Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 4 août 2022 par lequel le préfet du Val-d'Oise a décidé son transfert aux autorités bulgares, d'enjoindre au préfet de lui remettre une attestation de demandeur d'asile et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement du 6 octobre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet arrêté.
Procédure devant la cour :
Par un recours enregistré le 8 novembre 2022, le préfet du Val-d'Oise demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 6 octobre 2022 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;
2°) de rejeter la demande de première instance de M. C....
Il soutient qu'il a remis à M. C... les brochures A et B répondant à l'obligation posée à l'article 4 du règlement n° 604/2013 et qu'il l'a informé lors d'un entretien le 17 juin 2022, mené avec un interprète en langue dari, de la mise en place de la procédure de réadmission pour la Bulgarie ; l'information prévue à l'article 4 du règlement n° 604/2013 n'a pas à être délivrée préalablement à l'enregistrement de la demande d'asile et M. C... disposait de l'ensemble des informations utiles avant l'entretien.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
1. M. C..., ressortissant afghan né le 15 janvier 1996, a déclaré être entré irrégulièrement en France et y a formulé une demande d'asile enregistrée le 17 juin 2022. Une consultation du fichier Eurodac le 13 juin 2022 ayant révélé que ses empreintes avaient été relevées le 11 avril 2022 en Bulgarie, où une demande d'asile a été enregistrée, puis en Autriche le 22 mai 2022, le préfet du Val-d'Oise a saisi le 23 juin 2022 les autorités bulgares et autrichiennes d'une demande de reprise en charge de l'intéressé. Cette demande a été acceptée expressément le 7 juillet 2022 par les autorités bulgares, sur le fondement de l'article 18-1 b du règlement (UE) n° 604/2013. Les autorités autrichiennes ont refusé la demande de reprise en charge le 24 juin 2022. Par un arrêté du 4 août 2022, le préfet du Val d'Oise a décidé le transfert de M. C... aux autorités bulgares pour l'examen de sa demande d'asile. Par un jugement du 6 octobre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé cet arrêté. Le préfet fait appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Droit à l'information / 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement. ". Il résulte de ces dispositions qu'un demandeur d'asile doit se voir remettre une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de l'examen de sa demande d'asile. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature de cette information, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue une garantie pour le demandeur d'asile.
3. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de celles produites pour la première fois en appel par le préfet du Val-d'Oise, que M. C... s'est vu remettre respectivement le 13 et le 17 juin 2022, contre signature, le document A " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande d'asile ' " et le document B " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", en langue dari qu'il a déclaré parler et comprendre. Il en ressort également que des prestations d'interprétariat de 10 et 11 minutes ont été délivrées en langue dari par la société ISM interprétariat le 13 et le 17 juin 2022, concernant un ressortissant afghan dont le numéro de dossier correspond à celui porté sur le récépissé délivré à M. C.... En outre, le résumé d'entretien individuel du 17 juin 2022 signé par M. C..., qui certifie que l'information sur les règlements communautaires lui a été remise, précise qu'il a été informé que sa demande d'asile est traitée conformément au règlement n° 604/2013 et qu'il déclare avoir compris la procédure engagée à son encontre. M. C... n'apporte par ailleurs aucun élément de nature à établir que les brochures qui lui ont été remises et les informations qui lui ont été délivrées oralement auraient été incomplètes. Il suit de là, quand bien même M. C... indique, sans être contredit, qu'il ne sait pas lire, que l'ensemble des informations nécessaires aux demandeurs d'une protection internationale en vertu de ces dispositions ont été communiquées à M. C.... Au regard de ces éléments, M. C... a bénéficié d'une information complète sur ses droits conformément aux dispositions de l'article 4 précité et le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé, pour ce motif, l'arrêté du 4 août 2022.
4. Il y a lieu, pour la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
5. L'arrêté en litige a été signé par M. D... A..., chef de la section éloignement /Comex de la préfecture du Val-d'Oise, qui disposait d'une délégation de signature à cette fin, consentie par l'article 3 de l'arrêté n° 22-084 du 27 juillet 2022, régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs de l'Etat. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit ainsi être écarté.
6. L'arrêté du 4 août 2022 vise notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment ses articles 3 et 8, le règlement (UE) n° 604/2013 et le règlement CE n° 1560/2003 ainsi que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il comporte des éléments détaillés sur les démarches accomplies par M. C... et sur celles des autorités françaises auprès des autorités bulgares, auprès desquelles il a demandé l'asile, et mentionne l'accord donné par ces dernières le 7 juillet 2022 en application de l'article 18-1 b du règlement (UE) n° 604/2013. Il comporte enfin une analyse de la situation personnelle et familiale de M. C... et précise qu'il n'établit pas ce risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'Etat responsable. Il n'est donc pas fondé à soutenir que l'arrêté du 4 août 2022 serait insuffisamment motivé.
7. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".
8. Il ressort des pièces du dossier, dont la teneur a été rappelée au point 3 du présent arrêt, que M. C... a bénéficié, le 17 juin 2022, jour de l'enregistrement de sa demande d'asile, d'un entretien individuel avec un agent qualifié de la préfecture du Val-d'Oise et l'assistance d'un interprète assermenté en langue dari, au cours duquel il a apporté des précisions sur sa situation personnelle et familiale et a pu présenter des observations. La circonstance que l'identité de cet agent ne soit pas mentionnée sur le résumé de l'entretien est sans incidence sur la légalité de la décision en litige et il ne ressort d'aucune pièce du dossier que cet entretien ne se serait pas déroulé régulièrement. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 précité du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit donc être écarté.
9. Il ressort des pièces du dossier que l'administration a saisi les autorités bulgares d'une demande de reprise en charge sur le fondement de l'article 18-1 b du règlement susvisé le 23 juin 2022 et que ces dernières ont accepté expressément de reprendre en charge M. C... le 7 juillet 2022, en faisant expressément référence à la demande du 23 juin 2022. Le moyen tiré d'un défaut de saisine régulière des autorités bulgares manque donc en fait.
10. Aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Enfin, aux termes de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
11. Si M. C... soutient qu'il n'a bénéficié d'aucune assistance en Bulgarie et qu'il aurait été pris en charge dans des conditions dégradantes par les autorités, il n'apporte aucune précision de nature à étayer ses allégations, la production d'un article sur la situation de 14 ressortissants afghans paru en 2018 ainsi que des fiches d'information de la commission européenne de 2018 et 2019 n'étant pas de nature à justifier de sa situation personnelle en Bulgarie en avril 2022. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il existait, à la date de l'arrêté litigieux, des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Bulgarie. Dans ces conditions, l'intéressé n'est pas fondé à soutenir que le préfet du Val-d'Oise en décidant son transfert aux autorités bulgares, aurait méconnu les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013, les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, que M. C... se borne d'ailleurs à invoquer de façon générale. Pour les mêmes motifs, et alors que le requérant ne fait état d'aucune attache particulière en France, le moyen tiré de ce que le préfet aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.
12. Si M. C... soutient que l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle, il ne justifie d'aucune attache familiale ou personnelle d'une particulière intensité en France et n'assortit pas son moyen d'une précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.
13. Enfin, si M. C... évoque les risques qu'il encourrait en Afghanistan, la décision en litige n'a ni pour objet ni pour effet de le renvoyer dans son pays d'origine. En outre, s'il fait état également des difficultés personnelles rencontrées lors de son séjour en Bulgarie, il n'apporte aucun élément de nature à établir qu'il ne serait pas correctement pris en charge par les autorités bulgares aux fins d'instruction de sa demande d'asile.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet est fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 6 octobre 2022 et le rejet de la demande présentée par M. C... devant ce tribunal.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 6 octobre 2022 est annulé.
Article 2 : La demande de M. C... présentée au tribunal administratif de Cergy-Pontoise est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... C....
Copie en sera adressée au préfet du Val-d'Oise.
Délibéré après l'audience du 9 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Albertini, président,
- M. Mauny, président assesseur,
- Mme Troalen, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mars 2023.
Le rapporteur,
O. B... Le président,
P.-L. ALBERTINI
La greffière,
F. PETIT-GALLAND
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 22VE02505002