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09/03/2023 | FRANCE | N°21VE01412

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 09 mars 2023, 21VE01412


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première requête, enregistrée sous le n° 1905046, Mme D... a demandé au tribunal administratif de Versailles l'annulation de la décision lui refusant l'octroi de la protection fonctionnelle pour les faits de harcèlement moral dont elle estime avoir été victime au cours de l'année 2014 et qu'il soit enjoint au département des Yvelines de lui octroyer la protection fonctionnelle.

Par une seconde requête, enregistrée sous le n° 1906324, Mme D... a demandé au tribunal de condamner le dépa

rtement des Yvelines à lui verser, en raison des fautes que celui-ci aurait commises...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première requête, enregistrée sous le n° 1905046, Mme D... a demandé au tribunal administratif de Versailles l'annulation de la décision lui refusant l'octroi de la protection fonctionnelle pour les faits de harcèlement moral dont elle estime avoir été victime au cours de l'année 2014 et qu'il soit enjoint au département des Yvelines de lui octroyer la protection fonctionnelle.

Par une seconde requête, enregistrée sous le n° 1906324, Mme D... a demandé au tribunal de condamner le département des Yvelines à lui verser, en raison des fautes que celui-ci aurait commises, une indemnité, qu'elle évalue à la somme de 110 914,41 euros, et la majoration des intérêts au taux légal à compter de la date de sa demande préalable indemnitaire, ainsi que la capitalisation de ces intérêts.

Par un jugement nos 1905046,1906324 du 15 mars 2021, le tribunal administratif de Versailles a annulé la décision refusant implicitement d'accorder à Mme D... la protection fonctionnelle, enjoint au département des Yvelines d'accorder à Mme D... la protection fonctionnelle et a condamné le département des Yvelines à verser à Mme D... une indemnité de 10 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 avril 2019 et de la capitalisation des intérêts à compter du 12 avril 2020 et une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 14 mai 2021 et le 13 juillet 2022, le département des Yvelines, représenté par Me Bazin, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les requêtes n° 1905046 et n° 1906324 de Mme D... de première instance tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande de protection fonctionnelle et à la condamnation du département des Yvelines à lui verser la somme de 110 914,41 euros en réparation des préjudices subis ;

3°) de mettre à la charge de Mme D... le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

S'agissant de la décision portant refus du bénéfice de la protection fonctionnelle :

- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que les faits rapportés par Mme D... étaient constitutifs d'un harcèlement moral, l'intéressée n'apportant pas d'indices suffisamment probants pour faire présumer l'existence du harcèlement dont elle se dit victime ;

- les mutations entre 2016 et 2018 ne révèlent pas une situation de harcèlement ; les attestations produites par Mme D... ne permettent pas de corroborer son argumentation tendant à décrire une réorganisation fin 2016 " brutale ", " violente " ou encore " incompréhensible " et sont contredites par les pièces qu'il produit au dossier ; elle n'a pas contesté les mesures de mutation ; le poste de chef de service des actifs fonctions et immobilier, occupé à compter du 1er décembre 2016 par Mme D..., suite à la réorganisation de la direction du patrimoine immobilier et de la construction (DPIC) en direction de l'ingénierie foncière et immobilière (DIFI) après avis du comité technique le 18 octobre 2016, est dans la continuité de son poste de responsable du pôle gestion des données patrimoniales ; la transformation de la DPIC en DIFI a été progressive ;

- les pièces produites n'établissent pas qu'elle aurait sollicité plusieurs formations qui lui auraient été refusées dès lors que le compte rendu de l'évaluation professionnelle au titre de 2016 révèle qu'elle a obtenu un avis favorable pour ses deux demandes de formations relatives au management et une formation transversale ;

- la candidature de Mme D... au poste de chef de service de la gestion foncière et immobilière a été écartée le 4 septembre 2017 dans l'intérêt du service dès lors qu'elle ne donnait pas entière satisfaction et qu'elle ne détenait pas les compétences juridiques nécessaires ;

- la privation de téléphone fixe ainsi que l'impossibilité de réserver un véhicule à compter de son affectation au poste de chargée d'opérations dans la sous-direction grands projets, de la DIFI, ne résultent que de difficultés techniques, résolues trois jours après l'alerte ;

- la mobilité interne envisagée à partir du 1er octobre 2018 après saisine de la commission administrative partiaire, dont elle a été informée oralement le 14 juin 2018 puis par une lettre de mission le 9 juillet 2018, a été envisagée dès lors que Mme D... ne donnait pas pleinement satisfaction à son poste de chargée d'opérations ;

- le département n'a pas opposé un refus " systématique " à ses demandes et l'a reçue le 27 juillet 2017 après candidature au poste de chef de projet au sein de la sous-direction maitrise d'ouvrage ;

- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, elle n'a nullement fait l'objet de " changements d'affectation contraints " constituant des agissements relevant du harcèlement moral, il s'agit de situations malheureusement communes en gestion des ressources humaines ;

- elle n'a pas non plus été privée de son emploi effectif entre 2017 et 2019 ; il n'y a pas eu de déclassement, le poste de chargé d'opérations correspondant à son grade d'emploi ;

- Mme D..., qui n'a jamais alerté le département sur ses problèmes de santé, ne peut sérieusement soutenir que les arrêts maladies, les visites auprès du médecin de prévention, constitueraient un élément caractérisant l'existence d'un harcèlement moral alors même que cela est contredit par M. B... ;

- la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie ne saurait démontrer, à elle seule, l'existence d'une situation de harcèlement moral ;

- les autres moyens soulevés par Mme D... et examinés par l'effet dévolutif de l'appel seront écartés ; la réponse à la demande de communication des motifs de la décision implicite de rejet de la demande de protection fonctionnelle a été effectuée dans le délai d'un mois et comporte les éléments de droit et de fait qui en constitue son fondement ;

S'agissant des conclusions indemnitaires :

- la décision refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle n'est pas illégale ;

- le moyen tiré du détournement de pouvoir entachant la suppression de son poste en 2016 et 2018 est dépourvu de précision suffisante ; le changement d'affectation de Mme D... en 2018 ne résulte pas d'une suppression de poste mais de son manque d'entrain dans l'exercice de ses fonctions ;

- Mme D... ne démontre pas que les décisions de mobilités à compter de mai 2016 auraient entraîné une dégradation de ses conditions de travail ni qu'elles seraient constitutives de sanctions déguisées et que la mise à disposition à compter du 1er octobre 2018 serait entachée d'un détournement de procédure dont le but serait de l'évincer ; elle n'a pas contesté la mise à disposition, qui est devenue définitive, et elle n'a pas été contrainte ;

- elle n'est pas fondée à se prévaloir des stipulations de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme dès lors que l'ensemble des décisions portant mobilités précisaient les mentions des voies et délais de recours, ainsi que l'arrêté portant modification de son régime indemnitaire et les décisions relatives à son temps partiel, qu'il lui était loisible de contester ;

- le département n'a pas manqué à son devoir de reclassement, prévu par l'article 97 de la loi du 26 janvier 1984, applicable seulement dans le cas d'une suppression de poste, dès lors qu'elle a été systématiquement repositionnée sur un autre poste ;

- il n'y a pas de discrimination en raison de l'âge, en méconnaissance des articles 6 et 6 bis du statut général de la fonction publique et sa responsabilité pour faute ne peut être engagée du fait qu'en mars 2017 un " Comex des moins de 35 ans " a été mis en place ;

- il n'a pas commis de faute et les préjudices allégués ne peuvent être indemnisés ; ils ne sont pas justifiés ;

- Mme D... ne démontre pas son préjudice moral ; les certificats médicaux produits se bornent à reprendre ses dires ;

- les préjudices liés au déroulement de sa carrière et financiers ne sont pas fondés et pas chiffrés s'agissant du premier ;

- la prescription est acquise s'agissant des demandes relatives à la période antérieure à 2015, s'agissant notamment du paiement des heures supplémentaires depuis 2014.

Par des mémoires en défense enregistrés le 2 décembre 2021 et le 30 août 2022, Mme D..., représentée par Me Kribeche-Gauvain, avocate, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête et de confirmer le jugement du tribunal administratif de Versailles en tant qu'il a annulé la décision implicite de rejet de sa demande de protection fonctionnelle, a enjoint au département de lui octroyer la protection fonctionnelle et a condamné le département à lui verser la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement en ce qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à la condamnation du département des Yvelines à lui verser la somme de 20 000 euros au titre de la discrimination liée à l'âge, la somme de 30 000 euros au titre du préjudice moral distinct du préjudice lié au harcèlement moral et la somme de 7 469,20 au titre des heures supplémentaires et de majorer ces indemnités des intérêts au taux légal à compter du 10 avril 2019, date de réception de sa demande préalable, ainsi que de la capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge du département des Yvelines la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête du département des Yvelines est irrecevable dès lors qu'il se contente de reprendre ses écritures de premières instances, avec la même argumentation, sans développer ses écritures ;

- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;

- le département a commis des fautes dans le déroulement de sa carrière ;

- les suppressions de poste en 2016 et 2018 sont entachées d'illégalité externe et interne qui lui ont causé un préjudice certain et direct ; les suppressions de poste n'ont pas été faites dans l'intérêt du service ; les mobilités qui lui ont été imposées sont illégales et entachées de détournement de pouvoir en l'absence de saisine de la commission administrative paritaire (CAP) ; de nombreuses mesures la concernant ont entraîné une dégradation de ses conditions de travail et un changement dans sa carrière, avec l'affectation à des grades inférieurs au sien ; ces changements n'ont pas permis d'avoir une lisibilité de sa carrière et l'ont empêchée de former des recours contre ces changements ; toutes les mesures prises depuis 2014 sont illégales et fondées sur un détournement de procédure ; l'affectation au poste de chargé d'opérations est accompagnée de l'affectation à un point repère du RIFSEEP inférieur à celui de son poste précédent, avec une diminution de salaire pour raisons de maladie ; la décision s'apparente à une décision de mobilité déguisée ; la décision d'affectation sur le poste de chargé d'opérations s'apparente à une mobilité ; la décision de mutation d'office du 9 juillet 2018 est illégale faute de saisine de la CAP et de communication de son dossier ; les mesures de mobilité et de mise à disposition sont une sanction déguisée ; la mise à disposition du 8 novembre 2018 auprès de l'établissement public interdépartemental Yvelines - Hauts-de-Seine est illégale ; les droits de la défense ont été méconnus en contradiction avec l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; l'ensemble de ces fautes lui a causé un préjudice de carrière ;

- les mesures prises par le département entre 2014 et 2018 sont discriminatoires et liées à son âge ;

- les préjudices résultant de ces fautes sont un préjudice moral, distinct de celui du harcèlement, qui peut être évalué à hauteur de 30 000 euros et une discrimination liée à l'âge à hauteur de 20 000 euros ;

- c'est à tort que le tribunal a rejeté sa demande tendant au remboursement de ses heures supplémentaires évalué à 7 469,20 euros, qu'elle établit faute de preuve contraire apportée par le département.

Par ordonnance du 13 décembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 26 janvier 2023, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de Mme Moulin-Zys, rapporteure publique,

- et les observations de Me Marginean pour le département des Yvelines et de Me Gauvain pour Mme D..., qui fait valoir que la requête du département est irrecevable et qu'elle se désiste de ses conclusions d'appel incident.

Une note en délibéré présentée pour le département des Yvelines a été enregistrée le 22 février 2023.

Une note en délibéré présentée pour Mme D... a été enregistrée le 24 février 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... a été recrutée par le département des Yvelines en 1995, en qualité d'ingénieur subdivisionnaire et elle a été affectée sur un poste de chargée d'opérations au sein du service " travaux neufs " de la direction des bâtiments. Elle a été détachée dans le cadre d'emplois des ingénieurs territoriaux à compter du 1er juin 2008, avant d'être intégrée dans ce cadre d'emplois, au grade d'ingénieur principal, à compter du 1er juin 2010. Elle a ensuite occupé les fonctions de chef de projets " travaux " au sein de la direction du patrimoine immobilier et de la construction (DPIC) du département des Yvelines entre 2008 et 2014. Dans le cadre d'une première réorganisation menée au début de l'année 2014, aboutissant à la suppression des pôles composant la direction au profit de 4 agences, Mme D... a postulé au poste d'adjointe au chef de l'agence dite " Ouest ". A la suppression de cette agence, elle a été repositionnée à compter du 7 mars 2016 sur le poste de responsable du pôle " Gestion des données patrimoniales " au sein de la sous-direction du patrimoine. Ce poste ayant été supprimé, à l'occasion de la mise en place de la direction de l'ingénierie foncière et immobilière (DIFI), Mme D... a dû postuler à un nouveau poste et a été nommée chef du service des actifs fonciers et immobiliers à compter du 1er décembre 2016. Ce poste ayant été affecté par une nouvelle réorganisation, résultant de la volonté du département de lui conférer une dimension juridique, il a été déclaré vacant au mois de mai 2017 et la candidature de Mme D... n'a pas été retenue pour l'occuper. Mme D... a alors été affectée d'office, à compter du 18 septembre 2017, sur un poste de chargé d'opérations au sein de la direction. Par lettre de mission du 9 juillet 2018, le directeur de l'ingénierie foncière et immobilière a informé Mme D... que sa mutation d'office était envisagée à compter du 1er octobre 2018, dans l'intérêt du service. Mme D... a été mise à la disposition de l'établissement public interdépartemental Yvelines-Hauts-de-Seine à compter du 1er octobre 2018 pour une durée de six mois, pour y occuper un poste de chef de projet référent patrimoine aux ouvrages d'art. Mme D... a enfin intégré, à sa demande, les effectifs de la région Ile-de-France à compter du 1er avril 2019. Par un courrier notifié le 19 décembre 2018, Mme D... a demandé au département des Yvelines le bénéfice de la protection fonctionnelle. Cette demande a été implicitement rejetée. Elle a en outre demandé au département, par un courrier notifié le 9 avril 2019, l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison des fautes commises dans la gestion de sa carrière, entre 2014 et 2018, laquelle a été implicitement rejetée. Par un jugement nos 1905046, 1906324 du 15 mars 2021, le tribunal administratif de Versailles a annulé la décision implicite refusant d'accorder à Mme D... la protection fonctionnelle, enjoint au département des Yvelines de lui accorder la protection fonctionnelle et a condamné le département des Yvelines à lui verser une indemnité de 10 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 avril 2019 et de la capitalisation des intérêts à compter du 12 avril 2020 ainsi qu'une une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par la présente requête, le département des Yvelines fait appel de ce jugement. Par un appel incident, Mme D... demande la réformation du jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires.

Sur la fin de non-recevoir :

2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. ".

3. La requête du département des Yvelines comporte une critique et des moyens spécifiquement dirigés contre le jugement attaqué. Ainsi, et alors en tout état de cause que le département était défendeur en première instance et n'a pas pu, de ce seul fait, reprendre en appel les termes de sa demande de première instance, la fin de non-recevoir soulevée par Mme D... doit être écartée.

Sur la décision refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle :

4. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " I. - A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. / (...) IV. - La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) ".

5. Lorsqu'un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité publique dont il dépend de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable, de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales, sauf s'il a commis une faute personnelle, et, à moins qu'un motif d'intérêt général ne s'y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il est l'objet.

6. Si la protection résultant du principe rappelé au point précédent n'est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l'un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Tel est le cas, notamment, lorsque l'agent est victime de faits de harcèlement moral.

7. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe ensuite à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Par ailleurs pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé. En outre, pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels faits répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

8. Le tribunal administratif a considéré que les réaffectations successives de l'intéressée entre 2014 et 2018 dans un contexte de réorganisation des services et de transformation de la DPIC en DIFI, les conditions dans lesquelles elle a été amenée à changer de poste et en particulier son affectation d'office sur un poste de chargé d'opérations entraînant une perte de ses fonctions d'encadrement et la réception d'une lettre l'incitant à rechercher une mobilité externe et enfin les documents médicaux produits par Mme D... étaient susceptibles de faire présumer un harcèlement moral et que les éléments apportés par le département n'étaient pas suffisants pour écarter cette présomption.

9. Si le département conteste cette appréciation, en estimant notamment que les changements d'affectation de l'intéressée étaient justifiés, accompagnés, qu'elle a été mutée d'office sur un poste de chargé d'opérations correspondant à son grade et invitée à une mobilité extérieure au regard de son manque d'investissement dans ses fonctions, aucun des éléments apportés par le département des Yvelines n'est de nature à remettre en cause l'appréciation portée par le tribunal sur l'existence d'une situation de harcèlement moral, au regard notamment du nombre de changements d'affectation qu'elle a subis de 2016 à 2018, des conditions dans lesquelles elle a été évincée du poste de responsable du pôle " Gestion des données patrimoniales " en mai 2017, avec sa radiation de l'organigramme et son affectation sur un poste de chargé d'opérations dépourvu de fonctions d'encadrement qu'elle avait jusqu'alors exercées, et de l'invitation à rechercher une mobilité extérieure au département alors que ce dernier ne justifie pas d'un désintérêt de l'intéressée pour ses fonctions. Le département des Yvelines n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Versailles a estimé que la décision implicite de rejet de l'octroi du bénéfice de la protection fonctionnelle était illégale au regard du harcèlement moral dont Mme D... avait été victime.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne l'appel principal :

10. Il résulte de ce qui précède que le département des Yvelines a échoué à renverser la présomption d'existence d'une situation de harcèlement moral à l'encontre de Mme D.... Il suit de là que le département, qui ne conteste pas l'évaluation par le tribunal du préjudice moral de l'intéressée, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le jugement contesté l'a condamné à verser à Mme D... la somme de 10 000 euros au titre de ce préjudice.

En ce qui concerne l'appel incident :

11. En premier lieu, si Mme D..., par la voie d'un appel incident, demande à ce que la somme de 30 000 euros lui soit allouée au titre du préjudice moral résultant de la situation de harcèlement dont elle a été victime, elle ne développe aucune argumentation de nature à remettre en cause la juste appréciation de son préjudice à laquelle a procédé le tribunal. Si elle peut être regardée, en outre, comme demandant l'indemnisation d'un préjudice moral résultant de l'ensemble des multiples fautes qu'elle impute au département dans la gestion de sa carrière, elle ne justifie pas en quoi chacune de ces fautes lui aurait causé un tel préjudice ni, en tout état de cause, que ce préjudice n'aurait pas été indemnisé au titre du harcèlement moral dont elle a été victime, lequel a été retenu au regard des décisions prises par le département pour la gestion de sa carrière et dont Mme D... conteste la légalité à l'appui de ces conclusions indemnitaires.

12. En deuxième lieu, si Mme D... demande une somme de 20 000 euros au titre de la discrimination liée à l'âge dont elle estime avoir été victime, elle ne justifie pas du préjudice qu'elle aurait subi au titre de cette discrimination, qu'il s'agisse d'un préjudice moral propre ou d'incidences professionnelles d'une telle discrimination. En outre, la création du Cogyte, rassemblant des agents du département âgés de moins de 35 ans, et la circonstance que plusieurs cadres de plus de 50 ans ont été évincés de la direction, ne suffisent pas à établir l'existence d'une discrimination liée à l'âge.

13. En troisième lieu, si Mme D... sollicite l'indemnisation des 263 heures supplémentaires qu'elle soutient avoir réalisées entre 2014 et 2018, elle n'en établit pas davantage en appel qu'en première instance la réalité, la quantité, ni qu'elles auraient été imposées par le département. Par suite, elle n'est pas fondée à demander le paiement de ces heures.

14. Il suit de là que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Versailles a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires en limitant la condamnation du département des Yvelines à une somme de 10 000 euros, majorée des intérêts à compter du 12 avril 2019 et de la capitalisation des intérêts à compter du 12 avril 2020.

15. Il résulte de ce qui précède que le département des Yvelines n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Versailles l'a condamné à payer à Mme D... la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et que Mme D..., pour sa part, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Versailles a limité le montant de son indemnisation à la somme de 10 000 euros.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme D..., qui n'est pas la partie perdante à l'instance, soit condamnée à verser au département des Yvelines la somme qu'il demande à ce titre. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département des Yvelines une somme de 1 500 euros au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du département des Yvelines est rejetée.

Article 2 : Les conclusions d'appel incident de Mme D... sont rejetées.

Article 3 : Le département des Yvelines versera à Mme D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et au département des Yvelines.

Délibéré après l'audience du 16 février 2023, à laquelle siégeaient :

M. Albertini, président de chambre,

M. Mauny, président assesseur,

Mme Villette, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mars 2023.

Le rapporteur,

O. A...Le président,

P.-L. ALBERTINILa greffière,

S. DIABOUGA

La République mande et ordonne au préfet des Yvelines en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

La greffière,

2

N° 21VE01412


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21VE01412
Date de la décision : 09/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-01-05 Responsabilité de la puissance publique. - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. - Responsabilité régie par des textes spéciaux.


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: M. Olivier MAUNY
Rapporteur public ?: Mme MOULIN-ZYS
Avocat(s) : CABINET BAZIN et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2023-03-09;21ve01412 ?
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