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20/06/2023 | FRANCE | N°22VE02499

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 20 juin 2023, 22VE02499


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Melrose Mediterranean Limited a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision implicite du 11 avril 2012 et l'arrêté du 21 septembre 2015 par lesquels le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique ont rejeté sa demande de prolongation du permis exclusif de recherches de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux dit " permis du Rhône-Maritime ", d'enjoindre au ministre chargé des min

es de prendre une décision de prolongation de ce permis, pour une durée de c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Melrose Mediterranean Limited a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision implicite du 11 avril 2012 et l'arrêté du 21 septembre 2015 par lesquels le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique ont rejeté sa demande de prolongation du permis exclusif de recherches de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux dit " permis du Rhône-Maritime ", d'enjoindre au ministre chargé des mines de prendre une décision de prolongation de ce permis, pour une durée de cinq ans et pour une surface de 9 375 km², dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 63 500 000 euros, au titre du préjudice subi du fait de l'illégalité des décisions attaquées, assortie des intérêts capitalisés depuis la date de réception de sa demande préalable, et celle de 1 600 000 euros au titre de l'immobilisation de capitaux à hauteur de 13 500 000 euros.

Par un jugement nos 1206793-1601743 du 29 décembre 2016, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté ces demandes.

Par un arrêt n° 17VE01397 du 9 janvier 2020, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel de la société Melrose Mediterranean Limited, annulé ce jugement et l'arrêté du 21 septembre 2015, enjoint au ministre chargé des mines de réexaminer la demande de seconde prolongation de la validité du permis exclusif de recherches dit " permis du Rhône-Maritime " présentée par la société Melrose Mediterranean Limited, dans un délai de quinze mois à compter de la notification de son arrêt, et rejeté les conclusions indemnitaires présentées par la société Melrose Mediterranean Limited.

Par une décision n° 439376, 439456, du 31 octobre 2022, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi par la société Melrose Mediterranean Limited et par la ministre de la transition écologique et solidaire, a annulé l'arrêt de la cour et renvoyé l'affaire à la cour.

Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'Etat :

Par un mémoire enregistré le 13 février 2023, la société Melrose Mediterranean Limited, représentée par Mes Salat-Baroux et Lordonnois, avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 29 décembre 2016 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 21 septembre 2015 portant rejet de la demande de prolongation du permis exclusif de recherches de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 78,6 millions d'euros, assortie des intérêts capitalisés à compter de la date de réception de sa demande préalable ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier pour défaut de motivation sur le moyen tiré de l'avis du préfet maritime du 10 novembre 2011 n'avait pas été pris en compte ;

- la décision du 21 septembre 2015 a été prise sans consultation du préfet maritime, du préfet du Var et du préfet des Bouches-du-Rhône en méconnaissance de l'article 48 du décret du 2 juin 2006 ;

- la décision du 21 septembre 2015 est entachée d'erreur de droit dès lors que le code minier était applicable au sein des zones de protection écologiques (ZPE) ;

- elle est entachée d'erreur de droit dès lors que la prolongation du permis est de droit ;

- elle est illégale au regard du principe de confiance légitime ;

- elle méconnaît le principe de sécurité juridique ;

- elle méconnaît le droit au respect des biens garanti par l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme ;

- l'administration a commis une faute causant un préjudice à la société.

Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a présenté un mémoire enregistré le 10 mai 2023 par lequel il conclut au rejet de la requête et s'en rapporte à ses précédentes écritures enregistrées le 23 février 2018 devant la cour dans le dossier 17VE01397.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'environnement ;

- le code minier ;

- la loi n° 76-655 du 16 juillet 1976 ;

- la loi n° 2003-346 du 15 avril 2003 ;

- la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 ;

- le décret n° 2004-33 du 8 janvier 2004 ;

- le décret n° 2006-648 du 2 juin 2006 ;

- le décret n° 2012-1148 du 12 octobre 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Le Gars,

- les conclusions de Mme Viseur-Ferré, rapporteure publique,

- et les observations de Me Lordonnois pour la société Melrose Mediterranean Limited.

Une note en délibéré présentée pour la société Melrose Mediterranean Limited a été enregistrée le 16 mai 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La société Melrose Mediterranean Limited, détentrice du permis exclusif de recherches (PER) de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux, dit " permis du Rhône-Maritime ", portant sur une partie du sous-sol de la mer au large des départements des Bouches-du-Rhône et du Var, initialement délivré le 29 octobre 2002 à la société TGS-NPEC Geophysical Company Limited, a présenté le 15 juillet 2010 une demande tendant à l'obtention d'une seconde prolongation de ce permis exclusif de recherches, qui expirait le 19 novembre 2010. Cette demande a donné lieu à une décision implicite de rejet le 11 avril 2012. Par une ordonnance du 20 février 2014, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, suspendu l'exécution de cette décision implicite de rejet et enjoint au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie de procéder au réexamen de la demande de prolongation dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'ordonnance. Par un arrêté du 21 septembre 2015, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique ont rejeté la demande de seconde prolongation du permis exclusif de recherches présentée par la société Melrose Mediterranean Limited. Sur appel de la société, la cour administrative d'appel de Versailles a, par un arrêt du 9 janvier 2020, annulé le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 29 décembre 2016 rejetant sa demande d'annulation des décisions implicite et explicite de rejet et l'arrêté du 21 septembre 2015, enjoint au ministre chargé des mines de réexaminer la demande de la société et rejeté les demandes indemnitaires de la société Melrose Mediterranean Limited. La ministre de la transition écologique et solidaire et la société Melrose Mediterranean Limited se sont pourvus en cassation contre cet arrêt. Le Conseil d'Etat l'a annulé et a renvoyé l'affaire devant la cour.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ". Il ressort de l'examen du jugement que ce dernier motive suffisamment le rejet de la demande de la société, les premiers juges n'étant pas tenus de répondre aux moyens inopérants.

Sur le bien-fondé du jugement :

Sur la légalité de l'arrêté du 21 septembre 2015 :

3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1976 relative à la zone économique et à la zone de protection écologique au large des côtes du territoire de la République : " La République exerce, dans la zone économique pouvant s'étendre depuis la limite des eaux territoriales jusqu'à 188 milles marins au-delà de cette limite, des droits souverains en ce qui concerne l'exploration et l'exploitation des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, du fond de la mer, de son sous-sol et des eaux surjacentes. Ces droits sont exercés dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles ci-après. ". Aux termes de l'article L. 218-81 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de la loi du 15 avril 2003 relative à la création d'une zone de protection écologique au large des côtes du territoire de la République : " Ainsi qu'il est dit à l'article 4 de la loi n° 76-655 du 16 juillet 1976 relative à la zone économique et à la zone de protection écologique au large des côtes du territoire de la République, ci-après reproduit : / Art. 4 - Dans la zone économique définie à l'article 1er, les autorités françaises exercent en outre les compétences reconnues par le droit international relatives à la protection et à la préservation du milieu marin, à la recherche scientifique marine, à la mise en place et à l'utilisation d'îles artificielles, d'installations et d'ouvrages. Lorsque, dans une zone délimitée ainsi qu'il est précisé à l'article 1er, les autorités françaises entendent, pour des motifs tenant aux relations internationales, n'exercer que les compétences mentionnées au premier alinéa, cette zone est dénommée zone de protection écologique. (...) ". En vertu de l'article R. 218-15 du code de l'environnement, reprenant les dispositions du décret abrogé du 8 janvier 2004 portant création d'une zone de protection écologique au large des côtes du territoire de la République en Méditerranée : " Il est institué au large des côtes du territoire de la République en Méditerranée une zone de protection écologique. Cette zone comprend deux parties que sépare la mer territoriale déclarée autour de la Corse. (...) ". Cet article a lui-même été abrogé par l'article 3 du décret du 12 octobre 2012 portant création d'une zone économique exclusive au large des côtes du territoire de la République en Méditerranée.

4. Il résulte de ces dispositions qu'à la date à laquelle le précédent permis expirait, le 19 novembre 2010, un permis exclusif de recherches ne pouvait pas être délivré en application des dispositions du code minier relatives à la recherche de substance minérale ou fossile sur le plateau continental et dans la zone économique exclusive, eu égard à la localisation du périmètre du permis exclusif de recherches de la société Melrose Mediterranean Limited dans le périmètre de la zone de protection écologique au large des côtes de la Méditerranée. Dès lors, le ministre ne pouvait que rejeter la demande de prolongation de permis de la société requérante. Dans ces conditions, l'ensemble des moyens invoqués à l'encontre de la décision du ministre du 21 septembre 2015 doit être écarté comme inopérant. Par suite, la société Melrose Mediterranean Limited n'est pas fondée à demander l'annulation de cette décision.

Sur la responsabilité pour faute :

5. La société requérante invoque l'illégalité du refus de prolongation de son permis exclusif de recherche. Toutefois, ainsi qu'il vient d'être dit, l'administration n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité en refusant par la décision du 21 septembre 2015 la prolongation sollicitée.

Sur la responsabilité sans faute :

6. La société Melrose Mediterranean Limited soutient que la création d'une zone de protection écologique par la loi du 15 avril 2003 et le décret du 8 janvier 2004 en empêchant toute prolongation de son PER lui ont causé un préjudice anormal et spécial dès lors qu'elle a engagé des dépenses de recherches importantes et qu'elle n'a pu les rentabiliser par la suite ayant été privée de tout droit à obtenir un permis d'exploitation, générant un manque à gagner.

7. La responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée, d'une part, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi à la condition que cette loi n'ait pas entendu exclure toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère anormal et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés, d'autre part, en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France.

8. Il résulte des principes qui gouvernent l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat que le silence d'une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise en œuvre, ne saurait être interprété comme excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer. Ainsi, même en l'absence de dispositions le prévoyant expressément, le titulaire d'un permis exclusif de recherches dont la prolongation n'a pu être obtenue en application de la loi susvisée du 15 avril 2003 est fondé à demander l'indemnisation du dommage qu'il a subi de ce fait lorsque, excédant les aléas que comporte nécessairement le bénéfice d'une telle autorisation, il revêt un caractère anormal et spécial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement à l'intéressé.

9. La loi du 15 avril 2003 créant une zone de protection écologique n'excluait pas tout droit à réparation des préjudices qui excèdent les aléas que comporte nécessairement une telle exploitation, et il n'est pas contesté en défense que le préjudice subi par la société requérante revêt un caractère spécial dès lors qu'elle soutient être la seule impactée par l'intervention de cette loi.

10. Toutefois, concernant l'évaluation des différents chefs de préjudice invoqués, et compte tenu de l'imprécision des documents fournis par la société requérante à l'appui de ses prétentions, il y a lieu avant-dire droit d'ordonner une expertise aux fins et dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt.

DÉCIDE :

Article 1er : Il sera, avant dire-droit, procédé à une expertise, avec mission pour l'expert :

1°/ de se faire communiquer les documents utiles à sa mission,

2°/ de fournir tous les éléments utiles pour déterminer les sommes effectivement versées par la société Melrose Mediterranean Limited à la société TGS-NPEC Geophysical Company Limited en contrepartie du transfert du permis exclusif de recherche à compter du 11 octobre 2006 et représentant uniquement le remboursement des dépenses engagées par cette dernière société au titre des recherches de mines d'hydrocarbures pour le " permis du Rhône-Maritime " délivré le 29 octobre 2002, et la ou les dates de versement de ces sommes,

3°/ de fournir tous les éléments utiles pour déterminer les sommes exposées par la société requérante depuis qu'elle est titulaire du permis exclusif de recherche sur la zone de superficie de 12 500 km², puis le cas échéant sur la zone de 9 375 km², en lien avec la recherche de mines d'hydrocarbures,

4°/ de fournir tous les éléments utiles pour déterminer le manque à gagner subi par la société requérante du fait de l'impossibilité d'obtenir un permis d'exploitation, notamment les coûts d'exploitation et marges bénéficiaires usuels pour une activité d'exploitation de gisements d'hydrocarbures en mer.

Article 2 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant la greffière en chef de la cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par le président de la cour dans sa décision le désignant. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert justifiera auprès de la cour de la date de réception de son rapport par les parties.

Article 3 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.

Article 4 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Melrose Mediterranean Limited et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré après l'audience du 16 mai 2023, à laquelle siégeaient :

M. Brotons, président,

Mme Le Gars, présidente assesseure,

Mme Bonfils, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2023.

La rapporteure,

A-C. LE GARSLe président,

S. BROTONS

La greffière,

V. MALAGOLI

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 22VE02499 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22VE02499
Date de la décision : 20/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. BROTONS
Rapporteur ?: Mme Anne-Catherine LE GARS
Rapporteur public ?: Mme VISEUR-FERRÉ
Avocat(s) : CABINET WEIL GOTSHAL et MANGES LLP

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-06-20;22ve02499 ?
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