Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D... et M. E... C... ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner le centre hospitalier de Gonesse à verser à Mme D... la somme totale de 386 959,11 euros et à M. C... la somme totale de 20 000 euros en réparation des préjudices qu'ils ont subis, sommes assorties des intérêts à compter du 13 juin 2015 et de leur capitalisation.
Par un jugement n° 1507043 du 22 novembre 2017, ce tribunal a condamné le centre hospitalier de Gonesse à verser, d'une part, à Mme D... une somme de 16 500 euros et à M. C... une somme de 3 000 euros, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter du 13 juin 2015 et de leur capitalisation, d'autre part, à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise une somme de 64 163,76 euros assortie des intérêts à compter du 7 juin 2016 ainsi que la somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 janvier 2018 et complétée par des mémoires des 18 mars, 28 mars, et 6 juin 2019, Mme D... et M. C... représentés par Me Teste, avocat, demandent à la cour la réformation du jugement n° 1507043 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, la condamnation du centre hospitalier de Gonesse à verser, d'une part, à Mme D... la somme de 740 250,02 euros assortie des intérêts, d'autre part, à M. C... la somme de 20 000 euros assortie des intérêts en réparation des préjudices subis et à ce qu'il soit mis à la charge du centre hospitalier de Gonesse la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens.
Ils soutiennent que :
- c'est à tort que l'expert a retenu un intervalle de deux ans entre la dérivation biliaire et les premiers signes de pancréatite, alors que les premiers signes interviennent en janvier 2011 ; l'erreur commise par l'expert, puis amplifiée par le tribunal qui a retenu un intervalle de trois ans est à l'origine de l'erreur sur le lien de causalité ; l'incertitude scientifique permet d'établir la causalité juridique à partir d'un faisceau d'indices ;
- elle a droit à la réparation des préjudices subis du fait de l'atteinte au pancréas ;
- il sollicite l'application du barème de la Gazette du Palais de 2018 ;
- c'est à tort et sans motivation suffisante que le tribunal a fixé le déficit fonctionnel temporaire à 3 000 euros ;
- il convient aussi d'augmenter la réparation du déficit fonctionnel permanent de 15 % pour la porter à 39 000 euros ;
- il convient également de porter la réparation des souffrances endurées de 1 000 à 10 000 euros ;
- il convient de surcroît de réparer le préjudice sexuel par une somme de 10 000 euros ;
- elle est dans l'incapacité physique de retrouver un emploi et doit être indemnisée pour la perte de gains par une somme totale de 591 588,02 euros et, pour l'incidence professionnelle, par une somme de 80 000 euros ;
- M. C... subit lui-aussi un préjudice sexuel qui doit être réparé par une somme de 10 000 euros ainsi qu'un préjudice moral, eu égard à l'inquiétude que lui inspire l'état de sa compagne, qui doit être réparé par une somme de 10 000 euros.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 27 décembre 2018 relatif aux montants de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les conclusions de Mme Margerit, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite de douleurs abdominales, Mme D... a subi le 1er septembre 2008, au centre hospitalier de Gonesse, une ablation de la vésicule biliaire par coelioscopie. Les suites opératoires ont été marquées par l'apparition d'une cholestase ictérique, en rapport avec une sténose de la voie biliaire principale liée à la présence d'un clip, qui a nécessité une nouvelle opération, le 15 septembre 2008, en vue de procéder à la réfection de la voie biliaire principale avec pose d'un drain de Kehr. Victime de douleurs de type colique hépatique de plus en plus fréquentes, Mme D... a ensuite bénéficié d'un scanner abdominopelvien qui a mis en évidence une interruption de l'artère hépatique par deux clips métalliques et une sténose du canal hépatique commun, rendant nécessaire une nouvelle intervention, qui s'est déroulée le 1er avril 2010, consistant en une dérivation bilio-digestive sur anse en Y. A la suite d'une expertise ordonnée par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, par un protocole transactionnel conclu le 6 juin 2011, le centre hospitalier de Gonesse a indemnisé la requérante de l'ensemble des préjudices subis du fait de la maladresse fautive commise le 1er septembre 2008. Estimant avoir été victime, postérieurement à cette indemnisation, d'une aggravation de son état de santé, Mme D... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, lequel a, par ordonnance du 8 mars 2013, désigné le même expert, qui a rendu son rapport le 2 mai 2014. Mme D... et M. C..., son compagnon, demandent à la cour la réformation du jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en tant qu'il a limité l'indemnisation des préjudices nés de l'aggravation de l'état de santé de l'intéressée en condamnant le centre hospitalier de Gonesse à verser, d'une part, à Mme D..., une somme de 16 500 euros, d'autre part, à M. C... une somme de 3 000 euros. La caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise, venant aux droits de la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (CRAMIF), demande la condamnation du centre hospitalier de Gonesse à lui verser la somme de 207 642,22 euros au titre des arrérages versés du 28 août 2011 au 28 février 2018 et au titre du capital représentatif des arrérages à échoir à compter du 1er mars 2018 avec intérêts à compter du 4 novembre 2015 et de la capitalisation de ces intérêts. Elle demande également, pour son propre compte, que, sous réserve des prestations non connues à ce jour et des complications ultérieures, les frais de santé futurs soient portés à la somme de 7 726 euros, à ce que les indemnités journalières, justifiées par des attestations de paiement, soient remboursées pour un montant de 6 177,60 euros et à ce que les prestations en nature soient indemnisées pour un montant de 58 857,80 euros.
Sur la responsabilité :
2. Il résulte de l'instruction que l'aggravation dont Mme D... fait état, à la suite de l'intervention du 1er septembre 2008 au cours de laquelle le chirurgien du centre hospitalier de Gonesse a fautivement sectionné la voie biliaire principale est liée à l'apparition, d'une part, d'une pancréatite céphalique en août 2011, d'autre part, d'un abcès hépatique qui s'est manifesté en juin 2012. A cet égard, il résulte du rapport de l'expert judiciaire que l'abcès hépatique est lié à une ischémie biliaire secondaire à la plaie vasculaire provoquée par la maladresse du chirurgien lors de la cholécystectomie pratiquée le 1er septembre 2008. En revanche, le lien direct et certain entre l'affection pancréatique dont souffre la requérante et l'intervention réalisée au centre hospitalier de Gonesse le 1er septembre 2008 ne peut être tenu pour établi, compte tenu notamment de l'intervalle de trois années séparant ces deux événements et alors même que l'intéressée n'aurait pas eu d'antécédents. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a jugé que la faute commise n'est de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Gonesse qu'en ce qui concerne les seules conséquences dommageables imputables aux troubles hépatiques subis par la requérante postérieurement à la conclusion du protocole transactionnel.
Sur l'évaluation des préjudices, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions :
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial de Mme D... :
S'agissant des frais de santé :
3. La caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise, à laquelle la transaction conclue le 6 juin 2011 n'est pas opposable, établit avoir pris en charge, au titre de la période du 6 septembre 2008 au 13 juin 2013, des frais d'hospitalisation et des frais médicaux liés au problème hépatique de Mme D... dont le remboursement incombe au centre hospitalier de Gonesse pour un montant de 58 857,80 euros. Ainsi, la caisse a droit au remboursement de cette somme et il n'y a pas lieu de remettre en cause l'évaluation du préjudice retenue par les premiers juges sur ce point.
4. En revanche, et malgré la motivation retenue par les premiers juges qui ont relevé l'absence de précisions des attestations produites, la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise n'indique pas plus en appel les consultations de spécialistes ainsi que la nature des autres examens et traitements dont Mme D... pourrait avoir besoin. Faute de ces éléments, il n'est pas possible de déterminer si les frais futurs allégués sont bien en lien avec la faute commise et la demande de la caisse ne peut qu'être rejetée.
S'agissant des pertes de gains professionnels et de l'incidence professionnelle :
5. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que l'arrêt de travail résultant de l'intervention chirurgicale subie par la requérante le 1er septembre 2008 aurait été, sans complications, de trois semaines. La CPAM du Val-d'Oise sollicite au titre de la maladie hépatique le remboursement des indemnités journalières jusqu'au 27 août 2011 pour un montant de 6 177,60 euros. Toutefois, les indemnités journalières versées à compter du mois d'août 2011 étant liées à la maladie du pancréas de la requérante et, par suite sans lien avec la faute, c'est à bon droit que le tribunal administratif s'est borné à indemniser la caisse en la remboursant des indemnités journalières versées à Mme D... entre le 22 septembre 2008 et le 31 juillet 2011, pour un montant de 5 305,96 euros.
6. Aux termes de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale : " L'assuré a droit à une pension d'invalidité lorsqu'il présente une invalidité réduisant dans des proportions déterminées, sa capacité de travail ou de gain, c'est-à-dire le mettant hors d'état de se procurer, dans une profession quelconque, un salaire supérieur à une fraction de la rémunération normale perçue dans la même région par des travailleurs de la même catégorie, dans la profession qu'il exerçait avant la date de l'interruption de travail suivie d'invalidité ou la date de la constatation médicale de l'invalidité si celle-ci résulte de l'usure prématurée de l'organisme ". Eu égard à la finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail qui lui est assignée par ces dispositions législatives et à son mode de calcul, en fonction du salaire, fixé par l'article R. 341-4 du code de la sécurité sociale, la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité. Dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une pension d'invalidité ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice.
7. Comme en première instance, Mme D... sollicite en appel l'indemnisation des seules pertes de gains professionnels futurs. Toutefois, et ainsi que l'a relevé le tribunal, si Mme D... garde des séquelles qui l'empêchent de porter des charges lourdes et qui rendent impossible l'exercice de la profession d'assistante logistique qu'elle exerçait jusque-là, il résulte de l'instruction et en particulier du rapport d'expertise, qu'âgée de trente-cinq ans au moment de la consolidation de son état de santé, elle n'est pas dans l'incapacité d'exercer toute activité professionnelle. Elle pourrait, notamment, occuper un emploi sédentaire de type administratif, sa reconversion professionnelle n'apparaissant pas impossible compte tenu de son âge et malgré les épisodes douloureux qu'elle traverse, les crises étant plus espacées. La requérante ne justifie, par ailleurs, d'aucune recherche d'emploi. Elle n'établit pas non plus que les séquelles qu'elle conserve en lien avec la faute médicale, lui auraient fait perdre une chance de retrouver un emploi adapté. Ainsi, c'est à bon droit que le tribunal a rejeté sa demande tirée de la perte de revenus professionnels futurs.
8. En outre, ainsi qu'il a été dit au point précédent, l'expert a indiqué que l'état de santé de Mme D... interdisait le port de charges. Toutefois, elle n'établit pas, en se bornant à faire valoir les épisodes douloureux qu'elle a traversés, dès lors que ceux-ci se sont espacés ainsi que son asthénie, que les séquelles qu'elle conserve en lien avec la faute médicale, lui auraient fait perdre une chance de retrouver un emploi adapté. Ainsi, c'est à bon droit que le tribunal a jugé qu'elle ne justifie pas avoir subi une incidence professionnelle en lien avec la faute médicale commise par le centre hospitalier de Gonesse.
9. Il est constant que la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France a versé à Mme D..., à compter du 28 août 2011, une pension d'invalidité de deuxième catégorie. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que la cessation d'activité de Mme D..., à compter de cette date, soit imputable aux conséquences de la faute commise par le centre hospitalier. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal a rejeté les conclusions de la caisse tendant au remboursement des sommes qu'elle a versées à la requérante au titre de la pension d'invalidité.
En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel de Mme D... :
S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :
10. C'est par une juste appréciation que le tribunal a attribué 3 000 euros à Mme D... au titre des troubles dans les conditions d'existence résultant du déficit fonctionnel temporaire total et partiel subi.
S'agissant du déficit fonctionnel permanent :
11. Il résulte du rapport d'expertise que Mme D... reste atteinte, du fait de la complication subie, depuis la consolidation de son état de santé, acquise au 26 décembre 2013 alors qu'elle était âgée de trente-cinq ans, d'un déficit fonctionnel permanent de 20 %, dont 15 % résultant de l'aggravation de son état de santé survenue postérieurement à la conclusion du protocole transactionnel dont la moitié est imputable aux troubles hépatiques subis en lien avec la faute. Dès lors, il n'y a pas lieu de remettre en cause la somme de 11 500 euros attribuée par les premiers juges de ce chef.
S'agissant des souffrances endurées :
12. C'est à bon droit que le tribunal a jugé que les souffrances endurées par Mme D... résultant de la seule aggravation de son état de santé, fixées à 1/7 par le rapport d'expertise, peuvent être évaluées à une somme de 1 000 euros.
S'agissant du préjudice d'agrément :
13. Si Mme D... fait valoir qu'elle se trouve dans l'incapacité de reprendre une activité sportive, il résulte de l'instruction et en particulier du rapport d'expertise qu'il n'existe aucune contre-indication à la pratique sportive. Dès lors, il n'y a pas lieu de remettre en cause l'appréciation portée par les premiers juges sur ce chef de préjudice.
S'agissant du préjudice sexuel :
14. Le tribunal a fixé la réparation du préjudice sexuel subi par Mme D... en l'évaluant à 1 000 euros. Si l'expert retient que la requérante a pu avoir un enfant après les fautes commises par le centre hospitalier, il y a lieu, au regard de l'âge de la requérante et du siège des souffrances endurées de porter l'indemnisation de ce chef de préjudice à la somme de 3 000 euros.
En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel subis par M. C... :
15. C'est par une juste appréciation que le tribunal a réparé le préjudice sexuel de M. C... en l'évaluant à 1 000 euros et son préjudice moral résultant de l'inquiétude qu'il nourrit face à l'état de santé de sa compagne et de sa possible dégradation, en le fixant à une somme de 2 000 euros.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier de Gonesse doit être condamné à verser une somme de 18 500 euros à Mme D.... Cette condamnation portera intérêts au taux légal à compter du 13 juin 2015 ainsi que le sollicite la requérante. La capitalisation des intérêts a été demandée le 10 août 2015. Il y a lieu d'y faire droit à compter du 13 juin 2016, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date. Par suite, les requérants sont uniquement fondés à demander la réformation du jugement en litige du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en tant qu'il a fixé l'indemnité due à Mme D... à la somme de 16 500 euros.
En ce qui concerne le montant de l'indemnité forfaitaire de gestion :
17. Dès lors que la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise n'obtient pas en appel de majoration de la somme due au titre de ses débours, elle n'est pas fondée à demander le rehaussement de la somme mise à la charge du centre hospitalier de Gonesse au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale afin de tenir compte de sa revalorisation postérieurement au jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
Sur les frais liés à l'instance :
18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Gonesse la somme de 1 500 euros à verser à Mme D... et à M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, les conclusions de la CPAM du Val-d'Oise au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme à laquelle est condamné le centre hospitalier de Gonesse par l'article 1er du jugement n° 1507043 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est portée à 18 500 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 13 juin 2015. Les intérêts échus au 13 juin 2016, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement n° 1507043 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... et de M. C... est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la CPAM du Val-d'Oise en son nom propre et au nom de la CRAMIF sont rejetées.
N° 18VE00124 2