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25/05/2023 | FRANCE | N°20VE01947

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 25 mai 2023, 20VE01947


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Pages jaunes a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 583 950,84 euros, assortie des intérêts légaux et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la validation fautive de son plan de sauvegarde de l'emploi.

Par un jugement n° 1707765 du 16 juin 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par un

e requête et des mémoires, enregistrés les 7 août et 17 décembre 2020 et le 15 octobre 2021, l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Pages jaunes a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 583 950,84 euros, assortie des intérêts légaux et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la validation fautive de son plan de sauvegarde de l'emploi.

Par un jugement n° 1707765 du 16 juin 2020, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 7 août et 17 décembre 2020 et le 15 octobre 2021, la société anonyme Solocal, venant aux droits de la société Pages jaunes, représentée par Mes Guillaume et Roussel, avocats, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 629 950,84 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le régime de responsabilité appliqué à l'activité de contrôle exercée par l'administration dans le cadre de la validation des plans de sauvegarde de l'emploi relève de la faute simple et non d'un régime de faute lourde ;

- en tout état de cause, l'illégalité commise par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Ile-de-France dans le cadre de sa mission de contrôle des conditions de validité du plan de sauvegarde de l'emploi est constitutive d'une faute lourde engageant la responsabilité pleine et entière de l'Etat ;

- l'illégalité fautive commise par la DIRECCTE d'Ile-de-France est la cause directe et exclusive d'un préjudice financier grave né de l'application automatique des dispositions de l'article L. 1235-16 du code du travail et des sommes versées en exécution des transactions conclues avec ses anciens salariés, dont elle justifie à hauteur de la somme globale de 2 629 950,84 euros ;

- aucune cause exonératoire ne peut lui être opposée, le contrôle de la qualité des signataires de l'accord incombant exclusivement à l'administration, ni l'exception de risque accepté dès lors que l'illégalité fautive n'est imputable qu'à l'administration ;

- le préjudice dont elle demande réparation est certain ;

- la notion de perte de chance n'a pas à s'appliquer.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 6 novembre 2020 et le 10 septembre 2021, le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- l'application d'un régime de faute lourde est justifiée tant par la nature des intérêts en cause, qu'au vu de la spécificité des activités de contrôle exercées stricto sensu, l'administration exerçant en matière de plan de sauvegarde de l'emploi un contrôle global lequel requiert une certaine marge d'appréciation, et du risque de substitution de responsabilité ;

- aucune faute lourde de l'administration n'est établie, l'accord présenté à la validation étant en lui-même non-valable et les conséquences d'une faute étant sans incidence sur la qualification de celle-ci ;

- en tout état de cause, la faute commise est excusable au regard de l'étendue du contrôle prévu par les textes, de l'apparence de validité du mandat du représentant syndical et de la complexité de la mission de contrôle ;

- la négligence commise par la société Pages jaunes en associant un représentant du personnel dépourvu de mandat valide constitue une cause exonératoire ;

- l'exception du risque accepté est fondée, la société Pages jaunes s'étant délibérément exposée à un dommage en soumettant un accord négocié dans des conditions illégales et en procédant aux premiers licenciements alors que l'accord pouvait encore être privé d'effet ;

- l'illégalité entachant l'accord ab initio fait obstacle à la reconnaissance d'un lien de causalité entre le dommage et l'illégalité fautive de la décision administrative ;

- la société Pages jaunes ne justifie ni du caractère certain d'un préjudice en lien direct avec la faute alléguée, ni du quantum de ce dernier, le lien direct entre les deux ne pouvant pas, en tout état de cause, concerner un préjudice supérieur à la somme globale de 1 971 206,85 euros ;

- à titre subsidiaire, le montant de l'indemnisation doit être limité au tiers de la demande ; d'une part, la faute commise par la société Pages jaunes doit conduire à un partage de responsabilité ; d'autre part, l'indemnisation accordée doit être limitée à la seule part correspondant à la perte de chance de la société Pages jaunes de se soustraire à la réalisation du préjudice qu'elle invoque.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bonfils,

- les conclusions de Mme Moulin-Zys, rapporteure publique,

- et les observations de Me Perche, pour la société Solocal.

Considérant ce qui suit :

1. La société Pages jaunes, société anonyme devenue Solocal, dont l'activité est consacrée à la publicité sur internet et qui employait 3 914 salariés en 2013, a envisagé, pour sauvegarder sa compétitivité, de procéder à sa réorganisation en proposant à 1 645 de ses salariés, relevant essentiellement du secteur vente, la modification de leur contrat de travail et en supprimant 22 postes. Le 20 novembre 2013, un accord a été conclu entre la direction de la société Pages jaunes et les organisations syndicales représentatives Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), Syndicat autonome et Force ouvrière (FO). Par une décision du 2 janvier 2014, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Ile-de-France a validé cet accord. Par un arrêt n° 14VE02235 du 22 octobre 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé la décision du 2 janvier 2014 du fait de son illégalité en l'absence de caractère majoritaire de l'accord collectif, motif pris du défaut de renouvellement du mandat attribué le 1er février 2007 au délégué du syndicat Force ouvrière, en l'absence de production d'une nouvelle désignation à la suite des élections des représentants du personnel des 1er et 16 juillet 2010. Par une décision du 22 juillet 2015, sous les n°s 385668, 386496, le Conseil d'Etat a rejeté les pourvois formés contre l'arrêt de la cour par la société Pages jaunes et le ministre chargé du travail. La société Pages jaunes a saisi l'administration d'une demande d'indemnisation par courrier du 4 avril 2017, laquelle a été implicitement rejetée. La société anonyme (SA) Solocal relève appel du jugement du 16 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 2 583 950,84 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la validation fautive de son plan de sauvegarde de l'emploi.

Sur la responsabilité de l'Etat :

En ce qui concerne le régime de responsabilité applicable :

2. Aux termes de l'article L. 1233-57-2 du code du travail : " L'autorité administrative valide l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 dès lors qu'elle s'est assurée de : / 1° Sa conformité aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-3 ; (...) ". L'article L. 1233-24-1 du même code dispose : " Dans les entreprises de cinquante salariés et plus, un accord collectif peut déterminer le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné aux articles L. 1233-61 à L. 1233-63 ainsi que les modalités de consultation du comité d'entreprise et de mise en œuvre des licenciements. Cet accord est signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants. L'administration est informée sans délai de l'ouverture d'une négociation en vue de l'accord précité. ".

3. Au cours de la procédure d'élaboration de l'accord collectif prévu à l'article L. 1233-24-1 du code du travail, l'autorité administrative ne peut exercer le pouvoir d'injonction qui lui est conféré dans ce cadre, qui vise à la fois à favoriser le dialogue social et à garantir la régularité de la procédure mise en œuvre, que si elle est saisie d'une demande du comité d'entreprise ou des organisations syndicales représentatives. Au terme de ce processus, la validation par l'administration de l'accord collectif, laquelle doit intervenir dans un délai de quinze jours après vérification du caractère représentatif de l'accord conclu au regard notamment de la qualité des signataires, s'effectue au vu des documents transmis par l'employeur, auquel il incombe de mener de manière autonome la négociation avec les organisations syndicales représentatives au sein de son entreprise. Ainsi, dans les conditions où il est organisé, le pouvoir de contrôle que l'administration tient de l'article L. 1233-57-2 du code du travail, qui ne comporte aucune dimension participative à la négociation menée par la personne contrôlée, ne peut engager la responsabilité de l'Etat à l'égard de l'employeur que si l'exercice de ce pouvoir révèle l'existence d'une faute lourde commise par les services des directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS).

En ce qui concerne l'existence d'une faute :

4. Il résulte des dispositions citées au point 2 qu'il appartient à l'administration, saisie d'une demande de validation d'un accord collectif conclu sur le fondement de l'article L. 1233-24-1 du code du travail, de s'assurer du respect des dispositions mentionnées à l'article L. 1233-57-2 du même code. A ce titre il lui incombe notamment, en vertu du 1° de cet article, de vérifier, sous le contrôle du juge administratif, que l'accord d'entreprise qui lui est soumis a été régulièrement signé pour le compte d'une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur des organisations représentatives lors du premier tour des dernières élections professionnelles au sein de l'entreprise.

5. Il est constant, ainsi qu'il a été dit au point 1, qu'en validant un accord qui n'était pas conforme aux dispositions de l'article L. 1233-24-1 du code du travail, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a méconnu les dispositions de l'article L. 1233-57-2 du même code. Toutefois, il résulte de l'instruction que la société Pages jaunes a indiqué à la DIRECCTE d'Ile-de-France, dans sa demande de validation du 18 décembre 2013, que l'accord avait été signé par trois des organisations syndicales ayant participé aux dix réunions de négociation menées, à savoir la CFE-CGC, le Syndicat autonome et Force ouvrière, lesquelles représentaient au total 54,08 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections du comité d'entreprise. Un récapitulatif des résultats de ces élections était joint à ce courrier afin de permettre à l'administration de mesurer la représentativité des organisations syndicales signataires de l'accord. Par ailleurs, il ne ressort d'aucune des pièces produites, et n'est d'ailleurs pas soutenu, que la DIRECCTE d'Ile-de-France aurait eu connaissance de l'absence de désignation du représentant du syndicat Force ouvrière à la suite des dernières élections, ni que l'administration aurait obtenu cette information au cours de la procédure d'élaboration de l'accord, notamment à la faveur d'une demande d'injonction dont elle aurait été saisie. Au contraire, il n'est pas contesté que le représentant du syndicat Force ouvrière, lequel n'a jamais eu qualité de signataire pour conclure l'accord en litige dès lors qu'il a été désigné uniquement le 1er février 2007, n'aurait pas participé à l'ensemble de la procédure de dialogue initiée et conduite par l'employeur. Dans ces conditions, nonobstant l'importance qui s'attache au contrôle du caractère majoritaire d'un accord collectif, en considérant à tort que l'accord soumis à sa validation avait été signé par les représentants de trois organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives au premier tour des élections professionnelles de juillet 2010, l'autorité administrative, qui a analysé l'ensemble des éléments complets portés à sa connaissance et en a tiré les conséquences quant à la qualité des signataires de l'accord et au caractère représentatif des organisations syndicales engagées par ces derniers, n'a pour autant pas commis de faute lourde de nature à engager sa responsabilité. Par suite, la SA Solocal n'est pas fondée à engager la responsabilité de l'Etat au titre de l'illégalité de la décision de validation prise le 2 janvier 2014 par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la SA Solocal n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande. Par suite, les conclusions de sa requête doivent être rejetées, y compris celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SA Solocal est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Solocal et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 18 avril 2023, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Mauny, président assesseur,

Mme Bonfils, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mai 2023.

La rapporteure,

M.-G. BONFILSLe président,

P.-L. ALBERTINILa greffière,

S. DIABOUGA

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

N° 20VE01947 2


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