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22/04/2020 | FRANCE | N°19VE00308

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 7ème chambre, 22 avril 2020, 19VE00308


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Coraud, désormais dénommée Stream Part, a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires de retenue à la source auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2008 et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1701913 du 26 novembre 2018, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 24 janvier et 1er juillet 2019

, la société Stream Part, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Coraud, désormais dénommée Stream Part, a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires de retenue à la source auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2008 et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1701913 du 26 novembre 2018, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 24 janvier et 1er juillet 2019, la société Stream Part, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires de retenue à la source auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2008 et des pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros en application de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

La société soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé dès lors que le raisonnement tenu par les premiers juges est erroné tant concernant les règles de la charge de la preuve, que sur l'existence des prestations fournies par la société FC2I ;

- les sommes versées à la société luxembourgeoise FC2I ne constituent pas des revenus distribués, mais correspondent à des prestations réelles facturées et déductibles de son résultat imposable ;

- la société Hazelwood Services Inc. ne peut pas être considérée comme étant le bénéficiaire effectif des sommes en cause dans la mesure où les sommes qui lui ont été versées par la société FC2I s'inscrivent dans le cadre d'une convention de gestion de trésorerie et ont été restituées à cette dernière avec intérêts en 2012 ;

- les pénalités pour manoeuvres frauduleuses ne sont pas motivées ;

- le ministre n'apporte pas la preuve de l'existence de pénalités pour manoeuvres frauduleuses.

......................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de Mme Danielian, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la SAS Stream Part.

Considérant ce qui suit :

1. La société Coraud, désormais dénommée Stream Part, exerce une activité de conseils et de services en systèmes d'information. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2010 à l'issue de laquelle l'administration lui a notamment notifié des cotisations supplémentaires de retenue à la source au titre de l'année 2008. Cette société fait appel du jugement du tribunal administratif de Montreuil du 26 novembre 2018 ayant rejeté sa demande en décharge de ces compléments d'imposition.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il résulte des termes mêmes de la proposition de rectification du 19 décembre 2011, que l'administration fiscale a qualifié d'avantages occultes au sens du c) de l'article 111 du code général des impôts, les sommes que la société Coraud a versé sans contrepartie à la société FC2I, située au Luxembourg. Estimant que la société Coraud avait en réalité versé, via la société FC2I qu'elle qualifie de société écran, des sommes à la société Hazelwood Services Inc., l'administration a imposé celles-ci à une retenue à la source entre les mains de la société Coraud, sur le fondement du 2 de l'article 119 bis de ce code, qui prévoyait que de tels produits donnent lieu à l'application de la retenue à la source lorsqu'ils sont payés hors de France dans un Etat ou territoire non coopératif (ETNC) au sens de l'article 238-0 A de ce même code, après avoir constaté que le Bélize, où se situe le siège de la société Hazelwood Services Inc, fait partie des ETNC en vertu de l'arrêté 12 février 2010 pris en application du deuxième alinéa du 1 de l'article 238-0 A du code général des impôts, dans sa version issue de l'arrêté du 14 avril 2011.

3. Toutefois la version de l'article 119 bis et l'article 238-0 A du code général des impôts retenus par l'administration sont issus de l'article 22 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009, qui n'ont été applicables qu'à compter de l'année 2010. L'administration ne pouvait donc pas, sur leur fondement, procéder à des rehaussements au titre de l'année 2008.

4. En retenant comme fondement légal des impositions litigieuses la version de l'article 119 bis du code général des impôts applicable en 2008, qui ne prévoyait pas l'application d'une retenue à la source pour des produits versés dans un ETNC, les premiers juges ont procédé d'office à une substitution de base légale qu'ils n'étaient pas compétents pour prononcer en l'absence d'une demande présentée par l'administration en ce sens. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le moyen soulevé par la société requérante tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué, ce dernier doit être annulé. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions de la demande présentée par la société Stream Part.

Sur le bien-fondé de l'imposition litigieuse :

5. Ainsi qu'il vient d'être exposé, l'administration a méconnu le champ d'application de la loi dans le temps.

6. Le ministre demande, à titre subsidiaire, le maintien des rappels de retenues à la source sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 119 bis dans leur version applicable en 2008, aux termes desquelles : " Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187-1 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. (...) ".

7. D'une part, l'administration fiscale, qui ne peut renoncer au bénéfice de la loi fiscale, peut à tout moment de la procédure, invoquer un nouveau motif de droit propre à justifier l'imposition, sous réserve qu'une telle substitution de base légale ne prive pas le contribuable d'une garantie de procédure attachée à la nouvelle base légale invoquée.

8. D'autre part, en cas d'acquisition par une société à un prix que les parties ont délibérément majoré par rapport à la valeur vénale de l'objet de la transaction, ou, s'il s'agit d'une vente, délibérément minoré, sans que cet écart de prix comporte de contrepartie, l'avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au sens des dispositions du c) de l'article 111 du code général des impôts, alors même que l'opération est portée en comptabilité et y est assortie de toutes les justifications concernant son objet et l'identité du co-contractant, dès lors que cette comptabilisation ne révèle pas, par elle-même, la libéralité en cause. La preuve d'une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé, d'autre part, d'une intention, pour la société, d'octroyer, et, pour le co-contractant, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession.

9. Enfin, aux termes de l'article 39 du code général des impôts, rendu applicable à l'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". En vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des créances de tiers, amortissements, provisions et charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts, que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. En ce qui concerne les charges, le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.

10. Il résulte de l'instruction que la société FC2I, qui appartient au même groupe que la société Stream Part, a facturé à cette société des missions de prestations de prospection commerciale internationale et assistance technique, des prestations d'intermédiation pour la vente du logiciel Teamquest et des prestations de suivi et d'analyse financières. Pour justifier du caractère déductible de ces charges, la société Stream Part produit les factures émises par la société FC2I, ainsi que les contrats conclus avec cette société et précise que la société FC2I a sous-traité l'ensemble de ces prestations à différentes personnes qu'elle identifie. L'administration fiscale conteste toutefois l'existence d'une activité économique réelle de la société FC2I, en faisant valoir qu'il ressort des pièces saisies lors d'une procédure de visite et de saisie diligentée selon la procédure prévue à l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, que la société FC2I ne dispose d'aucun personnel, ni d'aucun moyen matériel au Luxembourg, et que son adresse n'est qu'une domiciliation commerciale où sont recensées 68 sociétés. La société Stream Part admet que la société FC2I ne dispose d'aucun personnel, mais affirme qu'elle a une existence réelle, ainsi qu'en attestent ses bilans comptables des années 2008 à 2010 déposés auprès du greffe du tribunal de commerce de Luxembourg, ses comptes-rendus d'assemblée générale et son compte bancaire. La société Stream Part précise en outre que la société FC2I est une société holding dont les revenus proviennent de ses participations dans ses filiales et des prestations qu'elle rend à ces dernières. La société Stream Part précise enfin que la gestion administrative de la société FC2I est assurée par son conseil d'administration et que sa gestion comptable est sous-traitée à un cabinet d'expertise-comptable. L'administration fiscale relève que les documents comptables versés au dossier ne permettent pas d'identifier les moyens humains utilisés pour sélectionner les sous-traitants. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que si la société FC2I a bien une existence juridique, l'existence d'une activité économique réelle n'est pas établie faute de moyens humains. La société Stream Part n'apporte donc pas la preuve du principe même de la déductibilité des sommes litigieuses.

11. Il résulte de ce qui précède que, du fait de l'absence de contreparties aux sommes versées par la société Coraud à la société FC2I et de la communauté d'intérêts existant entre les deux sociétés à raison de leurs liens capitalistiques, l'administration établit l'intention pour la société Coraud, d'octroyer, et, pour la société FC2I, de recevoir, une libéralité. Cette libéralité représente un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au profit de la société FC2I au sens des dispositions précitées du c) de l'article 111 du code général des impôts, susceptible de faire l'objet, en application du 2 de l'article 119 bis précité du même code, d'une retenue à la source. Si la société Stream Part soutient que les sommes versées par la société FC2I à la société Hazelwood Inc. s'inscrivent dans le cadre d'une convention de trésorerie et correspondent à une réelle prestation de service, cette circonstance, à la supposer établie, est toutefois est sans incidence sur l'application du 2 de l'article 119 bis dans sa version applicable au litige.

12. La substitution de base légale invoquée par le ministre ne privant la société Stream Part d'aucune des garanties de procédure prévues par la loi, il y a lieu d'y faire droit.

Sur la majoration pour manoeuvres frauduleuses :

13. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : (...) c. 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses (...) ". Aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors applicable : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ".

14. Il résulte de l'instruction que la proposition de rectification adressée à la société requérante le 19 décembre 2011 vise l'article 1729 du code général des impôts. Elle précise en outre que la société Coraud a sciemment comptabilisé en charges des factures de prestations de services émises par la société FC2I, alors qu'elle ne pouvait ignorer que ces factures étaient dépourvues de contrepartie. Elle indique que les flux financiers ainsi versés par la société Coraud à la société FC2I étaient ensuite destinés à la société Hazelwood Services Inc. située au Belize, dont l'administrateur est également actionnaire ou dirigeant des sociétés FC2I et Coraud, et que ces agissements n'ont pu intervenir qu'en raison des liens d'intérêts unissant les intervenants. Ainsi, la proposition de rectification contestée énonce les considérations de droit et de fait qui fondent les pénalités mises à la charge de la société requérante. Le moyen tiré de ce que la majoration de 80 % mise à sa charge ne serait pas motivée doit, par suite, être écarté.

15. En outre, le ministre a apporté la preuve d'agissements de la société Stream Part destinés à égarer l'administration fiscale dans l'exercice de son pouvoir de contrôle en relevant l'absence d'activité économique de la société FC2I située au Luxembourg et qu'en comptabilisant les factures émises par celle-ci, la société Stream Part a artificiellement réduit son bénéfice imposable en France en majorant indûment ces charges.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la société Stream Part n'est pas fondée à demander la décharge des rappels de retenus à la source mis à sa charge au titre de l'année 2008 et des pénalités correspondantes.

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, verse à la société Stream Part la somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er: Le jugement du Tribunal administratif de Montreuil n° 1701913 du 26 novembre 2018 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Stream Part devant le Tribunal administratif de Montreuil est rejetée.

N° 19VE00308


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 19VE00308
Date de la décision : 22/04/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Impôt sur le revenu - Cotisations d`IR mises à la charge de personnes morales ou de tiers - Retenues à la source.

Procédure - Pouvoirs et devoirs du juge - Questions générales - Moyens - Moyens d'ordre public à soulever d'office - Existence - Champ d'application de la loi.


Composition du Tribunal
Président : M. EVEN
Rapporteur ?: M. Nicolas TRONEL
Rapporteur public ?: Mme DANIELIAN
Avocat(s) : CABINET SCP CANIS LE VAILLANT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2020-04-22;19ve00308 ?
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