Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Spie Partesia a demandé au tribunal administratif de Versailles d'établir le décompte du lot n° 4 " cloisons doublages " du marché de travaux de construction d'une unité cent trente-neuf lits à Plaisir et de condamner le centre hospitalier Jean-Martin Charcot à lui verser la somme de 92 447,12 euros TTC en règlement du solde de ce marché, cette somme étant assortie des intérêts moratoires et de mettre à sa charge la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1501235 du 3 octobre 2019, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés respectivement le 3 décembre 2019 et le 6 janvier 2021, la société Spie Partesia, représentée par Me Marquet, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner le centre hospitalier Charcot à lui verser la somme de 92 447,12 euros TTC au titre du solde du lot n° 4 " cloisons doublages " du marché de travaux de construction d'une unité de cent trente-neuf lits à Plaisir, cette somme étant assortie des intérêts moratoires ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Charcot la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la réfaction de 75 % du coût des travaux réalisés (50 % sur les fournitures et 25 % sur la main d'œuvre) est arbitraire, les travaux étant achevés à la date de résiliation du marché en mars 2012, les documents d'exécution des travaux ayant été remis et l'absence de remise du dossier des ouvrages exécutés ne justifiant qu'une pénalité et non une réfaction en application de l'article 4.4.2. du cahier des clauses administratives particulières ; le quantum de la réfaction n'est pas justifié ; le centre hospitalier ne peut remettre en cause l'état d'avancement des travaux résultant de la situation n° 13 du 31 janvier 2007 qui n'est pas lui-même critiqué ; cet avancement a été vérifié et rectifié par le maître d'ouvrage qui assumait temporairement les missions de pilotage du chantier, de coordination et d'ordonnancement ; le centre hospitalier ne peut revenir sur l'état des acomptes au 31 décembre 2007 à partir d'une analyse de la situation faite cinq ans plus tard ; cet état d'avancement est confirmé par les indications du compte-rendu de coordination et de pilotage n° 99 du 19 décembre 2006 ; l'absence des documents d'exécution n'est pas établie, les plans d'exécution et autres documents d'exécution ayant été remis au maître d'œuvre ayant à l'époque la charge du chantier ;
- aucune réfaction n'est possible au titre des dégradations causées aux ouvrages achevés, ces dégradations résultant du fluage des planchers béton ; ces dégradations ne lui étant pas imputables, elle se borne à demander le paiement du solde du prix stipulé en contrepartie des travaux exécutés ; ce paiement n'est pas subordonné à un bouleversement de l'économie du marché ou à une faute du maître d'ouvrage ; la jurisprudence du Conseil d'Etat du 5 juin 2013, Région Haute Normandie, n'est pas applicable ; le titulaire a droit à un paiement complet par le maître d'ouvrage à charge pour lui de se retourner contre les entreprises responsables et/ou son assureur ; le maître d'ouvrage avait accepté des devis de reprise ayant fait l'objet d'un marché complémentaire mais a ainsi marqué son acceptation de rémunérer le titulaire ; dès lors qu'en application de l'article 46.2 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG Travaux), elle peut être indemnisée de son préjudice résultant de la résiliation prononcée sur le fondement des stipulations de l'article 46.1 du même cahier, le maître d'ouvrage ne peut lui appliquer une réfaction lui causant un préjudice ; aux termes des articles 2.1 et 12.4 du CCAG Travaux, seul le maître d'œuvre du chantier pouvait convoquer les entreprises pour effectuer les constats ;
- la jurisprudence sur la garde des ouvrages avant réception et les principes dont s'inspire l'article 1788 du code civil ne sont pas applicables dès lors que les dégradations ne lui sont pas imputables et qu'elles ne proviennent pas d'un cas fortuit ou d'une force majeure ;
- ainsi qu'il résulte du rapport de l'expert, le centre hospitalier a commis une faute en raison de son manque de surveillance et/ou de contrôle de ses cocontractants et de son inertie, les constats contradictoires n'ayant été réalisés que tardivement plus d'un an après la résiliation ; les constats effectués en 2013 ne peuvent servir de fondement à une réfaction, le maître d'ouvrage n'ayant pris aucune mesure pour assurer la conservation des ouvrages exécutés et n'ayant pas ajourné le chantier pendant plus de cinq ans ;
- le maître d'ouvrage n'a pas établi ne pas avoir été indemnisé de ces désordres par son assureur ; il a répercuté ses préjudices dans les décomptes des autres entreprises ;
- elle ne pouvait être déclarée irrecevable à agir au titre du marché complémentaire des devis 11 et 12 au motif que celui-ci ne pouvait être intégré au décompte du marché principal objet du litige dès lors qu'il s'agissait d'un marché " complémentaire " expressément rattaché au marché de base.
Par un mémoire en défense enregistré le 31 août 2020, le centre hospitalier de Plaisir, représenté par Me Cabanes, avocat, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a admis la contestation de certaines réfactions opérées sur le décompte général ;
2°) de rejeter la requête ;
3°) de mettre à la charge de la société requérante le versement de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que
- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que les réfactions de 50 % sur les fournitures et de 25 % sur la main d'œuvre n'étaient pas justifiées ;
- les moyens soulevés par la société Spie Partesia ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code des marchés publics ;
- le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux approuvé par le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de Mme Sauvageot, rapporteure publique,
- les observations de Me Pappas, pour la société Spie Partesia et celles de Me Couette, pour le centre hospitalier de Plaisir.
Considérant ce qui suit :
1. Le centre hospitalier Jean-Martin Charcot, aux droits duquel vient le centre hospitalier de Plaisir, a attribué le 30 septembre 2004 à la société Spie Partesia le lot n° 4 " cloisons / doublages " des travaux de construction d'une unité de cent trente-neuf lits pour un prix global et forfaitaire de 945 170 euros HT, porté à 994 232 euros HT par un avenant n° 1 du 8 juillet 2005. L'ordre de service prescrivant le commencement des travaux a été notifié le 7 mars 2005 et les travaux devaient s'achever le 24 juillet 2006. Toutefois, les planchers réalisés par l'entreprise chargée du gros-œuvre s'étant affaissés, divers désordres en ont résulté et le chantier a accusé un important retard, également lié à la défaillance de plusieurs constructeurs. Le rapport de l'expert désigné, à la demande du centre hospitalier, par une ordonnance du juge des référés du 3 juillet 2007 a été déposé le 6 mars 2010. Les travaux n'ont néanmoins pas repris et le centre hospitalier de Plaisir a finalement résilié le marché de la société Spie Partesia par courrier du 19 mars 2012 sur le fondement de l'article 46.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG Travaux). Le 24 avril 2013, la société Spie Partesia a présenté son projet de décompte final faisant apparaître un solde en sa faveur d'un montant de 92 447,12 euros TTC. Après réalisation de constats contradictoires valant réception des ouvrages exécutés le 27 mai 2013, le maître d'ouvrage lui a notifié, par un courrier du 9 septembre 2013, un décompte général faisant apparaître un solde en faveur de l'hôpital de 506 592,88 euros TTC. Après rejet de sa réclamation formée contre ce décompte, la société Spie Partesia a saisi le tribunal administratif de Versailles d'une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier Charcot à lui verser la somme de 92 447,12 euros TTC, majorée des intérêts moratoires, en règlement du solde du marché. Elle relève appel du jugement du 3 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif a rejeté cette demande. Par la voie de l'appel incident, le centre hospitalier sollicite la réformation de ce jugement en tant que le tribunal a remis en cause les réfactions de 50 % et 25 % qu'il avait pratiquées sur les fournitures et la main d'œuvre facturées par la société.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. La société Spie Partesia soutient que le tribunal administratif aurait à tort estimé qu'elle n'était pas recevable à demander le règlement du marché complémentaire n° 2008-28 passé au titre des devis nos 11 et 12. Toutefois, alors même que ce marché complémentaire se rattachait au marché principal objet du présent litige, ces deux marchés devaient, en l'absence de stipulations contraires, faire l'objet de deux décomptes distincts. Ainsi, la société Spie Partesia n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté ses conclusions indemnitaires au titre du marché complémentaire comme devant faire l'objet d'un règlement distinct.
Au fond :
En ce qui concerne le droit au paiement du prix du marché :
S'agissant de la " réfaction de 50 % sur les fournitures et de 25 % sur la main d'œuvre " :
3. D'une part, aux termes de l'article 46.1 du CCAG Travaux applicable au marché litigieux : " Il peut être mis fin à l'exécution des travaux faisant l'objet du marché, avant l'achèvement de ceux-ci par une décision de résiliation du marché qui en fixe la date d'effet. / Le règlement du marché est fait alors selon les modalités prévues aux 3 et 4 de l'article 13, sous réserve des autres stipulations du présent article. / Sauf dans les cas de résiliation prévus aux articles 47 et 49, l'entrepreneur a droit à être indemnisé, s'il y a lieu, du préjudice qu'il subit du fait de cette décision. Il doit, à cet effet, présenter une demande écrite, dûment justifiée, dans le délai de quarante-cinq jours compté à partir de la notification du décompte général ". Aux termes de l'article 46.2 du même cahier : " En cas de résiliation, il est procédé, l'entrepreneur ou ses ayants droit, tuteur, curateur ou syndic, dûment convoqués, aux constatations relatives aux ouvrages et parties d'ouvrages exécutés, à l'inventaire des matériaux approvisionnés, ainsi qu'à l'inventaire descriptif du matériel et des installations de chantier. Il est dressé procès-verbal de ces opérations. / L'établissement de ce procès-verbal emporte réception des ouvrages et parties d'ouvrages exécutés, avec effet de la date d'effet de la résiliation, tant pour le point de départ du délai de garantie défini à l'article 44 que pour le point de départ du délai prévu pour le règlement final du marché au 32 de l'article 13 ". Enfin, aux termes de l'article 13.31 de ce cahier : " Après l'achèvement des travaux l'entrepreneur, concurremment avec le projet de décompte afférent au dernier mois de leur exécution ou à la place de ce projet, dresse le projet de décompte final établissant le montant total des sommes auxquelles il peut prétendre du fait de l'exécution du marché dans son ensemble les évaluations étant faites en tenant compte des prestations réellement exécutées (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 91 du code des marchés publics dans sa version applicable au marché en litige : " Les règlements d'avances et d'acomptes n'ont pas le caractère de paiements définitifs ; leur bénéficiaire en est débiteur jusqu'au règlement final du marché ou, lorsque le marché le prévoit, jusqu'au règlement partiel définitif ".
5. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'analyse des constats contradictoires et des situations financières d'avancée de travaux établi en juin 2013 ainsi que du détail financier du décompte général notifié à l'entreprise, qu'à la suite de la résiliation du marché, le centre hospitalier a procédé à une évaluation poste par poste de l'ensemble des travaux du lot n° 4 confiés à la société Spie Partesia, à partir des constatations contradictoires effectuées en dernier lieu le 27 mai 2013 conformément aux stipulations précitées de l'article 46.2 du CCAG Travaux. Il résulte également de l'instruction que la société Spie Partesia a été régulièrement convoquée pour procéder à ces constatations par un courrier du maître d'œuvre du 2 mai 2013, la circonstance que ce maître d'œuvre n'était pas encore désigné lorsque les désordres affectant le lot gros œuvre sont intervenus étant sans incidence sur la régularité de cette convocation. Le procès-verbal de constat contradictoire, établi le 27 mai 2013, a été signé avec des observations par le représentant de la société requérante. Le règlement du marché a ensuite été effectué selon les modalités prévues au 3 et 4 de l'article 13 de ce même CCAG Travaux. Dans une telle hypothèse, le titulaire ne peut prétendre purement et simplement au paiement du prix du marché mais seulement au paiement des travaux réellement exécutés, évalués à partir des constatations contradictoires établies à la suite de la résiliation.
6. Si l'état d'acompte n° 13 du 8 octobre 2007 du marché litigieux a été validé à l'époque par le maître d'ouvrage, qui assumait temporairement les missions de pilotage du chantier, de coordination et d'ordonnancement, et si le centre hospitalier ne s'est pas opposé au paiement à la société requérante de ses acomptes jusqu'en octobre 2007, il résulte des dispositions précitées de l'article 91 du code des marchés publics que ces circonstances ne faisaient pas obstacle à la remise en cause de ces versements jusqu'au règlement final du marché. Par suite, la société Spie Partesia ne peut se prévaloir de la validation et du paiement de ses acomptes pour établir que l'état réel d'avancement de ses travaux ne correspondait pas aux constatations effectuées contradictoirement le 27 mai 2013 et que les travaux qu'elle devait effectuer étaient réalisés à hauteur de 99 % pour le marché de base et de 95 % pour l'avenant n° 1. Le diagnostic établi par le maître d'œuvre en mai 2013, l'annexe 5 au décompte général et le procès-verbal de constat d'huissier du 27 mai 2013 constituent des éléments de preuve de nature à établir l'état réel d'avancement des travaux lors de la résiliation, qui ne sont pas remis en cause par la validation de l'état d'acompte n° 13 du 8 octobre 2007. Est sans incidence à cet égard la circonstance que ces éléments de preuve ont été établis plus de cinq années après l'interruption des travaux. Ces éléments de preuve ne sont pas davantage remis en cause par le seul compte rendu n° 99 du 19 décembre 2006 établi par l'entreprise chargée de l'ordonnancement, du pilotage et de la coordination, faisant état d'un état d'avancement des travaux évalué uniformément à 98 % pour l'ensemble des zones du chantier en ce qui concerne le lot " cloisons / doublages " confié à la société Spie Partesia.
7. Enfin, si le rapport d'analyse des constats contradictoires et des situations financières d'avancée de travaux fait état de réfactions de 50 % sur les fournitures et de 25 % sur la main d'œuvre notamment en raison de l'absence de remise de l'ensemble des documents d'exécution, d'une part, la société Spie Partesia n'apporte pas la preuve qui lui incombe de la transmission de ces documents en se bornant à soutenir qu'ils ont été remis au maître d'œuvre alors en charge de l'opération lequel n'a émis aucune observation à cet égard et, d'autre part, elle n'est pas fondée à soutenir que la résiliation du marché et la modification du programme des travaux la dispenseraient de transmettre ces pièces au maître d'œuvre ayant établi les constats. En tout état de cause, il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'analyse des constats contradictoires et des situations financières d'avancée de travaux établi en juin 2013, que la valorisation des travaux réellement effectués résultant des constatations contradictoires effectuées le 27 mai 2013 tient compte non seulement de l'absence de transmission de certains documents mais aussi d'ouvrages de travaux non terminés, non satisfaisants, non acceptables ou présentant des désordres incombant au titulaire qui n'en conteste pas l'existence. Dans ces conditions, la requérante ne peut utilement se prévaloir de la circonstance que l'article 4-4.2. du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché litigieux prévoit seulement une pénalité en cas de non remise de documents après exécution.
8. Il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Plaisir est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a remis en cause la réfaction de 50 % sur les fournitures et de 25 % sur la main d'œuvre et a établi le décompte du marché à partir de l'état d'acompte n° 13 du 8 octobre 2007.
S'agissant de la " réfaction liée aux dégradations " :
9. La société Spie Partesia conteste la réfaction de 79 000 euros qui aurait été appliquée par le maître d'ouvrage au titre du coût de reprise des désordres affectant les cloisons et les doublages thermiques qu'elle a réalisés. Elle soutient que, même en dehors de tout bouleversement de l'économie du contrat, elle a droit au paiement du prix du marché dès lors que les dégradations subies par les travaux qu'elle a effectués ne lui sont pas imputables.
10. En premier lieu, l'existence de ces dégradations est établie par les constatations contradictoires effectuées le 27 mai 2013 dans les conditions prévues par les stipulations précitées de l'article 46.2 du CCAG Travaux et n'est d'ailleurs pas contestée par la société Spie Partesia. Ces constatations reflètent ainsi l'état d'avancement réel des travaux lors de la résiliation du marché. Dans ces conditions, alors même que les dégradations constatées ne lui seraient pas imputables mais résulteraient de désordres affectant le gros œuvre ainsi que des conditions dans lesquelles le chantier a été interrompu pendant plusieurs années, la société Spie Partesia est néanmoins seulement fondée à obtenir le paiement des travaux réellement exécutés conformément aux stipulations du marché.
11. En deuxième lieu, si le maître d'ouvrage a accepté les devis de reprise présentés par la société Spie Partesia et a conclu un marché complémentaire avec elle, il ne saurait être regardé, de ce fait, comme ayant accepté de lui verser au titre du marché en litige la totalité du prix global et forfaitaire indépendamment de l'état d'avancement des travaux et des désordres constatés lors de la résiliation.
12. En troisième lieu, si le titulaire peut être indemnisé de ses préjudices en cas de résiliation sur le fondement des stipulations précitées de l'article 46.1 du CCAG Travaux, cette circonstance ne fait cependant pas obstacle à ce que sa rémunération soit évaluée au regard de l'état d'avancement des travaux lors de la résiliation et de leur conformité aux stipulations contractuelles.
13. En quatrième lieu, aux termes de l'article 43.3 du CCAG Travaux : " Sous réserve des conséquences des malfaçons qui lui sont imputables, l'entrepreneur n'est pas responsable de la garde des ouvrages ou parties d'ouvrages pendant toute la durée où ils sont mis à la disposition du maître de l'ouvrage ".
14. La société Spie Partesia soutient que les dégradations constatées sur ses ouvrages ne provenant ni d'un défaut dans la garde de ces ouvrages qui lui serait imputable, ni d'un cas fortuit ou d'un cas de force majeure au sens des dispositions de l'article 1788 du code civil, elle ne saurait en supporter les conséquences dans le cadre du règlement du marché. Elle fait valoir que les dégradations proviennent de circonstances totalement irrésistibles pour elle et qu'elle ne pouvait assurer la garde d'un ouvrage dont elle n'avait pas l'entière disposition, de sorte que le maître d'ouvrage ne pouvait procéder à une réfaction à raison des dégradations constatées sur ses travaux.
15. Toutefois, antérieurement à la réception, la garde de l'ouvrage incombe en principe à l'entrepreneur et le prix global et forfaitaire du marché est censé tenir compte de toutes les sujétions d'exécution des travaux normalement prévisibles. En l'espèce, ce prix tient compte des dépenses communes de chantier en vertu de l'article 3-2.1 du CCAP lesquelles comprennent les dépenses de chauffage, les frais de gardiennage de l'ouvrage et les frais de nettoyage, de réparation et de remplacement des fournitures et matériels mis en œuvre et détériorés ou contournés, en particulier lorsque l'auteur des dégradations ou des détournements ne peut être découvert.
16. Si la société Spie Partesia soutient qu'elle n'avait pas l'entière disposition de l'ouvrage lorsque le chantier était à l'arrêt, elle n'apporte aucun élément de nature à établir qu'elle aurait été empêchée durant cette période d'assurer ou de faire assurer avec les autres entreprises en charge des travaux, le gardiennage et le chauffage du bâtiment en construction et la protection des travaux qu'elle avait réalisés.
17. Par ailleurs, si le centre hospitalier a assuré lui-même la surveillance du chantier lorsqu'il était à l'arrêt, il n'est pas établi que l'ouvrage ou certaines parties de l'ouvrage ont été mis à sa disposition au cours de cette période conformément aux stipulations précitées de l'article 43.1 du CCAG Travaux, aucune procédure de mise à disposition n'ayant été mise en œuvre. Ainsi, le centre hospitalier ne peut être regardé comme ayant reçu la garde de l'ouvrage. Par suite, la société Spie Partesia n'est pas fondée à soutenir que le centre hospitalier ayant eu la garde des ouvrages ou parties d'ouvrages mis à sa disposition, il doit supporter la responsabilité des conséquences de leur dégradation.
18. Enfin, si ces détériorations ont pour partie pour origine le fluage des planchers béton réalisés par l'entreprise titulaire du lot gros œuvre, la société Spie Partesia n'est cependant pas fondée à soutenir que le centre hospitalier devrait en supporter la charge dans le cadre de l'établissement du décompte de son marché dès lors qu'il lui incombe, si elle s'y croit recevable et fondée, de rechercher la responsabilité quasi-délictuelle du titulaire du lot gros œuvre pour obtenir réparation de ses préjudices résultant de ces désordres.
19. En cinquième et dernier lieu, aux termes de 48.1 du CCAG Travaux : " L'ajournement des travaux peut être décidé. Il est alors procédé, suivant les modalités indiquées à l'article 12, à la constatation des ouvrages et parties d'ouvrages exécutés et des matériaux approvisionnés. / L'entrepreneur qui conserve la garde du chantier a droit à être indemnisé des frais que lui impose cette garde et préjudice qu'il aura éventuellement subi du fait de l'ajournement. / Une indemnité d'attente de reprise des travaux peut être fixée dans les mêmes conditions que les prix nouveaux, suivant les modalités prévues à l'article 14 ".
20. La société Spie Partesia soutient que les constats effectués en 2013 ne peuvent servir de fondement à une réfaction, le maître d'ouvrage n'ayant pris aucune mesure pour assurer la conservation des ouvrages exécutés et n'ayant pas ajourné le chantier pendant plus de cinq ans. Elle soutient également que le centre hospitalier a commis une faute en raison de son manque de surveillance et/ou de contrôle de ses cocontractants et de son inertie, les constats contradictoires n'ayant été réalisés que tardivement plus d'un an après la résiliation du marché.
21. Toutefois, il résulte de l'instruction que, dans le cadre des travaux de construction litigieux, le centre hospitalier s'est entouré des compétences d'un conducteur d'opération, d'une entreprise chargée de l'ordonnancement, du pilotage et de la coordination et d'une équipe de maîtrise d'œuvre, qui ont fait défaut ou se sont désengagés. Il a été procédé à la résiliation de plusieurs contrats et de nouveaux titulaires ont été désignés. Dans ce contexte, la société Spie Partesia n'apporte aucun élément de nature à établir que le maître d'ouvrage a manqué à son obligation de surveillance et/ou de contrôle de ses cocontractants.
22. De plus, il résulte de l'instruction que la société CAP Architecture a convoqué la société Spie Partesia pour procéder aux constatations nécessaires le 22 mai 2012. Aucun procès-verbal signé par le maître d'œuvre n'a été établi à cette occasion et le marché du maître d'œuvre a été résilié en août 2012 en raison de ses fausses déclarations concernant ses capacités financières. Un nouveau maître d'œuvre ayant été désigné en octobre 2012, ce dernier a convoqué une nouvelle fois la société Spie Partesia à une réunion en vue de procéder aux constatations contradictoires le 19 décembre 2012. A la suite de contestations d'entreprises mettant en cause le caractère contradictoire des opérations de constats, il a été procédé à de nouveaux constats contradictoires le 27 mai 2013. Le projet de décompte final a été présenté par la société Spie Partesia le 24 avril 2013 et le décompte général lui a été notifié, après mise en demeure du 1er juillet 2013, le 17 septembre 2013. Compte tenu de la résiliation du marché de maîtrise d'œuvre, dont il n'est pas établi qu'elle n'était pas justifiée, du délai nécessaire pour désigner un nouveau maître d'œuvre et lui permettre de se préparer à établir les constats contradictoires et rédiger les rapports d'analyse y afférents, la société Spie Partesia n'est pas fondée à soutenir que les modalités de règlement du marché après la décision de résiliation traduisent une faute du maître d'ouvrage.
23. Enfin, si le chantier de construction de la nouvelle unité de cent trente-neuf lits a effectivement été arrêté plusieurs années à la suite des désordres affectant le lot gros œuvre, il n'est pas établi que le centre hospitalier a commis une faute en s'abstenant d'ajourner les travaux, cet ajournement n'étant qu'une faculté pour le maître d'ouvrage, conformément des stipulations précitées de l'article 48.1 du CCAG Travaux et étant par lui-même sans incidence sur la garde du chantier. La société Spie Partesia n'établit et n'allègue d'ailleurs pas avoir sollicité en vain l'ajournement des travaux ou la résiliation du marché. En outre, si les travaux effectués par la société Spie Partesia se sont effectivement détériorés au cours de la période d'arrêt du chantier, il ne saurait, en tout état de cause, être reproché au centre hospitalier de n'avoir pas pris les mesures de protection nécessaires, la garde de l'ouvrage n'incombant pas, ainsi qu'il a été dit, au maître d'ouvrage.
24. Il résulte de ce qui précède que la société Spie Partesia n'est pas fondée à soutenir que les désordres constatés sur ces travaux à la suite de la résiliation de son marché ne doivent pas être pris en compte dans l'établissement du décompte.
En ce qui concerne l'existence d'une double indemnisation du centre hospitalier :
25. Il ne résulte pas de l'instruction, en particulier de la quittance subrogatoire du 23 février 2012 produite par le centre hospitalier, que ce dernier aurait été indemnisé par son assureur des désordres survenus sur les travaux réalisés par la société Spie Partesia ou que ces désordres auraient été répercutés sur les décomptes des autres constructeurs. En tout état de cause, ces circonstances sont par elles-mêmes sans incidence sur le bien-fondé du décompte du marché de la société Spie Partesia.
26. Il résulte de tout ce qui précède que la société Spie Partesia n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Plaisir à lui verser la somme de 92 447,12 euros TTC.
Sur les frais liés au litige :
27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le centre hospitalier de Plaisir, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse une somme à la société Spie Partesia au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Spie Partesia le versement au centre hospitalier de Plaisir de la somme de 2 000 euros sur ce fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Spie Partesia est rejetée.
Article 2 : La société Spie Partesia versera la somme de 2 000 euros au centre hospitalier de Plaisir au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Spie Partesia et au centre hospitalier de Plaisir.
Délibéré après l'audience du 16 juin 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Signerin-Icre, présidente de chambre,
M. Camenen, président assesseur,
M. Toutain, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 juin 2022.
Le rapporteur,
G. B...La présidente,
C. Signerin-Icre La greffière,
M. A... La République mande et ordonne au préfet des Yvelines en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
N° 19VE03990 2