Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par deux demandes séparées, Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision du 22 mai 2019 par laquelle le département de l'Essonne a décidé de lui retirer son agrément en qualité d'assistante familiale ainsi que la décision du 1er juillet 2019 par laquelle l'établissement public de santé Barthélémy Durand l'a licenciée à compter du 23 mai 2019 de son emploi d'assistante familiale.
Par un jugement n° 1905213 et n° 1905214 du 3 juin 2021, le tribunal administratif de Versailles a joint ces deux demandes et a annulé ces décisions.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 28 juillet 2021, le département de l'Essonne, représenté par Me Carrère, avocate, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Versailles ;
3°) de mettre à la charge de Mme D... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'absence de communication de deux rapports d'information préoccupante et d'un signalement destiné au procureur de la République n'a pas privé Mme D... d'une garantie et n'est donc pas de nature à entacher les décisions attaquées d'irrégularité ;
- en tout état de cause, l'absence de communication de ces documents était justifiée, dès lors que le recueil de tels renseignements est garanti par la confidentialité, qu'il n'était pas possible d'anonymiser ces documents de telle sorte que l'identité de leurs auteurs reste inconnue et qu'une telle communication risque de porter préjudice auxdits auteurs.
Par un mémoire, enregistré le 12 janvier 2022, l'établissement public de santé Barthélémy Durand, représenté par Me Lesné, avocate, conclut à l'annulation du jugement attaqué et à ce que soit mise à la charge de Mme D... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'il était en situation de compétence liée pour licencier Mme D... suite au retrait de son agrément.
Une mise en demeure a été adressée à Mme D..., qui n'a pas produit de mémoire.
Par ordonnance du président de la chambre du 9 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 29 juin 2023 à 12 heures, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions de l'établissement public de santé Barthélémy Durand en raison de la tardiveté de sa requête.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pham,
- les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteure publique,
- et les observations de Me Hubert-Hugoud pour le département de l'Essonne.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... D... a été agréée le 9 mars 2015 en qualité d'assistante familiale pour l'accueil de deux enfants par le président du conseil départemental des Yvelines. A compter du 22 décembre 2015, elle a obtenu le transfert de son agrément dans le département de l'Essonne. Elle a été recrutée en 2017 par l'établissement public de santé mentale Barthélémy Durand pour l'accueil familial thérapeutique de deux mineurs, B... et A..., qui lui ont été confiés respectivement à compter du 16 juin 2017 et du 11 décembre 2017. Le 12 septembre 2018, des propos de B..., laissant soupçonner des faits de maltraitance, relayés par deux courriers rédigés par deux assistantes familiales, ont été portés à la connaissance de la direction de la protection maternelle et infantile et de la santé du département de l'Essonne et ont fait l'objet d'une information préoccupante. B... a été retirée du placement familial chez Mme D... et ces informations, transmises au procureur de la République, ont fait l'objet d'une enquête judiciaire. Le président du conseil départemental de l'Essonne a mis en place une évaluation sociale et psychologique de Mme D... et, au vu de ces évaluations, l'a informée, par courrier du 28 mars 2019, qu'il envisageait de procéder au retrait de son agrément d'assistante familiale. Au cours du premier trimestre 2019, le signalement dont Mme D... a été l'objet a été classé sans suite. Lors de sa séance du 10 mai 2019, la commission consultative paritaire départementale a rendu, à l'unanimité, un avis favorable au retrait de son agrément. Par une décision en date du 22 mai 2019, le président du conseil départemental de l'Essonne a retiré à Mme D... son agrément en qualité d'assistante familiale. Le 1er juillet 2019, le directeur de l'établissement public de santé mentale Barthélémy Durand a procédé à son licenciement compte tenu de ce retrait. Par le jugement n° 1905213 et n° 1905214 du 3 juin 2021, le tribunal administratif de Versailles a fait droit aux demandes de Mme D... tendant à l'annulation de ces deux décisions. Le département de l'Essonne et l'établissement public de santé Barthélémy Durand relèvent appel de ce jugement.
Sur la recevabilité de la requête de l'établissement public de santé Barthélémy Durand :
2. Le mémoire de l'établissement public de santé Barthélémy Durand, qui a été présenté à tort comme un mémoire en défense alors qu'il conclut à l'annulation du jugement attaqué, doit être regardé comme une requête d'appel. Cette requête ayant été présentée après expiration du délai de recours contentieux, les conclusions et les moyens qui y sont invoqués sont irrecevables.
Sur le motif d'annulation retenu par les premiers juges :
3. Aux termes de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles : " L'agrément nécessaire pour exercer la profession (...) d'assistant familial est délivré par le président du conseil général du département où le demandeur réside. (...) L'agrément est accordé à ces deux professions si les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne. (...) ". Aux termes de l'article L. 421-6 du même code : " (...) Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil général peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. (...) ". Aux termes de l'article R. 421-23 du même code : " Lorsque le président du conseil départemental envisage de retirer un agrément, d'y apporter une restriction ou de ne pas le renouveler, il saisit pour avis la commission consultative paritaire départementale mentionnée à l'article R. 421-27 en lui indiquant les motifs de la décision envisagée. L'assistant maternel ou l'assistant familial concerné est informé, quinze jours au moins avant la date de la réunion de la commission, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, des motifs de la décision envisagée à son encontre, de la possibilité de consulter son dossier administratif et de présenter devant la commission ses observations écrites ou orales. La liste des représentants élus des assistants maternels et des assistants familiaux à la commission lui est communiquée dans les mêmes délais. L'intéressé peut se faire assister ou représenter par une personne de son choix. Les représentants élus des assistants maternels et des assistants familiaux à la commission sont informés, quinze jours au moins avant la date de la réunion de la commission, des dossiers qui y seront examinés et des coordonnées complètes des assistants maternels et des assistants familiaux dont le président du conseil départemental envisage de retirer, restreindre ou ne pas renouveler l'agrément. Sauf opposition de ces personnes, ils ont accès à leur dossier administratif. La commission délibère hors la présence de l'intéressé et de la personne qui l'assiste. " Et, aux termes de l'article L. 226-2-2 du code de l'action sociale et des familles : " Par exception à l'article 226-13 du code pénal, les personnes soumises au secret professionnel qui mettent en œuvre la politique de protection de l'enfance définie à l'article L. 112-3 ou qui lui apportent leur concours sont autorisées à partager entre elles des informations à caractère secret afin d'évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en oeuvre les actions de protection et d'aide dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier. Le partage des informations relatives à une situation individuelle est strictement limité à ce qui est nécessaire à l'accomplissement de la mission de protection de l'enfance. Le père, la mère, toute autre personne exerçant l'autorité parentale, le tuteur, l'enfant en fonction de son âge et de sa maturité sont préalablement informés, selon des modalités adaptées, sauf si cette information est contraire à l'intérêt de l'enfant. ".
4. Le droit pour l'assistante familiale de consulter son dossier administratif en vertu des dispositions de l'article R. 421- 3 du code de l'action sociale et des familles doit être entendu comme visant l'intégralité du dossier. C'est seulement lorsque l'accès à certains des éléments figurant dans ce dossier administratif, et notamment à l'identité de certains témoins, serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'administration doit se limiter à une information suffisamment circonstanciée de leur teneur. Dans ce cas, l'administration doit informer l'intéressée, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur, de telle sorte qu'elle puisse se défendre utilement.
5. Pour annuler les décisions attaquées, les premiers juges ont considéré que Mme D... avait consulté son dossier administratif mais qu'elle n'avait pas eu accès à certains documents y figurant, à savoir un signalement au parquet du tribunal de grande instance d'Evry et deux rapports d'information préoccupante sur la base desquels le parquet avait ordonné l'ouverture d'une enquête pénale, bien qu'elle en eut demandé la communication lors de la consultation de son dossier administratif et postérieurement à cette consultation, par courrier du 2 mai 2019, qu'il n'était pas établi que l'accès à de tels documents aurait été de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs, que le département de l'Essonne n'apportait pas la preuve d'avoir donné à Mme D... une information suffisamment circonstanciée sur la teneur de ces documents, et que dans ces conditions Mme D... devait être regardée comme ayant été privée d'une garantie au regard de son droit à la communication intégrale de son dossier.
6. Toutefois, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
7. Si l'avis de la commission consultative paritaire départementale du 10 mai 2019 et la décision de retrait d'agrément du 22 mai 2019 mentionnent les informations portées à la connaissance du procureur de la République, cette mention a pour seul objet de résumer la procédure et d'indiquer que ces informations ont amené le département à diligenter une évaluation de Mme D.... Pour autant, cette décision et cet avis fondent le retrait d'agrément exclusivement sur les nombreux éléments recueillis au cours des évaluations psychologique et sociale, qu'ils énumèrent et détaillent de façon précise. Par ailleurs, Mme D... a refusé la communication de son dossier à la commission consultative paritaire départementale, ainsi qu'elle était en droit de le faire en application de l'article R. 421-23 du code de l'action sociale et des familles, si bien que cette commission n'a pas eu connaissance des documents transmis au Procureur de la République. Par suite, les pièces non transmises à Mme D... n'ont pas été susceptibles d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise et leur absence de communication n'a pas privé la requérante d'une garantie.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le département de l'Essonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles s'est fondé sur ce moyen pour annuler la décision du 22 mai 2019 et la décision de licenciement de Mme D....
9. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme D... devant le tribunal administratif de Versailles.
Sur les autres moyens soulevés par Mme D... :
10. La décision de retrait d'agrément du 22 mai 2019 est motivée par l'incapacité de Mme D... à s'adapter aux besoins éducatifs des jeunes qui lui sont confiés et à favoriser leur sécurité affective, par son manque de collaboration avec les autres professionnels, par le manque de questionnement de ses pratiques professionnelles, ainsi que par son positionnement problématique par rapport aux familles naturelles des enfants. Ces griefs sont établis par les rapports rédigés suite à ses évaluations psychologique et sociale, qui sont concordants. Selon ces rapports, le projet professionnel de Mme D... est centré uniquement sur ses besoins, à savoir la réalisation d'occupations quotidiennes, et non sur ceux des enfants, dont elle néglige l'évolution psycho-affective. Elle n'envisage pas d'adapter ce projet en fonction de son employeur, des enfants qu'elle a en charge, ou de l'évolution de sa propre situation familiale. Elle-même est dissociée de ses affects, si bien qu'il lui est difficile de faire preuve d'empathie et de se montrer réceptive aux besoins des enfants. Ces rapports, ainsi que la décision attaquée, énumèrent plusieurs comportements éducatifs inadaptés de sa part, notamment des punitions répétées et disproportionnées envers la jeune B... dont elle parle en termes négatifs. Les rapports et la décision attaquée indiquent également que Mme D... dénigre systématiquement les actions des parents naturels, et qu'elle envisage l'accueil familial comme une possibilité de construire sa propre famille. Elle prend insuffisamment en compte les avis des autres professionnels et ne se remet jamais en cause, préférant chercher des modes d'emploi auprès de personnes de sa connaissance. Si Mme D... conteste la réalité des griefs qui lui sont reprochés, elle ne produit aucun document permettant d'infirmer ces constatations. L'absence d'engagement de poursuites pénales à son encontre n'entache pas la décision attaquée d'erreur de droit ou de fait, dès lors que cette décision ne se fonde pas sur l'engagement d'une procédure pénale, mais sur des faits établis par les évaluations sociale et psychologique de l'intéressée.
11. D'autre part, contrairement à ce que soutient la requérante, ces agissements ne sont pas dépourvus de conséquences sur la santé, la sécurité et l'épanouissement des enfants qu'elle accueille dès lors que les rapports d'évaluation sociale et psychologique ont souligné les répercussions négatives de ses comportements sur les enfants accueillis. Par suite, les manquements de Mme D... sont de nature à justifier le retrait de son agrément. Les moyens tirés de l'erreur de droit, de l'erreur de fait et de l'erreur d'appréciation doivent en conséquence être écartés.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le département de l'Essonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a annulé la décision du 22 mai 2019.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D... une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le département de l'Essonne et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'établissement public de santé mentale Barthelemy Durand est rejetée comme irrecevable.
Article 2 : Le jugement n° 1905213 et n° 1905214 du 3 juin 2021 du tribunal administratif de Versailles est annulé.
Article 3 : La demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Versailles est rejetée.
Article 4 : Mme D... versera au département de l'Essonne la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au conseil départemental de l'Essonne, à l'établissement public de santé Barthelemy Durand, à Mme D... et au ministre des solidarités et des familles.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Le Gars, présidente,
Mme Pham, première conseillère,
Mme Bonfils, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2023.
La rapporteure,
C. PHAM La présidente,
A-C. LE GARS
La greffière,
V. MALAGOLI
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et des familles en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
2
N° 21VE02210