Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Driveaway Holidays a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé des prestations qui lui ont été facturées par des sociétés françaises de location de véhicules en 2017, pour un montant de 189 121 euros.
Par un jugement n° 1810506 du 30 juin 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 octobre 2020, la société Driveaway Holidays, représentée par Me Vogel, avocat, demande à la cour :
1° d'annuler le jugement attaqué ;
2° de prononcer le remboursement demandé ;
3° de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'en application du principe d'effectivité, l'Etat doit lui permettre de récupérer la taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a payée, dès lors qu'il lui est excessivement difficile, voire impossible d'en obtenir le remboursement en raison de l'ancienneté et du nombre des factures concernées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 février 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable en ce qu'elle ne comprend aucun moyen dirigé contre le jugement attaqué ;
- les moyens soulevés par la société Driveaway Holidays ne sont pas fondés ; sa demande de remboursement relève d'une action en répétition de l'indu auprès du fournisseur qui lui a facturé à tort la taxe en litige ;
- le refus de remboursement contesté est également légalement fondé au regard des dispositions des articles 242-0 P et 242-0 Z quater de l'annexe II au code général des impôts.
Par une ordonnance du 20 septembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 20 octobre 2021, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Par lettre du 2 février 2022, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen soulevé d'office tiré de la tardiveté de la requête.
Par un mémoire, enregistré le 3 février 2022, la société Driveaway Holidays conclut aux mêmes fins que sa requête et soutient que sa requête n'est pas tardive dès lors qu'elle doit bénéficier des délais de distance.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Pham, première conseillère,
- et les conclusions de M. Met, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Driveaway Holidays, établie en Australie, dont la clientèle est composée d'agences de voyages australiennes, émet des bons en échange desquels les clients de cette agence bénéficient de prestations de location de véhicules de tourisme en France, préalablement réservées auprès de sociétés françaises de location de véhicules. Cette société a sollicité de l'administration, sur le fondement du V de l'article 271 du code général des impôts, le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ayant grevé les prestations qui lui ont été facturées par les sociétés françaises de location de véhicules au cours de la période du 1er janvier au 31 décembre 2017, ce que l'administration lui a refusé. Elle relève appel du jugement n° 1810506 du 30 juin 2020, par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à ce que soit prononcé ce remboursement.
Sur la régularité du jugement :
2. La société Driveaway Holidays soutient que les premiers juges ont confirmé le refus de remboursement de TVA qui lui a été opposé au motif que la taxe lui avait été facturée à tort, alors que ce motif n'avait pas fait l'objet de débats entre l'appelante et l'administration française. Toutefois, il résulte de l'instruction que, dans son mémoire complémentaire en défense, l'administration fiscale avait porté à l'attention du tribunal, en en reproduisant de larges extraits, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 30 janvier 2020, dont les motifs ont été repris par le jugement attaqué, par lequel la cour a jugé que les opérations réalisées par la société Driveaway Holidays au titre d'autres années ne constituaient pas des prestations de location de véhicules automobiles de courte durée passibles de la TVA en France. Par suite, le moyen avancé doit être écarté comme manquant en fait.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. D'une part, aux termes de l'article 259 du code général des impôts : " Le lieu des prestations de services est situé en France : / 1° Lorsque le preneur est un assujetti agissant en tant que tel et qu'il a en France : / a) Le siège de son activité économique, sauf lorsqu'il dispose d'un établissement stable non situé en France auquel les services sont fournis ; / b) Ou un établissement stable auquel les services sont fournis ; / c) Ou, à défaut du a ou du b, son domicile ou sa résidence habituelle (...) ". Aux termes de l'article 259 A du même code : " Par dérogation à l'article 259, est situé en France le lieu des prestations de services suivantes : / 1° Les locations de moyens de transport : / a) Lorsqu'elles sont de courte durée et que le moyen de transport est effectivement mis à la disposition du preneur en France (...) ". Et aux termes de l'article 256 du même code dans sa version alors applicable : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. II. 1° Est considéré comme livraison d'un bien, le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire. / (...) IV. 1° Les opérations autres que celles qui sont définies au II notamment la cession ou la concession de biens meubles incorporels (...) sont considérées comme des prestations de services (...) / V. L'assujetti, agissant en son nom propre mais pour le compte d'autrui, qui s'entremet dans une livraison de bien ou une prestation de services, est réputé avoir personnellement acquis et livré le bien, ou reçu et fourni les services considérés ".
4. D'autre part, aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / (...) V. Ouvrent droit à déduction dans les mêmes conditions que s'ils étaient soumis à la taxe sur la valeur ajoutée : / (...) d) Les opérations non imposables en France réalisées par des assujettis dans la mesure où elles ouvriraient droit à déduction si leur lieu d'imposition se situait en France. Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités et les limites du remboursement de la taxe déductible au titre de ces opérations ; ce décret peut instituer des règles différentes suivant que les assujettis sont domiciliés ou établis dans les Etats membres de la Communauté européenne ou dans d'autres pays. ". Aux termes de l'article 242-0 Z quinquies de l'annexe II à ce code : " Est remboursée aux assujettis établis hors de l'Union européenne la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les services qui leur ont été rendus et les biens meubles qu'ils ont acquis ou importés en France au cours de l'année ou du trimestre prévu à l'article 242-0 Z quater dans la mesure où ces biens et services sont utilisés pour la réalisation ou pour les besoins d'opérations visées à l'article 242-0 N ". Enfin, aux termes de l'article 242-0 N de la même annexe : " Un assujetti non établi en France peut obtenir le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les biens qui lui ont été livrés ou les services qui lui ont été fournis en France par d'autres assujettis ou ayant grevé l'importation de biens en France, dans la mesure où ces biens et services sont utilisés pour les besoins des opérations suivantes : / 1° Les opérations dont le lieu d'imposition se situe hors de France mais qui ouvriraient droit à déduction si ce lieu d'imposition était situé en France. (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'un assujetti établi hors de l'Union européenne peut obtenir le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'opérations qui auraient été imposables si elles avaient eu lieu en France pour des biens qu'il a acquis ou des services qui lui ont été rendus, dans la mesure où les biens et les services en cause sont utilisés pour les besoins de ces opérations et que les prestations de services et les livraisons de biens correspondantes sont imposables à la taxe sur la valeur ajoutée.
5. De troisième part, dans l'arrêt du 15 mars 2007, Reemtsma Cigarettenfabriken (C-35/05, Rec. p. I-2425), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit qu'à l'exception des cas expressément prévus par les dispositions de l'article 21, point 1, de la sixième directive, seul le fournisseur doit être considéré comme redevable de la TVA au regard des autorités fiscales de l'État membre du lieu des prestations. Le système commun de la TVA ainsi que les principes de neutralité, d'effectivité et de non-discrimination ne s'opposent pas à une législation nationale qui n'accorde pas au preneur de services un droit au remboursement de la TVA par l'autorité fiscale lorsque cette taxe n'était pas due, mais a néanmoins été payée par ce preneur à l'autorité fiscale de l'État membre du lieu de la prestation. Est notamment acceptable un système fiscal dans lequel, d'une part, seul le fournisseur peut en principe demander le remboursement de la TVA aux autorités fiscales et, d'autre part, le preneur de services peut réclamer le montant indûment acquitté au fournisseur conformément au droit civil. À cet égard, les États membres sont libres de choisir la procédure qu'ils jugent propre à assurer ce remboursement sous réserve que le principe d'effectivité soit respecté. La mise en œuvre de celui-ci pourrait ainsi exiger que le preneur de services puisse agir directement à l'encontre desdites autorités si le remboursement devait s'avérer pratiquement impossible ou excessivement difficile.
6. Il résulte de l'instruction que la société Driveaway Holidays réserve, pour le compte d'agences de voyages australiennes, des locations de véhicules de tourisme destinées aux clients de ces dernières, auprès de loueurs établis en France, après avoir préalablement négocié avec ceux-ci des prix de gros. Il est constant qu'elle règle d'avance les loyers afférents à ces locations, grevés de la taxe sur la valeur ajoutée, qu'elle refacture à sa clientèle d'agences de voyages, en y appliquant une marge correspondant à sa prestation d'intermédiaire, après avoir émis des bons de réservation. Dès lors, les opérations réalisées par la société Driveaway Holidays ne constituent pas des prestations de location de véhicules automobiles de courte durée passibles de la taxe sur la valeur ajoutée en France en vertu de l'article 259 A du code général des impôts, mais des prestations de service, au sens du 1° du IV de l'article 256 du code général des impôts, dont le prix acquitté par les agences de voyages constitue la contre-valeur.
7. Dès lors que la société n'acquiert pas de prestations de locations automobiles auprès des loueurs établis en France, les prestations prises auprès de ces derniers doivent être regardées comme des prestations de service qui sont, en application de l'article 259 du code général des impôts imposables dans le pays du preneur. Etant donné que la société Driveaway Holidays n'a en France ni le siège de son activité économique, ni un établissement stable, les prestations de services qu'elle a prises sont réputées être situées en Australie où elle a établi son siège. Dans ces conditions, les fournisseurs français de la société requérante ne pouvaient appliquer la taxe sur la valeur ajoutée au prix des prestations servies à cette dernière. La taxe relative à ces prestations ayant été, ainsi, facturée à tort, la société Driveaway Holidays ne peut en demander le remboursement auprès de l'administration fiscale, une telle demande ne pouvant être présentée que par ses fournisseurs, redevables de cette taxe en vertu des dispositions du 1 de l'article 283 du code général des impôts, à moins que le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée soit impossible ou excessivement difficile.
8. Il ressort de la jurisprudence de la CJUE, et notamment de l'arrêt Reemtsma Cigarettenfabriken cité au point 5, que le principe d'effectivité ne s'oppose pas à une législation nationale en vertu de laquelle le fournisseur de services peut seul demander aux autorités fiscales le remboursement des sommes indûment versées au titre de la TVA, le preneur de services pouvant quant à lui exercer une action de droit civil en répétition de l'indu à l'encontre de ce fournisseur. La société Driveaway Holidays soutient que le remboursement de la TVA par ses fournisseurs serait pour elle excessivement difficile, voire impossible, compte tenu de l'ancienneté des factures et de leur nombre. Toutefois, la société requérante n'établit pas avoir effectué aucune démarche infructueuse auprès de ses fournisseurs. L'administration fiscale fait valoir, en se basant sur le nombre de factures produites à l'appui de la demande initiale de la société, que seules 4 500 factures sont concernées, et non des dizaines de milliers ainsi que le prétend la société requérante, établies par un nombre limité de fournisseurs. Par ailleurs, alors que l'article 102 B du livre des procédures fiscales et l'article 96 I de l'annexe III au code général des impôts prévoient un délai de conservation de six ans des factures, l'ancienneté des factures litigieuses, qui datent de 2017, ne fait pas obstacle à ce que la société requérante sollicite auprès de ses fournisseurs l'émission de factures rectificatives et, en cas de refus, exerce à leur encontre une action en répétition de l'indu. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que la récupération auprès de ses fournisseurs de la taxe sur la valeur ajoutée payée à tort serait impossible ou excessivement difficile pour la société Driveaway Holidays. Par suite, la requérante n'est pas fondée à demander le remboursement à l'Etat de la taxe sur la valeur ajoutée appliquée à tort par ses fournisseurs de prestations de services.
9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense ou sur la régularité du jugement attaqué, que la société Driveaway Holidays n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Driveaway Holidays est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Driveaway Holidays et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 10 mai 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Dorion, présidente assesseure,
Mme Pham, première conseillère,
M. Bouazar, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 mai 2022.
La rapporteure,
C. PHAM La présidente,
O. DORION
La greffière,
C. FAJARDIE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
La greffière,
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N° 20VE02805