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26/10/2023 | FRANCE | N°22VE02879

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 26 octobre 2023, 22VE02879


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision du président du conseil départemental de l'Essonne du 24 mars 2022 refusant de lui accorder des congés bonifiés.

Par un jugement n° 2204123 du 10 novembre 2022, le tribunal administratif de Versailles a annulé la décision attaquée.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 27 décembre 2022 et 29 juin 2023, le conseil départemental de l'Essonne, repré

senté par Me de Froment, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la requ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision du président du conseil départemental de l'Essonne du 24 mars 2022 refusant de lui accorder des congés bonifiés.

Par un jugement n° 2204123 du 10 novembre 2022, le tribunal administratif de Versailles a annulé la décision attaquée.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 27 décembre 2022 et 29 juin 2023, le conseil départemental de l'Essonne, représenté par Me de Froment, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la requête présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Versailles tendant à l'annulation de la décision du 24 mars 2022 ;

3°) de mettre la somme de 2 000 euros à la charge de Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les premiers juges ont insuffisamment motivé le jugement attaqué en oubliant de motiver la raison pour laquelle trois éléments que le département de l'Essonne avait opposés à Mme B... ne pouvaient pas être pris en compte pour déterminer si la requérante avait conservé le centre de ses intérêts moraux et matériels en Guadeloupe ;

- les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation en jugeant que la persistance de la requérante à vouloir être affectée en Guadeloupe et que sa proche famille y résidait encore suffisaient à considérer que le centre de ses intérêts moraux et matériels est encore en Guadeloupe, Mme B... ne produisant aucune pièce permettant d'établir la fréquence de ses voyages en Guadeloupe, ne possédant ni bien foncier ni compte bancaire ou postal en Guadeloupe, ne payant ses impôts qu'en métropole, étant inscrite sur les listes électorales en métropole, ses enfants étant nés et scolarisés en métropole, n'ayant pas effectué au surplus de voyage en Guadeloupe hors de ses congés bonifiés et étant arrivée en métropole en 2001 ;

- l'appel formé par le département de l'Essonne est recevable et non dépourvu d'objet ;

- Mme B... n'a pas montré la persistance de sa volonté à être affectée en Guadeloupe dès lors que sa dernière demande de mutation date de 2018, plus de trois ans avant sa demande de congés bonifiés.

- le département de l'Essonne a toujours intérêt à agir et sa requête n'est pas dépourvue d'objet ;

Par un mémoire en défense et un mémoire, enregistrés le 23 mai et 6 septembre 2023, Mme B..., représentée par Me Durimel, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du département de l'Essonne en ce qu'il est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir ou mal fondé ;

2°) de confirmer le jugement frappé d'appel ;

3°) de rejeter les demandes du conseil départemental de l'Essonne ;

4°) de mettre à la charge du département de l'Essonne le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête du département de l'Essonne est devenue sans objet ;

- l'appel formé par le département doit être déclaré irrecevable pour défaut d'intérêt à agir ou en raison de son caractère infondé ;

- le jugement est suffisamment motivé ;

- elle justifie d'un faisceau d'indices suffisant pour considérer qu'elle a conservé le centre de ses intérêts moraux et matériels en Guadeloupe ;

- le tribunal a annulé à bon droit, sans commettre d'erreur d'appréciation, la décision du département de l'Essonne.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n° 78-399 du 20 mars 1978 relatif à la prise en charge des frais de voyage du congé bonifié accordé aux magistrats, aux fonctionnaires civils de l'Etat et aux agents publics de l'Etat recrutés en contrat à durée indéterminée ;

- le décret n° 88-168 du 15 février 1988 pris pour l'application des dispositions du deuxième alinéa du 1° de l'article 57 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Albertini,

- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,

- et les observations de Me Haas substituant Me de Froment, pour le département de l'Essonne et de Me Durimel, pour Mme B....

Une note en délibéré, enregistrée le 6 octobre 2023, a été présentée par Me Durimel pour Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., assistante de service social principal titulaire du département de l'Essonne, a demandé le 1er octobre 2021 à bénéficier de congés bonifiés pour se rendre en Guadeloupe à l'été 2022. Par une décision du 19 janvier 2022, le président du conseil départemental de l'Essonne a rejeté sa demande au motif que Mme B... n'aurait pas conservé le centre de ses intérêts moraux et matériels en Guadeloupe. Mme B... a formé alors un recours gracieux le 14 février 2022, rejeté par le département de l'Essonne le 24 mars 2022. Par un jugement n° 2204123 du 10 novembre 2022, le tribunal administratif de Versailles a annulé cette dernière décision. Le département de l'Essonne relève appel de ce jugement.

Sur l'exception de non-lieu à statuer opposée en défense par la commune de Colmar :

2. Un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif n'a d'autre objet que d'en faire prononcer l'annulation avec effet rétroactif. Si, avant que le juge n'ait statué, l'acte attaqué est rapporté par l'autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif faute d'être critiqué dans le délai du recours contentieux, il emporte alors disparition rétroactive de l'ordonnancement juridique de l'acte contesté, ce qui conduit à ce qu'il n'y ait lieu pour le juge de la légalité de statuer sur le mérite du pourvoi dont il était saisi. Il en va ainsi, quand bien même l'acte rapporté aurait reçu exécution. Dans le cas où l'administration se borne à procéder à l'abrogation de l'acte attaqué, cette circonstance prive d'objet le pourvoi formé à son encontre, à la double condition que cet acte n'ait reçu aucune exécution pendant la période où il était en vigueur et que la décision procédant à son abrogation soit devenue définitive.

3. Il est constant que la décision en litige du 19 janvier 2022 et la décision du 24 mars 2022 rejetant le recours gracieux de Mme B... n'ont pas été retirées, ni abrogées par le président du conseil départemental de l'Essonne. Si l'intimée fait valoir qu'une décision l'admettant au bénéfice d'un congé bonifié a nécessairement été prise après le prononcé du jugement contesté du 10 novembre 2022, lorsque l'autorité administrative, en exécution d'un jugement d'annulation, prend une nouvelle décision qui n'est motivée que par le souci de se conformer à ce jugement d'annulation, cette délivrance ne prive pas d'objet l'appel dirigé contre ce jugement. Dans ces conditions et alors que le juge administratif de l'excès de pouvoir apprécie en outre la légalité d'un acte administratif au regard des circonstances de droit et de fait existant à la date de son édiction, la présente requête n'a pas perdu son objet. Par suite, l'exception de non-lieu à statuer opposée en défense par Mme B... ne peut qu'être écartée

Sur le bien-fondé du jugement :

4. Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 " le fonctionnaire territorial originaire des départements de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique, de Mayotte, de La Réunion et de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon exerçant en métropole bénéficie du régime de congé institué pour les fonctionnaires de l'Etat ". Aux termes de l'article 1er du décret du 15 février 1988 pris pour l'application des dispositions du deuxième alinéa du 1° de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction issue du décret du 2 juillet 2020 portant réforme des congés bonifiés dans la fonction publique : " Sous réserve des dispositions du présent décret, le régime de congé dont bénéficient les fonctionnaires territoriaux dont le centre des intérêts moraux et matériels est situé en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin ou à Saint-Pierre-et-Miquelon et exerçant en métropole est défini par les dispositions des articles 2 à 11 du décret du 20 mars 1978 susvisé ". Enfin, selon les termes de l'article 1er du décret du 20 mars 1978 relatif à la prise en charge des frais de voyage du congé bonifié accordé aux magistrats, aux fonctionnaires civils de l'Etat et aux agents publics de l'Etat recrutés en contrat à durée indéterminée, dans sa rédaction alors applicable : " Les dispositions du présent décret s'appliquent (...) aux fonctionnaires relevant du statut général des fonctionnaires de l'Etat ainsi qu'aux agents publics recrutés en contrat à durée indéterminée par l'une des administrations mentionnées à l'article 2 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat qui exercent leurs fonctions : 1° En Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin ou à Saint-Pierre-et-Miquelon et dont le centre des intérêts moraux et matériels est situé soit sur le territoire européen de la France, soit dans une autre des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution ou en Nouvelle-Calédonie ; 2° Sur le territoire européen de la France si le centre de leurs intérêts moraux et matériels est situé dans l'une des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution ou en Nouvelle-Calédonie. "

5. Il résulte des dispositions précitées qu'il incombe aux agents demandant à bénéficier de congés bonifiés d'apporter les éléments permettant d'établir qu'ils ont leur " résidence habituelle ", c'est-à-dire le centre de leurs intérêts matériels et moraux, dans un département d'outre-mer. Pour apprécier la localisation du centre des intérêts matériels et moraux d'un fonctionnaire, il peut être tenu compte de son lieu de naissance, du lieu où se trouvent sa résidence et celle des membres de sa famille, du lieu où le fonctionnaire est soit propriétaire ou locataire de biens fonciers, soit titulaire de comptes bancaires, de comptes d'épargne ou de comptes postaux, ainsi que d'autres éléments d'appréciation parmi lesquels le lieu du domicile avant l'entrée dans la fonction publique de l'agent, celui où il a réalisé sa scolarité ou ses études, la volonté manifestée par l'agent à l'occasion de ses demandes de mutation et de ses affectations ou la localisation du centre des intérêts moraux et matériels de son conjoint ou partenaire au sein d'un pacte civil de solidarité. Cette localisation s'apprécie à la date de la décision prise sur chaque demande d'octroi du congé bonifié. Il incombe ainsi à l'administration d'apprécier le droit d'un agent à bénéficier de congés bonifiés sur la base d'un faisceau d'indices. La circonstance que le fonctionnaire a déjà bénéficié d'un tel congé est sans incidence sur la légalité de la décision en litige.

6. Mme B..., née en Guadeloupe le 13 août 1981 à Grand-Bourg où elle a effectué toute sa scolarité, est arrivée en métropole en septembre 2001 à l'âge de 20 ans afin de suivre une formation d'assistante de service social à Dieppe. Elle a ensuite intégré la fonction publique territoriale au sein de la Ville de Paris en 2007. Depuis 2008, Mme B... a bénéficié de congés bonifiés pour se rendre dans son département d'origine et a également émis le souhait, à plusieurs reprises, d'y être mutée en dernier lieu en 2017 et en 2018.

7. Pour retenir que Mme B... avait conservé en Guadeloupe le centre de ses intérêts matériels et moraux, seul moyen soulevé en première instance et réitéré en défense devant la cour, le tribunal administratif de Versailles s'est fondé sur la circonstance que Mme B... avait effectué sa scolarité en Guadeloupe, que sa mère y résidait et que Mme B... avait formulé, de 2017 à 2018, trois demandes de mutation en Guadeloupe. Or, cette dernière circonstance, qui constitue un élément de nature à démontrer la persistance du centre des intérêts matériels et moraux de la requérante en Guadeloupe, ne peut toutefois être regardé comme suffisant en l'espèce eu égard à l'ancienneté de la dernière demande de mutation à la date de la demande de congés bonifiés, formulée en 2021. Ces demandes étaient déjà anciennes de trois ans et n'apparaissaient pas avoir été renouvelées. En outre, il ressort des pièces du dossier que Mme B... est venue en métropole pour suivre une formation, et non pour postuler à un emploi public. Elle ne détenait aucun bien ni comptes bancaires en Guadeloupe lorsque le département a examiné sa demande de congés bonifiés pour l'été 2022. Elle acquitte ses impôts et est inscrite sur les listes électorales en métropole. Ses enfants sont nés en France métropolitaine et ils y sont scolarisés et la circonstance qu'elle a déjà bénéficié de congés bonifiés ne lui donne aucun droit acquis au renouvellement d'un congé bonifié qui lui a été accordé. Enfin, la circonstance que sa mère souffrirait de problèmes de santé n'est pas de nature à établir le lieu du centre de ses intérêts matériels et moraux. Dès lors, la décision du 24 mars 2022 attaquée a pu, sans erreur d'appréciation, refuser de lui accorder les congés bonifiés sollicités, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Versailles. Par suite, pour l'application des dispositions citées au point 3, Mme B... ne peut être regardée comme ayant conservé le centre de ses intérêts matériels et moraux dans son département d'origine.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le département de l'Essonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a annulé la décision du 24 mars 2022 portant refus de la demande de congé bonifié de Mme B.... Il est par suite fondé à demander l'annulation de ce jugement et le rejet de la demande de première instance de la requérante.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le département de l'Essonne, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, verse à Mme B... la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions du département de l'Essonne tendant à l'application de ces mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Versailles du 10 novembre 2022 est annulé.

Article 2 : La demande de Mme B... devant le tribunal administratif de Versailles est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par le département de l'Essonne tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au département de l'Essonne.

Délibéré après l'audience du 5 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Pilven, président-assesseur,

Mme Florent, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 octobre 2023.

L'assesseur le plus ancien,

J.-E. PILVENLe président-rapporteur,

P.-L. ALBERTINILa greffière,

F. PETIT-GALLAND

La République mande et ordonne au préfet de l'Essonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 22VE02879002


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE02879
Date de la décision : 26/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-08-03 Fonctionnaires et agents publics. - Rémunération. - Indemnités et avantages divers.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: M. Paul-Louis ALBERTINI
Rapporteur public ?: Mme VILLETTE
Avocat(s) : DE FROMENT

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-10-26;22ve02879 ?
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