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30/06/2023 | FRANCE | N°21VE01199

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 2ème chambre, 30 juin 2023, 21VE01199


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Les amis des moulins de la Mayenne et autres ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la délibération du 4 octobre 2018 du conseil d'administration de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne en tant qu'elle approuve l'objectif n° 3 intitulé " Restaurer la continuité écologique de manière coordonnée sur un bassin versant " de l'enjeu prioritaire n°1 intitulé " La qualité des milieux aquatiques et la biodiversité associées " du 11ème programme d'intervention, ainsi que la déci

sion du 18 janvier 2019 rejetant leur recours gracieux.

Par un jugement n° 190...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Les amis des moulins de la Mayenne et autres ont demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la délibération du 4 octobre 2018 du conseil d'administration de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne en tant qu'elle approuve l'objectif n° 3 intitulé " Restaurer la continuité écologique de manière coordonnée sur un bassin versant " de l'enjeu prioritaire n°1 intitulé " La qualité des milieux aquatiques et la biodiversité associées " du 11ème programme d'intervention, ainsi que la décision du 18 janvier 2019 rejetant leur recours gracieux.

Par un jugement n° 1900975 du 23 février 2021, le tribunal administratif d'Orléans a admis les interventions de l'association de défense et de sauvegarde de la Colmont et de ses affluents et autres, rejeté la demande de l'association Les amis des moulins de la Mayenne et autres et mis à la charge des requérantes une somme de 1 200 euros à verser à l'Agence de l'eau Loire-Bretagne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 23 avril 2021, le 29 septembre 2021, le 15 octobre 2021, le 7 décembre 2021 et le 8 décembre 2022, l'association Les amis des moulins de la Mayenne, l'association les riverains de l'Erve, la Vaige et du Treulon, l'association les moulins du Morvan et de la Nièvre, l'association de sauvegarde du bassin de la Seiche et de son patrimoine, l'association de défense et sauvegarde de la Colmont et de ses affluents, l'association de sauvegarde des moulins de la Loire, le Syndicat des exploitants de plans d'eau, de cours d'eau de la Mayenne et de la Sarthe, l'association des moulins du Poitou, l'association de sauvegarde des moulins de Creuse, l'association de sauvegarde des moulin et rivières de la Sarthe, l'association des étangs de France Nivernais Morvan, l'association des moulins de l'Anjou, l'association de moulins en Saône-et-Loire, l'association de sauvegarde des moulins bretons, l'association départementale des amis des moulins de l'Indre, l'association d'actions solidaires de défense civiques des propriétés des cours d'eau, des milieux aquatiques et de la nature, l'association des moulins du Finistère, l'association de défense et de sauvegarde de la vallée de l'Oudon, l'association des amis des moulins du Cher, l'association des amis de la Sèvre nantaise et affluents, l'association régionale des amis des moulins du bocage vendéen et de la Gâtine, l'association des amis des moulins d'Eure-et-Loir (ADM 28), l'association des riverains et des moulins des Côtes-d'Armor, l'association de sauvegarde des moulins à eau de Loir-et-Cher et des départements limitrophes (ASME), l'association des moulins de Loire-Atlantique, l'association de Chailland-sur-Ernée, l'association vendéenne des amis des moulins, l'association des moulins de Touraine, l'association des riverains et éclusiers des Deux-Sèvres, l'association des moulins 61, représentés par Me Bernot, avocat, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cette délibération, ainsi que la décision du 18 janvier 2019 rejetant leur recours gracieux ;

3°) de reconnaître l'illégalité du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) Loire-Bretagne, approuvé par arrêté préfectoral du 18 novembre 2015, pour la période 2016-2021 en tant qu'il prévoit que " l'effacement des ouvrages est privilégié par l'Agence de l'eau au travers du taux d'aide car il constitue la solution la plus efficace et la plus durable " ;

4°) à titre subsidiaire, de prononcer l'abrogation de la délibération du conseil d'administration de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne n° 2018-102 du 4 octobre 2018 ;

5°) en tout état de cause, de mettre à la charge de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne une somme de 1 500 euros à verser respectivement à l'association Les amis des moulins de la Mayenne, l'association Les riverains de l'Arve, de la Vaige et du Treulon, l'association Les moulins du Morvan et de la Nièvre et l'association de sauvegarde du bassin de la Seiche et du patrimoine sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les requérants soutiennent que :

- ils justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour agir ;

- le jugement attaqué est entaché de plusieurs erreurs de droit, erreurs de fait et erreurs d'appréciation ;

- la délibération du conseil d'administration de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne n° 2018-102 du 4 octobre 2018 est entachée d'irrégularité dès lors qu'elle n'a pas été précédée d'un avis conforme du comité de bassin ; le jugement attaqué est entaché d'une erreur de fait sur ce point ;

- c'est au prix d'une erreur d'appréciation que les premiers juges ont estimé que le dispositif mis en place par le 11ème programme pluriannuel n'allait pas conduire à la destruction d'ouvrages compte tenu de l'incitation financière qui s'y attache ;

- ce dispositif méconnaît le droit de propriété des propriétaires de moulins et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il conduit à priver les moulins de leur droit d'eau et prive ainsi les propriétaires de la possibilité d'utiliser l'énergie hydraulique attachée à ces ouvrages ; le jugement attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation sur ce point ;

- il aurait été nécessaire de prévoir un dispositif d'information des propriétaires de moulins sur les conséquences de la destruction de leurs ouvrages ; le jugement attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation sur ce point ;

- un tel dispositif de restauration de la continuité écologique n'est pas prévu par la loi et méconnaît les articles L. 214-17 et L. 211-1 du code de l'environnement ;

- la délibération n° 2018-102 ne pouvait privilégier de façon systématique une solution aussi radicale que l'effacement ou l'arasement des ouvrages alors que l'efficacité d'une telle solution n'est pas avérée ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 214-17 n'étaient pas opérants dans le présent litige ;

- l'orientation n°1D-3 du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux Loire-Bretagne, approuvé par arrêté du 18 novembre 2015, méconnaît l'article L. 214-17 du code de l'environnement ;

- le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux Loire-Bretagne est entaché d'une erreur de droit en ce qu'il considère que tous les ouvrages hydrauliques portent atteinte à la continuité écologique ;

- le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux Loire-Bretagne méconnaît le principe de gestion équilibrée de la ressource en eau et des milieux aquatiques fixé par l'article L. 211-1 du même code et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation sur ce point ;

- l'objectif n°3 fixé par la délibération du 4 octobre 2018 est illégal en tant qu'elle s'applique aux moulins à eau, dès lors qu'il résulte de la décision du Conseil d'Etat du 31 mai 2021 n° 433043 que les moulins à eau sont exonérés des obligations destinées à assurer la continuité écologique des cours d'eau prévues par l'article L. 214-17 du code de l'environnement ;

- la délibération attaquée pourrait être abrogée dès lors qu'elle contrevient à l'article L. 214-17 I, 2° du code de l'environnement dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets qui prohibe toute atteinte irréversible aux seuils des moulins à eau.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 5 octobre 2021 et le 21 novembre 2022, l'Agence de l'eau Loire-Bretagne, représentée par Me Tissier-Lotz, avocate, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge respective de l'association Les amis des moulins de la Mayenne, l'association Les riverains de l'Arve, de la Vaige et du Treulon, l'association Les moulins du Morvan et de la Nièvre et l'association de sauvegarde du bassin de la Seiche et du Patrimoine une somme de 1 500 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les associations ne justifient pas d'un intérêt leur donnant qualité pour agir ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une intervention, enregistrée le 3 août 2021, la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins, représentée par Me Bernot, avocat, conclut à l'annulation du jugement attaqué, à l'annulation de la délibération du conseil d'administration de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne n° 2018-102 du 4 octobre 2018 et à ce que la cour déclare l'illégalité du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) Loire-Bretagne, approuvé par arrêté préfectoral du 18 novembre 2015, pour la période 2016-2021 en tant qu'il prévoit que " l'effacement des ouvrages est privilégié par l'Agence de l'eau au travers du taux d'aide car il constitue la solution la plus efficace et la plus durable ".

Elle renvoie aux moyens soulevés par les requérants à l'encontre de la délibération n° 2018-102 du 4 octobre 2018 et de la décision du 18 janvier 2019 rejetant le recours gracieux.

Un mémoire, présenté le 3 janvier 2023 pour l'Agence de l'eau Loire-Bretagne, ne comportant pas d'éléments nouveaux, n'a pas été communiqué.

La requête a été communiquée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par une ordonnance du 15 décembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 3 janvier 2023, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

L'avocat des requérants a, le 14 octobre 2021, désigné l'association Les amis des moulins de la Mayenne en qualité de représentant unique sur le fondement de l'article R. 751-3 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Houllier,

- les conclusions de M. Frémont, rapporteur public,

- et les observations de Me Bernot pour les requérants, de M. Ménin, président de la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins, et de Me Tissier-Lotz, pour l'Agence de l'eau Loire-Bretagne.

Une note en délibéré présentée pour les requérants a été enregistrée le 16 juin 2023.

Considérant ce qui suit :

1. L'Agence de l'eau Loire-Bretagne a, par une délibération n° 2018-102 du 4 octobre 2018, approuvé le 11ème programme d'intervention pour la période 2019-2024. L'association Les amis des moulins de la Mayenne et autres demandent à la cour d'annuler le jugement n° 1900975 du 23 février 2021 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette délibération.

Sur l'intervention de la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins :

2. La Fédération française des associations de sauvegarde des moulins justifie, au regard de ses statuts, d'un intérêt suffisant à l'annulation de la délibération attaquée. Ainsi, son intervention à l'appui de la requête formée par l'association Les amis des moulins de la Mayenne et autres est recevable.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Les requérants ne peuvent donc utilement se prévaloir des erreurs de droit, de fait et d'appréciation qu'auraient commises les premiers juges pour demander l'annulation du jugement attaqué.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la délibération attaquée :

En ce qui concerne la légalité externe :

S'agissant de l'avis du comité de bassin :

4. Aux termes de l'article L. 213-8-1 du code de l'environnement : " Dans chaque bassin ou groupement de bassins visé à l'article L. 212-1, une agence de l'eau, établissement public de l'Etat à caractère administratif, met en œuvre les schémas visés aux articles L. 212-1 et L. 212-3, en favorisant une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau et des milieux aquatiques, l'alimentation en eau potable, la régulation des crues et le développement durable des activités économiques. Elle peut contribuer à la connaissance, à la protection et à la préservation de la biodiversité terrestre et marine ainsi que du milieu marin, en particulier dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie nationale et des stratégies régionales pour la biodiversité mentionnées à l'article L. 110-3 ainsi que du plan d'action pour le milieu marin mentionné à l'article L. 219-9. (...) ". Aux termes de l'article L. 213-9-1 du même code : " Pour l'exercice des missions définies à l'article L. 213-8-1, le programme pluriannuel d'intervention de chaque agence de l'eau détermine les domaines et les conditions de son action et prévoit le montant des dépenses et des recettes nécessaires à sa mise en œuvre. / Le Parlement définit les orientations prioritaires du programme pluriannuel d'intervention des agences de l'eau et fixe le plafond global de leurs dépenses sur la période considérée ainsi que celui des contributions des agences à l'Agence française pour la biodiversité. / Les délibérations du conseil d'administration de l'agence de l'eau relatives au programme pluriannuel d'intervention et aux taux des redevances sont prises sur avis conforme du comité de bassin, dans le respect des dispositions encadrant le montant pluriannuel global de ses dépenses et leur répartition par grand domaine d'intervention, qui font l'objet d'un arrêté conjoint des ministres chargés de l'environnement et des finances, pris après avis du Comité national de l'eau. / (...) ".

5. Les requérants soutiennent que la délibération de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne n° 2018-102 du 4 octobre 2018 approuvant le 11ème programme d'intervention n'a pas été précédée de l'avis conforme du comité de bassin requis par les dispositions précitées de l'article L. 213-9-1 du code de l'environnement. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le comité de bassin s'est réuni, le matin du 4 octobre 2018, pour émettre un avis conforme sur le 11ème programme d'intervention. Il ressort des mentions du procès-verbal de cette séance, qui font foi jusqu'à preuve du contraire, que la séance a été levée à 13h. Par suite, à 14h, lors de la séance du conseil d'administration de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne, ce dernier disposait de l'avis conforme du comité de bassin, ainsi que cela ressort d'ailleurs du procès-verbal de la séance du conseil d'administration. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie manque en fait.

S'agissant de l'absence d'information des propriétaires d'ouvrages :

6. Si les requérants soutiennent qu'un dispositif d'information des propriétaires d'ouvrages aurait dû être prévu afin de les informer sur les conséquences de la destruction de leurs ouvrages, il ne ressort d'aucune disposition législative ou réglementaire qu'une telle information serait requise alors, au demeurant, que le programme en litige ne prévoit pas la destruction systématique ou obligatoire de tous les ouvrages.

En ce qui concerne la légalité interne :

7. Le 11ème programme d'intervention pour 2019-2024 prévoit trois enjeux prioritaires liés à l'atteinte des objectifs du schéma directeur d'aménagement et de développement durable du bassin (SDAGE) Loire-Bretagne. Sous l'enjeu n°1 dédié à " la qualité des milieux aquatiques et la biodiversité associée ", le programme définit un objectif n°3, intitulé, " Restaurer la continuité écologique de manière coordonnée sur un bassin versant ", qui prévoit que " La restauration de la continuité écologique vise à permettre la libre circulation des espèces, à assurer le transport naturel des sédiments et le bon fonctionnement de l'écosystème. / Les pressions exercées par les obstacles à l'écoulement sont une des causes principales du classement en risque de non atteinte des objectifs environnementaux des cours d'eau. Sur le bassin Loire-Bretagne, plus de 25 000 ouvrages sont référencés, dont une grande partie rend difficile la libre circulation piscicole et ne permet pas le transport sédimentaire. (...) / La restauration de la continuité écologique est donc un des enjeux prioritaires pour atteindre le bon état des eaux. / Les opérations prises en compte par l'agence de l'eau sont les études d'aides à la décision et les travaux nécessaires pour l'atteinte de cet objectif. Il s'agit, d'une part, de l'effacement ou de l'arasement des ouvrages et, d'autre part, de leur aménagement (passes à poissons, contournement d'ouvrages, etc.). L'effacement des ouvrages est privilégié par l'agence de l'eau au travers du taux d'aide car il constitue la solution la plus efficace et la plus durable. (...) ". Cet objectif prévoit ensuite d'appliquer un taux d'aide " maximal " de 70% aux " études et travaux d'effacement, d'arasement d'ouvrages " et un taux d'aide " prioritaire " de 50% aux " études et travaux d'aménagement (équipement, contournement...) uniquement pour les cours d'eau classés " Liste 2 " et sur les Zones d'actions prioritaires (ZAP) du plan de gestion Anguille ". Selon la fiche action MAQ 3, les études et travaux d'effacement et d'arasement d'ouvrages bénéficieront d'un taux d'aide plafond maximal, les ouvrages concernés étant ceux dont la hauteur de chute est supérieure à cinquante centimètres et ceux pour lesquels " l'opération retenue (...) ainsi que son coût sont dûment justifiés au regard du gain écologique attendu pour l'atteinte du bon état de la masse d'eau et au regard de l'objectif des amphihalines (...) ".

S'agissant de l'atteinte au droit de propriété :

8. Les requérants soutiennent que l'objectif n°3 du 11ème programme d'intervention conduit à abolir le droit d'eau fondé en titre attaché à l'existence d'un moulin en ce qu'il conduit à la disparition systématique de ces ouvrages. Toutefois, si le taux d'aide accordé aux propriétaires qui effacent ou arasent leur ouvrage est plus élevé que celui accordé en cas d'aménagement de l'ouvrage, la mesure litigieuse, rappelée au point précédent, ne contraint pas les propriétaires d'un ouvrage à procéder à son effacement ou arasement et n'emporte donc pas la destruction systématique ou obligatoire des ouvrages hydrauliques alors, au demeurant, que l'octroi de l'aide est conditionné à la justification du gain écologique en vue de restaurer la continuité écologique. En outre, ces dispositions ne portent pas atteinte aux droits fondés en titre des propriétaires d'ouvrages hydrauliques. Par suite, le moyen tiré de l'existence d'une atteinte au droit de propriété doit être écarté.

S'agissant de la méconnaissance des articles L. 214-17 et L. 214-18-1 du code de l'environnement :

9. Aux termes de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, dans sa version applicable à la date de la délibération attaquée : " I. - Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous - bassin : / 1° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux parmi ceux qui sont en très bon état écologique ou identifiés par les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux comme jouant le rôle de réservoir biologique nécessaire au maintien ou à l'atteinte du bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est nécessaire, sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique. / Le renouvellement de la concession ou de l'autorisation des ouvrages existants, régulièrement installés sur ces cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux, est subordonné à des prescriptions permettant de maintenir le très bon état écologique des eaux, de maintenir ou d'atteindre le bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant ou d'assurer la protection des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée ; / 2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant. (...) ". En outre, l'article L. 214-18-1 du code de l'environnement, dans sa version alors encore en vigueur, dispose que : " Les moulins à eau équipés par leurs propriétaires, par des tiers délégués ou par des collectivités territoriales pour produire de l'électricité, régulièrement installés sur les cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux mentionnés au 2° du I de l'article L. 214-17, ne sont pas soumis aux règles définies par l'autorité administrative mentionnées au même 2°. Le présent article ne s'applique qu'aux moulins existant à la date de publication de la loi n° 2017-227 du 24 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l'autoconsommation d'électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d'électricité et de gaz et aux énergies renouvelables ".

10. Ces dispositions, qui visent uniquement la définition de deux listes classifiant les cours d'eau en fonction de leur état écologique et des objectifs de continuité qui leur sont assignés et fixent les obligations qui en résultent pour les propriétaires d'ouvrages implantés sur ces cours d'eau, ne peuvent être utilement invoquées à l'encontre de la délibération attaquée qui approuve le programme d'intervention de l'agence de l'eau pour 2019-2024, mais n'a ni pour objet, ni pour effet de modifier les critères de fixation de ces listes, ni les obligations qui incombent aux propriétaires des ouvrages concernés. Il en va de même des dispositions de l'article L. 214-18-1 du code de l'environnement qui renvoient à l'article L. 214-17 de ce code et ne peuvent donc être utilement invoquées pour soutenir que la délibération attaquée aurait dû distinguer entre les moulins à eau et les autres ouvrages.

11. En outre, si les requérants soutiennent qu'aucune autre disposition législative ou réglementaire ne permet d'imposer l'arasement ou l'effacement d'ouvrages transversaux, la mesure litigieuse, rappelée au point 7, se borne à inciter les propriétaires d'ouvrage sans les contraindre.

S'agissant de la méconnaissance de l'article L. 211-1 du code de l'environnement :

12. L'article L. 211-1 du code de l'environnement, dans sa version en vigueur à la date de la délibération attaquée, prévoit que : " I. - Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer : / 1° La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année ; / 2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution par déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects de matières de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d'accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques, qu'il s'agisse des eaux superficielles, souterraines ou des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales ; / 3° La restauration de la qualité de ces eaux et leur régénération ; / 4° Le développement, la mobilisation, la création et la protection de la ressource en eau ; / 5° La valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ; / 5° bis La promotion d'une politique active de stockage de l'eau pour un usage partagé de l'eau permettant de garantir l'irrigation, élément essentiel de la sécurité de la production agricole et du maintien de l'étiage des rivières, et de subvenir aux besoins des populations locales ; / 6° La promotion d'une utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau ; / 7° Le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques. / Un décret en Conseil d'Etat précise les critères retenus pour l'application du 1°. / II. - La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences : / 1° De la vie biologique du milieu récepteur, et spécialement de la faune piscicole et conchylicole ; / 2° De la conservation et du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations ; / 3° De l'agriculture, des pêches et des cultures marines, de la pêche en eau douce, de l'industrie, de la production d'énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, des transports, du tourisme, de la protection des sites, des loisirs et des sports nautiques ainsi que de toutes autres activités humaines légalement exercées. / III. - La gestion équilibrée de la ressource en eau ne fait pas obstacle à la préservation du patrimoine hydraulique, en particulier des moulins hydrauliques et de leurs dépendances, ouvrages aménagés pour l'utilisation de la force hydraulique des cours d'eau, des lacs et des mers, protégé soit au titre des monuments historiques, des abords ou des sites patrimoniaux remarquables en application du livre VI du code du patrimoine, soit en application de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme ".

13. Les requérants soutiennent que le principe de gestion équilibrée de la ressource en eau prévu par ces dispositions a été méconnu dès lors que la délibération attaquée ne tient pas compte des autres objectifs visés et alors que l'efficacité de l'effacement ou de l'arasement des ouvrages en matière de restauration de la continuité écologique n'est pas avéré. Toutefois, il résulte de ce qui a été exposé précédemment, que la mesure litigieuse, d'une part, n'est qu'incitative et non contraignante et, d'autre part, est conditionnée à la justification du gain écologique après une étude au cas par cas. Par ailleurs, il ressort du programme litigieux que ce dernier prévoit, outre l'objectif n°3 contesté, plusieurs objectifs de lutte contre l'érosion de la biodiversité, de préservation des zones humides, de prévention des inondations et de gestion de la ressource en eau. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 211-1 du code de l'environnement doit être écarté.

S'agissant de l'illégalité, par voie d'exception, du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux Loire-Bretagne :

14. Aux termes de l'article L. 212-1 du code de l'environnement, dans sa version applicable au litige : " (...) XI. - Les programmes et les décisions administratives dans le domaine de l'eau doivent être compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (...) ". Selon l'article L. 212-2-1 de ce code : " L'autorité administrative établit et met à jour périodiquement pour chaque bassin ou groupement de bassins un programme pluriannuel de mesures contribuant à la réalisation des objectifs et des dispositions du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux ". En outre, l'article L. 213-8-1 du même code dispose que : " Dans chaque bassin ou groupement de bassins visé à l'article L. 212-1, une agence de l'eau, établissement public de l'Etat à caractère administratif, met en œuvre les schémas visés aux articles L. 212-1 et L. 212-3, en favorisant une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau et des milieux aquatiques, l'alimentation en eau potable, la régulation des crues et le développement durable des activités économiques (...) ". Enfin, selon l'article L. 213-9-1 dudit code : " Pour l'exercice des missions définies à l'article L. 213-8-1, le programme pluriannuel d'intervention de chaque agence de l'eau détermine les domaines et les conditions de son action et prévoit le montant des dépenses et des recettes nécessaires à sa mise en œuvre. (...) ".

15. Il résulte de ces dispositions que le programme pluriannuel d'intervention approuvé par l'Agence de l'eau, qui doit seulement être compatible avec le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux, se borne à contribuer à la réalisation des objectifs fixés par ledit schéma et n'est pas pris pour son application, le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux ne constituant pas davantage la base légale du programme d'intervention. Par suite, les moyens tirés de l'illégalité, par voie d'exception, du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux Loire-Bretagne doivent être écartés comme inopérants.

Sur les conclusions tendant à l'abrogation de la délibération attaquée :

16. Lorsqu'il est saisi de conclusions tendant à l'annulation d'un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir apprécie la légalité de cet acte à la date de son édiction. S'il le juge illégal, il en prononce l'annulation. Ainsi, saisi de conclusions à fin d'annulation recevables, le juge peut également l'être, à titre subsidiaire, de conclusions tendant à ce qu'il prononce l'abrogation du même acte au motif d'une illégalité résultant d'un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction, afin que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales qu'un acte règlementaire est susceptible de porter à l'ordre juridique. Il statue alors prioritairement sur les conclusions à fin d'annulation.

17. Dans l'hypothèse où il ne ferait pas droit aux conclusions à fin d'annulation et où l'acte n'aurait pas été abrogé par l'autorité compétente depuis l'introduction de la requête, il appartient au juge, dès lors que l'acte continue de produire des effets, de se prononcer sur les conclusions subsidiaires. Le juge statue alors au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

18. S'il constate, au vu des échanges entre les parties, un changement de circonstances tel que l'acte est devenu illégal, le juge en prononce l'abrogation. Il peut, eu égard à l'objet de l'acte et à sa portée, aux conditions de son élaboration ainsi qu'aux intérêts en présence, prévoir dans sa décision que l'abrogation ne prend effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.

19. L'article 49 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a introduit, au 2° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, la disposition suivante : " S'agissant plus particulièrement des moulins à eau, l'entretien, la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l'exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages ".

20. Si les requérants soutiennent que cette nouvelle rédaction interdit désormais tout dispositif incitatif tendant à l'effacement ou l'arasement d'ouvrages de retenue d'eau tels que des moulins à eau, il résulte de ce qui a été exposé au point 10 du présent arrêt que les dispositions de l'article L. 214-17 du code de l'environnement ne sauraient être utilement invoquées à l'encontre d'une délibération approuvant un programme d'intervention qui ne prévoit pas l'inscription de cours d'eau sur l'une des listes prévues par cet article et qui ne modifie pas les obligations imposées aux propriétaires d'ouvrages implantés sur ces cours d'eau. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

21. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par l'Agence de l'eau Loire-Bretagne, que l'association Les amis des moulins de la Mayenne et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande. Leurs conclusions à fin d'abrogation doivent également être rejetées.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que les requérants demandent à ce titre. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des requérants le versement de la somme que l'Agence de l'eau Loire-Bretagne demande sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins est admise.

Article 2 : La requête de l'association Les amis des moulins de la Mayenne et autres est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Les amis des moulins de la Mayenne, en qualité de représentant unique, à la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins, à l'agence de l'eau Loire-Bretagne et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré après l'audience du 15 juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Even, président,

M. Lerooy, premier conseiller,

Mme Houllier, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 juin 2023.

La rapporteure,

S. HOULLIERLe président,

B. EVENLa greffière,

C. RICHARD

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 21VE01199


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE01199
Date de la décision : 30/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Eaux - Ouvrages - Mesures prises pour assurer le libre écoulement des eaux.

Eaux - Gestion de la ressource en eau - Organismes de gestion.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: Mme Sarah HOULLIER
Rapporteur public ?: M. FREMONT
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS AVOXA

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-06-30;21ve01199 ?
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