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25/07/2019 | FRANCE | N°18VE04174

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 25 juillet 2019, 18VE04174


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Commerzbank AG a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés mise à sa charge au titre des années 2011, 2012 et 2013.

Par un jugement nos 1311730, 1408662 du 1er juin 2015, le Tribunal administratif de Montreuil, a accordé à la société Commerzbank AG la décharge sollicitée et rejeté le surplus de la demande concernant le versement des intérêts moratoires de l'article L. 208 du livre des

procédures fiscales.

Par un arrêt n° 15VE02400 du 3 novembre 2016, la Cour administr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Commerzbank AG a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la restitution de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés mise à sa charge au titre des années 2011, 2012 et 2013.

Par un jugement nos 1311730, 1408662 du 1er juin 2015, le Tribunal administratif de Montreuil, a accordé à la société Commerzbank AG la décharge sollicitée et rejeté le surplus de la demande concernant le versement des intérêts moratoires de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales.

Par un arrêt n° 15VE02400 du 3 novembre 2016, la Cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par le ministre des finances et des comptes publics contre ce jugement.

Par une décision n° 406086 du 14 décembre 2018, le Conseil d'État a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la Cour.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 22 juillet 2015 sous le n° 15VE02400 et, après cassation et renvoi, par un mémoire enregistré le 29 janvier 2019, le MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement en ce qu'il a déchargé la société Commerzbank AG de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2011, 2012 et 2013 ;

2° de remettre à la charge de la société Commerzbank AG, les impositions dont la décharge a été prononcée par le Tribunal administratif de Montreuil à concurrence des sommes respectives de 67 790 euros, 212 820 euros et 536 290 euros.

Il soutient que :

- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'administration ne fondait pas les impositions litigieuses sur sa propre doctrine ; l'administration s'est efforcée de démontrer que les dispositions de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts devaient conduire à prendre en compte le chiffre d'affaires mondial du contribuable, sans qu'y fassent obstacle les règles de territorialité prévues au I de l'article 209 du code même code, ni les stipulations de la convention fiscale franco-allemande ;

- le tribunal a commis une erreur de droit en estimant que le seuil de 250 millions d'euros de chiffre d'affaires prévu par l'article 235 ter ZAA du code général des impôts devait s'apprécier au niveau du seul établissement stable français de la société requérante et non au niveau de celui de son siège et de ses succursales étrangères ; ce texte en désignant comme redevables de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, les redevables de l'impôt sur les sociétés réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros fait référence, outre aux sociétés françaises, aux sociétés étrangères redevables de l'impôt sur les sociétés par l'intermédiaire de leur établissement stable ; pour déterminer si ces dernières sont assujetties à la contribution additionnelle, il convient donc de prendre en compte leur chiffre d'affaires total ; par suite, c'est au prix d'une erreur de droit que, s'agissant des sociétés étrangères, le tribunal a estimé que seul devait être pris en compte le chiffre d'affaires réalisé par leur établissement stable en France ;

- ni le I de l'article 209 du code général des impôts qui a seulement pour objet de préciser quels sont les bénéfices imposables à l'impôt sur les sociétés en France et non de déterminer le chiffre d'affaires à prendre en compte pour l'assujettissement à la contribution exceptionnelle, ni la convention fiscale franco-allemande du 21 juillet 1959 qui ne traite que de la notion d'imposition en France d'une société étrangère sur son seul bénéfice réalisé en France par l'intermédiaire d'un établissement stable, et non de celle de chiffre d'affaires à prendre en compte pour la détermination des sociétés redevables de la contribution exceptionnelle, ne font obstacle à l'application du principe énoncé ci-dessus ;

- le Conseil d'État, dans sa décision rendue le 14 décembre 2018, a répondu, pour les écarter, aux moyens soulevés par la société Commerzbank AG tenant à la méconnaissance des dispositions du I de l'article 209 du code général des impôts et des stipulations de l'article 4 de la convention fiscale du 21 juillet 1959 entre la France et l'Allemagne, de même qu'à la demande de renvoi à la Cour de Justice de l'Union Européenne d'une question préjudicielle portant sur l'atteinte à la liberté d'établissement découlant de l'interprétation faite de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts ; ces moyens, présentés devant les premiers juges, devront donc être écartés ;

- le moyen tiré de l'illégalité de la doctrine administrative doit être écarté au regard de l'arrêt du Conseil d'État du 29 mars 2017 n° 402162.

..........................................................................................................

Elle fait valoir que :

- le jugement est suffisamment motivé ;

- c'est à bon droit que le Tribunal administratif de Montreuil a décidé que, pour l'appréciation du champ d'application de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, il convenait de se référer au seul chiffre d'affaires réalisé en France par son établissement stable qui est inférieur au seuil de 250 millions d'euros et non à l'ensemble du chiffre d'affaires qu'elle réalise en France et à l'étranger ;

- le législateur, ainsi que le confirment les travaux parlementaires, n'a pas entendu inclure dans le champ d'application de cette contribution les sociétés étrangères réalisant en France un chiffre d'affaires inférieur à 250 millions d'euros, contrairement à ce qu'a jugé le Conseil d'État dans son arrêt du 14 décembre 2018 ; le ministre a adopté une position contraire à celle qu'il défend désormais pour la création, en 2017, des contributions exceptionnelles et additionnelles à l'impôt sur les sociétés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment ses articles 49

et 54 ;

- la convention signée le 21 juillet 1959 entre la République française et la république fédérale d'Allemagne en vue d'éviter les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance administrative et juridique réciproques en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ainsi qu'en matière de contribution des patentes et de contributions foncières ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Ribeiro-Mengoli,

- les conclusions de M. Huon, rapporteur public,

- et les observations de Me A...pour la société Commerzbank AG.

Considérant ce qui suit :

1. La société de droit allemand Commerzbank AG , qui exerce une activité bancaire, a été assujettie au titre des années 2011, 2012 et 2013 à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés prévue par l'article 235 ter ZAA du code général des impôts. Par un arrêt du 3 novembre 2016 la Cour a rejeté l'appel que le ministre de l'économie et finances avait formé contre le jugement du 1er juin 2015 du Tribunal administratif de Montreuil ayant fait droit aux demandes de décharge présentées par la société Commerzbank AG. Par une décision du 14 décembre 2018, le Conseil d'État a annulé cet arrêt et renvoyé l'appel du MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS devant la Cour.

2. Aux termes du I de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts dans sa rédaction applicable aux exercices en litige : " Les redevables de l'impôt sur les sociétés réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros sont assujettis à une contribution exceptionnelle égale à une fraction de cet impôt calculé sur leurs résultats imposables aux taux mentionnés à l'article 209, des exercices clos à compter du 31 décembre 2011 et jusqu'au 30 décembre 2013. / (...) / Le chiffre d'affaires mentionné au premier alinéa du présent I s'entend du chiffre d'affaires réalisé par le redevable au cours de l'exercice ou de la période d'imposition, ramené à douze mois le cas échéant, et pour la société mère d'un groupe mentionné à l'article 223 A, de la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe ". Aux termes du premier alinéa du I de l'article 209 du même code : " (...) les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...)ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions ". Aux termes de l'article 4 de la convention susvisée conclue entre la France et l'Allemagne le 21 juillet 1959 : " 1. Les bénéfices d'une entreprise de l'un des Etats contractants ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'effectue des opérations commerciales dans l'autre Etat par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise effectue de telles opérations commerciales, l'impôt peut être perçu sur les bénéfices de l'entreprise dans l'autre Etat, mais uniquement dans la mesure où ces bénéfices peuvent être attribués audit établissement stable. Cette fraction des bénéfices n'est pas imposable dans le premier mentionné des Etats contractants (...) ".

3. En application de l'article 235 ter ZAA précité, l'assujettissement à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés repose sur la qualité de redevable de l'impôt sur les sociétés et sur la réalisation d'un chiffre d'affaires annuel d'au moins

250 millions d'euros. Si la territorialité de l'impôt sur les sociétés résultant de l'article 209 du code général des impôts limite les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés à ceux réalisés en France, sous réserve des stipulations des conventions internationales relatives aux doubles impositions, elle n'a ni pour objet ni pour effet de limiter le chiffre d'affaires pris en compte pour apprécier le seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle à celui réalisé en France. La société Commerzbank AG ne saurait se prévaloir utilement de la position qui aurait été adoptée sur la notion de redevable en 2017, par le ministre, pour d'autres contributions. Par suite, le MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil, après avoir jugé que, pour l'application de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts, il y avait lieu de ne retenir que le seul chiffre d'affaires qui se rattache aux bénéfices soumis en France à l'impôt sur les sociétés, a prononcé la restitution de cette contribution.

4. Il appartient toutefois à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Commerzbank AG devant le tribunal administratif et devant elle.

5. D'une part, l'imposition litigieuse ayant été établie, ainsi qu'il vient d'être dit, conformément à la loi, le moyen soulevé par la société Commerzbank tiré de ce que l'administration se serait à tort fondée sur une doctrine illégale ne peut qu'être écarté.

6. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un Etat membre ". Aux termes du premier alinéa de l'article 54 du même traité : " Les sociétés constituées en conformité de la législation d'un Etat membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union sont assimilées, pour l'application des dispositions du présent chapitre, aux personnes physiques ressortissantes des Etats membres ". Le principe de liberté d'établissement, qui en découle, s'oppose à l'application de toute réglementation nationale qui, en restreignant la possibilité pour les opérateurs économiques établis dans un État membre de choisir librement la forme juridique appropriée pour l'exercice de leurs activités dans un autre État membre, interdit, gêne ou rend moins attrayant l'exercice de la liberté d'établissement.

7. La société Commerzbank AG soutient que le principe de liberté d'établissement implique que l'établissement stable français d'une société étrangère et la société française filiale d'une société étrangère soient traités de manière identique et qu'en retenant, pour apprécier le seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle, le chiffre d'affaires de la société étrangère dans le premier cas et celui de la société française dans le second cas, les dispositions de l'article 235 ter ZAA du code général des impôts sont à l'origine d'une différence de traitement entre l'établissement stable et la filiale d'une société étrangère et, par suite, d'une restriction à la liberté d'établissement compromettant le principe de libre choix de la forme juridique de son établissement secondaire par une société.

8. Toutefois, les dispositions de l'article 235 ter ZAA, dont l'objectif est de soumettre, à titre exceptionnel, les grandes entreprises à une contribution supplémentaire compte tenu de leurs capacités contributives plus fortes, ne méconnaissent pas la liberté d'établissement garantie par les stipulations des articles 49 et 54 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dès lors, d'une part, qu'une société établie dans un autre État membre ayant une filiale ou une succursale en France est traitée de manière identique à une société établie en France ayant une filiale ou une succursale en France ou dans un autre État membre et, d'autre part, contrairement à ce que soutient la société en défense, que l'existence d'une différence entre les chiffres d'affaires à prendre en compte pour l'appréciation du seul seuil d'assujettissement à cette contribution, et non pour la détermination de son assiette, selon que les sociétés étrangères exercent des activités en France dans le cadre d'une succursale ou dans le cadre d'une filiale qui est la conséquence nécessaire de l'absence de personnalité propre de la succursale ne constitue pas, par elle-même, une entrave à la liberté d'établissement.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué, que le MINISTRE DE L'ACTION ET DES COMPTES PUBLICS est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a déchargé la société Commerzbank AG de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013. Par voie de conséquence, il y a également lieu de rejeter les conclusions de la société Commerzbank AG tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement nos 1311730, 1408662 du 1er juin 2015 du Tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : Les impositions dont le Tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge par le jugement précité sont remises à la charge de la société Commerzbank AG.

Article 3 : Les conclusions en appel de la société Commerzbank AG sont rejetées.

N°18VE04174 6


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18VE04174
Date de la décision : 25/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-05 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Règles générales. Impôts et prélèvements divers sur les bénéfices.


Composition du Tribunal
Président : M. BRESSE
Rapporteur ?: Mme Nathalie RIBEIRO-MENGOLI
Rapporteur public ?: M. HUON
Avocat(s) : SEP DOLFI MISSIKA MINCHELLA SICSIC ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 06/08/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2019-07-25;18ve04174 ?
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