Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Vert-Marine a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler le marché conclu entre la communauté d'agglomération de la vallée de Montmorency et la société Ellipse en vue de l'exploitation de l'espace nautique intercommunal " La Vague ", situé à Soisy-sous-Montmorency et de condamner la communauté d'agglomération de la vallée de Montmorency à lui verser la somme totale de 183 200 euros en réparation de son préjudice, né de son éviction illégale de l'attribution du marché, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation.
Par un jugement avant-dire droit du 21 décembre 2017, le tribunal a sursis à statuer sur la requête de la société Vert-Marine jusqu'à ce que le tribunal de grande instance de Pontoise se soit prononcé sur la convention collective applicable aux salariés de la société Ellipse, aux droits de laquelle est venue la société S-Pass, pour l'exécution du marché en litige.
Par un jugement n° 1505927 du 10 juillet 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné la communauté d'agglomération Plaine Vallée, qui s'est substituée à la communauté d'agglomération de la vallée de Montmorency, à verser à la société Vert-Marine la somme de 93 200 euros en réparation de son préjudice né de son éviction illégale de l'attribution du marché, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2015 et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 8 juillet 2016.
Procédure devant la cour :
I- Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n° 20VE02350, les 9 septembre 2020, 31 mars 2021, 19 juillet 2021 et 11 août 2022, la communauté d'agglomération Plaine Vallée (CAPV), représentée par Me Gentilhomme, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 10 juillet 2020 ;
2°) de rejeter la demande présentée par la société Vert-Marine devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;
3°) de mettre à la charge de la société Vert-Marine la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé en ce que le tribunal n'a pas répondu, ou à tout le moins, a insuffisamment répondu au moyen de défense tiré de ce que l'emploi d'une convention collective inapplicable au marché ne constitue pas un problème de passation du contrat mais une difficulté d'exécution du marché ou bien éventuellement un problème relatif à la candidature de l'entreprise et non à son offre ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'offre de la société Ellipse aurait dû être écartée comme inacceptable au seul motif qu'elle faisait mention d'une convention collective ELAC inapplicable sans rechercher si cette convention collective était incompatible avec la convention collective nationale du sport (CCNS), jugée applicable par le juge judiciaire en réponse à la question préjudicielle posée par le tribunal, et notamment sans rechercher si l'écart de rémunération éventuellement causé par l'application de la convention ELAC contrevenait au minimum salarié fixé par la CCNS, ce que ne démontrait pas la société Vert-Marine ; après analyse, il apparaît que l'écart de coût entre les deux conventions représente en moyenne un peu plus de 5 % du montant de la masse salariale ; en 2015, année d'attribution du contrat, il existait un doute sérieux quant à l'applicabilité de l'une ou l'autre convention au regard de la jurisprudence judiciaire et les documents de la consultation ne prévoyaient pas l'application d'une convention spécifique ; à compter de l'avenant du 6 novembre 2009 et de l'arrêté du ministre du travail du 7 avril 2010, le champ d'application de la CCNS du 7 juillet 2005 a été étendu aux activités de gestion d'installations sportives, ce qui entre en contradiction avec les dispositions des articles L. 2222-1 et L. 2261-2 du code du travail dès lors que le champ d'application des conventions collectives est déterminé sur la base du critère de l'activité économique principale réellement exercée par l'employeur ; enfin, le manquement soulevé par la société Vert-Marine est sans lien avec son éviction, celle-ci ayant été classée seconde en raison du caractère insuffisant de son offre technique ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré que la société Vert-Marine avait une chance sérieuse d'emporter le marché dès lors que son offre ne s'adaptait pas aux spécificités du site malgré une phase de négociation ; dans l'hypothèse de cette concurrence limitée, le pouvoir adjudicateur aurait nécessairement déclaré sans suite la procédure ; il n'est pas exclu en outre que l'offre de la société Vert-Marine aurait pu être déclarée inacceptable, irrégulière ou inappropriée ; l'incertitude jurisprudentielle a par ailleurs privé la CAPV de la possibilité de demander à la société Ellipse de régulariser son offre ; si une telle régularisation avait été opérée, la société Ellipse aurait nécessairement remporté le marché ; en effet, contrairement à ce que tente de démontrer la société Vert-Marine, l'application de la convention ELAC n'a pas permis à la société Ellipse de présenter une offre moins onéreuse dès lors que la société Vert-Marine avait obtenu la note maximale sur le critère prix, de sorte que l'application de la mauvaise convention n'a pas eu de conséquence sur son classement ; eu égard à ce qui a été dit précédemment, il convient d'apprécier en définitive si, compte tenu de l'augmentation de 5 % qu'aurait impliquée l'application de la CCNS sur le montant de l'offre de la société Ellipse, sa note finale aurait pu être inférieure à celle de la société Vert-Marine or tel n'est pas le cas ;
- c'est à tort que les premiers juges ont évalué le manque à gagner de la société Vert-Marine sur la base de la seule attestation de l'expert-comptable de la société, le montant apparaissant manifestement excessif.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 6 avril 2021, 26 mai 2021, 30 juin 2021 et un dernier mémoire enregistré le 6 février 2023, qu'il n'a pas été jugé utile de communiquer, la société Vert-Marine, représentée en dernier lieu par la SELARL Audicit, avocat, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- d'annuler le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 10 juillet 2020 en tant qu'il a refusé de faire droit à sa demande d'annulation du contrat conclu le 13 mai 2015 entre la communauté d'agglomération Plaine Vallée et la société Ellipse et a limité à la somme de 93 200 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné la communauté d'agglomération Plaine Vallée en réparation de son préjudice à la suite de son éviction illégale ;
- d'annuler le contrat conclu le 13 mai 2015 ;
- de condamner la communauté d'agglomération Plaine Vallée à lui verser la somme complémentaire de 79 800 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la requête de première instance et de la capitalisation de ces intérêts ;
3°) de mettre à la charge de toute partie succombante la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les moyens soulevés par la CAPV sont infondés ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé que le vice en cause n'était pas de nature à entraîner l'annulation du marché alors qu'il traduit la volonté de la CAPV de favoriser la société S-Pass ;
- c'est à tort que les premiers juges ont limité son droit à indemnisation à la seule période initiale du marché dès lors qu'il est établi que le marché a été effectivement reconduit jusqu'en 2019.
Par une intervention, enregistrée les 14 avril, 28 mai et 19 juillet 2021 et un dernier mémoire enregistré le 24 février 2023, qu'il n'a pas été jugé utile de communiquer, la société S-Pass, représentée par Me Cabanes, avocat, demande à la cour qu'il soit fait droit aux conclusions de la requête n° 20VE02350 par les mêmes moyens que ceux exposés par la communauté d'agglomération Plaine Vallée et de mettre à la charge de la société Vert-Marine la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
II- Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n° 20VE02399, les 15 septembre 2020, 14 avril 2021, 28 mai 2021, 19 juillet 2021 et un mémoire enregistré le 24 février 2023, qu'il n'a pas été jugé utile de communiquer, la société S-Pass, représentée par Me Cabanes, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 10 juillet 2020 ;
2°) de rejeter la demande présentée par la société Vert-Marine devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;
3°) de mettre à la charge de la société Vert-Marine la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a considéré que la société Vert-Marine avait été lésée par le manquement qu'elle invoque dès lors que l'annonce dans l'offre d'une convention collective réputée plus favorable sur la rémunération des salariés n'a pas permis à la société Ellipse d'obtenir la meilleure note sur le critère du prix ;
- c'est encore à tort que le tribunal a estimé que l'offre de la société Ellipse aurait dû être écartée comme inacceptable, dès lors que l'emploi d'une convention collective inapplicable au marché ne constitue pas un problème de passation du contrat mais une difficulté d'exécution du marché et ne saurait, en conséquence, relever de l'office du juge saisi d'un recours en contestation de validité du contrat ; il ne revenait pas par ailleurs au pouvoir adjudicateur de vérifier la convention collective applicable aux rapports entre le futur titulaire et ses salariés dès lors que les documents de la consultation ne comportaient aucune exigence d'application d'une convention collective déterminée.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 6 avril 2021, 26 mai 2021, 30 juin 2021 et 23 janvier 2023, la société Vert-Marine, représentée par la SELARL Audicit, avocat, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- d'annuler le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 10 juillet 2020 en tant qu'il a refusé de faire droit à sa demande d'annulation du contrat conclu le 13 mai 2015 entre la communauté d'agglomération Plaine Vallée et la société Ellipse et a limité à la somme de 93 200 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné la communauté d'agglomération Plaine Vallée en réparation de son préjudice à la suite de son éviction illégale ;
- d'annuler le contrat conclu le 13 mai 2015 ;
- de condamner la communauté d'agglomération Plaine Vallée à lui verser la somme de complémentaire de 79 800 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la requête de première instance et de la capitalisation de ces intérêts ;
3°) de mettre à la charge de toute partie succombante la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir les mêmes moyens que ceux invoqués sous la requête n° 20VE02350.
Par une intervention, enregistrée les 31 mars et 19 juillet 2021, la communauté d'agglomération Plaine Vallée, représentée par Me Gentilhomme, avocat, demande qu'il soit fait droit aux conclusions de la requête n° 20VE02399 par les mêmes moyens que ceux qu'elle a exposés sous la requête n° 20VE02350 et de mettre à la charge de la société Vert-Marine la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par une ordonnance du 24 janvier 2023, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 24 février 2023 à 12 h 00.
Par un courrier du 17 juillet 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de la tardiveté de la requête d'appel de la société S-Pass.
Par un mémoire, enregistré le 24 juillet 2023, la société S-Pass a présenté ses observations en réponse au moyen relevé d'office.
Par un courrier du 24 août 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré du défaut d'intérêt pour faire appel de la société S-Pass.
Par un mémoire, enregistré le 31 août 2023, la société S-Pass a présenté ses observations en réponse au second moyen relevé d'office.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Florent,
- les conclusions de Mme Villette, rapporteure publique,
- et les observations de Me Guranna, pour la communauté d'agglomération Plaine Vallée, de Me Boyer, pour la société Vert-Marine, et de Me Habibi Alaoui, pour la société S-Pass.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) le 3 juillet 2014, la communauté d'agglomération de la Vallée de Montmorency a engagé une procédure adaptée en vue de la passation d'un marché public de services ayant pour objet l'exploitation de l'espace nautique intercommunal " La Vague ", situé à Soisy-sous-Montmorency. La société Vert-Marine, dont l'offre a été classée en seconde position, a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise en vue d'obtenir l'annulation de ce marché attribué le 13 mai 2015 à la société Ellipse, aux droits de laquelle vient la société S-Pass, ainsi que la condamnation de la communauté d'agglomération de la Vallée de Montmorency, à laquelle s'est substituée la communauté d'agglomération Plaine Vallée, à lui verser une somme totale de 183 200 euros en réparation du préjudice subi du fait de son éviction. Après avoir, par un jugement avant-dire droit du 21 décembre 2017, transmis au tribunal de grande instance de Pontoise la question de la détermination de la convention collective applicable aux salariés de l'espace nautique pour l'exécution du marché en litige, le tribunal a, par un jugement du 10 juillet 2020, condamné la communauté d'agglomération Plaine Vallée à verser à la société Vert-Marine la somme de 93 200 euros en réparation de son préjudice lié à son éviction illégale du marché. Par deux requêtes n° 20VE02350 et 20VE02399 qui présentent des questions semblables et qu'il y a lieu de joindre pour statuer par un seul arrêt, la communauté d'agglomération Plaine Vallée et la société S-Pass relèvent appel de ce jugement. Par la voie de l'appel incident, la société Vert-Marine demande à la cour d'annuler le jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation du marché litigieux et rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires à hauteur de la somme de 79 800 euros.
Sur la requête n° 20VE02399 présentée par la société S-Pass :
2. L'intérêt à faire appel d'un jugement s'apprécie par rapport à son dispositif et non par rapport à ses motifs. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté les conclusions de la société Vert-Marine tendant à l'annulation du contrat conclu avec la société S-Pass au motif que le vice constaté n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier une telle décision et s'est borné à condamner la communauté d'agglomération Plaine Vallée à indemniser la société Vert-Marine. Si dans l'appel qu'elle forme contre ce jugement, la société S-Pass demande de constater que le contrat litigieux n'était entaché d'aucune irrégularité, ces conclusions ne sont pas dirigées contre le dispositif du jugement mais contre ses motifs. Par suite, la requête de la société, dépourvue d'intérêt à faire appel, doit être rejetée comme irrecevable. Il en est de même, par voie de conséquence, de l'appel incident formé par la société Vert-Marine sur cette requête et de l'intervention de la communauté d'agglomération Plaine Vallée.
Sur la requête n° 20VE02350 présentée par la communauté d'agglomération Plaine Vallée :
En ce qui concerne l'intervention de la société S-Pass :
3. Aux termes de l'article R. 632-1 du code de justice administrative : " L'intervention est formée par mémoire distinct. / Les dispositions du chapitre IV du titre Ier du livre IV relatif à la transmission des requêtes par voie électronique sont applicables aux interventions. / Le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction ordonne, s'il y a lieu, que ce mémoire en intervention soit communiqué aux parties et fixe le délai imparti à celles-ci pour y répondre. / Néanmoins, le jugement de l'affaire principale qui est instruite ne peut être retardé par une intervention. ".
4. L'arrêt à rendre sur la requête de la communauté d'agglomération Plaine Vallée est susceptible de préjudicier aux droits de la société S-Pass qui a par ailleurs également fait appel du même jugement. Dès lors, l'intervention de la société S-Pass est recevable.
En ce qui concerne la régularité du jugement :
5. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des termes du jugement attaqué, en particulier du point 6, que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, en jugeant l'offre de la société Ellipse inacceptable, a implicitement mais nécessairement répondu au moyen de défense de la communauté d'agglomération tiré de ce que l'emploi d'une convention collective inapplicable au marché ne constitue pas un problème de passation du contrat mais une difficulté d'exécution du marché, ou bien éventuellement un problème relatif à la candidature de l'entreprise et non à son offre, et a par ailleurs pris en considération l'ensemble des éléments soumis à son appréciation en répondant par un jugement qui est suffisamment motivé à l'ensemble des moyens soulevés en défense. Dans ces conditions, les premiers juges, qui se sont prononcés sur l'ensemble des conclusions et moyens dont ils étaient saisis, n'ont entaché leur jugement ni d'omission à statuer, ni d'insuffisance de motivation.
6. En outre, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La communauté d'agglomération Plaine Vallée ne peut donc utilement se prévaloir de l'erreur de droit, de l'erreur d'appréciation ou encore de la dénaturation des pièces du dossier qu'auraient commises les premiers juges, pour demander l'annulation du jugement attaqué.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
S'agissant des conclusions de l'appel principal :
7. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.
8. Saisi ainsi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.
Quant à l'existence d'un vice entachant la validité du contrat :
9. Aux termes du III de l'article 53 du code des marchés publics, alors en vigueur : " Les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables sont éliminées. Les autres offres sont classées par ordre décroissant. L'offre la mieux classée est retenue (...) ". Selon l'article 35 de ce même code : " (...) Une offre est inacceptable si les conditions qui sont prévues pour son exécution méconnaissent la législation en vigueur (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 2261-15 du code du travail : " Les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel (...) peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective (...) ".
10. En premier lieu, il résulte des dispositions du code du travail citées au point précédent que les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel rendues obligatoires par arrêté ministériel s'imposent aux candidats à l'octroi d'un marché public lorsqu'ils entrent dans le champ d'application de cette convention. Par suite, une offre mentionnant une convention collective inapplicable ou méconnaissant la convention applicable méconnaît la législation en vigueur au sens des dispositions de l'article 35 du code des marchés publics et doit être écartée par le pouvoir adjudicateur comme inacceptable, sans qu'il y ait lieu de rechercher si cette irrégularité pouvait constituer un avantage pour le candidat ou si les documents de la consultation prescrivaient l'application d'une convention collective déterminée et sans qu'y fasse obstacle la circonstance que l'article L. 2253-3 du code du travail autorise les accords d'entreprise à déroger à certaines clauses des conventions collectives.
11. En deuxième lieu, lorsque, à l'occasion d'un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative, une contestation sérieuse s'élève sur la détermination de la convention ou l'accord collectif de travail applicable à une entreprise, il appartient au juge saisi de ce litige de surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la question préjudicielle que présente à juger cette contestation, sauf s'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal.
12. Il est constant que l'offre de la société Vert-Marine a été classée en deuxième position par le pouvoir adjudicateur, après avoir obtenu la note de 85,5 sur 100. Par ailleurs, il n'est aucunement établi par la communauté d'agglomération Plaine Vallée que cette offre aurait été inappropriée, irrégulière ou inacceptable. Dès lors, le manquement tiré de ce que l'offre de la société attributaire était inacceptable et ne pouvait, pour ce motif, être retenue est en rapport direct avec l'éviction de la société Vert-Marine et peut être utilement invoqué à l'appui de ses conclusions.
13. Il résulte de l'instruction, et plus particulièrement des documents budgétaires et financiers fournis par la société Ellipse à l'appui de son offre, ainsi que des réponses données au pouvoir adjudicateur au cours de la phase de négociations, que les conditions prévues par cette société pour l'exploitation de l'espace nautique prévoient l'application de la convention collective des espaces de loisirs, d'attractions et culturels (ELAC) aux salariés placés sous sa responsabilité. Il résulte toutefois de la réponse apportée par le tribunal de grande instance de Pontoise à la question préjudicielle qui lui a été posée par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise que ses employés devaient se voir appliquer la convention collective nationale du sport du 7 juillet 2005, dont il est au demeurant admis que les conditions sont plus favorables que celles de la convention collective ELAC en matière de rémunération, et dont le champ d'application a été étendu aux entreprises de droit privé à but lucratif exerçant à titre principal des activités récréatives ou de loisirs sportifs par l'arrêté du 7 avril 2010 portant extension de l'avenant n° 37 bis du 6 novembre 2009. Contrairement par ailleurs à ce que soutient la communauté d'agglomération Plaine Vallée, cette application ne méconnaît pas l'article L. 2222-1 du code du travail qui prévoit seulement que les partenaires sociaux déterminent le champ d'application des conventions de branche en termes d'activités économiques. Par conséquent, sans qu'y fassent obstacle les difficultés alléguées par la communauté d'agglomération quant à la détermination de la convention collective applicable et alors même que le pouvoir adjudicateur disposait de la faculté de solliciter la régularisation de cette offre au cours des négociations, l'offre présentée par la société Ellipse, dont les conditions prévues pour son exécution méconnaissent la législation et la réglementation sociales en vigueur, devait être écartée comme inacceptable. Par suite, la communauté d'agglomération Plaine Vallée n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a accueilli le moyen tiré de ce que la communauté d'agglomération a entaché sa procédure de passation d'irrégularité en classant et retenant l'offre finale de la société Ellipse.
Quant à l'indemnisation de la société Vert-Marine :
14. D'une part, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.
15. D'autre part, lorsqu'il est saisi par une entreprise qui a droit à l'indemnisation de son manque à gagner du fait de son éviction irrégulière à l'attribution d'un marché, il appartient au juge d'apprécier dans quelle mesure ce préjudice présente un caractère certain. Dans le cas où le marché est susceptible de faire l'objet d'une ou de plusieurs reconductions si le pouvoir adjudicateur ne s'y oppose pas, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu'en tant qu'il porte sur la période d'exécution initiale du contrat, et non sur les périodes ultérieures qui ne peuvent résulter que d'éventuelles reconductions.
16. Il résulte de l'instruction que la société Vert-Marine a été admise à participer aux négociations et que son offre, dont il n'est pas établi qu'elle aurait été inappropriée, irrégulière ou inacceptable, a été classée en deuxième position par le pouvoir adjudicateur, avec une note globale de 85,5/100 contre 92,10/100 pour la société Ellipse, après avoir en particulier obtenu la meilleure note s'agissant du critère du prix et de l'un des deux sous-critères permettant d'évaluer la valeur technique du projet. Dans ces conditions et alors qu'il ne résulte d'aucune des pièces versées aux débats que la communauté d'agglomération aurait été conduite, comme elle le soutient, à déclarer la procédure infructueuse ou sans suite si elle avait éliminé l'offre de la société Ellipse comme inacceptable, l'irrégularité relevée au point 13 a privé la société Vert-Marine d'une chance sérieuse de remporter le contrat.
17. Pour justifier de la réalité et du quantum de ce manque à gagner, la société Vert-Marine verse aux débats le compte prévisionnel d'exploitation qu'elle avait joint à son offre, ainsi qu'une attestation établie par un expert-comptable, dont il résulte que la marge bénéficiaire totale dont elle aurait pu bénéficier sur la durée initiale du marché, si son offre avait été retenue, peut être évaluée à 93 200 euros. Cette évaluation n'est pas sérieusement contredite par la communauté d'agglomération Plaine Vallée qui se borne à soutenir que cette évaluation est manifestement excessive sans produire aucun élément de nature à démontrer un taux de marge inférieur généralement pratiqué par les entreprises du secteur.
18. Il résulte de tout ce qui précède que la communauté d'agglomération Plaine Vallée n'est pas fondée à soutenir c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise l'a condamnée à verser à la société Vert-Marine une indemnité de 93 200 euros en réparation de son préjudice assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 juillet 2015 et de la capitalisation de ces intérêts au 8 juillet 2016, puis à chaque échéance annuelle.
S'agissant des conclusions de l'appel incident :
19. Si le marché litigieux, qui est arrivé à son terme en octobre 2019, a été attribué à une société dont l'offre aurait dû être éliminée comme inacceptable, une telle irrégularité n'est pas constitutive d'un vice du consentement et ne rend pas illicite le contenu du contrat. Par ailleurs, en l'absence de circonstances particulières, et notamment d'éléments révélant une volonté de la communauté d'agglomération de favoriser la société Ellipse, cette irrégularité ne peut davantage être regardée comme d'une gravité telle qu'elle implique que soit prononcée l'annulation du contrat. Par suite, la société Vert-Marine n'est pas fondée à soutenir par la voie de l'appel incident que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande d'annulation. En outre, le marché ayant été entièrement exécuté à la date du présent arrêt, il n'y a pas davantage lieu d'en prononcer la résiliation ou la régularisation.
20. Par ailleurs, l'article 4.1 du cahier des clauses administratives particulières prévoit que le marché est conclu pour une durée initiale de vingt-sept mois, reconductible pour vingt-quatre mois supplémentaires. Dès lors, le manque à gagner de la société requérante ne revêt un caractère certain que pour la période d'exécution initiale de vingt-sept mois, alors même que le contrat a été effectivement reconduit avec la société Ellipse. Enfin, l'indemnisation du manque à gagner intègre l'indemnisation des frais exposés par la société Vert-Marine pour la présentation de sa candidature et de son offre dès lors que ceux-ci sont réputés avoir été intégrés dans ses charges. Par suite, la société Vert-Marine n'est pas fondée à demander, par la voie de l'appel incident, que soit porté à 173 200 euros le montant de l'indemnisation de son préjudice né de son éviction illégale de l'attribution du marché.
Sur les frais relatifs aux instances d'appel :
21. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ". En application des dispositions précitées, il y a lieu de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Plaine Vallée et de la société S-Pass la somme de 2 000 euros chacune au titre des frais exposés par la société Vert-Marine et non compris dans les dépens. En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soient mises à la charge de la société Vert-Marine, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes dont la communauté d'agglomération et la société S-Pass demandent le versement au même titre. Enfin, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font en tout état de cause obstacle à ce que soit allouée à la société S-Pass la somme que celle-ci demande en sa qualité d'intervenante à l'instance n° 20VE02350, dès lors qu'elle n'a pas la qualité de partie à cette instance.
D E C I D E :
Article 1er : L'intervention de la société S-Pass au soutien de la requête n° 20VE02350 est admise.
Article 2 : La requête n° 20VE02350 de la communauté d'agglomération Plaine Vallée est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de la société Vert-Marine présentées par la voie de l'appel incident sur la requête n° 20VE02350 sont rejetées.
Article 4 : La requête n° 20VE02399 de la société S-Pass est rejetée.
Article 5 : L'intervention de la communauté d'agglomération Plaine Vallée au soutien de la requête n° 20VE02399 n'est pas admise.
Article 6 : Les conclusions de la société Vert-Marine présentées par la voie de l'appel incident sur la requête n° 20VE02399 sont rejetées.
Article 7 : La communauté d'agglomération Plaine Vallée et la société S-Pass verseront à la société Vert-Marine la somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 8 : Les conclusions de la société S-Pass, présentées en qualité d'intervenante dans la requête n° 20VE02350 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à la communauté d'agglomération Plaine Vallée, à la société S-Pass et à la société Vert-Marine.
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Albertini, président de chambre,
M. Pilven, président assesseur,
Mme Florent, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 septembre 2023.
La rapporteure,
J. FLORENTLe président,
P-L. ALBERTINILa greffière,
S. DIABOUGA
La République mande et ordonne au préfet du Val-d'Oise en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 20VE02350, 20VE02399