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12/07/2022 | FRANCE | N°22VE00807

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 12 juillet 2022, 22VE00807


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 19 janvier 2022 du préfet des Hauts-de-Seine décidant son transfert aux autorités espagnoles.

Par un jugement n° 2201322 du 4 mars 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 avril 2022, M. D..., représenté par Me Sarhane, avocate, demande à la cour :

1° d'ann

uler le jugement attaqué ;

2° d'annuler l'arrêté contesté ;

3° d'enjoindre au préfet des Hauts-de-Sein...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler l'arrêté du 19 janvier 2022 du préfet des Hauts-de-Seine décidant son transfert aux autorités espagnoles.

Par un jugement n° 2201322 du 4 mars 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 avril 2022, M. D..., représenté par Me Sarhane, avocate, demande à la cour :

1° d'annuler le jugement attaqué ;

2° d'annuler l'arrêté contesté ;

3° d'enjoindre au préfet des Hauts-de-Seine de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en jugeant que, si l'existence d'un accord implicite n'était pas établie, l'accord explicite des autorités espagnoles ressortait des pièces du dossier, le premier juge a opéré d'office une substitution de motif qui ne lui était pas demandée et dont il n'a pas préalablement informé les parties ;

- c'est à tort que le premier juge a écarté son moyen tiré de ce qu'il n'avait pas reçu la brochure A ;

- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé ;

- il n'est pas établi que la brochure A lui a été remise dès lors que, sur le document produit en première instance par le préfet, cette brochure n'est pas signée et qu'elle ne comporte ni son nom, ni son n° AGDREF ;

- la procédure de reprise en charge a été méconnue en ce que le préfet n'établit pas, en l'absence de constat d'accord implicite, que les autorités espagnoles ont accepté de le reprendre en charge ;

- il n'est pas établi que les informations requises lui ont été délivrées en langue malinké, seule langue qu'il comprend ;

- la procédure de transfert est irrégulière dès lors qu'il n'est pas établi que l'Etat requis a été saisi dans le délai de deux mois prescrit par l'article 23.2 du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- l'Etat français doit se reconnaître responsable de l'examen de sa demande d'asile en raison des défaillances systémiques affectant la procédure d'asile en Espagne au sens de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 ;

- il serait exposé, en cas de transfert en Espagne, à un risque de traitements inhumains et dégradants prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision de transfert porte une atteinte excessive à sa vie privée et familiale ;

- le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 et l'article L. 573-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

La requête a été communiquée au préfet des Hauts de Seine qui n'a pas produit de mémoire.

Par une décision du 14 juin 2022, M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience en application des dispositions de l'article R. 732-1-1 du code de justice administrative.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant malien, a présenté une demande d'asile enregistrée au guichet unique le 8 juillet 2021. La consultation du fichier Eurodac ayant révélé qu'il avait présenté une précédente demande d'asile en Espagne le 3 juillet 2021, M. D... a été placé sous procédure Dublin et a fait l'objet d'un arrêté de transfert aux autorités espagnoles du préfet des Hauts-de-Seine le 19 janvier 2022. M. D... relève appel du jugement du 4 mars 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, M. D... fait valoir qu'en jugeant que la réponse du 4 août 2021 des autorités espagnoles devait nécessairement être regardée comme une décision expresse d'acceptation de la reprise en charge, le magistrat désigné a opéré d'office une substitution de motif qui ne lui était pas demandée, sans en informer préalablement les parties. Toutefois, en s'appuyant sur un élément de fait ressortissant des pièces produites en défense, de nature, selon lui, à écarter le moyen l'irrégularité de la procédure de reprise en charge de l'intéressé du fait de l'absence d'accord des autorités espagnoles, le premier juge n'a pas excédé son office.

3. En second lieu, si M. D... soutient en outre que c'est à tort que le premier juge a écarté ses moyens tirés de ce que sa signature n'était pas apposée sur la brochure A et de ce que l'accord implicite prétendu imputé aux autorités espagnoles est irrégulier, sa contestation relève sur ces points de la légalité de l'arrêté contesté.

Sur la légalité de l'arrêté contesté :

En ce qui concerne la légalité externe :

4. En premier lieu, l'arrêté contesté mentionne les éléments pertinents relatifs à la situation personnelle de M. D... et à la procédure de reprise en charge le concernant, ainsi que les textes dont le préfet a fait application. Il est par suite suffisamment motivé.

5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. D... a reçu les brochures A et B, qui lui ont été remises avec son accord en langue française et dont les informations ont été portées oralement à sa connaissance en langue malinké par l'intermédiaire d'un interprète. Dans ces circonstances, alors même que la brochure A ne comporte pas sa signature, ni son nom ou son n° AGDREF, le moyen tiré de ce qu'il n'est pas établi que M. D... a reçu la brochure A et les informations prescrites par le règlement (UE) n° 604/2013 dit " C... A... ", dans une langue qu'il comprend, doit être écarté comme manquant en fait. Si le requérant fait en outre valoir qu'il n'est pas établi que les documents qui lui ont été remis étaient complets, il n'assortit ses allégations d'aucune précision, alors que les brochures remises mentionnent en première page leur nombre de pages. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 doit par suite être écarté.

6. Aux termes de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac ("hit"), en vertu de l'article 9, paragraphe 5, du règlement (UE) n° 603/2013. (...) ". Aux termes de l'article 25 du même règlement : " 1. L'État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. / 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée. "

7. Il ressort des pièces du dossier que le fichier Eurodac a été consulté le jour même de l'enregistrement de la demande d'asile de M. D..., le 8 juillet 2021, et que les autorités espagnoles ont été requises le 4 août 2021, soit dans le délai de deux mois prescrit par l'article 23 du règlement. Les autorités espagnoles ont répondu expressément le même jour qu'elles acceptaient la reprise en charge par défaut et que la date de leur accord n'était pas la date de cette réponse, mais la date de l'accord implicite à naître le 19 août. Ces éléments permettent de justifier de la saisine de l'Etat requis, dans le délai de deux mois, et de la confirmation explicite de son acceptation implicite de reprise en charge. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de reprise en charge doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

8. En premier lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre A... afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. "

9. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire.

10. Si M. D... soutient que l'Espagne connait actuellement des défaillances systémiques dans les conditions d'accueil qu'elle réserve aux demandeurs d'asile, il n'apporte pas d'éléments circonstanciés de nature à établir que sa demande d'asile ne sera pas examinée dans le respect des droits garantis par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. En deuxième lieu, aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ".

12. Il résulte de ces dispositions que si une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre et qu'en principe cet Etat est déterminé par application des critères d'examen des demandes d'asile fixés par son chapitre A..., dans l'ordre énoncé par ce chapitre, l'application de ces critères est toutefois écartée en cas de mise en œuvre de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre. Cette faculté laissée à chaque Etat membre est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

13. Pour soutenir que le préfet des Hauts-de-Seine a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en œuvre la clause discrétionnaire prévue par ces dispositions, M. D... fait valoir qu'il n'a pas pu déposer sa demande d'asile en Espagne. Toutefois, il n'en justifie pas.

14. En dernier lieu, M. D..., dont l'épouse et les enfants demeurent au Mali, se prévaut de la présence en France, au demeurant non établie, d'un cousin bénéficiaire de la protection internationale qui le soutient financièrement et l'aide dans ses démarches. Cette circonstance n'est pas de nature à caractériser la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

15. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande. Sa requête doit dès lors être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet des Hauts-de-Seine.

Délibéré après l'audience du 5 juillet 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Dorion, présidente-assesseure,

Mme Pham, première conseillère,

M. Bouzar, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juillet 2022.

L'assesseure la plus ancienne,

C. PHAM La présidente-rapporteure,

O. B...

La greffière,

C. FAJARDIE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commisaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour exécution conforme

La greffière,

N°.22VE000807 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22VE00807
Date de la décision : 12/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

095-02-03


Composition du Tribunal
Président : Mme DORION
Rapporteur ?: Mme Odile DORION
Rapporteur public ?: M. MET
Avocat(s) : SARHANE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-07-12;22ve00807 ?
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