La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/04/2021 | FRANCE | N°19VE02465

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 15 avril 2021, 19VE02465


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 5 juillet 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité départementale du Val-d'Oise de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a autorisé son licenciement pour motif économique.

Par un jugement n° 1608585 du 23 mai 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour : <

br>
Par une requête enregistrée le 8 juillet 2019, M. B..., représenté par Me A..., avo...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler la décision du 5 juillet 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité départementale du Val-d'Oise de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a autorisé son licenciement pour motif économique.

Par un jugement n° 1608585 du 23 mai 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 juillet 2019, M. B..., représenté par Me A..., avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et cette décision ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 50 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision en litige est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation s'agissant de la réalité du motif économique invoqué ;

- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation s'agissant de l'obligation de reclassement.

........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de Mme Margerit, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., pour M. B..., et de Me D..., pour la société Yoplait France.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... B... était préparateur de commandes, affecté à la plateforme logistique d'Argenteuil, pour le compte de la société Yoplait France et détenait un mandat de représentation du personnel en qualité de membre délégué du personnel suppléant de l'établissement d'Argenteuil. En 2015, la fermeture de la plateforme d'Argenteuil été décidée. La direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France (DIRECCTE) a implicitement homologué le document unilatéral portant projet de licenciement économique collectif ayant donné lieu à la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, déposé par la société Yoplait France le 5 janvier 2016 et concernant 85 postes, dont celui du requérant. C'est dans ces conditions que, par une décision du 5 juillet 2016, l'inspecteur du travail de l'unité départementale du Val-d'Oise a autorisé le licenciement de M. B... pour motif économique. Celui-ci en a demandé l'annulation au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, mais sa demande a été rejetée par le jugement attaqué. M. B... en relève appel.

Sur la légalité externe :

2. Selon les articles R. 2421-5 et R. 2421-12 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée. (...) ". Cette obligation s'impose aussi bien en cas d'autorisation qu'en cas de refus.

3. M. B... reprend en appel le moyen tiré de ce que la décision du 5 juillet 2016 de l'inspecteur du travail de l'unité départementale du Val-d'Oise serait insuffisamment motivée en tant qu'elle ne vise pas les articles du code du travail relatifs au licenciement pour motif économique, notamment les articles L. 1233-2, L. 1233-4, L. 1233-4-1 et L. 1233-5 du code du travail, qu'elle ne mentionne aucun nom des sociétés du groupe auquel appartient la société Yoplait France et qu'elle est " muette " sur la question au caractère personnalisé de la lettre de reclassement.

4. En l'espèce, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la décision du 5 juillet 2016 de l'inspecteur du travail de l'unité départementale du Val-d'Oise portant autorisation de licenciement vise les articles L. 2411-3, L. 2411-5, L. 2421-1, L. 2421-3 et R. 2421-1 à R. 2421-16 du code du travail concernant l'obtention de l'autorisation de l'inspecteur du travail avant de procéder au licenciement d'un salarié possédant un mandat et la procédure à suivre. S'il est exact que ne sont pas visés les articles L. 1233-2 à L. 1233-5 du code du travail, relatifs au licenciement pour motif économique, ceci n'est toutefois pas de nature à entacher d'un défaut de motivation en droit la décision en litige, dont les motifs font d'ailleurs explicitement apparaître, à huit reprises, le fondement économique de la demande de licenciement, ainsi que les conditions de reclassement qui ont été proposées à l'intéressé. En effet la décision précise que M. B... a refusé dix-sept propositions de reclassement interne ainsi que toute offre de reclassement hors du territoire national. Elle détaille par ailleurs les éléments d'appréciation sur lesquels l'inspecteur du travail a fait porter son contrôle, premièrement s'agissant de la réalité du motif économique et de la réalité de la suppression du poste du requérant en tant que résultante de ce motif économique, deuxièmement s'agissant de l'effort de reclassement et enfin, s'agissant de l'absence de lien avec le mandat. En conséquence, la décision contestée, qui est dépourvue de toute ambiguïté sur les considérations de droit l'ayant fondée, comporte l'ensemble des éléments utiles pour permettre sa contestation, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'elle ne mentionnerait pas le nom des sociétés du groupe auquel appartient la société Yoplait France ou encore qu'il ne serait pas fait référence au caractère personnalisé de la lettre de reclassement. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige serait insuffisamment motivée. Ce moyen doit être écarté.

Sur la légalité interne :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ".

6. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés protégés, qui bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. Est au nombre des causes sérieuses de licenciement économique la nécessité de sauvegarder la compétitivité. Pour apprécier la réalité des motifs économiques allégués à l'appui d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé présentée par une société qui fait partie d'un groupe, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de contrôler le bien-fondé de ce motif économique en examinant la situation de l'ensemble des entreprises du groupe intervenant dans le même secteur d'activité dans les conditions mentionnées au point précédent et de rechercher si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière. S'il n'appartient pas à l'administration, saisie d'une telle demande, de vérifier le bien-fondé des options de gestion décidées par l'entreprise dans le cadre de sa réorganisation, elle est toutefois tenue de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, du bien-fondé du motif économique invoqué pour justifier le licenciement du salarié protégé par l'examen de la situation de l'ensemble des entreprises du groupe intervenant dans le même secteur d'activité.

7. M. B... reprend, à l'identique et sans élément nouveau, le moyen déjà soulevé en première instance et tiré de l'erreur de droit et de l'erreur manifeste d'appréciation s'agissant du motif économique fondant son licenciement. Il fait valoir en particulier que le secteur d'activité du groupe General Mills, auquel la société Yoplait France appartient, connaît une augmentation constante et significative de son chiffre d'affaires et de son bénéfice. Toutefois, en se bornant à répéter devant la Cour des allégations à caractère général, tirées de données chiffrées issues d'un document fiscal rédigé en anglais et élaboré selon des normes anglo-saxonnes, intitulé " Annual report pursuant to section 13 or 15(d) of the securities exchange act of 1934 for the fiscal year ended May 29, 2016 " de la société General Mills Inc., il ne remet pas en cause l'appréciation motivée portée par les premiers juges, qui ont retenu l'existence d'une menace sur la compétitivité de la société Yoplait France. En effet, le groupe General Mills, opérant dans le domaine agroalimentaire qui est un secteur particulièrement concurrentiel, est présent dans une centaine de pays dont la France et comprend notamment la marque Yoplait, commercialisée par la société Yoplait France, qui constitue une entité juridique distincte de la société General Mills France, est gérée de manière indépendante, opère dans le secteur de l'ultra-frais laitier et employait à cette date 1 437 salariés répartis sur huit sites, parmi lesquels la plateforme logistique d'Argenteuil. Confronté au niveau mondial à une hausse du prix des matières premières et disposant de moyens plus limités et d'une faculté d'adaptation aux fluctuations du marché moindre que ses concurrents, le groupe General Mills a vu sa croissance passer de 5 % en 2012 à 0 % en 2015 et a été contraint de prendre des mesures visant à sauvegarder sa compétitivité aux Etats-Unis mais également à l'international, dont la France, par une réorganisation de ses activités. Le projet de réorganisation de l'activité logistique de la société Yoplait France, remis aux membres du comité central d'entreprise le 30 septembre 2015, mentionne en particulier le projet de fermeture de la plateforme d'Argenteuil, site qui était d'ailleurs obsolète et aurait nécessité un investissement très lourd, afin que cette activité logistique soit externalisée et que l'entreprise Yoplait France puisse se recentrer sur son coeur de métier : les produits ultra-frais laitiers. Au surplus, le site sur lequel cette plateforme logistique d'Argenteuil se situait faisait l'objet d'une préemption par la ville. Ce projet de réorganisation révèle par ailleurs que le marché agroalimentaire français subi également de profondes mutations, liées notamment à l'évolution du comportement et des attentes des consommateurs, une baisse importante des prix et une concurrence accrue des marques des grandes enseignes de distribution. La société Yoplait France a ainsi connu une dégradation de son résultat d'exploitation, laquelle s'est traduite par une diminution de son taux de bénéfice avant intérêts et impôts de 3,10 % entre 2010 et 2014, ce constat étant corroboré par l'analyse du cabinet d'expertise comptable désigné par le comité d'entreprise d'avril 2015. C'est dans ces conditions que, le 30 septembre 2015, la société a remis au comité central d'entreprise le Livre I relatif à l'information-consultation sur un projet de plan de sauvegarde de l'emploi et le Livre II concernant un projet de réorganisation de son activité logistique et, en particulier, le projet de fermeture de la plateforme d'Argenteuil. Par une décision implicite née le 26 février 2016, le directeur de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a homologué le document unilatéral portant projet de licenciement économique collectif déposé par la société Yoplait France dans le cadre de la fermeture du site d'Argenteuil et concernant 85 postes, dont celui du requérant.

8. Il suit de ce qui précède, que la réalité et le bien-fondé du motif économique du licenciement est avérée, ainsi que son incidence sur l'emploi du requérant. Dès lors, en estimant que le motif économique du licenciement était établi, l'inspecteur du travail n'a commis ni erreur de droit ni erreur d'appréciation. Ces moyens doivent, dès lors, être écartés.

9. En second lieu, aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. (...) ".

10. Il résulte de ces dispositions que, pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à la recherche des possibilités de reclassement du salarié dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel. L'employeur doit s'efforcer de proposer au salarié des offres de reclassement écrites, précises et personnalisées portant, si possible, sur un emploi équivalent. Le contexte d'une cessation d'activité de l'entreprise ne dispense pas l'employeur de l'obligation qui lui incombe de rechercher des offres personnalisées de reclassement pour le salarié au sein du groupe.

11. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est vu proposer, par courrier du 21 décembre 2015, deux postes au sein de la société Khuene + Nagel, équivalents à celui qu'il occupait, situés en région parisienne, ainsi que dix postes équivalents ou inférieurs mais avec une rémunération au moins équivalente, au sein de la société Yoplait France et des filiales du groupe, localisés sur le territoire national. Puis, par courrier du 4 mars 2016, il s'est vu en outre vu proposer sept postes de reclassement interne au sein des filiales du groupe, situés en France. Ces deux courriers comportent un descriptif détaillé des postes proposés au reclassement, en lien avec les qualifications professionnelles du requérant. Par un questionnaire annexé à ce second courrier, M. B... a également été consulté sur son souhait de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national mais, n'y ayant pas donné suite, doit être regardé comme ayant implicitement refusé de recevoir de telles offres. Par suite, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation ou d'erreur de droit que l'inspecteur du travail a retenu que les efforts de reclassement de la société Yoplait France étaient suffisants. Ces moyens doivent, dès lors, être écartés.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 23 mai 2019, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 5 juillet 2016 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité départementale du Val-d'Oise de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a autorisé son licenciement pour motif économique. Ses conclusions en annulation doivent donc être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

N° 19VE02465 6


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE02465
Date de la décision : 15/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-02 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés non protégés - Licenciement pour motif économique (avant les lois du 3 juillet et du 30 décembre 1986).


Composition du Tribunal
Président : M. ALBERTINI
Rapporteur ?: Mme Marie-Cécile MOULIN-ZYS
Rapporteur public ?: Mme MARGERIT
Avocat(s) : SCP RILOV

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-04-15;19ve02465 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award