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24/08/2023 | FRANCE | N°21VE01590

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 24 août 2023, 21VE01590


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... et le syndicat Force ouvrière des employés et cadres du commerce du Val-d'Oise, ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision en date du 14 mars 2019 par laquelle la ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique née le 6 janvier 2019, a annulé la décision de l'inspectrice du travail en date du 13 juillet 2018 et a autorisé le licenciement de M. F..., de condamner l'Etat aux dépens comprenant le droit de plaidoirie prévu par l

es dispositions de l'article R. 723-26-1 du code de la sécurité sociale et ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... et le syndicat Force ouvrière des employés et cadres du commerce du Val-d'Oise, ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision en date du 14 mars 2019 par laquelle la ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique née le 6 janvier 2019, a annulé la décision de l'inspectrice du travail en date du 13 juillet 2018 et a autorisé le licenciement de M. F..., de condamner l'Etat aux dépens comprenant le droit de plaidoirie prévu par les dispositions de l'article R. 723-26-1 du code de la sécurité sociale et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1903800 du 25 mars 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision en date du 14 mars 2019 par laquelle la ministre du travail a autorisé le licenciement de M. F..., après avoir retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique et annulé la décision de l'inspectrice du travail en date du 13 juillet 2018.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 26 mai 2021 et le 4 mars 2022, la société Meubles Ikea France SAS, représentée par Me Azerad, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. F... devant le tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge de M. F..., la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle soutient que :

- le comité d'entreprise a été régulièrement consulté et que ses membres ont disposé d'une information complète ; en outre, il a rendu un avis défavorable et l'irrégularité invoquée ne peut qu'être sans incidence ;

- la matérialité des faits est établie ;

- la gravité des faits justifie un licenciement et elle était tenue au respect de l'obligation de sécurité ;

- les critiques de M. F... contre la décision du ministre ne sont pas fondées ;

- la décision est dépourvue de lien avec son mandat et aucun objectif d'intérêt général ne s'oppose au licenciement.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 novembre 2021, M. F... et le syndicat Force ouvrière des employés et cadres du commerce du Val-d'Oise, représentés par Me Lecourt, avocat, demandent à la cour de rejeter la requête et de mettre à la charge de la société meubles Ikea France SAS la somme de 1 800 euros à leur verser, chacun, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- le code du travail ;

- l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mauny, rapporteur ;

- les conclusions de Mme Moulin-Zys ;

- les observations de Me Chupin pour la société Meubles Ikea France SAS et de Me Lecourt pour M. F....

Considérant ce qui suit :

1. La société Meubles Ikea France SAS a sollicité le 18 mai 2018 l'autorisation de licencier pour faute grave M. F..., embauché le 21 février 2005 en qualité d'employé logistique, exerçant ces fonctions au sein de l'établissement de Franconville (95000) et disposant d'un mandat de délégué du personnel, affilié au syndicat Force ouvrière, depuis le 27 novembre 2013. Par une décision du 13 juillet 2018 l'inspectrice du travail de la section 1.4 de l'unité de contrôle 1 de l'unité départementale du Val-d'Oise a refusé cette autorisation. Par une décision du 14 mars 2019, la ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique déposé contre la décision du 13 juillet 2018, a annulé la décision de l'inspectrice du travail et a autorisé le licenciement de M. F.... Par un jugement du 25 mars 2021, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé la décision de la ministre du travail du 14 mars 2019. La société Meubles Ikea France SAS relève appel de ce jugement.

Sur l'intervention du syndicat FO :

2. Le syndicat Force ouvrière des employés et cadres du commerce du Val-d'Oise, auquel est affilié M. F..., a intérêt à s'associer aux conclusions de l'intéressé tendant au rejet de la requête de la société Meubles Ikea France SAS. Il y a donc lieu d'admettre son intervention. En revanche, le syndicat n'étant pas une partie à l'instance, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

3. D'une part, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail : " (...) En cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste il profite au salarié ".

5. Il ressort des pièces du dossier que la société Meubles Ikea France SAS a sollicité l'autorisation de procéder au licenciement de M. F... pour motif disciplinaire, en lui reprochant d'avoir adopté un comportement exhibitionniste et de s'être livré à des pratiques d'onanisme pendant une réunion des délégués du personnel de l'établissement qui s'est tenue le 26 avril 2018. Elle s'est appuyé pour ce faire sur le récit concordant et constant de Mmes C... et E..., qui étaient positionnées à droite de M. F... pendant la réunion. Mme C... a adressé un SMS à Mme E... à 10 h 45 lui indiquant que le sexe de M. F... était visible sous la table. Mme E..., placée à côté de M. F..., a ensuite déduit des gestes de la main droite de M. F..., placée sous la table de réunion, qu'il se masturbait en lui adressant des regards insistants. Elles indiquent avoir été tétanisées par cette situation et ont fait part de ce constat à la responsable des ressources humaines qui présidait la réunion, au terme de cette dernière. Les témoignages produits par la société corroborent que Mme E... était en pleurs après la réunion. Elle a été placée en arrêt de travail du 28 avril au 14 mai 2018. Tant Mme C... que Mme E... ont porté plainte contre M. F..., respectivement le 13 et le 25 mai 2018.

6. Toutefois, les faits reprochés à M. F... au cours de la réunion du 26 avril 2018 n'ont été rapportés que par Mmes C... et E..., la dernière indiquant elle-même ne pas avoir vu M. F... se masturber et la première l'avoir déduit de la posture de M. F.... Si Mme G..., responsable des ressources humaines, a attesté que Mmes C... et E... sont venues la voir à l'issue de la réunion pour lui faire part de ces faits et qu'elles étaient choquées, aucun des autres participants à la réunion, qui rassemblait 7 personnes, n'a fait le même constat que les deux déléguées du personnel. Mmes G... et de Barros ont ainsi indiqué n'avoir rien remarqué, et M. B..., qui était placé à gauche de M. F..., a précisé dans son témoignage qu'il n'avait rien remarqué et que son placement lui aurait permis de constater tout comportement anormal. M. A..., installé en face de M. F..., a indiqué également qu'il n'avait remarqué aucun comportement anormal de M. F..., alors que les faits reprochés auraient pourtant duré une quinzaine de minutes selon les témoignages de Mmes C... et E..., ni aucun changement d'attitude de ces dernières au cours de la réunion. Il a décrit la réunion comme s'étant tenue dans une atmosphère détendue, se terminant dans la bonne humeur. Par ailleurs, si Mmes C... et E... ont déclaré que M. F... était resté très réservé pendant la réunion, ce constat est contredit pas les autres participants qui font état d'une participation de l'intéressé aux débats. Enfin, M. F... a produit des attestations de salariés d'Ikea faisant état, à la date de la réunion, de la présence dans la salle de fauteuils dont la hauteur des accotoirs empêchait de les positionner sous la table et de l'absence de tables surélevées, cette configuration étant de nature à empêcher la dissimulation aux yeux des autres participants des agissements qui lui ont été reprochés. Au surplus, il ressort des pièces du dossier que le comité d'établissement, après avoir entendu notamment M. F... et Mmes C... et E..., a émis un avis défavorable au licenciement de M. F..., et que les plaintes de Mmes C... et E..., comme il est vrai celle de M. F... pour dénonciation calomnieuse, ont été classées sans suite en l'absence d'établissement des faits reprochés.

7. Il suit de là, nonobstant le caractère concordant et constant des déclarations de Mmes C... et E... et les attestations faisant état de l'état de choc dans lequel elles se trouvaient à l'issue de la réunion, qu'il existe un doute concernant la matérialité des faits d'exhibition sexuelle reprochés à M. F.... Il résulte des dispositions précitées du code du travail que lorsqu'un doute subsiste sur l'exactitude matérielle des griefs formulés contre un salarié, ce doute doit profiter au salarié. Eu égard à ce qui précède, la matérialité des agissements fautifs reprochés par la société Ikea à M. F... ne saurait être regardée comme établie. Par suite, la société Meubles Ikea France SAS n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé, pour ce motif, la décision de la ministre autorisant son licenciement après annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 13 juillet 2018.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme de 1 500 euros demandée par la société Meubles Ikea France SAS soit mise à la charge de M. F..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société la somme demandée par M. F... sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : L'intervention du syndicat Force Ouvrière des employés et cadres du commerce du Val-d'Oise est admise.

Article 2 : La requête de la société Meubles Ikea France SAS est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. F... et le syndicat Force Ouvrière des employés et cadres du commerce du Val-d'Oise sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à société Meubles Ikea France SAS, à M. D... F..., au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, et au syndicat Force Ouvrière des employés et cadres du commerce du Val-d'Oise.

Délibéré après l'audience du 22 juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Mauny, président-assesseur,

Mme Villette, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 août 2023.

Le rapporteur,

O. MAUNYLe président,

P.-L. ALBERTINI

La greffière,

F. PETIT-GALLAND

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 21VE01590002


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE01590
Date de la décision : 24/08/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés. - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. - Licenciement pour faute.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: M. Olivier MAUNY
Rapporteur public ?: Mme MOULIN-ZYS
Avocat(s) : LECOURT

Origine de la décision
Date de l'import : 03/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-08-24;21ve01590 ?
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