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12/04/2022 | FRANCE | N°21VE00023

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 12 avril 2022, 21VE00023


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 5 août 2020 par lequel le préfet de l'Essonne l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2005359 du 4 décembre 2020, le tribunal administratif de Versailles a annulé l'article 2 de cet arrêté en tant qu'il prévoit que M. D... pourra être rec

onduit à destination du Nigeria (article 1er de ce jugement) et a rejeté le surplus des c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler l'arrêté du 5 août 2020 par lequel le préfet de l'Essonne l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2005359 du 4 décembre 2020, le tribunal administratif de Versailles a annulé l'article 2 de cet arrêté en tant qu'il prévoit que M. D... pourra être reconduit à destination du Nigeria (article 1er de ce jugement) et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande (article 2 de ce jugement).

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 janvier 2021 et le 24 mars 2022, M. D..., représenté par Me Tran, avocat, demande à la cour :

1° d'annuler l'article 2 du jugement attaqué ;

2° d'annuler, pour excès de pouvoir, cet arrêté ;

3° d'enjoindre au préfet de l'Essonne, ou à tout autre préfet désormais compétent sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, de prendre toute mesure propre à mettre fin à son signalement dans le système d'information Schengen procédant de l'interdiction de retour annulée ;

4° d'enjoindre au préfet de l'Essonne, ou à tout autre préfet désormais compétent sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance et de lui délivrer durant cet examen une autorisation provisoire de séjour, injonction assortie d'une astreinte fixée à 100 euros par jour de retard, en application de l'article L. 911-3 du code de justice administrative ;

5° de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision l'obligeant à quitter le territoire français, la décision lui refusant un délai de départ volontaire et la décision d'interdiction de retour sur le territoire français prise à son encontre méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales, de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision lui refusant un délai de départ volontaire méconnaît les dispositions du II de l'article L. 511-1 II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision d'interdiction de retour sur le territoire français prise à son encontre est insuffisamment motivée et méconnaît ainsi les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mars 2021, le préfet de l'Essonne conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pham, première conseillère,

- et les observations de Me Tran, pour M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... D..., ressortissant nigérian né le 20 juin 1982, est entré sur le territoire français en 2013, selon ses déclarations et y a résidé irrégulièrement sans solliciter de titre de séjour. Par un jugement, en date du 7 décembre 2018, le tribunal correctionnel de Paris l'a condamné à sept années d'emprisonnement pour aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irrégulier d'un étranger en France ou dans un Etat partie de la convention de Schengen en bande organisée, traite d'être humain commise à l'égard de plusieurs personnes, traite d'être humain commise à l'égard d'une personne hors du territoire de la République et participation à association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de 10 ans d'emprisonnement. Cette peine a été assortie d'une amende de 20 000 euros et de l'interdiction de détenir ou de porter une arme pendant dix ans. Par un arrêté du 5 août 2020, le préfet de l'Essonne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans. Par un jugement n° 2005359 du 4 décembre 2020, le tribunal administratif de Versailles a annulé l'article 2 de cet arrêté en tant qu'il prévoit que M. D... pourra être reconduit à destination du Nigeria (article 1er de ce jugement) et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande (article 2 de ce jugement). M. D... relève appel de ce jugement en ce qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Sur le moyen commun aux décisions portant obligation de quitter le territoire, refus d'accorder un délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de 3 années :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Il ressort des pièces du dossier que M. D... a déclaré être entré régulièrement en France en 2013, muni de son passeport et de son titre de séjour italien et qu'il s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français. Il bénéficie de la protection subsidiaire en Italie. Il est le père de deux enfants, dont l'un vit en Italie et l'autre au Nigéria. Il se prévaut de sa relation depuis 2013 avec une compatriote naturalisée en 2022, Mme E... B..., avec laquelle il a eu deux autres enfants nés en 2014 et 2016, qu'il a reconnus, et qui ont également été naturalisés en 2022. Toutefois, eu égard à la durée de vie commune dont il se prévaut, de 2013 à 2019, il n'en établit pas la réalité en produisant exclusivement des avis d'imposition, des photographies de son mariage religieux et une attestation de Mme B.... Il n'établit pas non plus avoir participé à l'éducation et à l'entretien de ses enfants antérieurement à l'édiction de l'arrêté attaqué. Outre sa condamnation, par jugement du tribunal correctionnel du 7 décembre 2018, à sept années d'emprisonnement pour aide à l'entrée et à la circulation d'un étranger en France en bande organisée, traite d'êtres humains commise à l'égard de plusieurs personnes et participation à association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de 10 ans d'emprisonnement, le préfet de l'Essonne fait valoir que M. D... fait l'objet de quatre signalements, notamment pour proxénétisme. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, et alors que les efforts d'intégration dont M. D... se prévaut sont en tout état de cause postérieurs à l'édiction de l'arrêté attaqué, ce dernier arrêté ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et n'a, dès lors, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

3. En second lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ". L'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui est titulaire à son égard de l'autorité parentale.

4. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'a pas établi vivre en couple avec Mme B..., ni contribuer à l'entretien et à l'éducation de ses enfants antérieurement à l'édiction de l'arrêté attaqué. Eu égard à la menace grave pour l'ordre public qu'il constitue, l'arrêté attaqué n'a pas méconnu ces stipulations.

Sur la décision refusant d'octroyer un délai de départ volontaire :

5. Le moyen tiré de l'illégalité de la décision de refus de départ volontaire, qui se contente d'indiquer une méconnaissance de l'article L. 511-1 II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au motif que le préfet de l'Essonne a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de M. D..., n'est pas assorti de précisions suffisante pour permettre à la cour d'en apprécier le bien-fondé. En tout état de cause, eu égard à la menace grave pour l'ordre public que constitue M. D..., le préfet de l'Essonne n'a pas commis d'erreur d'appréciation en refusant de lui octroyer un délai de départ volontaire. Le moyen doit en conséquence être écarté.

Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

6. Aux termes des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur version en vigueur à la date de la décision litigieuse : " L'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / (...) Lorsque l'étranger ne faisant pas l'objet d'une interdiction de retour s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative peut prononcer une interdiction de retour pour une durée maximale de deux ans à compter de sa notification. / Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger obligé de quitter le territoire français, l'autorité administrative peut prononcer l'interdiction de retour pour une durée maximale de trois ans à compter de sa notification. / Lorsqu'un délai de départ volontaire a été accordé à l'étranger obligé de quitter le territoire français, l'autorité administrative peut prononcer l'interdiction de retour, prenant effet à l'expiration du délai, pour une durée maximale de deux ans à compter de sa notification. / Lorsque l'étranger faisant l'objet d'une interdiction de retour s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire ou alors qu'il était obligé de quitter sans délai le territoire français ou, ayant déféré à l'obligation de quitter le territoire français, y est revenu alors que l'interdiction de retour poursuit ses effets, l'autorité administrative peut prolonger cette mesure pour une durée maximale de deux ans. / L'interdiction de retour et sa durée sont décidées par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ". Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. Par suite, la décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.

7. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace.

8. L'arrêté attaqué indique que M. D... a un comportement qui trouble de façon récurrente l'ordre public, dès lors qu'il a fait l'objet de signalements pour conduite sans permis le 24 juin 2014, pour aide à l'entrée, à la circulation et au séjour des étrangers en situation irrégulière le 14 octobre 2015, pour proxénétisme le 13 septembre 2016 et pour conduite d'un véhicule sans permis et faux dans un document administratif le 3 novembre 2017 avant d'avoir été condamné à sept années d'emprisonnement par le jugement précité du 7 décembre 2018 du tribunal correctionnel de Paris. L'ancienneté de ses liens avec la France et sa situation familiale ont également été examinés dans ce même arrêté. Par suite, le seul fait que cet arrêté n'ait pas indiqué l'absence de mesure d'éloignement antérieure ou de circonstances humanitaires, ce qu'il n'avait pas à faire expressément étant donné l'absence de toute circonstance remarquable sur ces points, n'est pas de nature à l'entacher d'insuffisance de motivation.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Essonne.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2022, à laquelle siégeaient :

M. Beaujard, président de chambre,

Mme Dorion, présidente assesseure,

Mme Pham, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 avril 2022.

La rapporteure,

C. PHAM Le président,

P. BEAUJARD

La greffière,

M. C...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 21VE00023


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21VE00023
Date de la décision : 12/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335 Étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. BEAUJARD
Rapporteur ?: Mme Christine PHAM
Rapporteur public ?: M. MET
Avocat(s) : TRAN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2022-04-12;21ve00023 ?
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