Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de la Seine-Saint-Denis a demandé au tribunal administratif de Montreuil de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 703 138 euros, assortie des intérêts avec capitalisation, en compensation de l'absence de mise à disposition de locaux et de prise en charge des moyens de fonctionnement courant prévue par la convention constitutive du groupement d'intérêt public et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1603403 du 7 février 2018, le tribunal administratif de Montreuil a condamné l'Etat à payer à la MDPH de la Seine-Saint-Denis la somme de 1 390 210 euros, dont 826 372 euros à la charge du préfet de la Seine-Saint-Denis et 563 838 euros à la charge du recteur de l'académie de Créteil, avec intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 2016 et capitalisation des intérêts, et mis à la charge du préfet de Seine-Saint-Denis et du recteur de l'académie de Créteil la somme de 1 000 euros chacun en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement le 6 avril 2018 et le 28 janvier 2019 sous le n° 18VE01260, le ministre des solidarités et de la santé demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande indemnitaire présentée par la MDPH de la Seine-Saint-Denis.
Il soutient que :
- la MDPH ne peut pas rechercher la responsabilité de l'Etat sur le fondement contractuel dès lors qu'elle n'est pas partie à la convention constitutive du groupement d'intérêt public ;
- les dispositions des articles L. 146-4 et R. 146-17 du code de l'action sociale et des familles n'imposent pas à l'Etat de financer les charges immobilières de la MDPH ;
- la convention constitutive ne prévoit pas un engagement financier de l'Etat au-delà de la période de mise à disposition des locaux initiaux à la MDPH ;
- à supposer même que l'Etat aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité, la MDPH ne démontre pas l'existence d'un préjudice direct et certain ;
- le préjudice financier résultant pour la MDPH de l'éventuelle faute commise par l'Etat ne correspond pas nécessairement à la valeur locative annuelle des locaux initialement mis à disposition et la MDPH ne saurait solliciter plus de 25 704 euros au titre de la compensation de l'absence de mise à disposition de locaux ;
- l'Etat a respecté ses engagements en matière de dotation de fonctionnement.
Par trois mémoires en défense enregistrés les 22 octobre 2018, 29 mars 2019 et 5 septembre 2019, la MDPH de Seine-Saint-Denis, représentée par Me A..., avocate, conclut au rejet de la requête, à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 312 928 euros au titre des moyens de fonctionnement courant non pris en charge par l'Etat après la fin de la mise à disposition des locaux de la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la convention constitutive du groupement d'intérêt public est un acte réglementaire dont la MDPH peut se prévaloir ;
- l'Etat a méconnu la circulaire du 24 juin 2005 relative aux concours apportés par l'Etat au fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées en ne garantissant pas la pérennité de sa prise en charge des frais immobiliers de la MDPH après son déménagement ;
- la participation aux charges immobilières est une obligation dès lors qu'elle est prévue par la convention constitutive et l'Etat a manqué à cette obligation en ne versant pas de compensation financière à la cessation de la mise à disposition de locaux, l'absence de rédaction d'un avenant sur ce point ne faisant pas obstacle à ce principe de compensation ;
- le montant du préjudice né de l'absence de compensation financière à la fin de la mise à disposition par l'Etat de locaux au profit de la MDPH doit s'apprécier au regard de la valorisation des mises à disposition qui incombaient à l'Etat ;
- elle est fondée à solliciter la réparation de son préjudice à hauteur des montants prévus dans la convention, faute d'avenant prenant en compte le changement dans les circonstances de fait ;
- la carence de l'Etat a entraîné des dépenses supplémentaires pour la MDPH ;
- la circonstance que d'autres membres du groupement ont suppléé à l'absence de compensation financière par l'Etat n'est pas de nature à atténuer le préjudice subi par la MDPH ;
- c'est à tort que le tribunal a considéré qu'elle n'était pas fondée à solliciter la somme de 312 928 euros en compensation de l'absence de prise en charge des dépenses de fonctionnement relatif aux locaux de la DDTEFP pour les années 2012 à 2015.
II. Par une requête enregistrée le 5 juin 2018 sous le n° 18VE1922, le ministre de l'éducation nationale demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par la MDPH de la Seine-Saint-Denis.
Il soutient que :
- la valorisation des locaux de l'inspection académique mis à disposition de la MDPH n'avait qu'une valeur indicative ;
- aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit l'obligation de verser une compensation financière pour le membre d'un GIP qui cesse d'octroyer une contribution en nature ;
- en tout état de cause, la fin de la mise à disposition de locaux par le rectorat n'a pas causé de préjudice à la MDPH.
La requête du ministre de l'éducation nationale a été communiquée au ministre des solidarités et de la santé, à la MDPH de la Seine-Saint-Denis, au préfet de la Seine-Saint-Denis et au recteur de l'académie de Créteil qui n'ont pas présenté d'observations.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Clot, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., pour la MDPH de Seine-Saint-Denis.
Considérant ce qui suit :
1. Les deux requêtes sont dirigées contre un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. Le ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'éducation nationale relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Montreuil du 7 février 2018 condamnant l'Etat à verser la somme de 1 390 210 euros à la MDPH de la Seine-Saint-Denis. Par la voie de l'appel incident, la MDPH de la Seine-Saint-Denis demande à ce que le jugement soit réformé en tant qu'il n'a pas condamné l'Etat à lui verser la somme de 312 928 euros.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne la faute :
3. L'article L. 146-3 du code de l'action sociale et des familles prévoit, afin d'offrir un accès unique des personnes handicapées et de leurs familles aux droits et prestations prévues par la loi, ainsi qu'à toutes les possibilités d'appui dans l'accès à la formation et à l'emploi et à l'orientation vers des établissements et services et de faciliter leurs démarches, la création, dans chaque département, d'une maison départementale des personnes handicapées, chargée notamment d'une mission d'accueil, d'information, d'accompagnement et de conseil des personnes handicapées et de leur famille, ainsi que de sensibilisation de tous les citoyens au handicap et d'assurer à la personne handicapée et à sa famille l'aide nécessaire à la formulation de son projet de vie, l'aide nécessaire à la mise en oeuvre des décisions prises par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, ainsi que l'accompagnement et les médiations que cette mise en oeuvre peut requérir. En application de l'article L. 146-4 du même code, la MDPH est constituée sous la forme d'un groupement d'intérêt public, dont le département assure la tutelle administrative et financière et dont le département, l'Etat et les organismes locaux d'assurance maladie et d'allocations familiales du régime général de sécurité sociale définis aux articles L. 211-1 et L. 212-1 du code de la sécurité sociale sont membres de droit. L'article L. 146-4 de ce code, dans sa rédaction applicable au présent litige, prévoit également que : " La convention constitutive du groupement précise notamment (...) la nature des concours apportés par eux. ". L'article R. 146-17 du même code dispose que : " La convention constitutive comporte obligatoirement les stipulations suivantes : / (...) 5° Nature et montant des concours des membres du groupement à son fonctionnement (...) ". Il résulte de ces dispositions que la participation de l'Etat, comme d'ailleurs celle des autres membres de droit, à l'accomplissement des missions assurées par les MDPH en application de l'article L. 146-3 du code de l'action sociale et des familles, et notamment la participation à leurs coûts de fonctionnement et de personnel, revêt un caractère obligatoire dans son principe et dont la convention constitutive mentionne, conformément à l'article R. 146-17 du même code, à la fois la nature et le montant.
4. Aux termes de l'article 16 de la convention constitutive du groupement d'intérêt public dénommé " maison départementale des personnes handicapées de la Seine-Saint-Denis " : " Les membres du groupement participent au fonctionnement de la maison départementales des personnes handicapées en mettant à disposition des moyens notamment sous forme de : - contribution en nature ; / - contribution financière ; / - mise à disposition de personnels ; / - mise à disposition de locaux ; / - mise à disposition de matériel ; / - mise à disposition d'outils informatiques et statistiques ; / mise à disposition de productions (études et analyses) ; / - ... / ou sous toute autre forme contribuant au fonctionnement du groupement. / (...) / Le recensement des moyens (humaines, financiers, de locaux, matériels, logiciels...) que chaque membre du groupement s'engage à consacrer à l'exécution des missions de la maison départementale des personnes handicapées est annexé à la présente convention. / Dans la mesure des moyens dont ils disposent, les membres du groupement s'engagent à maintenir leurs contributions telles que précisées en annexe, en moyens de personnel (postes, ETP), financiers et de logistiques et dans le respect des modalités suivantes : / (...) / 2) Pour les moyens logistiques / a) Locaux : / Tant que les activités relevant antérieurement de l'Etat (COTOREP, CDES, site pour la vie autonome) seront exercées dans les actuels locaux, l'Etat s'engage à continuer la prise en charge des frais de gestion locative et d'entretien desdits locaux. / Dans le cas d'un regroupement de ces activités dans des locaux spécifiques à la maison départementale des personnes handicapées, les modalités de l'engagement des services de l'Etat feront l'objet d'un avenant dans les conditions prévues à l'article 28 de la présente convention. / b) Mobiliers matériels, informatique, fonctionnement courant : / Les membres du groupement s'engagent à maintenir leurs contributions dans la durée, notamment pour assurer le remplacement des équipements défectueux, l'évolution, le développement, l'interface et la mise en réseau du système d'information de la maison départementale des personnes handicapées, y compris la maintenance des logiciels actuels (ITAC et OPALES) dans le cadre des décisions nationales concernant ces outils. / Les membres du groupement s'engagent à maintenir leurs contributions dans la durée sachant que le niveau des moyens pourra évoluer dans le temps en fonction de la charge des activités de la maison départementale des personnes handicapées et des objectifs de performance qui leur sont assignés. "
5. Il résulte de l'instruction qu'en vertu de l'annexe à la convention constitutive de la MDPH de la Seine-Saint-Denis, l'Etat s'est engagé à mettre à la disposition de cette structure notamment des locaux d'une surface de 910 m² appartenant à la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP, aujourd'hui direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi) et d'une valeur locative annuelle estimée à 206 593 euros, ainsi que des locaux d'une surface de 300 m² appartenant à l'inspection académique et d'une valeur locative annuelle estimée à 93 973 euros. La mise à disposition des locaux de la DDTEFP devait également s'accompagner d'une prise en charge des moyens de fonctionnement courant à hauteur de 78 232 euros.
6. Il est constant que l'Etat a cessé de mettre à disposition de la MDPH de la Seine-Saint-Denis les locaux appartenant à l'inspection académique en 2010 et les locaux appartenant à la DDTEFP à compter de janvier 2012 et qu'aucun avenant à la convention constitutive du GIP prévoyant les nouvelles modalités d'engagement des services de l'Etat n'a été signé. Dans ces conditions, l'Etat doit être regardé ayant commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle à l'égard du groupement d'intérêt public.
En ce qui concerne le préjudice :
S'agissant de charges immobilières :
7. Il n'est pas contesté que de 2010 à 2012, le département de la Seine-Saint-Denis a mis gratuitement à disposition de la MDPH les locaux relevant de l'inspection académique qui étaient anciennement mis à sa disposition par l'Etat. La MDPH de la Seine-Saint-Denis ne saurait donc se prévaloir d'un préjudice résultant de la fin de la mise à disposition des locaux de l'inspection académique au titre des années 2010 et 2011.
8. Il résulte de l'instruction que, malgré la fin de la mise à disposition par l'Etat des locaux appartenant à la DDTEFP et à l'inspection académique, les dépenses locatives de la MDPH de la Seine-Saint-Denis ont diminué depuis 2013. Toutefois, ces dépenses ont augmenté en 2012 par rapport à 2009, date à laquelle l'Etat a cessé de mettre à la disposition de la MDPH une partie de ses locaux, à hauteur de la somme de 25 704 euros. Il convient donc de condamner l'Etat à réparer ce préjudice en répartissant cette somme entre les ministères concernés proportionnellement à la valeur de leur contribution initiale, soit la somme de 17 222 euros à la charge du ministre des solidarités et de la santé et la somme de 8 482 euros à la charge du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
S'agissant des moyens de fonctionnement :
9. Il résulte de l'instruction, en particulier des avenants à la convention financière liant l'Etat à la MDPH de la Seine-Saint-Denis, que l'Etat a versé à cette dernière au titre de l'année 2012 la somme totale de 1 228 681 euros dont 798 314 euros au titre de la compensation des postes vacants et 430 367 euros au titre de la dotation de fonctionnement. Ce versement a été reconduit les trois années suivantes, la subvention totale versée par l'Etat pour chacune de ces trois années s'élevant respectivement à 1 691 073 euros, 1 713 002 euros et 1 754 552 euros. Par ailleurs, il n'est pas sérieusement contesté que la dotation de fonctionnement de 430 367 euros versée au titre de ces quatre années à la MDPH incluait une dotation de fonctionnement du secteur travail de 228 818 euros incluant l'apport en moyens de fonctionnement de 78 232 euros résultant de la convention constitutive du GIP. Dans ces conditions, la MDPH de la Seine-Saint-Denis n'établit pas avoir subi un préjudice du fait de l'absence de prise en charge des frais de fonctionnement courant liés à la mise à disposition des locaux de la DDTEFP à compter de 2012.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'éducation nationale sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montreuil a condamné l'Etat à verser la somme de 1 390 210 euros, cette somme devant être ramenée à 25 704 euros. Les conclusions incidentes de la MDPH doivent être rejetées par voie de conséquence.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme quelconque au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 1 390 210 euros que l'Etat a été condamné à verser à la MDPH de la Seine-Saint-Denis par l'article 1er du jugement n° 1603403 du tribunal administratif de Montreuil du 7 février 2018 est ramenée à la somme de 25 704 euros, soit 17 222 euros à la charge du ministre des solidarités et de la santé et 8 482 euros à la charge du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Article 2 : Le jugement n° 1603403 du tribunal administratif de Montreuil du 7 février 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Nos 18VE01260... 2