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15/04/2021 | FRANCE | N°18VE01037

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 15 avril 2021, 18VE01037


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société GNR France a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat à lui verser la somme de 194 114,50 euros au titre du solde du marché, assortie des intérêts moratoires ainsi que la capitalisation de ces intérêts, d'annuler les pénalités de retard d'un montant de 12 778,58 euros imputées au décompte de résiliation du marché, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 383 712, 68 euros au titre de dommages et intérêts en réparation de son manque à gagner, de condamne

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société GNR France a demandé au tribunal administratif de Versailles de condamner l'Etat à lui verser la somme de 194 114,50 euros au titre du solde du marché, assortie des intérêts moratoires ainsi que la capitalisation de ces intérêts, d'annuler les pénalités de retard d'un montant de 12 778,58 euros imputées au décompte de résiliation du marché, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 383 712, 68 euros au titre de dommages et intérêts en réparation de son manque à gagner, de condamner l'Etat aux entiers dépens, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1401512 du 29 janvier 2018, le tribunal administratif de Versailles a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 23 mars 2018 et 24 février 2021, la société GNR France, représentée par Me B..., avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 194 114,50 euros au titre du solde du marché ;

3°) d'annuler les pénalités de retard d'un montant de 12 778,58 euros imputées au décompte de la société GNR France ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 383 712, 68 euros au titre de dommages et intérêts en réparation de son manque à gagner ;

5°) d'assortir ces condamnations des intérêts au taux légal et de la capitalisation ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens, ainsi que la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'erreurs de droit et d'erreurs d'appréciation ;

- les premiers juges n'ont pas caractérisé la gravité des fautes qui lui étaient reprochées par l'administration alors qu'un marché ne peut être résilié que si la faute reprochée au titulaire est suffisamment grave ;

- la décision de résiliation n'est pas fondée, aucune faute d'une gravité suffisante n'étant établie à son encontre ; d'une part, le retard dans la livraison des quatre premiers spectromètres est dû à une mauvaise définition des besoins, à l'inertie du pouvoir adjudicateur qui a mis près de trois mois pour notifier sa décision d'admission du premier spectromètre, aux multiples demandes des différents corps d'armée non prévues au marché, ainsi qu'à la transmission tardive par les services de l'Etat d'éléments essentiels à la conception et au calibrage du premier spectromètre, qui a fait obstacle à ce qu'elle présente le premier spectromètre aux opérations de vérifications avant le 1er juin 2010 ; il résulte des stipulations du marché que s'agissant du premier spectromètre, l'administration devait lui adresser une décision d'admission sous forme d'un procès-verbal de constatation et que ce n'est que pour les spectromètres suivants que les opérations de vérification et les notifications des décisions devaient être faites dans les conditions des articles 20 et 21 du CCAG-FCS ; le premier spectromètre a été présenté le 1er juin 2010, soit dans le délai d'exécution du marché qui expirait le 12 juillet ; il a été livré le 14 septembre, immédiatement après la notification, tardive, de la décision d'admission ; d'autre part, la non-livraison des douze autres spectromètres, qui ont été fabriqués, ne lui est pas imputable mais résulte d'une décision de suspension de l'administration dans l'attente de mises au point et d'améliorations des spectromètres ;

- les prétendues non-conformités ne résultent pas de fautes commises par elle mais des carences du pouvoir adjudicateur dans la détermination de ses besoins ; les non-conformités ne sont en tout état de cause ni établies ni fondées ;

- en réalité, la résiliation du marché a été motivée par la seule circonstance que les spectromètres commandés par l'administration sont devenus inutiles en raison du remplacement des appareils Super Étendard par des Rafale ; aucun marché ayant le même objet n'a d'ailleurs été conclu par l'Etat à la suite de cette résiliation ;

- dès lors que les seize spectromètres prévus par le marché ont été fabriqués, elle est en droit de demander la somme de 194 114,50 euros au titre du solde du marché et l'annulation des pénalités de retard d'un montant de 12 778,58 euros ;

- en l'absence de faute d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation, celle-ci doit intervenir aux torts de l'administration ; par suite, elle a droit à être indemnisée de son manque à gagner, soit, compte tenu du montant minimum prévu au marché, de la somme de 383 712, 68 euros.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 77-699 du 27 mai 1977 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Clot, rapporteur public,

- et les observations de Me B... pour la société GNR France.

Considérant ce qui suit :

1. Par un marché public à bons de commande, notifié le 29 janvier 2009, conclu avec la structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques (SIMMAD) du ministère de la défense, la société GNR France s'est engagée à fournir seize spectromètres analyseurs d'huiles mobiles, ainsi que des prestations de formation et de maintenance. Ce marché a été résilié aux torts de la société GNR France le 16 septembre 2013. La société GNR France relève appel du jugement du 29 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant, d'une part, à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 194 114,50 euros au titre du solde du marché et à l'annulation des pénalités de retard d'un montant de 12 778,58 euros et, d'autre part à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 383 712, 68 euros au titre de dommages et intérêts en réparation de son manque à gagner.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, il résulte de l'examen du jugement attaqué, et notamment de ses points 3 à 7, que les premiers juges ont suffisamment exposé les raisons pour lesquelles ils ont considéré que l'administration avait pu à bon droit résilier le marché aux torts de la société GNR France. Le tribunal administratif a en particulier relevé que la société GNR avait effectué " des livraisons largement incomplètes et dans des délais très éloignés des exigences contractuelles " et que l'administration avait pu, pour ce motif, prononcer la résiliation du marché aux torts de la société requérante en application de l'article 28 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de fournitures courantes et de services approuvé par le décret n° 77-699 du 27 mai 1977.

3. En second lieu, si la société requérante soutient que le jugement attaqué est entaché d'erreurs de droit et d'erreurs d'appréciation, de tels moyens, qui se rattachent au bien-fondé du raisonnement suivi par le tribunal administratif, ne sont pas de nature à affecter la régularité du jugement.

Au fond :

4. D'une part, aux termes de l'article 24 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de fournitures courantes et de services approuvé par le décret n° 77-699 du 27 mai 1977 : " La personne publique peut à tout moment, qu'il y ait ou non faute du titulaire, mettre fin à l'exécution des prestations faisant l'objet du marché avant l'achèvement de celles-ci par une décision de résiliation du marché. Sauf dans les cas de résiliation prévus aux articles 25 à 28, le titulaire a droit à être indemnisé du préjudice qu'il subit du fait de cette décision comme il est dit à l'article 31. (...) ". Aux termes de son article 28 : " Le marché peut, selon les modalités prévues au 2 ci-dessous, être résilié aux torts du titulaire sans que celui-ci puisse prétendre à indemnité (...) : f) Lorsque le titulaire ne s'est pas acquitté de ses obligations dans les délais prévus ; (...) ".

5. D'autre part, l'article 2.1 de l'annexe 1 de l'acte d'engagement du marché en litige fixe à quarante-trois semaines le délai de livraison d'une commande supérieure à quinze spectromètres et prévoit un délai complémentaire de seize semaines correspondant aux exigences de présentation du premier matériel et de validation de la documentation. Aux termes du dernier alinéa de l'article 5.2.1 du cahier des clauses particulières (CCP) applicable au marché : " Les délais de livraison incluent les délais impartis à l'administration pour effectuer les opérations de vérifications ". Aux termes de son article 6.5.5 : " Les opérations de vérification et la notification des décisions s'effectuent dans les délais prévus aux articles 20 et 21 du CCAG/FCS ". Aux termes de son article 6.5.6 : " La date d'effet de l'admission est la date de livraison, c'est-à-dire celle de la décharge apposée sur le bordereau par l'organisme destinataire ". Enfin, il résulte des stipulations des articles 20 et 21 du cahier des clauses administratives générales que le délai imparti à l'autorité administrative pour procéder aux opérations de vérification et notifier sa décision est de quinze jours et qu'en l'absence de décision explicite, la décision d'admission est réputée acquise une fois passé ce délai. S'agissant toutefois du premier spectromètre, l'article 6.5.4 du CCP prévoit que l'administration dispose d'un délai supplémentaire d'un mois pour faire des remarques sur ce matériel et accepter le cahier de recette.

6. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 18 mai 2009, reçu le 22 mai suivant, la SIMMAD a notifié à la société GNR France un bon de commande pour la fabrication et la livraison de seize spectromètres. En application des stipulations citées au point 5, la société requérante disposait d'un délai de cinquante-neuf semaines pour exécuter cette prestation, soit au plus tard le 9 juillet 2010. Il résulte toutefois de l'instruction que la société GNR France, après avoir adressé le 9 juin 2010 un courrier à la SIMMAD indiquant qu'elle ne serait pas en mesure de respecter les délais contractuels, a livré un premier spectromètre le 15 septembre 2010, un deuxième le 16 septembre 2010 et un troisième le 7 octobre 2010. Un quatrième appareil a été livré le 12 octobre 2010, mais a fait l'objet d'une décision d'ajournement le 27 octobre suivant, puis d'une décision de rejet le 8 décembre 2010. En dépit de deux mises en demeure adressées les 26 juillet 2011 et 16 mai 2013 à la société requérante, celle-ci n'a pas livré les autres appareils attendus par l'administration.

7. En premier lieu, si la société GNR France soutient que les retards susmentionnés ne lui sont pas imputables et résultent en réalité d'une mauvaise définition des besoins, de l'inertie du pouvoir adjudicateur qui a mis près de trois mois pour notifier sa décision d'admission du premier spectromètre, sans laquelle la présentation des autres appareils aurait été impossible, et des multiples demandes des différents corps d'armée non prévues au marché, elle ne l'établit pas par les pièces qu'elle produit. A cet égard, si elle produit quatre courriels qui lui ont été adressés par l'administration les 12 janvier, 2 février, 28 avril et 29 avril 2010, il ne résulte pas de ces seuls documents que la fabrication du premier spectromètre et sa mise au point auraient été retardées par des demandes nombreuses et excessives des différents services concernés ou par la transmission tardive par ces derniers d'éléments essentiels à la conception et au calibrage de cet appareil, lesquelles révéleraient une mauvaise définition des besoins par le pouvoir adjudicateur. En outre, s'il est constant que la notification de la décision expresse d'admission du premier spectromètre n'est intervenue que le 14 septembre 2010, alors que les opérations de vérifications ont été conduites à compter du 2 juin 2010, la décision d'admission était toutefois réputée acquise dès le 17 juillet 2010 en application des stipulations précitées des articles 20 et 21 du CCAG en vertu desquelles la décision d'admission est réputée acquise passé un délai de quinze jours, et compte tenu du délai d'un mois prévu par l'article 6.5.4 précité du CCP. A cet égard, les stipulations du CCP ne fixent pas, contrairement à ce que la requérante soutient, de modalités particulières pour la notification d'admission du premier spectromètre. Par ailleurs, et contrairement aux affirmations de la société requérante, il ne saurait être inféré de la date de notification de la décision expresse d'admission du premier spectromètre une volonté de l'administration de ne procéder aux opérations de vérification des autres appareils que postérieurement à cette date et, par suite, de renoncer aux délais de livraison mentionnés dans les documents contractuels. De même, le courrier du 3 août 2010, dans lequel la SIMMAD demande à la société requérante de lui communiquer les dates de livraison et la durée d'intervention pour chacun des spectromètres, ne saurait être regardé comme l'acceptation implicite d'une prolongation des délais contractuels mentionnés au point 5. Enfin, la requérante ne saurait utilement se prévaloir de la circonstance que le premier spectromètre a été présenté le 1er juin 2010 soit dans le délai d'exécution du marché dès lors qu'il résulte des stipulations citées au point 5 qu'elle devait, dans ce délai, avoir procédé aux livraisons des matériels.

8. En deuxième lieu, et alors, ainsi qu'il a été dit, que l'administration a adressé à la société requérante deux mises en demeure les 26 juillet 2011 et 16 mai 2013, il ne résulte d'aucune des pièces versées au dossier, et en particulier d'un courrier de l'intéressée du 26 juillet 2011, que la SIMMAD aurait, comme le soutient la requérante, refusé la livraison des douze spectromètres manquants et pris la décision de suspendre le planning d'installation de ces appareils.

9. Enfin, si la société GNR France soutient que la résiliation du marché a été en réalité motivée par la circonstance que les spectromètres commandés par l'administration étaient devenus inutiles en raison du remplacement des appareils Super Étendard par des Rafale, lesquels intègrent une technologie ne nécessitant plus le recours à l'analyse spectrométrique, elle ne verse au dossier aucun élément probant au soutien de cette allégation. A cet égard, la circonstance, à la supposer établie, qu'aucun marché ayant le même objet n'a été conclu par l'Etat à la suite de cette résiliation n'est pas, à elle seule, de nature à établir le bien-fondé de cette allégation.

10. Il résulte de ce qui précède qu'alors qu'elle devait livrer seize appareils au plus tard le 9 juillet 2010, la société GNR France n'en avait livré que quatre le 16 septembre 2013, date à laquelle l'administration a décidé de résilier le contrat. Dans ces conditions, et sans que la société GNR France puisse utilement soutenir que les dysfonctionnements des quatre spectromètres livrés ou présentés aux vérifications ne sont pas établis, la décision de l'administration de résilier le marché en cause aux torts de la requérante est justifiée par le motif tiré des retards considérables pris dans les livraisons et ne revêt pas un caractère disproportionné. Par suite, les conclusions de la société GNR France tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 383 712,68 euros au titre de dommages et intérêts en réparation de son manque à gagner ne peuvent qu'être rejetées, en application de l'article 28 précité du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de fournitures courantes et de services. De même, il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation des pénalités de retard d'un montant de 12 778,58 euros qui lui ont été infligées. Enfin, si la société requérante conteste le décompte de résiliation et demande la somme de 194 114,50 euros TTC au titre du solde du marché, en faisant valoir qu'elle a livré cinq spectromètres et fabriqué les autres, ces conclusions doivent être rejetées, dès lors, d'une part, qu'elle n'a livré que quatre spectromètres ainsi qu'il a été dit, pour lesquels elle a été rémunérée comme elle le reconnaît dans ses écritures et, d'autre part, qu'elle n'a jamais livré les autres, peu important à cet égard la circonstance qu'elle les aurait fabriqués.

11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la demande de première instance, que la société GNR France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Sur les dépens :

12. Aucuns dépens n'ayant été exposé dans la présente instance, les conclusions de la société GNR France tendant au remboursement des dépens sont sans objet et doivent, par suite, être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société GNR France au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de l'Etat présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société GNR France est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'Etat présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

N° 18VE01037 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE01037
Date de la décision : 15/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-04-02-01 Marchés et contrats administratifs. Fin des contrats. Résiliation. Motifs.


Composition du Tribunal
Président : Mme SIGNERIN-ICRE
Rapporteur ?: M. Thierry ABLARD
Rapporteur public ?: M. CLOT
Avocat(s) : SELARL JEAN-PHILIPPE DEVEVEY

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-04-15;18ve01037 ?
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