... C... A..., représenté par Me Semak, conclut à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à l'annulation de l'arrêté du 16 mars 2022 et, en tout état de cause, à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a présenté des observations, enregistrées le 8 août 2023.

Par un courrier du 15 octobre 2023, la cour a demandé à l'OFII de produire les fiches MedCOI auxquelles il faisait référence dans ses observations.

Par un courrier du 19 septembre 2023, qu'il n'a pas été jugé utile de communiquer, l'OFII a refusé de produire ces pièces en raison des risques de violation du secret médical que cette communication pourrait engendrer.

Par un courrier du 19 octobre 2023, la cour a demandé à l'OFII de produire les fiches MedCOI auxquelles il faisait référence dans ses observations, éventuellement expurgées des données couvertes par le secret médical, au visa du c) de l'article 3. de l'annexe à la décision n° 91 du conseil d'administration du bureau européen d'appui en matière d'asile du 7 octobre 2021 sur la politique d'accès à la base de données MedCOI.

II- Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 janvier et 30 juin 2023 sous le n° 23VE00203, le préfet du Val-d'Oise demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 2205416 du 11 janvier 2023.

Il invoque les mêmes moyens que sous la requête n° 22VE00202 et soutient que la mise à exécution du jugement attaqué aurait pour effet de rendre inextricable la situation administrative de M. A... et serait constitutive d'une violation de la loi constituant un trouble à l'ordre public.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juin 2023 et un mémoire, enregistré le 03 août 2023, M. B... C... A..., représenté par Me Semak, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la demande de sursis à statuer est irrecevable à défaut pour le préfet d'avoir produit la copie de la requête d'appel ;

- elle est par ailleurs infondée en l'absence de conséquences difficilement réparables et en l'absence de sérieux des moyens énoncés par le préfet dans sa requête ;

- les dispositions de l'article R. 811-17 du code de justice administrative sont inapplicables au litige.

L'Office français de l'immigration et de l'intégration a présenté des observations, enregistrées le 30 août 2023.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florent ;

- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Ben-Gadi, substituant Me Semak, pour M. A....

Une note en délibéré, enregistrée le 6 octobre 2023, a été présentée par M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant nigérian né le 22 avril 1963 à Uromi, est entré en France le 25 février 2014. Il s'est vu délivrer par le préfet du Val-d'Oise un titre de séjour pour soins à compter de décembre 2016 et dont il a demandé le renouvellement en dernier lieu le 7 décembre 2021. Par un arrêté du 16 mars 2022, le préfet du Val-d'Oise a rejeté cette demande, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par la requête n° 22VE00202, le préfet du Val-d'Oise relève appel du jugement du 11 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet arrêté et lui a enjoint de délivrer à M. A... un titre de séjour dans un délai de deux mois suivant la notification du jugement. Par la requête n° 22VE00203, le préfet demande qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement. Ces deux requêtes étant dirigées contre le même jugement et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un même arrêt.

Sur la requête n° 23VE00202 :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué, en particulier du point 5, que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a pris en considération l'ensemble des éléments relatifs à la disponibilité du traitement suivi par M. A... soumis à son appréciation par le préfet du Val-d'Oise, y compris le document attestant d'une étude menée sur le Nébivolol au Nigeria, avant de conclure que les certificats médicaux produits par le requérant étaient de nature à remettre utilement en cause l'appréciation du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) selon laquelle M. A... peut bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Ce faisant, le tribunal a implicitement mais nécessairement considéré que cette étude n'était pas de nature à établir l'accès au Nébivolol au Nigeria. Par suite, le préfet n'est pas fondé à soutenir qu'en citant cette étude sans en contredire l'existence ou la pertinence, le tribunal a entaché son jugement d'une d'insuffisance de motivation.

3. D'autre part, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Le préfet du Val-d'Oise ne peut donc utilement se prévaloir de l'erreur de droit, de l'erreur d'appréciation ou encore de la dénaturation des pièces du dossier qu'auraient commises les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

4. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. / Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée ".

5. Pour refuser la délivrance du titre de séjour sollicité, le préfet a pris en compte l'avis, émis le 11 mars 2022, par le collège de médecins du service médical de l'OFII, qui a estimé que si l'état de santé du requérant nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié et peut y voyager sans risque.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. A... souffre d'une hypertension artérielle sévère, compliquée d'une cardiopathie hypertensive, pour laquelle l'intéressé bénéficie d'un traitement, équilibré seulement en 2018 après plusieurs essais, associant six molécules : l'Hydrochlorothiazide (25mg/j), la Spironolactone (75mg/j), l'Amlodipine (10mg/j), le Perindopril (10mg/j), la Rilmenidine (1mg/j) et le Nébivolol (5mg/j). Au regard de la liste des médicaments essentiels au Nigéria datée de 2020, les trois premières molécules sont disponibles au Nigeria. Au vu du rapport MEDCOI (medical country of origin information report) élaboré par l'Agence de l'Union européenne pour l'asile daté d'avril 2022, le Perindopril est également commercialisé en dosage 2mg. S'agissant du Nébivolol, le préfet du Val-d'Oise produit une publication scientifique en anglais datée de janvier 2021 faisant état d'une étude pilote menée dans cinq centres hospitalo-universitaires au Nigeria afin de déterminer l'efficacité de l'usage du nébivolol pour le traitement de l'hypertension artérielle sur les sujets noirs africains. Une telle étude universitaire est à elle-seule insuffisante pour établir la commercialisation à une large échelle de cette molécule au Nigeria. Par ailleurs, si l'OFII indique dans son mémoire en observation que le Nébivolol est disponible au Nigéria en se référant à la fiche MedCOI 17/10/2022 AVA 16159 faisant état d'une commercialisation " par exemple " dans une pharmacie de la capitale Abuja, l'OFII n'a pas communiqué à la cour cette fiche tirée de la base données MEDCOI établie par l'Agence de l'Union européenne pour l'asile, malgré la mesure d'instruction diligentée en ce sens, et ne met ainsi pas la cour à même d'en vérifier la portée et en particulier que la commercialisation de cette molécule, qui ne figure pas sur la liste des médicaments essentiels au Nigéria, y est suffisamment développée pour garantir un accès effectif à ce traitement. S'agissant de la Rilmenidine, il est constant que cette molécule est indisponible au Nigéria. Le préfet du Val-d'Oise et l'OFII font valoir qu'il existe des alternatives thérapeutiques au Nigeria, comme la Clonidine et la Methyldopa. Toutefois, outre que ces molécules ne figurent pas non plus sur la liste des médicaments essentiels au Nigéria, le cardiologue de M. A... précise dans un document très circonstancié du 22 mai 2023 que " la methyldopa provoque de nombreux effets secondaires qui limitent sa prescription " et qu'en raison de " l'effet rebond avec hypertension sévère et complications cardiaques ou neurologiques " que peut entraîner l'arrêt brutal de Clonidine, cette molécule n'est quasiment plus utilisée en France. Enfin, le rapport en consultation libre " Medical country of origin information report " (MedCOI) relatif au Nigeria, établi par l'Agence de l'Union européenne pour l'asile en avril 2022, précise que selon une étude menée en 2012, moins de 20 % des patients atteints d'hypertension artérielle sévère sont traités au Nigéria et moins de 9 % contrôlés et que seuls 50 à 60 % des centres de santé sont en capacité de suivre les patients hypertendus, avec un reste à charge très élevé. Par suite, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... serait en mesure de bénéficier effectivement d'un traitement approprié à sa pathologie dans son pays d'origine.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Val-d'Oise n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l'arrêté du 16 mars 2022 pour méconnaissance de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur la requête 23VE00203 :

8. Le présent arrêt statuant sur la requête tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de la requête à fin de sursis à exécution dudit jugement sont devenues sans objet.

Sur les frais liés à l'instance d'appel :

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 23VE00203.

Article 2 : La requête n° 23VE00202 présentée par le préfet du Val-d'Oise est rejetée.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... C... A....

Copie en sera adressée au préfet du Val-d'Oise.

Délibéré après l'audience du 5 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Albertini, président,

- M. Pilven, président assesseur,

- Mme Florent, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 octobre 2023.

La rapporteure,

J. FLORENTLe président,

P.-L. ALBERTINI

La greffière,

F. PETIT-GALLAND

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 23VE00202, 23VE00203


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23VE00202
Date de la décision : 26/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: Mme Julie FLORENT
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : SEMAK

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-10-26;23ve00202 ?
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