La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/04/2022 | FRANCE | N°20VE00493

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 12 avril 2022, 20VE00493


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Argusvalentines a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 à 2009, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2009, et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1700368 du 13 décembre 2019, le tribunal administratif de Cergy

-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Argusvalentines a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 à 2009, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2009, et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1700368 du 13 décembre 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 11 février 2020, la société Argusvalentines, représentée par Me Mattéi, avocat, demande à la cour :

1° d'annuler le jugement attaqué ;

2° à titre principal, d'ordonner un supplément d'instruction aux fins de contraindre l'administration fiscale à produire les documents en sa possession nécessaires à la résolution du litige et de prononcer la décharge des impositions contestées ;

3° à titre subsidiaire de prononcer la décharge des pénalités ;

4° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal n'a pas respecté les droits de la défense et a méconnu le caractère contradictoire de la procédure en ce qu'il n'a diligenté aucune mesure d'instruction pour contraindre l'administration à communiquer les documents saisis lors des perquisitions fiscales, ni ordonné d'expertise, alors qu'il s'est fondé sur ces éléments pour rejeter ses demandes ;

- le jugement est entaché de plusieurs omissions à statuer sur ses moyens relatifs à sa demande de communication des documents saisis, à l'illicéité des constats visuels soulevée pour contester le bien-fondé des impositions, à l'irrégularité de l'avis de mise en recouvrement en ce qui concerne les droits, et à l'insuffisance de motivation en fait des pénalités ;

- les agents des services des impôts n'étant pas compétents pour effectuer des constats visuels au Luxembourg, la preuve de l'absence d'activité au Luxembourg a été obtenue illégalement ;

- l'administration s'est fondée sur les documents saisis qui n'ont pas été restitués en méconnaissance des dispositions de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales ;

- société de droit luxembourgeois, elle ne pouvait être imposée en France ; le domicile personnel de M. et Mme E... ne saurait constituer un établissement stable de la société ;

- c'est à tort que le tribunal a considéré qu'elle ne critiquait pas utilement la reconstitution de son chiffre d'affaires, alors qu'elle a présenté une argumentation fournie et circonstanciée ; le jugement est entaché d'erreur de droit, de dénaturation des faits et de contradiction de motifs ;

- c'est à tort que l'administration fiscale a considéré qu'elle s'était opposée au contrôle ;

- l'avis de mise en recouvrement est irrégulier en ce qu'il a été adressé à la société " Argus Valentine " et en ce qu'il fait référence à une proposition de rectification et une lettre de motivation portant une date erronée ;

- en l'absence de production devant le juge de l'impôt des documents fondant les rectifications, les impositions contestées doivent être déchargées ;

- la reconstitution des bases d'imposition est viciée dans son principe et excessivement sommaire ;

- la majoration de 100 % pour opposition au contrôle est insuffisamment motivée ;

- elle est injustifiée ;

- eu égard aux irrégularités affectant l'avis de mise en recouvrement, il y a lieu de l'en décharger en application de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 novembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 12 octobre 2021, l'instruction a été fixée au 29 octobre 2021, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu le jugement attaqué ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dorion,

- les conclusions de M. Met, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société anonyme (SA) Argusvalentines, société de droit luxembourgeois immatriculée en 2003, ayant pour activité l'édition d'ouvrages d'art et de littérature francophone, détenue pour une part par Mme D... E..., administratrice et éditrice, les 3 099 autres actions de la société Argusvalentines étant détenues par la société luxembourgeoise ATODV SA, dont M. B... E... et Mme D... E... sont actionnaires à 50 % chacun, a été radiée d'office du rôle des assujettis luxembourgeois le 17 avril 2009 par les autorités luxembourgeoises, suite à la dénonciation du bail de domiciliation par le domiciliataire au 31 décembre 2008. Au vu des présomptions selon lesquelles la société Argusvalentines exerçait son activité depuis la France, l'administration a été autorisée par deux ordonnances des juges des libertés et de la détention de Nanterre et de Tours, des 18 et 19 mai 2010, à effectuer deux visites domiciliaires, au domicile de la dirigeante, Mme D... E..., à Neuilly (92), et dans les locaux de la SARL société génilloise d'entrepôt (SGE), prestataire situé en Indre-et-Loire (37). A la suite des perquisitions fiscales qui ont eu lieu le 20 mai 2010, la société Argusvalentines a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les années 2006 à 2009, à l'issue de laquelle les cotisations d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée lui ont été notifiés au titre de ces quatre années, ainsi que des majorations de 100 % des droits pour opposition à contrôle fiscal. La société Argusvalentines relève appel du jugement du 13 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande de décharge de ces impositions et pénalités.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, la société requérante soutient que le tribunal n'a pas respecté les droits de la défense et a méconnu le caractère contradictoire de la procédure en ce qu'il n'a diligenté aucune mesure d'instruction pour contraindre l'administration à communiquer les documents saisis lors des perquisitions fiscales, ni ordonné d'expertise, alors qu'il s'est fondé sur ces éléments pour rejeter ses demandes. Toutefois, dès lors que les premiers juges ont estimé, aux points 11 et 18 du jugement, que la procédure d'évaluation d'office prévue en cas d'opposition à contrôle fiscal avait été à bon droit mise en œuvre, et que la preuve de l'exagération des bases d'imposition incombait à la contribuable, aucune mesure d'instruction ne pouvait, sans renverser la charge de la preuve, être ordonnée en vue de suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve. Il s'ensuit que la société Argusvalentines ne saurait soutenir que le tribunal a statué au terme d'une procédure irrégulière en méconnaissant son office.

3. En deuxième lieu, la société Argusvalentines se plaint dans le corps de sa contestation sur le fond de plusieurs omissions à statuer dont serait entaché le jugement. Elle reproche au tribunal de n'avoir pas répondu à son moyen relatif à la communication des documents que détient l'administration et d'avoir statué en se fondant sur ces éléments sans avoir pu en prendre connaissance. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point précédent, ce moyen doit être écarté. Elle lui reproche également de n'avoir examiné qu'au stade de la régularité de la procédure d'imposition son moyen tiré de l'inopposabilité des constats visuels réalisés par les agents des impôts au Luxembourg, alors qu'elle avait soulevé ce moyen à la fois comme moyen d'irrégularité de la procédure et comme moyen de fond de l'absence de preuve de l'existence d'un établissement stable en France. Ce moyen doit toutefois être écarté dès lors que le tribunal a répondu aux deux moyens d'irrégularité de la procédure d'imposition et d'absence d'établissement stable en France, et qu'il n'avait pas à répondre à tous les arguments présentés au soutien de ces moyens. Doit être également écarté le moyen tiré de l'omission à statuer sur l'insuffisance de motivation des pénalités en fait, qui manque en fait, dès lors que le tribunal a relevé que l'administration s'était fondée sur la mise en œuvre de la procédure d'imposition d'office prévue à l'article L. 74 du code général des impôts pour justifier la majoration en application du a de l'article 1732 du même code, ce qui répond au moyen tant en droit qu'en fait.

4. En revanche, il ressort des termes du jugement attaqué que les premiers juges n'ont écarté le moyen tiré de l'irrégularité de l'avis de mise en recouvrement qu'en ce qui concerne la motivation des pénalités, alors que ce moyen était également soulevé à l'encontre des droits. Le moyen tiré de ce que l'irrégularité de l'avis de mise en recouvrement, en ce qu'il comporte des erreurs quant au nom de la société destinataire et à la date de la proposition de rectification à laquelle l'avis de mise en recouvrement fait référence, n'était pas inopérant. La société Argusvalentines est dès lors fondée à demander l'annulation du jugement, en tant qu'il a statué sur la demande de décharge en droits, en raison de cette omission.

5. Enfin, si la société requérante fait en outre valoir que c'est à tort que le tribunal a considéré qu'elle ne critiquait pas utilement la reconstitution de son chiffre d'affaires, alors qu'elle a présenté une argumentation fournie et circonstanciée, et que le jugement est entaché d'erreurs de droit, de dénaturation des faits et de contradiction de motifs, ces moyens, qui relèvent du bien-fondé du jugement, sont sans incidence sur sa régularité.

6. Il résulte de ce qui précède que le jugement doit être annulé en tant qu'il statue sur le bien-fondé des cotisations d'impôt sur le revenu et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée. Il y lieu pour la cour de statuer, par la voie de l'évocation, sur la demande de décharge de ces impositions et, par l'effet dévolutif de l'appel, sur les pénalités.

Sur le principe de l'assujettissement en France à l'impôt sur les sociétés et à la taxe sur la valeur ajoutée :

7. Aux termes de l'article 209 du code général des impôts : " I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France ainsi que ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions (...) ".

8. Aux termes du 1 de l'article 4 de la convention fiscale entre la France et le Luxembourg du 1er avril 1958 : " Les revenus des entreprises (...) commerciales (...) ne sont imposables que dans l'Etat sur le territoire duquel se trouve un établissement stable. " Aux termes du 3 de l'article 2 de la même convention : " 1) Le terme "établissement stable" désigne une installation fixe d'affaires dans laquelle l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. 2) Au nombre des établissements stables figurent notamment : (...) b) les succursales ; c) les bureaux ; (...) f) les installations à usage d'entrepôt ou de magasins ; (...) ".

9. En premier lieu, la société Argusvalentines, qui ne produit aucun élément relatif à la réalité de son activité au Luxembourg et ne précise pas au vu de quels documents saisis lors des opérations de visite domiciliaire qui n'ont pas été restitués à l'issue de ces opérations elle pourrait être en mesure d'établir qu'elle ne disposait pas d'un établissement stable en France, n'est pas fondée à soutenir que l'absence de production par l'administration de ces documents méconnaît les droits de la défense.

10. En deuxième lieu, à supposer que les constats visuels opérés le 19 août 2009 par les agents de la direction nationale d'enquêtes fiscales constituent une preuve illicite de l'absence d'activité de la SA Argusvalentines au Luxembourg, et que ces constats doivent par suite être écartés comme inopposables à la contribuable, cette circonstance est sans incidence sur la caractérisation de l'existence d'un établissement stable en France de la société requérante dès lors que l'administration s'est fondée sur d'autres éléments résultant notamment de la procédure de visite et de saisie.

11. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que les différentes adresses de la société Argusvalentines au Luxembourg jusqu'à la dénonciation du bail de domiciliation par le bailleur au 31 décembre 2008 étaient des adresses de domiciliation, que M. et Mme E..., qui détiennent l'intégralité des parts sociales et assurent la gestion de la société, Mme E... en étant désignée administratrice, résident à Neuilly-sur-Seine (92), et qu'aucune autre personne ne participe à l'activité de la société. Les opérations de visite et de saisie ont également confirmé les indices ayant justifié la mise en œuvre de ces investigations, selon lesquels M. et Mme E..., détenteurs de la signature sur les comptes bancaires de la société, ont pris les engagements et décisions de gestion, établi les factures et administré le site de vente en ligne, depuis leur domicile de Neuilly-sur-Seine, des prestataires, notamment la Société génilloise d'entrepôt située en Indre-et-Loire assurant l'exécution matérielle des prestations, notamment le stockage des ouvrages, leur remise en état, la préparation des commandes et leur livraison. Au vu de ce faisceau d'indices concordants, dont il ressort que la société Argusvalentines était exploitée depuis le domicile français des associés exploitants, celle-ci doit être regardée, sans qu'il soit besoin d'ordonner la communication de pièces par l'administration ou une expertise, comme ayant exploité une entreprise en France au sens des dispositions de l'article 209 du code général des impôts, par l'intermédiaire d'un établissement stable au sens des stipulations du 3 de l'article 2 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise. C'est par suite à bon droit que l'administration fiscale a estimé que les revenus provenant de cette activité étaient passibles des impôts commerciaux en France.

12. Enfin la circonstance, au demeurant non établie, que la SA Argusvalentines aurait déclaré ses résultats et été imposée par l'administration des contributions directes luxembourgeoises, est sans incidence sur la faculté, prévue par la convention fiscale bilatérale, pour l'administration fiscale française de soumettre à l'impôt les revenus de l'établissement stable situé sur son territoire.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

13. En premier lieu, la seule circonstance que, avant de mettre en œuvre à l'égard du contribuable les pouvoirs qu'elle tient du titre II du livre des procédures fiscales aux fins de procéder au contrôle de sa situation fiscale et de recueillir les éléments nécessaires pour, le cas échéant, établir des impositions supplémentaires, l'administration aurait disposé d'informations relatives à ce contribuable issues de documents obtenus de manière illicite est, par-elle-même, sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition. Il s'ensuit que la circonstance qu'avant l'engagement de la procédure de vérification de comptabilité par l'avis du 30 mars 2011, des agents de l'administration ont, dans le but d'étayer leurs requêtes à fin de visite et de saisie adressées au juge des libertés et de la détention le 11 mai 2010, opéré des constats visuels au Luxembourg le 19 août 2009, alors qu'ils n'auraient pas compétence pour procéder à de tels constats, est sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition.

14. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable : " I. - Lorsque l'autorité judiciaire, saisie par l'administration fiscale, estime qu'il existe des présomptions qu'un contribuable se soustrait à l'établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d'affaires (...) elle peut, dans les conditions prévues au II, autoriser les agents de l'administration des impôts, ayant au moins le grade d'inspecteur et habilités à cet effet par le directeur général des finances publiques, à rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s'y rapportant sont susceptibles d'être détenus ou d'être accessibles ou disponibles et procéder à leur saisie, quel qu'en soit le support. / (...) / V. Les originaux du procès-verbal et de l'inventaire sont, dès qu'ils ont été établis, adressés au juge qui a autorisé la visite ; une copie de ces mêmes documents est remise à l'occupant des lieux ou à son représentant. (...) / Les pièces et documents saisis sont restitués à l'occupant des locaux dans les six mois de la visite (...) / VI. L'administration des impôts ne peut opposer au contribuable les informations recueillies qu'après restitution des pièces et documents saisis ou de leur reproduction et mise en œuvre des procédures de contrôle visées aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 47. / Toutefois, si, à l'expiration d'un délai de trente jours suivant la notification d'une mise en demeure adressée au contribuable, à laquelle est annexé un récapitulatif des diligences accomplies par l'administration pour la restitution des pièces et documents saisis ou de leur reproduction, ceux-ci n'ont pu être restitués du fait du contribuable, les informations recueillies sont opposables à ce dernier après mise en œuvre des procédures de contrôle mentionnées aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 47 et dans les conditions prévues à l'article L. 76 C. "

15. Au regard du caractère exorbitant du droit commun des mesures de saisie de documents et pièces au domicile de personnes, leur restitution dans les délais légaux constitue une garantie pour les personnes auprès desquelles ils ont été saisis. La portée d'un défaut de restitution de documents et pièces saisis auprès de tiers sur la procédure fiscale ultérieurement conduite à l'encontre d'un contribuable dépend des effets concrets que celui-ci a pu avoir sur les droits de la défense et sur le caractère contradictoire de la procédure. Dès lors que l'intéressé n'a, en dépit du défaut de restitution des documents et pièces saisis auprès de tiers, pas été privé de la possibilité d'accéder à ceux-ci ni de s'assurer que ceux utilisés par l'administration étaient identiques à ceux dont il a pu disposer, et qu'ainsi la possibilité de contester les redressements opérés n'a pas été affectée par le défaut de restitution, ce dernier ne saurait à lui seul et par lui-même entraîner la décharge des impositions contestées.

16. En l'espèce, la société requérante, dont l'imposition a été établie d'office du fait de son opposition au contrôle, invoque de manière générale la méconnaissance de l'obligation de restitution qui pèse sur l'administration, sans préciser les documents dont elle a été privée pour assurer sa défense, ni au soutien de quelle démonstration ces éléments de preuve lui font défaut. En outre, il résulte de l'instruction que le service a, le 4 août 2010, invité M. E... à se présenter le 30 août 2010 pour restitution des documents saisis dans les locaux du service à Pantin et que, M. E... ayant répondu le 24 août qu'il souhaitait que la restitution ait lieu à Neuilly, il lui a été proposé le 30 août que la restitution ait lieu le 16 septembre au centre des finances publiques de Neuilly, ce à quoi M. E... a répondu qu'il ne serait pas là le 16 septembre, et que les documents devaient être déposés à son domicile entre le 1er et le 5 octobre. Le service a alors indiqué le 16 septembre que la restitution ne pouvait avoir lieu que dans des locaux administratifs et proposé que celle-ci ait lieu le 4 octobre. M. E... ayant fait savoir le 30 septembre qu'il ne se déplacerait pas, le service l'a informé par une lettre du 7 octobre 2010 valant mise en demeure, de ce que les documents étaient mis à disposition de la société sous 30 jours à l'issue desquels la vérification de comptabilité pourrait être engagée. Dans ces conditions, alors qu'aucune disposition légale ou règlementaire n'impose à l'administration fiscale de restituer les documents saisis à l'adresse à laquelle ils ont été pris, la société requérante doit être regardée comme ayant fait obstacle à la restitution des documents saisis. Il s'ensuit que ces documents lui sont opposables, en application du dernier alinéa du VI de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, et que le moyen d'irrégularité de la procédure d'imposition doit être écarté.

17. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales : " Les bases d'imposition sont évaluées d'office lorsque le contrôle fiscal ne peut avoir lieu du fait du contribuable ou de tiers (...) ". La société requérante reprend en appel son moyen d'irrégularité de la procédure d'imposition tiré de ce que Mme E..., représentante de la SA Argusvalentines, a indiqué au service élire domicile chez son fils C... à F... et avoir régulièrement mandaté M. E... pour suivre les opérations de contrôle, de sorte que l'opposition au contrôle constatée par un procès-verbal du 2 avril 2012 n'est pas justifiée. Toutefois, il résulte de l'instruction que si, par un premier pouvoir du 17 mai 2012, Mme E... a donné un mandat ponctuel à son mari pour répondre à une lettre du 28 mars 2011 avec élection de domicile " provisoire " chez son fils à F..., un second pouvoir postérieur, du 14 juillet 2011, donne mandat pour suivre la procédure à M. E... demeurant à la nouvelle adresse du couple en Italie. Si la lettre accompagnant ce mandat domicilie M. E... chez son fils à F..., elle précise expressément que seules les lettres simples peuvent être expédiées à cette adresse, les plis recommandés ne pouvant y être retirés. Suite à ce mandat adressé à l'administration par courriel le 23 juillet 2011, ni Mme E..., ni son mandataire n'ont répondu aux sollicitations de l'administration de désigner un représentant fiscal en France, et les plis recommandés adressés en Italie ont été retournés au service. En outre, M. E... s'est opposé au principe du contrôle en arguant de ce que la SA Argusvalentines, société de droit luxembourgeois, ne relevait que des autorités fiscales luxembourgeoises vers lesquelles il a renvoyé l'administration fiscale française à mieux se pourvoir. Dans ces conditions, l'administration a, à bon droit, constaté la situation d'opposition au contrôle.

18. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales : " Un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public compétent à tout redevable des sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité (...) ". Aux termes de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " L'avis de mise en recouvrement prévu à l'article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis. (...) / Lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l'article L. 57 ou à la notification prévue à l'article L. 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications (...) ".

19. Si l'avis de mise en recouvrement est adressé à la " SA Argus Valentine " et mentionne à tort une notification de redressement en date du 29 juin 2012 alors que celle-ci est datée du 28 juin 2012, ces erreurs matérielles sont sans incidence sur le bien-fondé des impositions en litige, dès lors qu'elles n'ont pu induire en erreur la société sur le montant ou l'origine des droits, intérêts de retard et pénalités mis en recouvrement et ne l'ont par suite privée d'aucune garantie. La société Argusvalentines n'est dès lors pas fondée à soutenir que ces inexactitudes constituaient des erreurs substantielles devant conduire à la décharge des impositions.

Sur le bien-fondé des impositions, par la voie de l'évocation :

En ce qui concerne la charge de la preuve :

20. Dès lors que la société a régulièrement fait l'objet d'une évaluation d'office de ses bases imposables pour opposition à contrôle fiscal en application de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales, la charge de prouver l'exagération de l'imposition lui incombe en vertu des articles L. 193 et R. 193-1 du même livre.

21. Si l'administration doit répondre à la demande qui lui est faite de produire devant le juge de l'impôt les documents sur lesquels elle a fondé les redressements afin que le requérant soit mis à même d'apporter la preuve de l'exagération de bases d'imposition reconstituées à partir de ces documents, cette obligation ne s'impose à peine de décharge des impositions que pour autant que le requérant ne serait pas en mesure, faute de disposer de ces documents, de discuter le montant réel des bénéfices et recettes reconstitués, sur la base desquels il a été imposé. La société Argusvalentines ne précisant ni les documents qui lui font défaut pour démontrer l'exagération des bases d'imposition, ni leur utilité au soutien de son argumentation, son moyen tiré de ce que l'exagération des bases d'imposition serait établie du seul fait de l'absence de production des documents saisis devant le juge de l'impôt, doit être écarté.

En ce qui concerne la reconstitution des bases d'imposition :

22. Pour reconstituer les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés, le service s'est fondé sur le dernier chiffre d'affaires de 146 490 euros déclaré par la société Argusvalentines au Luxembourg en 2006, rapporté aux documents trouvés chez le prestataire SGE faisant apparaître un chiffre d'affaires de 72 896 euros en 2006, 77 450 euros en 2007, 49 924 euros en 2008 et 19 904 euros en 2009, dont il a déduit un rapport de 1 à 2 entre les chiffres d'affaires de la société SGE et de la contribuable. Le chiffre d'affaires de la société Argusvalentines a ainsi été déterminé en multipliant par deux le chiffre d'affaires constaté au vu des documents saisis auprès du prestataire SGE sur les trois années d'imposition. De ce chiffre d'affaires reconstitué à 154 900 euros pour l'année 2007, 99 848 euros pour l'année 2008 et 39 808 euros pour l'année 2009, le service a déduit un taux de 44 % de charges correspondant à la moyenne des charges sur les exercices 2004 et 2005, pour lesquels le service disposait des liasses fiscales, et un pourcentage supplémentaire de 20 % pour tenir compte des pertes et des invendus. S'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée, le service a considéré que le chiffre d'affaires imposable en France pouvait être évalué à 67 % du chiffre d'affaires total, ce pourcentage correspondant à la part de livraisons intracommunautaires déclarées par la société vers la France en 2006 rapportée au chiffre d'affaires déclaré aux autorités luxembourgeoises la même année. En se bornant à faire valoir que l'administration fiscale aurait dû s'appuyer sur sa comptabilité et qu'elle a mis en œuvre une méthode globale théorique basée sur des extrapolations, la SA Argusvalentines, qui ne produit aucun élément sur la réalité de son activité à l'appui de son argumentation et ne propose pas de méthode alternative susceptible de conduire à un résultat qui lui serait plus favorable, n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, de l'exagération des bases d'imposition.

Sur les pénalités, par l'effet dévolutif de l'appel :

23. En vertu des dispositions de l'article 1732 du code général des impôts la mise en œuvre de la procédure d'évaluation d'office prévue à l'article L. 74 du livre des procédures fiscales en cas d'opposition à contrôle fiscal entraîne l'application d'une majoration de 100 % aux droits rappelés ou aux créances de nature fiscale qui doivent être restituées à l'Etat.

24. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L 80 D du livre des procédures fiscales : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable. "

25. La proposition de rectification du 28 juin 2012 mentionne l'article 1732 du code général des impôts, et précise que le contrôle n'ayant pas pu avoir lieu du fait du contribuable, les bases d'imposition ont été évaluées d'office en application de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales. La majoration pour opposition à contrôle fiscal est, ainsi, suffisamment motivée.

26. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 17, la société Argusvalentines a systématiquement refusé de répondre aux invitations et mise en demeure du service de désigner un représentant en France, rendant matériellement impossible la vérification. Les opérations de contrôle n'ayant pu avoir lieu de son fait, la situation d'opposition à contrôle fiscal est caractérisée. Il s'ensuit que la pénalité de 100 % prévue par l'article 1732 du code général des impôts qui lui a été infligée est justifiée.

27. En dernier lieu, la société requérante se prévaut des dispositions du premier alinéa de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales selon lesquelles : " La juridiction saisie peut, lorsqu'une erreur non substantielle a été commise dans la procédure d'imposition, prononcer, sur ce seul motif, la décharge des majorations et amendes, à l'exclusion des droits dus en principal et des intérêts de retard. "

28. Les erreurs dont est entaché l'avis de mise en recouvrement présentent un caractère non substantiel. Dans les circonstances de l'espèce, compte-tenu de ce que les irrégularités invoquées n'ont aucunement empêché la société Argusvalentines de contester utilement les impositions et pénalités et de ce que l'opposition au contrôle est manifeste, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions du premier paragraphe de l'article L. 80 CA rappelées au point précédent, qui confèrent au juge une simple faculté de décharger la contribuable des pénalités dont ont été assorties les rectifications.

29. Il résulte de tout ce qui précède que la société Argusvalentines est seulement fondée à soutenir que le jugement attaqué du tribunal administratif de Cergy-Pontoise doit être annulé en ce qu'il a statué sur sa demande de décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge. Le surplus des conclusions de sa requête et de ses demandes doit par suite être rejeté, y compris ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1700368 du 13 décembre 2019 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulé en tant qu'il statue sur sa demande de décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à la charge de la société Argusvalentines.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête et la demande de la société Argusvalentines sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Argusvalentines et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2022 à laquelle siégeaient :

M. Beaujard, président de chambre,

Mme Dorion, présidente-assesseure,

M. Bouzar, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 avril 2022.

La rapporteure,

O. DORIONLe président,

P. BEAUJARDLa greffière,

M. A...

La République mande et ordonne au ministre de l'économie des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N° 20VE00493 2


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award