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17/12/2021 | FRANCE | N°20VE00345

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 1ère chambre, 17 décembre 2021, 20VE00345


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Dom Com Invest a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1740 A du code général des impôts pour un montant de 1 551 840 euros.

Par un mémoire distinct, la SARL Dom Com Invest a demandé au tribunal administratif de Versailles de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité des dispositions de l'ar

ticle 1740 A du code général des impôts avec le principe de nécessité et de proportion...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Dom Com Invest a demandé au tribunal administratif de Versailles de prononcer la décharge de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1740 A du code général des impôts pour un montant de 1 551 840 euros.

Par un mémoire distinct, la SARL Dom Com Invest a demandé au tribunal administratif de Versailles de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité des dispositions de l'article 1740 A du code général des impôts avec le principe de nécessité et de proportionnalité des peines énoncé à l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par une ordonnance du 16 avril 2018, le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Versailles a transmis la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat.

Par une décision n° 419874 du 11 juillet 2018, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a transmis au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution de l'article 1740 A du code général des impôts.

Par une décision n° 2018-739 QPC du 12 octobre 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré le premier alinéa de l'article 1740 A du code général des impôts contraire à la Constitution, a reporté son abrogation au 1er janvier 2019 et a jugé que, pour faire cesser l'inconstitutionnalité constatée, l'amende instituée par ces dispositions s'applique uniquement aux personnes qui ont sciemment délivré des documents permettant à un contribuable d'obtenir un avantage fiscal indu.

Par un jugement n° 1708333 du 15 octobre 2019, le tribunal administratif de Versailles a déchargé la SARL Dom Com Invest de l'amende en litige et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 janvier et 4 novembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour :

1° d'annuler le jugement attaqué ;

2° de rétablir l'amende d'un montant de 1 551 840 euros infligée à la SARL Dom Com Invest sur le fondement de l'article 1740 A du code général des impôts.

Il soutient que la société a sciemment délivré le 14 mai 2012 des attestations erronées aux investisseurs des sociétés Dom Com 1 à 47 afin de leur permettre de bénéficier de la réduction d'impôt à raison d'un investissement outre-mer prévue à l'article 199 undecies B du code général des impôts, alors que l'état du droit n'était pas incertain à la date d'établissement de ces attestations et qu'elle ne pouvait ignorer l'absence d'investissement fonctionnel effectif au 31 décembre 2011.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dorion, présidente-assesseure,

- les conclusions de M. Met, rapporteur public,

- et les observations de Me Laplace, substituant M. A..., pour la SARL DomCom Invest.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Dom Com Invest, qui a pour activité la mise en place et la gestion de structures d'acquisition de matériels neufs éligibles à la réduction d'impôt en faveur des investissements outre-mer a, en partenariat avec la société France Energies Finance (FEF), opérateur en énergies renouvelables, monté une opération de financement d'éoliennes en Guyane par l'intermédiaire de quarante-sept sociétés par actions simplifiées (SAS) Dom Com, chacune devant acheter deux kits, soit quatre-vingt-quatorze éoliennes destinées à être louées à des exploitants. L'administration fiscale a remis en cause la réduction d'impôt sur le revenu pratiquée par les souscripteurs de parts des SAS Dom Com, en application des dispositions de l'article 199 undecies B du code général des impôts, au titre de l'année 2011, au motif que les équipements n'avaient pas été réalisés au cours de cette année d'imposition, et notifié à la SARL Don Com Invest le 2 décembre 2015 une amende de 1 551 840 euros sur le fondement de l'article 1740 A du code général des impôts, au motif qu'en délivrant des attestations fiscales pour des investissements mentionnant que ceux-ci avaient été réalisés au cours de l'année 2011, elle avait permis aux contribuables concernés de bénéficier d'un avantage fiscal indu. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance relève régulièrement appel du jugement du 15 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Versailles, faisant droit à la demande de la SARL Dom Com Invest, l'a déchargée de cette amende.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 1740 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " La délivrance irrégulière de documents, tels que certificats, reçus, états, factures ou attestations, permettant à un contribuable d'obtenir une déduction du revenu ou du bénéfice imposables, un crédit d'impôt ou une réduction d'impôt, entraîne l'application d'une amende égale à 25 % des sommes indûment mentionnées sur ces documents ou, à défaut d'une telle mention, d'une amende égale au montant de la déduction, du crédit ou de la réduction d'impôt indûment obtenu. / (...) ". Par sa décision n° 2018-739 QPC du 12 octobre 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions contraires à la Constitution, reporté au 1er janvier 2019 la date de leur abrogation et jugé, " afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, [...] que l'amende instituée par le premier alinéa de l'article 1740 A du code général des impôts s'applique uniquement aux personnes qui ont sciemment délivré des documents permettant à un contribuable d'obtenir un avantage fiscal indu ".

3. Il résulte de la réserve d'interprétation dont le Conseil constitutionnel a assorti la conformité à la Constitution des amendes prononcées avant le 1er janvier 2019 sur le fondement de l'article 1740 A du code général des impôts, que cette amende ne peut être infligée qu'aux personnes ayant sciemment délivré des documents permettant à un contribuable d'obtenir un avantage fiscal indu. Le ministre appelant fait valoir que l'amende infligée à la SARL Dom Com Invest doit être maintenue, dès qu'elle ne pouvait ignorer que les équipements ouvrant droit à réduction d'impôt figurant sur les attestations qu'elle a délivrées aux investisseurs, pour un montant total de 6 207 362 euros, n'étaient pas installés sur leurs sites d'exploitation, ni en état d'être productifs de revenus, et ne pouvaient par suite être regardés comme réalisés au cours de l'année 2011.

4. Toutefois, à la date des attestations délivrées le 14 mai 2012 par la SARL Dom Com Invest aux contribuables souscripteurs de parts des quarante-sept SAS Dom Com, l'article 199 undecies B du code général des impôts, disposait que la réduction d'impôt qu'elle prévoit " est pratiquée au titre de l'année au cours de laquelle l'investissement est réalisé (...) ", et l'article 95 Q de l'annexe II à ce même code alors en vigueur, qui rattachait le bénéfice de la réduction d'impôt à " l'année au cours de laquelle l'immobilisation est créée par l'entreprise ou lui est livrée ou est mise à sa disposition dans le cadre d'un contrat de crédit-bail (...) ", n'avait pas encore été modifié par le décret n° 2015-919 du 27 juillet 2015 pour viser l'année de " mise en service " de l'immobilisation. De même, l'article 95 T de la même annexe précisant au titre des mentions devant figurer dans l'attestation jointe par le contribuable à sa déclaration de revenus que devaient apparaître " le nom et l'adresse du siège social de l'entreprise propriétaire de l'investissement " et " la date à laquelle l'investissement a été livré ", n'a été modifié qu'en 2015 par le même décret. La documentation de base référencée 5-B-2-07 du 30 janvier 2007 interprétait d'ailleurs la notion de livraison en renvoyant à l'article 1604 du code civil qui définit " la délivrance [comme] le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur ". Si certains arrêts du Conseil d'Etat, relatifs à d'autres avantages fiscaux attachés à des investissements outre-mer, pouvaient laisser entrevoir un courant jurisprudentiel rattachant l'avantage fiscal à l'année au cours de laquelle l'entreprise dispose matériellement de l'investissement productif et peut commencer son exploitation effective, le principe posé par l'arrêt Notheaux du 10 juillet 2007, repris par les juges du fond dans leurs décisions relatives au dispositif antérieur d'incitation fiscale aux investissements outre-mer, codifié sous les anciens articles 163 tervicies et 238 bis HA du code général des impôts, posait que " le fait générateur du droit à déduction du montant total des investissements que peut exercer l'entreprise est constitué, soit par la création de l'immobilisation au titre de laquelle l'investissement productif a été réalisé, soit par la livraison effective de l'immobilisation dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, et de La Réunion ". Ainsi que l'a jugé le tribunal, ce n'est que par plusieurs décisions du 26 avril 2017 que le Conseil d'Etat a jugé que le fait générateur de la réduction d'impôt prévue à cet article 199 undecies B devait s'entendre de la date à laquelle l'entreprise exploitante, disposant matériellement de l'investissement productif, peut commencer son exploitation effective et, dès lors, en retirer des revenus, soit, s'agissant de centrales photovoltaïques, celle du raccordement des installations au réseau public d'électricité. Les réponses parlementaires par lesquelles le ministre a anticipé cette solution, concernant les installations de production d'énergie photovoltaïque, sont également postérieures à la délivrance par la SARL Dom Com Invest des attestations en cause. Il s'ensuit qu'à la date de l'établissement des attestations reprochées à la SARL Dom Com, cette société, même avertie, ne peut être regardée comme ne pouvant ignorer que le fait générateur de la réduction d'impôt n'était pas constitué dès la livraison effective des éoliennes en Guyane aux SAS Dom Com qui en étaient propriétaires.

5. Il résulte de l'instruction que les kits d'éoliennes commandés par la société FEF à la société Messick Trading Incorp le 4 novembre 2011 et facturés le 8 décembre pour une livraison au 15 décembre 2011, ont été dédouanés le 29 décembre 2011 au port de Cayenne. La livraison aux SAS propriétaires, en Guyane, au 31 décembre 2011, des quatre-vingt-quatorze éoliennes, est corroborée par la lettre du 13 janvier 2016 du directeur régional des douanes qui confirme le dédouanement des matériels au 29 décembre 2011. Dans ces conditions, alors même que la SARL Dom Com Invest est un professionnel de la défiscalisation outre-mer, il ne peut être regardé comme établi qu'elle a sciemment délivré des attestations erronées afin de permettre aux investisseurs de bénéficier d'un avantage fiscal indu.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a déchargé la SARL Dom Com Invest de l'amende qui lui a été infligée en application de l'article 1740 A du code général des impôts.

DECIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la relance est rejetée.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20VE00345
Date de la décision : 17/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-04-015 Contributions et taxes. - Généralités. - Amendes, pénalités, majorations.


Composition du Tribunal
Président : Mme DORION
Rapporteur ?: Mme Odile DORION
Rapporteur public ?: M. MET
Avocat(s) : TAIEB

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-12-17;20ve00345 ?
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