La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/02/2021 | FRANCE | N°14VE01600

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 09 février 2021, 14VE01600


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA Chargeurs a demandé au tribunal de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge d'un rappel de précompte mobilier qui lui a été réclamé au titre de l'exercice clos en 2001.

Par un jugement n° 0712539 du 31 mars 2014, le tribunal administratif de

Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 mai 2014, la SA Chargeurs, représentée par

Me Espasa-Mattei avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;



2°) de prononcer la décharge des impositions en litige ;

3°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SA Chargeurs a demandé au tribunal de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge d'un rappel de précompte mobilier qui lui a été réclamé au titre de l'exercice clos en 2001.

Par un jugement n° 0712539 du 31 mars 2014, le tribunal administratif de

Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 mai 2014, la SA Chargeurs, représentée par

Me Espasa-Mattei avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des impositions en litige ;

3°) à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 15 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges ont omis de répondre au moyen tiré de l'inopposabilité de la déclaration de précompte pour faire obstacle ou limiter le montant restituable ;

- la méthodologie retenue pour déterminer le quantum des sommes restituables, qui se fonde sur une méthode d'imputation de l'impôt effectivement acquitté par les filiales communautaires, ne garantit pas un traitement fiscal équivalent à celui résultant de l'application de la méthode " d'exonération " qui s'applique aux dividendes de source nationale ;

- l'opposabilité de la déclaration de précompte déposée le 14 septembre 2001 est de nature à porter atteinte aux principes d'équivalence et d'effectivité du droit communautaire ;

- la production des justificatifs demandés est pratiquement impossible ou excessivement difficile, eu égard aux délais légaux de conservation des documents sociaux dans les Etats membres en cause, contrairement au principe d'effectivité du droit communautaire ;

- s'agissant de la traçabilité de l'impôt effectivement acquitté, le tribunal ne saurait limiter le montant des impositions susceptibles d'être prises en compte pour " gager " le crédit d'impôt aux seuls impôts ayant grevé le résultat comptable distribué ;

- la cour peut, en tout état de cause, poser à la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles s'agissant de la méthodologie devant être suivie pour opérer les restitutions.

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur l'Union européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- les arrêts C-310/09 du 15 septembre 2011, C-35/11 du 13 novembre 2012, C-68/15 et C-365/16 du 17 mai 2017 et C-416/17 du 4 octobre 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,

- et les observations de Me Ferré, avocat de la SA Chargeurs.

Considérant ce qui suit :

1. Exerçant une activité de holding, la SA Chargeurs, qui est à la tête d'un groupe fiscalement intégré au sens de l'article 223 A du code général des impôts, a, selon sa déclaration de précompte afférente à l'année 2001, procédé à la distribution d'un bénéfice d'un montant net, après impôt sur les sociétés, de 3 192 884F, afférent à son exercice clos le 31 décembre 1997. Cette distribution a ouvert droit à l'avoir fiscal sans toutefois donner lieu au précompte mobilier. Dans le cadre d'une réclamation préalable du 26 décembre 2003 faisant suite à une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos 1996 et 1997, la société a obtenu le dégrèvement intégral de l'impôt sur les sociétés acquitté au titre de l'exercice clos en 1997. A la suite d'une nouvelle vérification de comptabilité portant sur les exercices clos 2001 et 2002, l'administration a estimé que la constatation rétroactive de l'absence de bénéfice taxable au titre de 1997 conduisait à rendre exigible le précompte mobilier, dès lors que la distribution réalisée se rattachait à des dividendes qui n'avaient in fine pas été soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal. Elle a ainsi procédé à un rappel de précompte mobilier au titre de l'exercice clos en 2001 à hauteur de 243 376 euros. La SA Chargeurs a demandé au tribunal administratif de

Cergy-Pontoise la restitution du précompte ainsi rappelé, dans la mesure où elle estime avoir droit, en tant que les produits taxés correspondants proviennent de dividendes de filiales établies dans divers autres Etats membres de l'Union européenne, à un crédit d'impôt représentatif de l'impôt sur les sociétés ayant frappé les bénéfices à l'origine de ces dividendes. Par un jugement du 31 mars 2014, dont elle fait appel, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. La SA Chargeurs soutient que le tribunal administratif a omis de statuer sur le moyen, développé dans son mémoire du 27 décembre 2013, tiré de de l'inopposabilité de la déclaration de précompte pour faire obstacle ou limiter le montant restituable. Il ressort, toutefois, des termes du jugement que les premiers juges ont expressément répondu à ce grief aux points 8. et 10. en l'écartant et en indiquant, en outre, que l'opposabilité de sa déclaration de précompte ne méconnaissait pas les principes communautaires d'équivalence et d'effectivité. Par suite, et alors que le tribunal n'était pas tenu de répondre à l'argument tiré de ce que le précompte procèderait d'un rehaussement, le moyen tiré de l'omission à statuer doit être écarté comme manquant en fait.

Sur les conclusions aux fins de décharge :

3. Le I de l'article 158 bis du code général des impôts, en vigueur pendant l'année d'imposition en litige prévoit que : " Les personnes qui perçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises disposent à ce titre d'un revenu constitué:/ a) par les sommes qu'elles reçoivent de la société ;/ b) par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le Trésor (...) ". Aux termes de l'article 158 ter du même code dans sa rédaction alors applicable : " 1. Les dispositions de l'article 158 bis s'appliquent exclusivement aux produits d'actions (...) dont la distribution (...) résulte d'une décision régulière des organes compétents de la société " ; qu'aux termes du I de l'article 216 du même code : " Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères (...), touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci (...) ". Aux termes du 1 de l'article 223 sexies du même code, dans sa rédaction en vigueur pendant cette année d'imposition :

" (...) lorsque les produits distribués par une société sont prélevés sur des sommes à raison desquelles elle n'a pas été soumise à l'impôt sur les sociétés au taux normal (...), cette société est tenue d'acquitter un précompte égal au montant du crédit d'impôt calculé dans les conditions prévues au I de l'article 158 bis. Le précompte est dû au titre des distributions ouvrant droit au crédit d'impôt prévu à l'article 158 bis quels qu'en soient les bénéficiaires ". Enfin, le 2 de l'article 146 du même code dans sa rédaction en vigueur pendant cette année d'imposition prévoit que : " Lorsque les distributions auxquelles procède une société mère donnent lieu à l'application du précompte prévu à l'article 223 sexies, ce précompte est diminué, le cas échéant, du montant des crédits d'impôts qui sont attachés aux produits des participations (...) encaissés au cours des exercices clos depuis cinq ans au plus (...) ".

4. Il résulte des dispositions précitées de l'article 216 du code général des impôts que, sous réserve d'une quote-part de frais et charges, une société mère française n'est pas soumise à l'impôt sur les sociétés à raison des dividendes qu'elle reçoit de ses filiales, quelle qu'en soit la provenance. En application des dispositions de l'article 223 sexies du même code, lorsqu'elle redistribue ces dividendes à ses propres actionnaires, elle est tenue d'acquitter à ce titre un précompte, quelle que soit la provenance des dividendes qui lui ont été distribués et qu'elle a ainsi redistribués. Le montant de l'avoir fiscal dont la société mère bénéficie au titre de dividendes distribués par une filiale établie en France en vertu des dispositions de l'article

158 bis du même code s'impute sur le montant de ce précompte en application du 2 de l'article 146 du même code alors que les dispositions de l'article 158 bis font obstacle à l'attribution à cette société mère d'un avoir fiscal au titre de dividendes en provenance de filiales implantées dans un autre Etat membre de la Communauté européenne et, par suite, à toute imputation sur le montant du précompte exigible lorsque cette société mère redistribue ces dividendes.

En ce qui concerne la compatibilité du dispositif de l'avoir fiscal et du précompte avec le droit communautaire :

5. Aux termes de l'article 43 du traité instituant la Communauté européenne, repris à l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un Etat membre (...) ".

6. Il résulte de l'arrêt du 15 septembre 2011 de la Cour de justice de l'Union européenne (C-310/09) que ces dispositions s'opposent à la législation d'un État membre, telle que la législation française, ayant pour objet d'éliminer la double imposition économique des dividendes et qui permet à une société d'imputer sur l'impôt sur les sociétés dont elle est redevable l'avoir fiscal attaché à la distribution de ces dividendes s'ils proviennent d'une filiale établie dans cet État membre, mais n'offre pas cette faculté si ces dividendes proviennent d'une filiale établie dans un autre État membre, dès lors que cette législation n'ouvre pas droit, dans cette dernière hypothèse, à l'octroi d'un avoir fiscal attaché à la distribution de ces dividendes par cette filiale.

7. Par suite, les dispositions régissant l'avoir fiscal et le précompte alors en vigueur, en tant qu'elles n'autorisaient pas une société française à imputer, sur le précompte dont elle était redevable lors de la redistribution à ses actionnaires des dividendes versés par ses filiales établies dans un autre Etat membre de l'Union européenne, un crédit d'impôt ouvert sur le Trésor public français à raison de l'impôt effectivement acquitté par ces filiales au titre des bénéfices réalisés et qu'elles ont distribués, méconnaissaient la liberté d'établissement garantie par le Traité mentionné. Dès lors, une telle société est fondée, sur le principe, à se prévaloir d'un droit à la restitution du précompte résultant de l'octroi d'un tel crédit d'impôt, destiné à garantir l'application d'un même régime fiscal aux dividendes distribués par les filiales de la société établies en France et à ceux distribués par les filiales de cette société établies dans les autres Etats membres de l'Union européenne, pour autant que ces distributions remplissent les conditions posées par le droit interne à l'attribution d'un avoir fiscal. L'octroi d'un tel crédit d'impôt est subordonné à la condition que la société en cause apporte les éléments qu'elle est la seule à détenir et relatifs, pour chaque dividende en litige, notamment au taux d'imposition effectivement appliqué et au montant de l'impôt effectivement acquitté à raison des bénéfices des filiales installées dans un autre Etat membre, sous réserve qu'il ne se révèle pas pratiquement impossible ou excessivement difficile d'apporter la preuve du paiement de l'impôt par les filiales en cause.

En ce qui concerne les effets de la déclaration de précompte :

8. D'une part, les dispositions régissant l'avoir fiscal et le précompte ont pour objet, compte tenu de l'objectif de neutralité fiscale du régime des sociétés mères, de permettre à de telles sociétés d'imputer les avoirs fiscaux attachés aux dividendes reçus de leurs filiales sur le précompte dont elles sont redevables lorsqu'elles redistribuent ces derniers dans un délai de cinq ans. Ces dispositions ne sauraient, en revanche, être regardées, compte tenu de l'objectif mentionné ci-dessus, comme ayant pour objet ou pour effet d'autoriser les sociétés mères à imputer tout autre crédit d'impôt attaché aux produits de participation qu'elles ont perçus depuis cinq ans, mais qu'elles n'ont pas redistribués, sur le précompte dû. Ainsi, une société ne saurait obtenir de restitution excédant le montant du précompte mobilier qu'elle a versé à l'occasion de la redistribution effective des dividendes perçus de ses filiales implantées dans un autre Etat membre de la Communauté européenne, ni se prévaloir de ce qu'elle disposerait d'une créance sur le Trésor public à raison de dividendes qu'elle aurait perçu de source étrangère, indépendamment de cette redistribution.

9. D'autre part, la déclaration de précompte souscrite par une société en sa qualité de redevable précise, pour la redistribution des dividendes, les montants des distributions reçues notamment de ses filiales établies hors de France au titre de l'un ou de plusieurs des cinq exercices précédant cette déclaration. Si elle mentionne des sommes globales pour chacun de ces exercices, une telle déclaration révèle nécessairement le rattachement effectif de cette redistribution à des distributions par filiale, effectuées et perçues au titre de ces exercices. Par suite, et alors que la Cour de justice de l'Union européenne a rappelé au point 71 de son arrêt du 4 octobre 2018 (affaire C-416/17) qu'il " ne saurait être considéré que le fait d'opposer les choix faits par une société mère lors de la liquidation du précompte mobilier à l'occasion de la déclaration y afférente constitue une violation des principes d'équivalence et d'effectivité. ", la société, qui n'est pas en droit de procéder à une nouvelle liquidation de sa déclaration, ne peut demander le bénéfice d'un crédit d'impôt qu'à raison de ces distributions.

10. Dès lors que la déclaration de précompte déposée par la société requérante au titre de l'année 2001, qui lui est opposable, ne fait état d'aucun précompte acquitté au titre d'imputations sur des revenus de filiales au titre de l'exercice clos en 2000, la SA chargeurs ne saurait prétendre imputer sur le précompte 2001, afférent à la distribution de bénéfices de source française réalisés au titre de l'exercice clos en 1997, les crédits d'impôt attachés aux dividendes de source européenne perçus au cours de l'année 2000. Il importe peu à cet égard que le précompte litigieux n'ait pas été acquitté spontanément mais à l'issue d'une procédure de rectification, dès lors que cette procédure n'a eu ni pour objet ni pour effet de modifier les imputations opérées par la société elle-même sur sa déclaration de précompte, déclaration que le tribunal a ainsi à bon droit et par une motivation suffisante, opposée à la requérante. Ce seul motif était, par suite, suffisant pour refuser à la SA Chargeurs la restitution du rappel de précompte qui lui a été réclamé au titre de l'année 2001.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il n'y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles, ni d'examiner les autres moyens tirés des modalités de détermination du crédit d'impôt imputable sur le précompte, au demeurant non fondés dès lors que la requérante se borne à remettre en cause les principes dégagés par le Conseil d'Etat dans ses décisions du 10 décembre 2012 et validés par la CJUE dans son arrêt

C-416/17 du 4 octobre 2018, que la SA Chargeurs n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SA Chargeurs est rejetée.

2

N° 14VE01600


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 14VE01600
Date de la décision : 09/02/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Communautés européennes et Union européenne - Règles applicables.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Impôts et prélèvements divers sur les bénéfices.


Composition du Tribunal
Président : M. BRESSE
Rapporteur ?: Mme Isabelle DANIELIAN
Rapporteur public ?: M. HUON
Avocat(s) : DE PARDIEU BROCAS MAFFEI A.A.R.P.I.

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2021-02-09;14ve01600 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award