Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Natixis SA a demandé au tribunal administratif de Montreuil :
1° à titre principal, de prononcer le remboursement des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2012 pour un montant total de 41 494 009 euros au titre du report des crédit d'impôts sur valeurs mobilières françaises et étrangères et sur revenus de créances étrangères des années 2008 à 2011 ;
2° à titre subsidiaire, de prononcer le remboursement de cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice 2012, au titre du report des crédits d'impôt forfaitaires totaux sur revenus de créances étrangères des années 2008 à 2011.
Par un jugement n° 1707163 du 21 mars 2019, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 27 mai 2019, 3 juillet 2020, 9 octobre 2020 et 11 novembre 2020, la société Natixis SA, représentée par Me B..., avocat, demande à la cour :
1° d'annuler le jugement attaqué ;
2° de prononcer le remboursement des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles pour un montant de 41 494 009 euros auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2012, au titre du report de l'ensemble des crédits d'impôt sur valeurs mobilières françaises et étrangères, revenus de créances et redevances étrangères des années 2008 à 2011 ;
3° à titre subsidiaire de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle suivante : lorsque la législation interne d'un Etat membre autorise le report d'imputation du déficit d'une période d'imposition d'une société sur le ou les premiers exercices bénéficiaires de la ou les périodes d'imposition suivantes et s'est engagé par voie conventionnelle à éliminer la double imposition des revenus acquis au titre de la même période d'imposition, le refus asymétrique d'imputer le crédit d'impôt y attaché sur l'imposition due au titre de la période au cours de laquelle le déficit aura été imputé contrevient il aux dispositions de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne '
4° de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les dispositions du a du 1 de l'article 220 du code général des impôts ne sont pas applicables aux revenus visés à l'article 120 du code général des impôts, qui relèvent exclusivement du b de l'article 220 qui dispose que l'imputation est limitée au montant du crédit correspondant à l'impôt retenu à la source à l'étranger ; en l'espèce, ces montants s'élèvent à la somme de 24 199 513 euros ;
- les dispositions du a du 1 de l'article 220 du code général des impôts, qui n'autorisent pas le report sur un exercice ultérieur d'un reliquat de crédit d'impôt non utilisé, ne s'appliquent qu'au regard du droit interne et pour les seuls revenus visés aux articles 108 à 119 du code général des impôts ;
- la circonstance que les conventions fiscales en cause ne prévoient pas de dispositions expresses permettant un report en avant de ces crédits d'impôts est sans incidence sur cette possibilité, dès lors que les stipulations de ces conventions doivent être lues à la lumière de leur objectif qui est d'éliminer les doubles impositions ; c'est, au demeurant, ce qui ressort des commentaires de l'OCDE sur l'article 23 du modèle de convention fiscale ;
- ne pas permettre l'utilisation différée du crédit d'impôt né au titre d'un exercice déficitaire constitue une restriction à la libre circulation des capitaux ;
- la Cour de justice de l'Union européenne pourrait être saisie de la question préjudicielle suivante : lorsque la législation interne d'un Etat membre autorise le report d'imputation du déficit d'une période d'imposition d'une société sur le ou les premiers exercices bénéficiaires de la ou les périodes d'imposition suivantes et s'est engagé par voie conventionnelle à éliminer la double imposition des revenus acquis au titre de la même période d'imposition, le refus asymétrique d'imputer le crédit d'impôt y attaché sur l'imposition due au titre de la période au cours de laquelle le déficit aura été imputé contrevient il aux dispositions de l'article 63 du TFUE ;
- l'interprétation faite par l'administration des dispositions de l'article 220 du code général des impôts entraîne une discrimination non justifiée à l'encontre des sociétés déficitaires, qui méconnaît les stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er de son premier protocole additionnel.
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention signée le 22 mai 1968 entre la France et le Royaume-Uni tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur les revenus ;
- la convention signée le 29 mai 1970 entre la France et le Royaume du Maroc tendant à éliminer les doubles impositions et à établir des règles d'assistance mutuelle administrative en matière fiscale, notamment son article 25 ;
- la convention signée le 14 janvier 1971 entre la France et le Portugal tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu, notamment son article 24 ;
- la convention signée le 10 septembre 1971 entre la France et le Brésil tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu, notamment son article 22 ;
- la convention signée le 2 mai 1975 entre la France et le Canada tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, notamment son article 23 ;
- la convention signée le 20 juin 1975 entre la France et la Pologne tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, notamment son article 23 ;
- la convention signée le 13 avril 1976 entre la France et l'Australie tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôt sur le revenu, notamment son article 23 ;
- la convention conclue le 21 octobre 1976 entre la France et le Cameroun tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance réciproque en matière d'impôts sur le revenu, d'impôts sur les successions, de droits d'enregistrement et de droits de timbre, notamment son article 26 ;
- la convention fiscale signée le 4 avril 1979 entre la France et l'Argentine en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, notamment son article 24 ;
- la convention signée le 19 juin 1979 entre la France et la République de Corée tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale internationale en matière d'impôts sur le revenu, notamment son article 23 ;
- la convention signée le 30 novembre 1979 entre la République française et la Nouvelle-Zélande tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu, notamment son article 23 ;
- l'accord signé le 30 mai 1984 entre la France et la République populaire de Chine en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu, notamment son article 22 ;
- la convention signée le 18 février 1987 entre la France et la Turquie en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu, notamment son article 23 ;
- la convention signée le 5 octobre 1989 entre la France et l'Italie, en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales, notamment son article 24 ;
- la convention signée le 3 mars 1995 entre la France et le Japon en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu, notamment son article 23 ;
- la convention signée le 20 juin 2006 entre la France et l'Australie tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et à prévenir l'évasion fiscale, notamment son article 23 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Met, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., pour la société Natixis.
Une note en délibéré, enregistrée le 23 juin 2021, a été présentée pour la société Natixis SA.
Considérant ce qui suit :
1. La société anonyme Natixis, société mère d'un groupe fiscalement intégré au sens de l'article 223 A du code général des impôts, a demandé le remboursement de cotisations d'impôts sur les sociétés et de contributions additionnelles auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2012, pour un montant total de 41 494 009, correspondant aux crédits d'impôt sur valeurs mobilières françaises et étrangères et sur revenus de créances étrangères qu'elle n'a pu imputer au titre des exercices 2008 à 2011, dès lors qu'elle était en situation déficitaire. La société relève régulièrement appel du jugement du 21 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de remboursement.
2. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition et si, par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie avant de déterminer si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale, il appartient au juge, après avoir constaté que les impositions qu'une entreprise a supportées dans un autre Etat du fait des opérations qu'elle y a réalisées seraient normalement déductibles de son bénéfice imposable en France en vertu de la loi fiscale nationale, de faire application, pour la détermination de l'assiette de l'impôt dû par cette entreprise, des stipulations claires d'une convention excluant la possibilité de déduire l'impôt acquitté dans cet autre Etat d'un bénéfice imposable en France.
Sur l'application de la loi fiscale :
3. Aux termes de l'article 220 du code général des impôts : " 1. a) Sur justifications, la retenue à la source à laquelle ont donné ouverture les revenus des capitaux mobiliers, visés aux articles 108 à 119, 238 septies B et 1678 bis, perçus par la société ou la personne morale est imputée sur le montant de l'impôt à sa charge en vertu du présent chapitre. / Toutefois, la déduction à opérer de ce chef ne peut excéder la fraction de ce dernier impôt correspondant au montant desdits revenus. / b) En ce qui concerne les revenus de source étrangère visés aux articles 120 à 123, l'imputation est limitée au montant du crédit correspondant à l'impôt retenu à la source à l'étranger ou à la décote en tenant lieu, tel qu'il est prévu par les conventions internationales. (...) ".
4. Il ne résulte ni des dispositions précitées dont se prévaut la société Natixis, ni d'aucune disposition législative ou réglementaire, que les crédits d'impôts relatifs à des valeurs mobilières françaises et ceux résultant de retenues à la source acquittées à l'étranger par des sociétés qui y sont implantées, qui sont pris en compte dans le résultat déficitaire de la société tête de groupe, et qui n'ont pu faire l'objet d'une imputation, puissent être reportés sur le résultat d'exercices ultérieurs. Il y a, toutefois, lieu d'examiner si les stipulations conventionnelles applicables permettent un report des crédits d'impôts prévus par ces conventions, qui n'ont pu être imputés par la société requérante pour les exercices clos les 31 décembre 2008, 2009, 2010 et 2011.
Sur l'application des conventions bilatérales :
5. Ainsi que l'ont relevé à bon droit les premiers juges, aucune des stipulations des conventions fiscales tendant à l'élimination des doubles impositions, liant la France à l'Australie, l'Argentine, le Brésil, le Cameroun, le Canada, la Chine, la Corée du Sud, l'Italie, le Japon, le Maroc, la Nouvelle-Zélande, la Pologne, le Portugal, le Royaume-Uni et la Turquie, ne prévoit expressément le report d'imputation des crédits d'impôts lorsqu'aucune imposition n'a été constatée en France du fait d'un résultat déficitaire. Si la requérante soutient que les commentaires sur le modèle OCDE de 2017 justifieraient un report des crédits d'impôt n'ayant pu être imputé du fait de résultats déficitaires, ces commentaires, au demeurant postérieurs aux conventions fiscales précédemment visées, d'une part, soulignent à titre liminaire que ces conventions ont pour objet l'élimination de la seule double imposition juridique, qui est relative à un même fait générateur et pour des périodes identiques et, d'autre part, mettent en exergue, en leur point 66, la marge de manoeuvre laissée aux Etats pour couvrir tout problème tel que celui résultant de l'impossibilité de reporter des crédits d'impôt conventionnels sur un exercice bénéficiaire ultérieur. En tout état de cause, lorsqu'une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions prévoit un mécanisme de crédit d'impôt imputable sur l'impôt français destiné à compenser les impositions qu'une entreprise a supportées dans un autre Etat du fait des opérations qu'elle y a réalisées, et que cette entreprise n'est pas en mesure d'en bénéficier du fait de sa situation déficitaire au cours de l'exercice considéré, la société résidente en France est fondée à déduire de son résultat imposable, au titre des charges de l'entreprise, la retenue à la source acquittée à l'étranger, dès lors que la convention fiscale applicable n'en interdit pas la déduction en toutes circonstances.
Sur la méconnaissance de la libre circulation des capitaux :
6. La société Natexis SA soutient que l'impossibilité de report d'un excès de crédit d'impôt conventionnel non imputable en cas d'exercice déficitaire, qui a pour effet de laisser subsister une surcharge fiscale injustifiée sur les revenus de source étrangère et de créer une différence de traitement par rapport aux mêmes revenus de source française, est contraire à la liberté de circulation des capitaux garantie par l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Toutefois, l'interdiction de report sur un exercice ultérieur d'un crédit d'impôt s'applique indistinctement, sauf disposition législative contraire, à toutes les sociétés imposables en France, quelle que soit l'origine des crédits d'impôt qu'elles n'ont pu imputer du fait de leur résultat déficitaire. Au demeurant, il est constant que l'appelante demande également le remboursement de crédits d'impôt relatifs à des valeurs mobilières françaises. En outre, ainsi qu'il a été dit au point précédent, l'impôt acquitté à l'étranger est déductible du résultat fiscal de l'entreprise déficitaire lorsque la convention fiscale applicable ne s'y oppose pas. Enfin, les désavantages pouvant découler de l'exercice parallèle des compétences fiscales des États membres, dans la mesure où un tel exercice n'est pas discriminatoire, ne constituent pas des restrictions interdites par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Dès lors que les entreprises dont le résultat fiscal est déficitaire ne se trouvent pas dans la même situation, au regard de la double imposition, qu'une entreprise assujettie à l'impôt sur les sociétés sur son résultat fiscal bénéficiaire, la circonstance que la double imposition ne serait pas totalement éliminée en cas d'imposition sur un exercice ultérieur excédentaire n'est pas susceptible de porter atteinte à la libre circulation des capitaux. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance du droit de l'Union européenne doit, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, être écarté.
Sur la méconnaissance de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
7. Aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. ". Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi.
8. D'une part, ainsi qu'il a été dit au point 6, l'interdiction de report sur un exercice ultérieur d'un crédit d'impôt s'applique indistinctement, sauf disposition législative contraire, à toutes les sociétés imposables en France, quelle que soit l'origine des crédits d'impôt qu'elles n'ont pu imputer du fait de leur résultat déficitaire. D'autre part, dès lors que la SA Natixis ne disposait d'aucun droit à obtenir la restitution du montant des crédits d'impôts d'origine étrangère et française qu'elle n'a pu imputer sur ses résultats déficitaires, elle ne disposait d'aucune créance restituable pouvant être regardée comme un bien au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel ne peuvent qu'être écartés.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Natixis SA n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de remboursement. Par voie de conséquence ses conclusions tendant à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Natixis SA est rejetée.
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N° 19VE01921