Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme A... B... ont demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2008 à 2015, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1904362 du 11 juin 2021, le tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 29 juillet 2021, M. et Mme A... B..., représentés par Me Menette, avocate, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement attaqué ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les premiers juges n'ont pas répondu à leur moyen tiré de ce que la proposition de rectification était prématurée, erronée et infondée, à ce stade de la procédure pénale ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, faute pour les premiers juges d'avoir répondu à plusieurs moyens soulevés devant eux, tirés de ce que M. B... n'avait exercé aucune activité illicite, de ce qu'il était lié à la société AML par un contrat de travail à durée indéterminée oral, que de ce sa culpabilité des chefs d'accusation de faux et usage de faux n'était pas établie et de ce que les revenus imposés ne relevaient pas de la catégorie des bénéfices non commerciaux ; le tribunal a répondu de manière lapidaire à son moyen relatif à l'absence de mise en demeure préalable à la taxation d'office ;
- la procédure de taxation d'office est irrégulière, faute d'avoir été précédée de l'envoi d'une mise en demeure de régulariser sa situation ;
- c'est à tort que l'administration fiscale et les premiers juges ont considéré qu'il s'était livré à une activité illicite et occulte ;
- le délai de reprise était expiré ;
- c'est à tort qu'il a été imposé dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ;
- la méthode de reconstitution des recettes est excessivement sommaire dès lors qu'elle inclut des chèques qui n'ont pas été émis par la société AML ;
- le taux de charges retenu par l'administration fiscale est excessivement réduit ;
- c'est à tort que l'administration fiscale leur a fait application des dispositions du 7 de l'article 158 du code général des impôts, dès lors que les revenus en cause ne relèvent pas de la catégorie des bénéfices non commerciaux ;
- le caractère automatique de la majoration de 1,25 prévue par les dispositions du 7 de l'article 158 du code général des impôts méconnaît les dispositions de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- c'est à tort que l'administration fiscale leur a fait application de la majoration prévue par les dispositions de l'article 1728, 1-c du code général des impôts, dès lors que M. B... n'a exercé aucune activité occulte.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 septembre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête de M. et Mme B....
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 23 février 2023, l'instruction a été close au 31 mars 2023, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Tar,
- et les conclusions de Mme Bobko, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Au cours de la vérification de comptabilité de la société AML, l'administration fiscale a été informée de l'existence d'une plainte déposée le 16 juin 2016 par cette société à l'encontre de M. A... B... pour détournement de fonds. L'administration fiscale a exercé son droit de communication et a eu l'autorisation, le 6 octobre 2016, de consulter le dossier de l'enquête préliminaire ouverte le 26 août 2016. Le 1er février 2017, un avis d'engagement d'une vérification de comptabilité de l'activité de M. B... portant sur les années 2008 à 2015 a été envoyé à ce dernier. A l'issue de cette vérification de comptabilité, le vérificateur a considéré que M. B... avait exercé une activité occulte de détournements de fonds. En conséquence, l'administration fiscale a regardé les produits issus de ces détournements de fonds comme des revenus imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux à hauteur de 180 506 euros au titre de 2008, de 150 526 euros au titre de 2009, de 105 101 euros au titre de 2010, de 127 743 euros au titre de 2011, de 149 573 euros au titre de 2012, de 124 759 euros au titre de 2013, de 122 243 euros au titre de 2014 et de 104 020 euros au titre de 2015, et a assujetti M. et Mme B... à des cotisations supplémentaires d'impôts sur le revenu au titre de ces années, assorties d'une pénalité de 80 %. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du 11 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande de décharge de ces impositions.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, si les requérants ont soutenu en première instance que l'enquête préliminaire n'était pas suffisante pour regarder les faits de détournements de fonds comme établis, le tribunal a examiné cet argument en écartant le moyen tiré de ce que l'exercice d'une activité illicite n'était pas caractérisé.
3. En second lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
4. M. et Mme B... soutiennent que le jugement attaqué n'a pas suffisamment motivé sa décision pour écarter ses moyens tirés de ce que M. B... n'avait exercé aucune activité illicite, qu'il était lié à la société AML par un contrat de travail à durée indéterminée oral, que sa culpabilité des chefs d'accusation de faux et usage de faux ne peut être établie, que les revenus imposés ne relevaient pas de la catégorie des bénéfices non commerciaux. Toutefois, les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments de M. et Mme B..., ont précisé les motifs pour lesquels ils ont estimé qu'étaient remplies les conditions permettant de qualifier l'activité de M. B... d'activité occulte et en ont déduit que ses revenus pouvaient être taxés d'office.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'existence d'une activité occulte exercée par M. B... :
5. Aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, en matière d'impôt sur le revenu : " (...) L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et (...) s'est livré à une activité illicite. (...) ".
6. Il résulte de l'instruction que M. B..., comptable de la société AML depuis 2006 sans être titulaire d'un contrat de travail écrit et sans être déclaré comme salarié par cette société, avait accès à la comptabilité et à la trésorerie de la société AML, que des chèques BTP Banque du numéro de compte ouvert au nom de la société AML ont été enregistrés à l'ordre de M. B..., ainsi que des virements, effectués de ces comptes vers le compte bancaire personnel de M. B..., depuis 2008 à un rythme de plusieurs versements mensuels, et que des fausses factures de fournisseurs ont été émises par M. B... pour justifier ces paiements. A la suite de découvertes effectuées en son absence, celui-ci a signé une reconnaissance de dettes par laquelle il a admis avoir fait des virements à son bénéfice au préjudice de la société AML et s'est engagé à rembourser la somme de 237 158 euros. En se bornant à soutenir qu'il n'a pas été informé de l'ouverture d'une enquête préliminaire à son encontre, ni de son issue, alors qu'il indique par ailleurs avoir été mis en examen pour des faits d'abus de confiance, faux et usage de faux de janvier 2009 à février 2016, M. B... ne conteste pas les éléments de fait avancés par l'administration fiscale. S'il soutient également qu'il aurait disposé d'un contrat de travail oral, que les contrats de travail à durée indéterminée à plein temps ne sont pas obligatoirement écrits et qu'il n'est pas responsable du manque de diligence de son employeur, les fausses factures et faux relevés de banques qui lui ont permis d'encaisser sur ses comptes bancaires personnels les sommes très importantes détournées de la société AML ne permettent pas de regarder ces sommes comme la rémunération d'un emploi salarié. Dans ces conditions, l'administration fiscale doit être regardée comme établissant l'existence du détournement de fonds. Par ailleurs, il est constant que M. et Mme B... n'ont pas déclaré les revenus de cette activité. Dans ces conditions, l'exercice par M. B... d'une activité illicite de détournement de fonds présentant un caractère occulte est établie.
En ce qui concerne la régularité de la procédure :
S'agissant de la mise en œuvre de la procédure de taxation et d'évaluation d'office :
7. Aux termes des dispositions de l'article L. 73 du livre des procédures fiscales : " Peuvent être évalués d'office : (...) 2° Le bénéfice imposable des contribuables qui perçoivent des revenus non commerciaux ou des revenus assimilés lorsque la déclaration annuelle prévue à l'article 97 du code général des impôts n'a pas été déposée dans le délai légal ; (...) Les dispositions de l'article L. 68 sont applicables dans les cas d'évaluation d'office prévus aux 1° et 2° ". Aux termes de l'article L. 68 de ce livre : " La procédure de taxation d'office prévue aux 2° et 5° de l'article L. 66 n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une première mise en demeure. Toutefois, il n'y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure : (...) 3° Si le contribuable s'est livré à une activité occulte, au sens du deuxième alinéa de l'article L. 169 ".
8. L'activité de M. B... présentant un caractère occulte au sens des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 169, l'administration fiscale pouvait évaluer d'office les bénéfices non commerciaux retirés de cette activité sans envoi préalable d'une mise en demeure. Le moyen tiré de l'absence d'une telle mise en demeure doit être écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :
S'agissant de la charge de la preuve :
9. Aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition ". Aux termes de l'article R. 193-1 du même livre : " Dans le cas prévu à l'article L. 193 le contribuable peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition mise à sa charge en démontrant son caractère exagéré ".
10. Les impositions litigieuses ont été établies selon la procédure d'évaluation d'office prévue par l'article L. 73 du livre des procédures fiscales. Dès lors, il appartient à M. et Mme B... d'établir le caractère infondé ou exagéré des rectifications.
S'agissant de la catégorie de revenus :
11. Les revenus tirés de détournements de fonds sont imposables sur le fondement du 1 de l'article 92 du code général des impôts, qui qualifie de bénéfices non commerciaux " toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus ".
12. Comme il a déjà été dit, l'administration fiscale doit être regardée comme établissant l'existence d'une activité illicite de détournement de fonds. Si M. et Mme B... affirment que M. B... aurait été lié à la société AML par un contrat de travail oral, ils ne l'établissent pas, ni que les sommes détournées auraient le caractère de sommes versées en contrepartie de l'exécution d'un tel contrat. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a imposé les revenus de cette activité dans la catégorie des bénéfices non commerciaux et non dans la catégorie des traitements et salaires.
S'agissant du délai de reprise :
13. En vertu des dispositions de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, pour l'impôt sur le revenu, dans sa version applicable au litige, le droit de reprise de l'administration fiscale s'exerce, par exception à la règle de droit commun, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due lorsque le contribuable exerce une activité occulte. L'administration fiscale doit être regardée comme établissant l'existence d'une activité occulte de détournement de fonds par M. B... dès l'année 2008. C'est dès lors à bon droit que l'administration fiscale a fait application du délai spécial de reprise de dix ans prévu par les dispositions des articles L. 169 et L. 176 du livre des procédures fiscales. Le moyen tiré de ce que certaines rectifications portaient sur des années pour lesquelles de droit de reprise de l'administration fiscale était expiré doit être écarté.
S'agissant de la détermination des bénéfices non commerciaux :
14. M. et Mme B..., qui indiquent eux-mêmes que l'administration fiscale, dans la réponse à leurs observations, a accepté d'exclure des sommes imposées le montant des chèques dont M. B... avaient justifié qu'ils n'avaient pas été émis par la société AML, se bornent à affirmer que l'administration fiscale aurait inclus dans la rectification des sommes qui ne provenaient pas de l'activité de détournement de fonds, sans contester des remises de chèques ou des virements identifiés, alors que l'administration fiscale les a informés, en annexe de la proposition de rectification, de la liste exhaustive des crédits bancaires pris en compte pour déterminer les produits de l'activité. Dans ces conditions, ils n'établissent pas, comme ils en ont la charge, qu'en n'excluant pas d'autres chèques ou virements, l'administration fiscale aurait exagéré leurs bases d'imposition.
15. Le caractère illicite de l'activité ne fait pas en lui-même obstacle à la prise en compte de frais pour la détermination des bénéfices non commerciaux retirés de cette activité. Par mesure de tempérament, l'administration fiscale a retenu un taux forfaitaire de charges de 3 %. En se bornant à affirmer " qu'aucune profession dont les revenus entrent dans la catégorie des bénéfices non commerciaux n'engendre des dépenses de 3% de ses recettes annuelles ", les requérants ne justifient pas de la réalité de leurs charges. Ils ne sont, par suite, pas fondés à soutenir que les revenus imposés devraient être limités, que l'administration fiscale a manqué de réalisme économique, ni que la méthode de reconstitution est viciée.
S'agissant de l'application du coefficient de 1,25 :
16. Aux termes de l'article 158 du code général des impôts : " (...) 7. Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l'impôt selon les modalités prévues à l'article 197, est multiplié par 1,25. Ces dispositions s'appliquent : / 1° Aux titulaires de revenus passibles de l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ou des bénéfices non commerciaux ou des bénéfices agricoles, réalisés par des contribuables soumis à un régime réel d'imposition : / a) Qui ne sont pas adhérents d'un centre de gestion, (...) ".
17. En premier lieu, les sommes réintégrées dans le revenu imposable de M. et Mme B... sont imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux et M. B... n'a pas déclaré son activité auprès d'un centre de gestion agréé. Par suite, l'administration fiscale était fondée à appliquer le coefficient multiplicateur de 1,25 prévu par les dispositions du 7 de l'article 158 du code général des impôts.
18. En second lieu, aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. (...) ". Si M. et Mme B... soutiennent en outre que les dispositions du 7 de l'article 158 du code général des impôts seraient contraires à l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ce moyen n'est pas recevable, dès lors que M. et Mme B... n'ont pas présenté un mémoire séparé portant la mention " question prioritaire de constitutionnalité ".
En ce qui concerne les pénalités :
19. Aux termes du 1 de l'article 1728 du code général des impôts : " Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indications d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : / (...) 80% en cas de découverte d'une activité occulte (...) ".
20. Ainsi qu'il a déjà été dit au point 5 du présent arrêt, l'administration fiscale apporte la preuve, qui lui incombe, de l'exercice par M. B... d'une activité occulte. Elle est fondée, par voie de conséquence, à faire application de la majoration de 80 % prévue par les dispositions précitées de l'article 1728 du code général des impôts.
21. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Dorion, présidente,
M. Tar, premier conseiller,
Mme Pham, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 juillet 2023.
Le rapporteur,
G. TAR La présidente,
O. DORIONLa greffière,
S. LOUISERE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 21VE02268