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29/08/2023 | FRANCE | N°21VE01749

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 29 août 2023, 21VE01749


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... D... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision du 20 décembre 2018 par laquelle le maire de la commune de Montgeron a décidé d'exercer le droit de préemption sur le bail commercial concernant des locaux situés 62 avenue de la République, à Montgeron et de mettre à la charge de la commune la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1901368 du 16 avril 2021, le tribunal administratif de Versailles

a annulé cette décision et mis à la charge de la commune la somme de 1 500 eur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... D... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision du 20 décembre 2018 par laquelle le maire de la commune de Montgeron a décidé d'exercer le droit de préemption sur le bail commercial concernant des locaux situés 62 avenue de la République, à Montgeron et de mettre à la charge de la commune la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1901368 du 16 avril 2021, le tribunal administratif de Versailles a annulé cette décision et mis à la charge de la commune la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 juin 2021 et des mémoires enregistrés les 19 mai et 23 juin 2023, la commune de Montgeron, représentée par Me Saint-Supery, avocate, demande à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler ce jugement ;

2°) et de rejeter les conclusions présentées devant le tribunal administratif de Versailles par Mme D... ainsi que l'intervention formée par Mme B... ;

3°) à titre subsidiaire, de renvoyer la question de la validité de la résiliation du bail commercial au juge judiciaire ;

4°) de mettre à la charge de Mmes D... et B... la somme de 4 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier, dès lors qu'il est insuffisamment motivé quant à la date d'effet de résiliation du bail et quant au caractère tardif de la notification de la rétractation de Mme D... ;

- le jugement est également irrégulier, faute d'avoir renvoyé la question de la validité de la résiliation du bail commercial au juge judiciaire ;

- ni Mme D... ni Mme B... ne justifient d'un intérêt légitime leur donnant qualité pour agir, leur démarche ne visant qu'à sauvegarder une situation frauduleuse ; l'intervention de Mme B... en première instance était donc irrecevable ;

- les premiers juges ont entaché le jugement attaqué d'une contradiction de motifs, dès lors qu'ils ont, d'une part, écarté la fin de non-recevoir au regard de la validité du nouveau bail commercial, et, d'autre part, estimé qu'il ne leur appartenait pas de se prononcer sur la validité du bail commercial initial ;

- la rétractation de Mme D... ne pouvait être de nature à faire obstacle à l'usage du droit de préemption, dès lors qu'elle est intervenue postérieurement à la notification de la décision de préemption ;

- cette rétractation s'inscrit dans une manœuvre frauduleuse destinée à contourner le droit de préemption de la commune ; à titre subsidiaire, si la cour estimait que cette question pose une difficulté sérieuse, elle devra renvoyer la question de la validité du bail commercial au juge judiciaire ;

- les moyens invoqués en première instance sont infondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 janvier 2022, Mme F... A... C... épouse B..., représentée par Me Bovis, avocat, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête d'appel de la commune de Montgeron ;

2°) de confirmer le jugement attaqué ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Montgeron la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- elle justifie d'un intérêt légitime à intervenir à l'instance, en l'absence de démarche frauduleuse de sa part ;

- la décision de préemption du 20 décembre 2018 est illégale, dès lors qu'elle n'a pas été valablement notifiée au bailleur et que Mme D... pouvait se rétracter en l'absence de signature d'une promesse de vente.

Par des mémoires en défense enregistrés les 19 mai 2023 et 22 juin 2023, Mme D..., représentée par Me Domisse, avocate, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens invoqués par la commune de Montgeron sont infondés et renvoie à ses écritures de première instance pour soutenir que la décision du 20 décembre 2018 est illégale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Troalen,

- les conclusions de Mme Moulin-Zys, rapporteure publique,

- et les observations de Me Saint-Supéry, pour la commune de Montgeron.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., propriétaire d'un fonds de commerce situé 62, avenue de la République à Montgeron accueillant une activité d'encadreur d'art, était liée par un bail commercial consenti par la société civile immobilière (SCI) Clebeni le 1er juillet 1998 et renouvelé par la suite. Par courrier du 30 octobre 2018, le conseil de Mme D... a adressé à la commune de Montgeron un formulaire de déclaration de cession d'un bail commercial l'informant de son intention de céder ce bail à Mme A... C..., épouse B... pour y exercer une activité d'" esthéticienne-dermographe ", pour le prix de 5 000 euros. Par une décision du 20 décembre 2018, le maire de la commune de Montgeron a décidé d'exercer le droit de préemption commercial sur ce bail au prix et aux conditions de la déclaration de cession. Le maire de la commune de Montgeron relève appel du jugement du 16 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Versailles a annulé cette décision à la demande de Mme D....

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, en accueillant le moyen tiré de ce que la décision du 20 décembre 2018 avait été prise en méconnaissance de l'article L. 214-1 du code de l'urbanisme au motif que, dès le 18 décembre 2018, Mme D... avait conclu avec son bailleur une convention de résiliation du bail commercial dont elle était titulaire et que, faute de cession de bail, la commune ne pouvait plus exercer le droit de préemption sur ce bail commercial, le tribunal a implicitement mais nécessairement estimé que les circonstances que la convention de résiliation du bail du 18 décembre 2018 prévoyait une date d'effet au 31 décembre 2018 et que cette convention avait été portée à la connaissance du maire postérieurement à la décision du 20 décembre 2018 étaient sans incidence sur l'existence, à la date de cette décision, d'un droit au bail à céder. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de ce jugement doit être écarté.

3. En second lieu, si la commune de Montgeron soutient que les premiers juges ne pouvaient se fonder sur l'existence de la convention de résiliation du bail du 18 décembre 2018 sans avoir renvoyé la question de sa validité au juge judiciaire, cette circonstance est sans incidence sur la régularité du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. En premier lieu, la commune de Montgeron fait valoir qu'après lui avoir fait part de son intention de céder son droit au bail à Mme B..., Mme D... a finalement choisi de conclure avec la SCI Clebeni une convention de résiliation anticipée de ce bail le 18 décembre 2018, que cette convention prévoit à son profit une indemnité du même montant que celui du prix de la cession envisagée et que, de fait, la SCI Clebeni a conclu le 15 janvier 2019 un nouveau bail commercial avec la même titulaire, pour la même activité. Toutefois, Mme D... a indiqué sans être contredite qu'elle n'avait pas informé la SCI Clebeni de son intention de céder son bail avant d'adresser le courrier du 30 octobre 2018 à la commune, alors que ce bail commercial prévoit que toute cession est conditionnée au consentement du bailleur et à l'exercice, par le successeur, de la même activité. En outre, le 28 novembre 2018, soit avant même d'être informée de l'intention de la commune de faire usage du droit de préemption commercial et alors qu'elle était encore en droit de se rétracter de son offre de vente, qui ne paraît pas avoir fait l'objet d'une formalisation écrite entre Mme B... et elle, Mme D... a adressé à la SCI Clebeni un courrier par lequel elle donnait congé de son bail commercial. La convention de résiliation de ce bail, en date du 18 décembre 2018, a également été conclue avant la décision de préemption, sans qu'il soit établi que la commune ait fait part de son intention de faire usage de ce droit auparavant. Enfin, si cette convention prévoit le versement à Mme D... d'une somme forfaitaire de 5 000 euros, celle-ci vise à l'indemniser des frais engagés pour les travaux effectués dans les locaux correspondant au bail commercial, en particulier pour le remplacement d'un rideau métallique. Ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que les démarches entreprises par Mmes D... et B... à la suite de l'envoi de la déclaration de cession le 30 octobre 2018 aient eu pour seul objet de faire échec à l'exercice du droit de préemption de la commune de Montgeron. Par suite, la commune n'est pas fondée à soutenir qu'elles ne justifient pas d'un intérêt légitime leur donnant qualité pour agir.

5. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs, il n'est pas établi que la rétractation de l'offre de vente formulée par Mme D... s'inscrive dans une manœuvre frauduleuse destinée à contourner le droit de préemption de la commune.

6. En troisième lieu, il ressort certes des pièces du dossier que ce n'est que le 24 décembre 2018 que Mme D... a informé la commune de Montgeron que la SCI Clebeni et elle étaient convenues, le 18 décembre 2018, de résilier le bail commercial dont elle était titulaire, après que la commune eut décidé le 20 décembre 2018 de faire usage du droit de préemption sur ce bail et notifié dès le 21 décembre 2018, par des courriers recommandés valablement présentés, tant pour Mme D... que pour le mandataire qu'elle avait désigné dans le formulaire de déclaration de cession, aux adresses indiquées dans ce formulaire.

7. Toutefois, Mme D... fait valoir que la cession du bail dont elle était titulaire était conditionnée au consentement de son bailleur et à l'exercice, par le repreneur, de la même activité. Elle ajoute qu'elle n'avait pas informé son bailleur de son projet avant d'adresser à la commune la déclaration de cession du 30 octobre 2018 et précise qu'elle a adressé à la commune, le 31 octobre 2018, le bail dont elle était titulaire, de telle sorte qu'elle était en mesure de prendre connaissance des conditions de la cession du bail. Elle doit ainsi être regardée comme se prévalant d'un vice entachant la validité de la déclaration de cession.

8. Si, en l'espèce, cette déclaration émane bien de la titulaire du bail commercial consenti par la SCI Clebeni, l'absence de consentement de cette dernière à la cession envisagée constitue, dans les circonstances particulières de l'espèce, une irrégularité telle qu'elle est de nature à entacher d'illégalité la décision de préemption prise à la suite de cette déclaration, qui faisait apparaître les conditions d'une telle cession.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Montgeron n'est pas fondée à se plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a annulé la décision du 20 décembre 2018, sans qu'il soit besoin d'adresser à l'autorité judiciaire une question préjudicielle relative à la validité de la résiliation anticipée du bail conclu entre Mme D... et la SCI Clebeni.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Montgeron la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme B... ainsi que la même somme au titre des frais exposés par Mme D.... En revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la commune au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Montgeron est rejetée.

Article 2 : La commune de Montgeron versera à Mme B... et à Mme D... la somme de 1 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Montgeron, à Mme E... D... et à Mme F... A... C... épouse B....

Délibéré après l'audience du 6 juillet 2023, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Mauny, président assesseur,

Mme Troalen, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 août 2023.

La rapporteure,

E. TROALENLe président,

P.-L. ALBERTINILa greffière,

S. DIABOUGA

La République mande et ordonne au préfet de l'Essonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

No 21VE01749002


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE01749
Date de la décision : 29/08/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-02-01-01 Urbanisme et aménagement du territoire. - Procédures d'intervention foncière. - Préemption et réserves foncières. - Droits de préemption.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: Mme Elise TROALEN
Rapporteur public ?: Mme MOULIN-ZYS
Avocat(s) : SYMCHOWICZ et WEISSBERG

Origine de la décision
Date de l'import : 03/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-08-29;21ve01749 ?
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