Vu la procédure suivante :
Procédures contentieuses antérieures :
Mme L... J... G... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer, en droits et pénalités, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2010.
Par un jugement n° 1811931 du 16 juillet 2019, le tribunal administratif de Montreuil l'a déchargée, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à sa charge au titre de l'année 2010 concernant l'opération d'apport à la société civile Famille J... N... (société A...).
Mme I... J... C... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer, en droits et pénalités, la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2010.
Par un jugement n° 1812220 du 16 juillet 2019, le tribunal administratif de Montreuil l'a déchargée, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à sa charge au titre de l'année 2010 concernant l'opération d'apport à la société A....
La société A... a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer, en droits et pénalités, la décharge des retenues à la source mises à sa charge au titre des revenus distribués à Mme J... D... en 2010.
Par un jugement n° 1706787 du 16 juillet 2019, le tribunal administratif de Montreuil l'a déchargée, en droits et pénalités, des retenues à la source mises à sa charge au titre de l'année 2010.
Procédures devant la Cour :
I. Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n° 19VE03701 les 6 novembre 2019, 12 août 2020 et 23 mars 2021, le ministre chargé du budget demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil n° 1811931 du 16 juillet 2019 ;
2°) de remettre à la charge de Mme J... G..., en droits et pénalités, les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2010.
Le ministre soutient qu'en apportant ses titres de la SA Compagnie Financière et de Participation J... (CFPR) à la société A..., en échange de titres de la société A... et d'une soulte, Mme J... G... n'a pas perdu la liberté de négociation des titres qu'elle possédait jusqu'alors au sein de la société CFPR, de sorte que la soulte versée dans le cadre de cette opération ne peut être justifiée par la perte de cette liberté de négociation, mais constitue en réalité une distribution anticipée des dividendes de la société CFPR en franchise d'impôt, justifiant la mise en œuvre de la procédure d'abus de droit.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 6 mai 2020 et 3 février 2021, Mme L... J... G..., représentée par la société d'avocats Ernst et Young, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 50 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que le moyen soulevé par le ministre n'est pas fondé.
II. Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n° 19VE03702 les 6 novembre 2019, 12 août 2020 et 23 mars 2021, le ministre chargé du budget demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil n° 1812220 du 16 juillet 2019 ;
2°) de remettre à la charge de Mme J... C..., en droits et pénalités, les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2010.
Le ministre soulève le même moyen que dans l'instance n° 19VE03701.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 6 mai 2020 et 3 février 2021, Mme L... J... C..., représentée par la société d'avocats Ernst et Young, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 50 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que le moyen soulevé par le ministre n'est pas fondé.
III. Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n° 19VE03703 les 6 novembre 2019, 12 août 2020 et 23 mars 2021, le ministre chargé du budget demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil n° 1706787 du 16 juillet 2019 ;
2°) de remettre à la charge de la société A..., en droits et pénalités, la retenue à la source mise à sa charge au titre des revenus distribués sur l'année 2010 à Mme J... D....
Le ministre soulève le même moyen que dans l'instance n° 19VE03701.
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Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 5 juillet 2007, M. F... (C-321/05) ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Tronel,
- les conclusions de M. Illouz, rapporteur public,
- et les observations de Me Plumerault, Me Ménard et Me Vailhen, B... Mme J... G..., Mme I... J... C... et la société A....
Considérant ce qui suit :
Sur la jonction :
1. Les requêtes susvisées n° 19VE03701, n° 19VE03702, n° 19VE03703, introduites par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre B... statuer par un seul arrêt.
Sur l'exposé du litige :
2. Ainsi que l'on rappelé les premiers juges, la société anonyme Compagnie Financière et de Participation J... (CFPR) est la holding du groupe familial J..., créé par M. E... J..., spécialisé dans la fabrication de fertilisants et de spécialités nutritionnelles B... les cultures et les animaux. M. J... a eu cinq filles de son premier mariage. Au décès de son épouse en 1994, ses cinq filles ont reçu la moitié des actions de la société CFPR en nue-propriété. M. J... en a quant à lui conservé l'usufruit. Il s'est remarié en 2001 avec Mme H... K..., qui était elle-même mère de deux filles, et a constitué avec sa seconde épouse une société d'acquêts à laquelle il a fait apport de 10 % du capital de la société CFPR. A la fin de l'année 2010, M. J... a décidé de transmettre ses biens et d'établir une administration de son groupe dans un cadre strictement familial. Il a décidé de réserver à ses cinq filles, nées de son premier mariage, la charge et la responsabilité de pérenniser l'outil de travail sur les fondements familiaux et entrepreneuriaux ayant conduit à son développement. La séparation des deux pôles familiaux a été matérialisée par la création, le 6 décembre 2010, de deux sociétés civiles holding qui ont opté B... l'impôt sur les sociétés : la société civile Famille J... N... (A...) détenue par M. J... et ses cinq filles et la société civile Daniel J... K... (D2R) constituée entre M. J... et Mme K.... Le 15 décembre 2010, la société A... et la société D2R ont reçu en apport en nature respectivement 35 758 et 3 997 actions de la société CFPR. En contrepartie de cet apport, les actionnaires de la société CFPR ont reçu des parts sociales nouvelles, émanant respectivement des sociétés civiles A... et D2R, d'une valeur nominale de 10 euros, ainsi qu'une soulte en espèces d'un montant de 0,907643 euro par part sociale. La société CFPR a été valorisée B... un montant global de 749 874 720 euros, soit 18 760 euros par action.
3. L'apport à la société A..., d'un montant de 670 820 080 euros (35 758 actions de 18 760 euros) a été rémunéré par la création de 61 500 000 parts sociales nouvelles de cette société civile, et par le versement d'une soulte de 55 820 080 euros. Cette soulte est inférieure à 10% du montant de la valeur nominale des titres reçus. Compte tenu du démembrement d'une partie des actions de la société CFPR, certaines des nouvelles parts de la société A... ont été démembrées, ce qui a également conduit à un démembrement d'une partie de la soulte, générant ainsi un quasi-usufruit. La soulte correspondant aux parts démembrées, s'élevant globalement à 28 689 000 euros, a été répartie sur cinq comptes bancaires en indivision entre M. J... et chacune de ses cinq filles. B... financer le règlement de la soulte, la société civile A... a signé le 8 décembre 2010 avec un établissement de crédit une autorisation de découvert d'un montant maximum de 58 millions d'euros, allant jusqu'au 31 janvier 2011, dans l'attente du versement des dividendes par la société CFPR. Le 21 janvier 2011, la société CFPR a décidé le versement de dividendes s'élevant à 58 285 540 euros à la société A.... Ces dividendes ont été comptabilisés en produits dans les comptes de la société le 24 janvier 2011. Les plus-values d'apport réalisées par les actionnaires de la société CFPR ont bénéficié du régime du sursis d'imposition prévu par l'article 150-0 B du code général des impôts, y compris la partie correspondant aux soultes dès lors que leur montant n'excédait pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus. Par un acte authentique établi le 16 décembre 2010, M. J... a effectué des donations de la nue-propriété de 5 448 724 parts de la société A... à chacune de ses cinq filles dont M... J... G..., J... C... et J... D... et des donations de la pleine propriété de 100 000 parts de la société A... à chacun de ses douze petits-enfants. La plus-value en sursis d'imposition attachée à ces donations a été définitivement purgée.
4. A la suite de contrôles sur pièces, l'administration fiscale a adressé à Mesdames J... G..., J... C... et J... D... des propositions de rectification le 12 novembre 2013, en considérant, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, que les soultes que la société civile A... leur a versées avaient un objectif exclusivement fiscal d'appréhension de liquidités du groupe en franchise d'impôt et constituaient une fraude à la loi en ne répondant pas aux objectifs du législateur. Elle a, par suite, soumis à l'imposition sur le revenu et aux contributions sociales les soultes versées par la société A... à Mmes J... G..., J... C... et J... D... en tant que revenu distribué sur le fondement du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts. Mme J... D... étant fiscalement domiciliée en Uruguay, la soulte en litige a fait l'objet d'une retenue à la source en application du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, taxée entre les mains de la société A.... Le tribunal administratif, saisi de trois demandes en ce sens de Mme J... G..., Mme J... C... et la société A..., a, par trois jugements du 16 juillet 2019, prononcé la décharge, en droits et pénalités des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, des contributions sociales ou des retenues à la source mises à leur charge au titre de l'année 2010. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance fait appel de ces trois jugements.
Sur le cadre juridique du litige :
5. D'une part, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
6. D'autre part, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux de valeurs mobilières sont soumis à l'impôt sur le revenu en vertu des dispositions de l'article 150-0 A du code général des impôts. Toutefois, l'article 150-0 B du même code, dans sa rédaction alors applicable, dispose que : " Les dispositions de l'article 150-0 A ne sont pas applicables, au titre de l'année de l'échange des titres, aux plus-values réalisées dans le cadre (...) d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés. / (...) Les échanges avec soulte demeurent soumis aux dispositions de l'article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue par le contribuable excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus ". La notion de soulte au sens de ces dispositions vise les prestations pécuniaires ayant le caractère d'une véritable contrepartie à l'opération d'échange de titres, à savoir les prestations qui ont été convenues à titre contraignant en tant que complément à l'attribution de titres représentatifs du capital social de la société acquéreuse et ceci indépendamment des éventuels motifs sous-tendant l'opération.
7. En instaurant le sursis d'imposition intégrant les opérations donnant lieu dans une certaine proportion à versement d'une soulte prévu à l'article 150-0 B du code général des impôts issu de la loi n° 99-1172 du 30 décembre 1999 de finances B... 2000, éclairé par les travaux préparatoires, le législateur a entendu favoriser les restructurations d'entreprises nécessaire à leur développement susceptibles d'intervenir par échanges de titres. Toutefois, il a voulu éviter, au nom de la lutte contre l'évasion fiscale, que bénéficient d'un tel sursis d'imposition celles de ces opérations qui ne se limitent pas à un échange de titres, mais dégagent également une proportion significative de liquidités qu'il a fixée à 10% de la valeur nominale des titres reçus. Mais il ne résulte pas des dispositions citées au point 2 de l'article 150-0 B, en l'absence de toute mention explicite en ce sens, que le législateur ait entendu exclure la possibilité B... l'administration fiscale de faire application aux opérations d'échanges entrant dans leurs prévisions, notamment aux opérations d'apports avec soulte lorsque le montant de celle-ci est inférieure à 10 % de la valeur nominale des titres reçus, de la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales lorsque les conditions de mise en œuvre de cette procédure sont réunies.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
8. D'une part, il résulte de l'article 10 des statuts de la société opérationnelle CFPR que la libre cession de titres de valeur mobilières est autorisée entre actionnaires ou au profit du conjoint, d'un ascendant ou d'un descendant du propriétaire des titres. Les autres cessions nécessitent l'agrément du conseil de surveillance, réputé acquis à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la demande. Si le conseil de surveillance refuse de délivrer l'agrément, le directoire dispose d'un délai de trois mois B... faire acquérir les titres par un tiers librement choisi par lui. A défaut, le transfert au profit du cessionnaire initialement présenté est autorisé. D'autre part, il résulte de l'article 12 des statuts de la société A... que toute cession de parts sociales à qui que ce soit, y compris entre associés ou à leurs ascendants, descendants et conjoints, est soumise à l'agrément de la collectivité des associés acquis à la majorité qualifiée représentant au moins les trois-quarts du capital social de la société. Si la collectivité des associés refuse de délivrer l'agrément, elle dispose de trois mois B... acquérir les titres. Si aucun associé ne se porte acquéreur, la société peut, à l'unanimité des associés, dans un délai de six mois, soit faire acquérir les parts par un tiers qu'elle désigne, soit procéder elle-même au rachat des parts en vue de leur annulation. A défaut, l'agrément est acquis sauf si les associés autres que le cédant décident de prononcer la dissolution anticipée de la société.
9. Il résulte de la comparaison de ces stipulations, ainsi que l'ont retenu les premiers juges et contrairement à ce que soutient le ministre, que les nouvelles parts de la société A... perdent en liquidité dès lors que les statuts de cette holding familiale mettent fin à toute possibilité de céder librement les titres reçus en échange de l'apport des titres de la société opérationnelle CFPR, ce qui au demeurant est conforme à l'objectif poursuivi et non contesté par le ministre de regrouper au sein d'une holding familiale les titres de la société opérationnelle détenus par les actionnaires familiaux et en assurer ainsi le contrôle pérenne. Cette perte de liquidité représente une prestation convenue à titre contraignant venant en complément à l'attribution de titres de la société A... en rémunération de laquelle une soulte, dont le montant est librement négocié entre les parties, peut être versée. Il résulte de ce qui précède que le versement de la soulte en litige, financé par un prêt gagé sur le versement de dividendes à venir de la société CFPR, ne va pas à l'encontre de l'objectif poursuivi par le législateur de favoriser les restructurations d'entreprises et ne peut, par suite, être regardée comme constituant une opération visant exclusivement à percevoir des liquidités en sursis d'imposition. En conséquence, l'administration ne pouvait pas taxer, selon la procédure de l'abus de droit, les soultes en litige comme des revenus distribués sur le fondement du 2° du 1 de l'article 109 du code général des impôts.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à se plaindre de ce, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge des impositions en litige.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, dans chacune des instances susvisées, la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Les requêtes n°s 19VE03701, 19VE03702 et 19VE03703 du ministre de l'économie, des finances et de la relance sont rejetées.
Article 2 : L'Etat versera respectivement à Mme J... G..., à Mme J... C... et à la société A... les sommes de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
N°s 19VE03701, 19VE03702, 19VE03703 2