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02/03/2021 | FRANCE | N°14VE02362

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 02 mars 2021, 14VE02362


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société Générale a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la restitution partielle des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des majorations correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2000, 2001 et 2002, à hauteur, à titre principal, des sommes respectivement de 7 264 129 euros,

5 170 927 euros et 2 111 729 euros au titre des exercices clos en 2000, 2001 et 2002 assorties des intérêts de retard et, subsidiairement, des

sommes respectivement de 6 813 295 euros,

4 901 325 euros et 1 734 254 euros assor...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société Générale a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la restitution partielle des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des majorations correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2000, 2001 et 2002, à hauteur, à titre principal, des sommes respectivement de 7 264 129 euros,

5 170 927 euros et 2 111 729 euros au titre des exercices clos en 2000, 2001 et 2002 assorties des intérêts de retard et, subsidiairement, des sommes respectivement de 6 813 295 euros,

4 901 325 euros et 1 734 254 euros assorties des intérêts de retard.

Par une ordonnance, en date du 15 septembre 2009, le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a transféré la demande au tribunal administratif de Montreuil.

Par un jugement n° 0714315 du 6 juin 2014, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 1er août 2014, 28 avril 2015,

27 décembre 2018 et 2 août 2019, la Société Générale représentée par Me Espasa-Mattei avocat, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la restitution partielle des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie à hauteur, à titre principal, des sommes respectivement de 7 264 129 euros, 5 170 927 euros et 2 111 729 euros au titre des années 2000, 2001 et 2002 assorties des intérêts de retard et, subsidiairement, des sommes respectivement de

3 777 624 euros, 3 061 465 euros et 1 688 232 euros au titre des mêmes années assorties des intérêts de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 10 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que le remboursement des frais relatifs aux travaux d'audit engagés qui s'élèvent à 97 390,20 euros.

Elle soutient que :

- les conditions sont réunies pour qu'il soit fait droit à sa demande de compensation présentée sur le fondement de l'article L. 205 du livre des procédures fiscales ;

- l'octroi de l'avoir fiscal, réservé par l'article 158 bis du code général des impôts aux seules distributions provenant de sociétés françaises, constitue une restriction prohibée à la libre circulation des capitaux ;

- la nature des justificatifs envisagés dans les affaires Accor et Rhodia du

10 décembre 2012 était liée à la qualité de société " mère ", un simple actionnaire investisseur détenant moins de 5 % des titres d'une société, qui ne dispose pas du même niveau d'information, ne saurait respecter les mêmes exigences de preuve ; les justificatifs déjà transmis et formellement acceptés par l'administration en 2008 ne pouvaient être remis en cause plus de six ans après leur production ;

- les informations contenues dans les attestations produites par les sociétés distributrices et les justificatifs du fournisseur de données Bloomberg, corroborés par la présomption de régularité qui s'attache aux dividendes versés par des sociétés cotées, permettent de justifier le caractère de dividendes distribués en vertu d'une décision régulière des organes compétents ; elle a, en outre, fait procéder à une mission d'audit et de collecte des différentes données juridiques et comptables disponibles et transmet un rapport du cabinet KPMG Audit qui corroborent le caractère régulier et ordinaire des distributions ;

- elle justifie du taux d'imposition ayant effectivement grevé les dividendes distribués et des difficultés juridiques ou matérielles rencontrées pour apporter des éléments complémentaires, notamment quant au montant de l'impôt acquitté, alors que la production de documents confidentiels n'est pas envisageable et que l'interdiction de la communication sélective s'appliquant aux actions de sociétés cotées constitue un obstacle réglementaire ; elle n'était pas juridiquement en mesure d'obtenir des sociétés distributrices la liasse fiscale ou les avis d'imposition permettant de connaître avec certitude le montant de l'impôt effectivement acquitté ; l'administration n'apporte aucun élément remettant en cause la pertinence des données transmises ; la société a volontairement limité le montant des sommes réclamées aux seuls dividendes pour lesquels ces attestations indiquaient une imposition ayant grevé les sommes distribuées ; conformément aux principes posés par le Conseil d'Etat dans ses décisions du

28 janvier 2019, les justificatifs produits constituent des éléments précis rendant vraisemblables la double imposition économique des dividendes distribués ; il doit ainsi être admis, à titre principal, que les seules attestations établies à sa demande par les sociétés distributrices et produites dès la réclamation étaient suffisantes pour établir la vraisemblance de l'imposition des revenus distribués et permettent de justifier l'intégralité des sommes réclamées ; à défaut, la restitution demandée doit être déterminée sur la base des travaux d'audit du cabinet KPMG et du tableau récapitulatif de chiffrage subsidiaire qui liste pour chaque ligne de titres le montant de l'avoir fiscal qui peut être justifié en fonction du taux effectif d'imposition qu'il a été possible de déterminer selon les données disponibles et, en dernier lieu, sur la base du dernier tableau de chiffrage tenant compte des ajustements opérés sur les impositions différées ;

- aucune imposition de sous-filiales n'a été retenue pour les chiffrages réalisés par la société ;

- contrairement à ce que soutient l'administration, l'impôt sur les sociétés français résiduel dû à raison des dividendes est mécaniquement supérieur au droit à restitution.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur l'Union européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- les arrêts C-310/09 du 15 septembre 2011, C-35/11 du 13 novembre 2012, C-68/15 et C-365/16 du 17 mai 2017 et C-416/17 du 4 octobre 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,

- et les observations de Mes Espasa-Mattei et Ferré, avocats de la Société Générale.

Considérant ce qui suit :

1. La Société Générale a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2002 ayant conduit à des rehaussements de ses bénéfices imposables à l'impôt sur les sociétés. Elle a concomitamment perçu, au titre des mêmes années, des dividendes versés par ses filiales établies dans d'autres États membres de l'Union européenne, dividendes qui ne relevaient pas du régime fiscal des sociétés mères, sans pouvoir bénéficier de l'avoir fiscal prévu par les dispositions alors applicables de l'article

158 bis du code général des impôts qui réservaient le bénéfice de ce crédit d'impôt aux seuls dividendes de source française. Elle a formulé, le 22 février 2005, une demande de compensation, sur le fondement de l'article L. 80 du livre des procédures fiscales, à hauteur d'un montant de 14 546 785 euros, entre les impositions supplémentaires d'impôt sur les sociétés résultant de la vérification de comptabilité et l'excédent d'imposition qu'elle estimait avoir subi, au titre des mêmes années, du fait de la privation de l'avoir fiscal auquel la perception de ces dividendes aurait donné droit si les sociétés distributrices avaient été établies en France. Cette demande, rejetée le 29 mars 2005, a été réitérée le 22 février 2006 postérieurement la mise en recouvrement des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés sur le fondement de l'article L. 205 du même livre. La Société Générale fait appel du jugement du tribunal administratif de Montreuil du 6 juin 2014 ayant rejeté sa demande tendant à la restitution partielle des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des majorations correspondantes auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2000, 2001 et 2002.

Sur les conclusions à fin de restitution :

En ce qui concerne la compatibilité du dispositif de l'avoir fiscal avec le droit de l'Union :

2. Aux termes du I de l'article 158 bis du code général des impôts, en vigueur pendant les années d'imposition en litige : " Les personnes qui perçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises disposent à ce titre d'un revenu constitué:/ a) par les sommes qu'elles reçoivent de la société ;/ b) par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le Trésor [...] / Le taux du crédit d'impôt prévu au premier alinéa est fixé à [...] 10 % pour les crédits d'impôt utilisés à compter du 1er janvier 2003. [...] ".

3. Aux termes du 1 de l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne, repris à l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " [...] toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres [...] sont interdites ".

4. Il résulte de l'arrêt C-310/09 du 15 septembre 2011 de la Cour de justice de l'Union européenne (C-310/09) que ces dispositions s'opposent à la législation d'un État membre, telle que la législation française, ayant pour objet d'éliminer la double imposition économique des dividendes et qui permet à une société d'imputer sur l'impôt sur les sociétés dont elle est redevable l'avoir fiscal attaché à la distribution de ces dividendes s'ils proviennent d'une filiale établie dans cet État membre, mais n'offre pas cette faculté si ces dividendes proviennent d'une filiale établie dans un autre État membre, dès lors que cette législation n'ouvre pas droit, dans cette dernière hypothèse, à l'octroi d'un avoir fiscal attaché à la distribution de ces dividendes par cette filiale.

5. Par suite, une société française ayant perçu des dividendes versés par des sociétés distributrices établies dans un autre État membre de l'Union européenne dans les conditions alors fixées par l'article 158 bis du code général des impôts est, sur le principe, fondée à obtenir un crédit d'impôt calculé de telle sorte que les dispositions alors en vigueur de l'article 158 bis soient neutres au regard de la libre circulation des capitaux.

En ce qui concerne les conditions d'attribution d'un crédit d'impôt :

6. La société requérante ne peut bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dividendes provenant d'un autre État membre de l'Union européenne qu'autant que ces distributions remplissent les conditions posées par le droit interne à l'attribution d'un avoir fiscal.

7. Aux termes de l'article 158 ter du même code : " 1. Les dispositions de l'article 158 bis s'appliquent exclusivement aux produits d'actions, de parts sociales ou de parts bénéficiaires dont la distribution est postérieure au 31 décembre 1965 et résulte d'une décision régulière des organes compétents de la société. / [...] ". Pour l'application de ces dispositions, une décision de distribution de dividendes n'est irrégulière que si elle n'a pas été prise par l'organe compétent, si elle est le résultat d'une fraude ou si elle n'entre dans aucun des cas pour lesquels le code de commerce autorise la distribution de sommes prélevées sur les bénéfices.

8. Il résulte des dispositions des articles 158 bis et 158 ter du code général des impôts, alors en vigueur et relatives à l'avoir fiscal, que celui-ci était exclusivement attaché aux produits distribués par une société à ses associés à titre de dividendes, en vertu d'une décision régulière des organes compétents de cette société.

9. La Société Générale produit de nombreux documents, tels que les attestations établies par l'ensemble des sociétés distributrices qui lui ont versé les dividendes pour lesquels elle demande la restitution d'un crédit d'impôt, des données provenant de la base d'information financière Bloomberg, les messages swift et les émissions de tax vouchers qu'elle a pu se procurer, qui mentionnent le montant brut des dividendes versés, ainsi que leur date de paiement. En outre, le rapport d'expertise réalisé par le cabinet KPMG le 9 janvier 2015 à partir des données financières disponibles certifie que les dividendes alloués en litige, l'ont été en vertu de décisions régulières des organes compétents des filiales concernées et le tableau de synthèse qui en est issu mentionne, pour de nombreuses distributions, la date des assemblées générales ordinaires les ayant approuvées. En se bornant à exiger de la requérante les copies des

procès-verbaux d'assemblée générale qui ont présidé aux distributions en litige ou la production de l'extrait des rapports annuels d'activité traduits en français accompagnés du coupon de distribution, l'administration ne conteste pas utilement les premiers éléments avancés par la société concernant le caractère de dividendes des sommes reçues. Dans ces conditions, les justificatifs présentés doivent être regardés comme suffisants pour établir que ces sommes correspondent à des produits distribués à titre de dividendes en vertu de décisions régulières des organes compétents des sociétés distributrices.

En ce qui concerne le montant du crédit d'impôt :

S'agissant du régime de preuve :

10. Par l'arrêt du 15 septembre 2011, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les principes d'équivalence et d'effectivité ne font pas obstacle à ce que la restitution à une société mère des sommes de nature à garantir l'application d'un même régime fiscal aux dividendes distribués par les filiales de celle-ci établies en France et à ceux distribués par les filiales de cette société établies dans d'autres États membres, donnant lieu à redistribution par cette société mère, soit subordonnée à la condition que le redevable apporte les éléments qu'il est le seul à détenir et relatifs, pour chaque dividende en litige, notamment au taux d'imposition effectivement appliqué et au montant de l'impôt effectivement acquitté à raison des bénéfices réalisés par les filiales installées dans les autres États membres, alors même que, à l'égard des filiales installées en France, ces mêmes éléments, connus de l'administration, ne sont pas exigés. Dès lors, il n'est pas suffisant d'apporter la preuve que la société distributrice a été imposée, dans son État membre d'établissement, sur les bénéfices sous-jacents aux dividendes distribués, sans fournir les informations relatives à la nature et au taux de l'impôt ayant effectivement frappé ces bénéfices.

11. La Cour de justice a précisé que la production de ces éléments ne peut cependant être requise que sous réserve qu'il ne se révèle pas pratiquement impossible ou excessivement difficile d'apporter la preuve du paiement de l'impôt par les filiales établies dans les autres États membres, eu égard notamment aux dispositions de la législation de ces États se rapportant à la prévention de la double imposition et à l'enregistrement de l'impôt sur les sociétés devant être acquitté ainsi qu'à la conservation des documents administratifs. Tout en indiquant qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier si ces conditions sont satisfaites, la Cour a précisé que les justificatifs requis ne devraient pas revêtir une forme particulière, l'appréciation ne devant pas être effectuée de manière trop formaliste. Elle a également souligné que l'administration fiscale n'a pas à répondre des difficultés rencontrées par la société mère pour fournir les informations requises relatives à l'impôt acquitté par sa filiale distributrice de dividendes, difficultés liées non pas à la complexité intrinsèque de celles-ci, mais au défaut de coopération éventuel de la part de la filiale concernée, et qu'en outre, la seule existence de mécanismes d'assistance mutuelle ne dispense pas la société mère bénéficiaire de dividendes d'apporter la preuve de l'impôt acquitté par la société distributrice dans un autre État membre.

12. Les principes dégagés par la Cour de justice de l'Union européenne dans le cadre d'un contentieux concernant le précompte mobilier relatif à des distributions de dividendes relevant du régime mères et filiales sont également applicables dans le cas où les distributions de dividendes proviennent de sociétés, établies dans un autre État membre de l'Union européenne, dans lesquelles la société qui sollicite une restitution ne détient que des participations minoritaires et où le crédit d'impôt dont elle réclame le bénéfice a vocation à s'imputer non sur le précompte mobilier mais sur l'impôt sur les sociétés. Dans l'un et l'autre cas, la société qui perçoit les dividendes a droit à un crédit d'impôt permettant d'assurer un même traitement fiscal des dividendes provenant de sociétés établies en France et de ceux provenant de sociétés établies dans un autre État membre de l'Union européenne.

13. Le caractère pratiquement impossible ou excessivement difficile de la preuve du paiement de l'impôt par les sociétés distributrices établies dans les autres États membres s'apprécie pour chaque dividende en litige et, le cas échéant, en fonction de circonstances exceptionnelles invoquées par le redevable, de nature à justifier l'impossibilité matérielle de produire les éléments requis. Lorsque le redevable produit des éléments ou se prévaut de l'impossibilité matérielle de les produire, il appartient à l'administration d'apporter des éléments en sens contraire. Il revient alors au juge de l'impôt de se déterminer au vu de l'instruction et d'apprécier, compte tenu de l'argumentation des parties, si, pour le dividende en litige, le redevable justifie de sa demande en restitution.

S'agissant du mode de calcul du crédit d'impôt :

14. Le crédit d'impôt ne saurait être supérieur au montant de l'impôt effectivement acquitté dans l'Etat d'établissement de la société distributrice des dividendes. En effet, une restitution indépendante de l'impôt effectivement versé pourrait conduire non à la suppression d'une double imposition mais, le cas échéant, à une absence de toute imposition. Par suite, lorsque les bénéfices sous-jacents aux dividendes versés par une société établie dans un autre État membre sont soumis, dans cet État, à un impôt effectif à un taux supérieur au taux normal de l'impôt français, soit 33,33 %, le montant du crédit d'impôt auquel la société bénéficiaire peut prétendre doit être limité au montant de l'avoir fiscal dont elle aurait pu bénéficier si la société distributrice avait été établie en France. En particulier, au titre des dividendes des années 2000, 2001 et 2002, elle peut prétendre à un crédit d'impôt limité aux deux tiers de l'avoir fiscal, fixé respectivement à 25 % pour les crédits d'impôt utilisés à compter du 1er janvier 2001, 15 % pour les crédits d'impôt utilisés à compter du 1er janvier 2002 et 10 % pour les crédits d'impôt utilisés à compter du 1er janvier 2003, calculé sur la base des dividendes effectivement versés. Il y a, par suite, lieu, pour déterminer le montant de l'avoir fiscal auquel la Société Générale pouvait prétendre au titre des dividendes perçus en 2000, 2001 et 2002 et assujettis à un taux d'imposition effectif supérieur au taux normal de l'impôt sur les sociétés français, d'appliquer une fraction respectivement de 1/6e, 1/10e et 1/15e à ces dividendes.

15. Ainsi que, par l'arrêt précité du 15 septembre 2011, la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé, si un État membre devait attribuer aux bénéficiaires de dividendes provenant d'une société établie dans un autre État membre un crédit d'impôt représentant invariablement le montant de l'avoir fiscal, cela reviendrait à accorder à ces dividendes un traitement plus favorable que celui dont bénéficient les dividendes provenant du premier État membre, lorsque le taux d'imposition auquel la société distributrice de ces dividendes était assujettie dans son État d'établissement est inférieur au taux d'imposition appliqué dans le premier État membre. Lorsque les bénéfices sous-jacents aux dividendes versés par une société établie dans un autre État membre sont soumis, dans cet État, à un impôt établi au vu d'un taux inférieur au taux normal de l'impôt sur les sociétés en France, soit 33,33 %, le crédit d'impôt auquel peut prétendre la société bénéficiaire doit être déterminé de manière à rétablir une situation équivalente au regard de la double imposition économique des dividendes selon que ceux-ci ont pour origine une société établie en France ou une société établie dans un autre État membre de l'Union européenne. Lorsqu'une société établie en France distribue des dividendes qui ne sont pas soumis au taux normal de l'impôt sur les sociétés, elle doit acquitter un précompte mobilier. Le montant du précompte versé à raison de la distribution de ses résultats par une telle société, en application du 1 de l'article 223 sexies du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur pendant l'année d'imposition en litige, correspond à l'écart entre l'impôt effectivement acquitté sur ces résultats et celui dont aurait résulté l'application de ce taux normal. Par suite, le crédit d'impôt auquel la société bénéficiaire peut prétendre correspond au montant de l'avoir fiscal dont elle aurait pu bénéficier si la société distributrice avait été établie en France, fixé, ainsi qu'il a été dit au point précédent à 25 %, 15 % et 10 % pour les crédits d'impôts utilisés respectivement à compter des 1er janvier 2001, 2002 et 2003 diminué du montant correspondant à l'écart entre l'impôt effectivement acquitté par la société distributrice sur ses résultats et celui dont aurait résulté l'application de ce taux normal. Il y a, par suite, lieu, pour déterminer l'avoir fiscal auquel la Société Générale est pouvait prétendre au titre des dividendes perçus en 2000, 2001 et 2002 et assujettis à un taux d'imposition inférieur au taux normal de l'impôt sur les sociétés en France, d'appliquer une fraction respectivement de 1/3e, de 1/5e et de 2/15e à l'impôt effectivement acquitté par la société à l'étranger.

S'agissant du montant de crédit d'impôt à restituer à la requérante :

16. La Société Générale a fourni, en très grand nombre, ainsi qu'il a été dit au point 9., des données provenant des attestations établies en 2004 par les sociétés distributrices, de la base d'informations financières Bloomberg, ainsi qu'un rapport d'expertise établi par le cabinet KPMG le 9 janvier 2015 accompagné de tableaux de synthèse, et des extraits des rapports annuels de sociétés distributrices. Elle a également produit, en dernier lieu, un tableau de chiffrage synthétisant les retraitements opérés sur les impositions différées et mentionnant les taux d'imposition effectivement acquittés. S'agissant, en revanche, du montant des impositions qui ont été effectivement acquittées par ces sociétés, le rapport d'expertise du cabinet KPMG précise que, pour chacun des pays sources des dividendes reçus, les liasses fiscales permettant de connaître avec certitude un tel montant ne sont jamais mises à la disposition du public, ce que rappelle le rapport de FIDAL synthétisant les obligations en matière de conservation et de publicité de documents juridiques et comptables dans les pays concernés. La société requérante fait valoir à cet égard que son statut d'actionnaire minoritaire dans des sociétés étrangères cotées rendait extrêmement difficile l'obtention d'informations sur le montant des cotisations d'impôt sur les sociétés acquittées par ces dernières et justifie des diligences accomplies pour obtenir la communication de telles informations, tant par les demandes adressées aux sociétés distributrices que par la production d'un " tableau de suivi interne ". Dans ces conditions, la société requérante peut être regardée comme apportant des éléments de vraisemblance, précis et convergents, quant au caractère pratiquement impossible ou excessivement difficile de la preuve de l'impôt effectivement payé par les sociétés distributrices établies dans les autres États membres. Le ministre, qui ne saurait sérieusement soutenir que la société n'a pas pris toutes les mesures nécessaires afin de recueillir les éléments de preuve exigés, ne conteste pas utilement les éléments produits quant aux taux d'imposition effectivement appliqués et n'apporte aucun élément quant au montant des impositions qui ont été effectivement acquittées par ces sociétés. Dans ces conditions, la Société Générale doit être regardée comme justifiant de l'assujettissement des bénéfices sous-jacents à l'impôt sur les sociétés dans les États membres d'établissement des sociétés distributrices et comme étant dans l'impossibilité de justifier du montant effectif de ces impositions.

17. Pour le calcul de la restitution à laquelle elle a droit, lequel ne comporte contrairement à ce qu'il est soutenu par l'administration, aucune imposition de sous-filiales, il y a lieu de retenir, non pas les taux d'imposition figurant dans les attestations des sociétés distributrices, purement déclaratives, établies en 2004, mais les taux d'imposition, non sérieusement contestés par le ministre en défense, figurant dans le tableau récapitulatif de chiffrage subsidiaire produit le 2 août 2019, déterminés en retraitant, sur la base des informations disponibles dans les rapports annuels, les impositions différées. Compte tenu du mode de calcul du crédit d'impôt exposé ci-dessus aux points 14. et 15., la Société Générale doit être regardée comme justifiant du bien-fondé de sa demande de restitution à concurrence des sommes totales de 3 778 441 euros au titre de l'exercice clos en 2000, 3 110 031 euros au titre de l'exercice clos en 2001 et 1 688 367 euros au titre de l'exercice clos en 2002. Si le ministre indique qu'il convient de prendre en compte, le cas échéant, les effets de stipulations des conventions internationales pour le calcul de l'avoir fiscal, il n'apporte aucune précision à l'appui de ce moyen et ne se prévaut d'aucune convention fiscale en particulier.

18. Il résulte de tout ce qui précède que la Société Générale est seulement fondée à demander, en application des dispositions de l'article L. 203 à L. 205 du livre des procédures fiscales, que les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2000 à 2002 soient compensées avec l'avoir fiscal auquel elle avait droit, au titre des mêmes années, à raison de la perception des dividendes versés par des sociétés établies dans divers Etats de l'Union européenne à concurrence des sommes totales de

3 778 441 euros au titre de l'exercice clos en 2000, 3 110 031 euros au titre de l'exercice clos en 2001 et 1 688 367 euros au titre de l'exercice clos en 2002, majorées des intérêts de retard, dont le ministre n'est pas fondé à solliciter l'exclusion.

Sur les frais de l'instance :

19. Si la Société Générale soutient avoir exposé la somme de 97 390,20 euros au titre des frais relatifs aux travaux d'audit engagés elle n'en justifie qu'à hauteur d'une somme de 37 296 euros TTC établie par une facture de KPMG du 19 janvier 2015 produite au dossier. Il y a lieu, en outre, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 4 000 euros au titre des frais d'avocat, soit une somme globale de 41 296 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Il est accordé à la Société Générale la restitution partielle des cotisations d'impôt sur les sociétés qu'elle a acquittées au titre des exercices clos de 2000 à 2002, à concurrence des sommes totales de 3 778 441 euros au titre de l'exercice clos en 2000, 3 110 031 euros au titre de l'exercice clos en 2001 et 1 688 367euros au titre de l'exercice clos en 2002, majorées des intérêts de retard.

Article 2 : Le jugement n° 0714315 du 6 juin 2014 du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'État versera la somme de 41 296 euros à la Société Générale au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la Société Générale est rejeté.

2

N° 14VE02362


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 14VE02362
Date de la décision : 02/03/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Communautés européennes et Union européenne - Règles applicables - Libertés de circulation - Libre circulation des capitaux.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Impôts et prélèvements divers sur les bénéfices.


Composition du Tribunal
Président : M. BRESSE
Rapporteur ?: Mme Isabelle DANIELIAN
Rapporteur public ?: M. HUON
Avocat(s) : DE PARDIEU BROCAS MAFFEI A.A.R.P.I.

Origine de la décision
Date de l'import : 12/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-03-02;14ve02362 ?
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