La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/03/2019 | FRANCE | N°17VE00442

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 26 mars 2019, 17VE00442


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société DEUTSCHE BANK AG a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale sur cet impôt et des intérêts de retard mis à sa charge au titre de l'exercice clos en 2010, à hauteur de la somme de 69 953 283 euros.

Par un jugement n° 1506591 du 15 décembre 2016, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mém

oire, enregistrés les 10 février 2017 et 4 décembre 2017,

la société DEUTSCHE BANK AG, représenté...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société DEUTSCHE BANK AG a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale sur cet impôt et des intérêts de retard mis à sa charge au titre de l'exercice clos en 2010, à hauteur de la somme de 69 953 283 euros.

Par un jugement n° 1506591 du 15 décembre 2016, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 février 2017 et 4 décembre 2017,

la société DEUTSCHE BANK AG, représentée par Me B...et MeA..., avocats, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de prononcer la décharge de ces impositions ;

3° de mettre à la charge de l'État la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'exclusion des primes payées au titre des contrats d'option, pour le calcul des " gains non encore imposés " au sens des dispositions du 3° du 6 de l'article 38 du code général des impôts, constitue une violation de ces dispositions qui limitent la déduction de certaines pertes par référence aux " gains non encore imposés " et non par rapport aux variations de valeur ;

- une telle exclusion aboutit à un résultat absurde économiquement, la position de l'administration revenant à refuser la déduction d'une provision, économiquement justifiée, au prétexte d'un gain futur, alors même que ce gain futur n'existe ni d'un point de vue économique ni d'un point de vue fiscal ;

- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, la notion de perte implique d'établir un bilan prévisionnel, décliné opération par opération pour respecter les dispositions du 3° du 6 de l'article 38 du code général des impôts et intégrant les coûts, lesquels correspondent, dans le cas d'une option, aux primes payées ;

- la doctrine administrative elle-même intègre le montant de la prime pour déterminer les gains ou les pertes sur les contrats d'option ;

- l'interprétation faite par le tribunal des travaux parlementaires constitue une dénaturation délibérée de ces documents ;

- les références au traitement comptable constituent une violation de la jurisprudence du Conseil d'État s'agissant d'appliquer des dispositions anti-abus dont la portée est exclusivement fiscale.

.........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Ribeiro-Mengoli,

- et les conclusions de M. Huon, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société DEUTSCHE BANK AG est la société mère d'un groupe fiscalement intégré comprenant la société Deutsche Friedland SAS. Cette dernière réalise une activité d'arbitrage financier dans le cadre de laquelle elle est amenée à détenir des actions et leurs dérivés, caractérisant des positions symétriques au sens du 3° du 6 de l'article 38 du code général des impôts aux termes duquel la perte sur une position symétrique n'est déductible du résultat imposable que pour la partie qui excède les gains non encore imposés sur les positions prises en sens inverse. A l'issue d'une vérification de comptabilité, le service a remis en cause le calcul fait par la société Deutsche Friedland SAS du montant des pertes déductibles sur de telles positions en ce qu'elle a pris en compte, pour le calcul des gains non encore imposés sur les positions prises en sens inverse, le montant des primes versées lors de la souscription des contrats d'option. Le service a ainsi remis en cause la déduction extra comptable d'une provision pour pertes latentes d'un montant de 250 738 449 euros au titre de l'exercice clos en 2010 et sa réintégration au titre de l'exercice suivant. La société DEUTSCHE BANK AG fait appel du jugement du Tribunal administratif de Montreuil ayant rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale sur cet impôt et des intérêts de retard mis à sa charge, à l'issue de ce contrôle, au titre de l'exercice clos en 2010, à hauteur de la somme de 69 953 283 euros.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 38 du code général des impôts : " 1. (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation. 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés (...). 6. 1° Par exception aux 1 et 2, le profit ou la perte résultant de l'exécution de contrats à terme d'instruments financiers en cours à la clôture de l'exercice est compris dans les résultats de cet exercice ; il est déterminé d'après le cours constaté au jour de la clôture sur le marché sur lequel le contrat a été conclu. (...) 3° Lorsqu'une entreprise a pris des positions symétriques, la perte sur une de ces positions n'est déductible du résultat imposable que pour la partie qui excède les gains non encore imposés sur les positions prises en sens inverse. / Pour l'application de ces dispositions, une position s'entend de la détention, directe ou indirecte, de contrats à terme d'instruments financiers, de valeurs mobilières, de devises, de titres de créances négociables, de prêts ou d'emprunts ou d'un engagement portant sur ces éléments. / Des positions sont qualifiées de symétriques si leurs valeurs ou leurs rendements subissent des variations corrélées telles que le risque de variation de valeur ou de rendement de l'une d'elles est compensé par une autre position, sans qu'il soit nécessaire que les positions concernées soient de même nature ou prises sur la même place, ou qu'elles aient la même durée. / Les positions symétriques prises au cours de l'exercice et celles qui sont en cours à la clôture doivent être mentionnées sur un document annexé à la déclaration de résultats de l'exercice. A défaut, la perte sur une position n'est pas déductible du résultat imposable. ".

3. Les dispositions susvisées du premier alinéa du 3° du 6 de l'article 38 du code général des impôts plafonnent la déduction du résultat imposable des pertes latentes en cas de prise de position symétrique à " la partie qui excède les gains non encore imposés sur les positions prises en sens inverse ", les positions étant qualifiées de symétriques si, aux termes du troisième alinéa de ce même article, " leurs valeurs ou leurs rendements subissent des variations corrélées telles que le risque de variation de valeur ou de rendement de l'une d'elles est compensé par une autre position ". La prime d'option prévue lors de la souscription du contrat d'option, à laquelle le prix d'exercice fixé par le contrat d'option est nécessairement lié, constitue une composante de ce contrat. Il ne ressort pas des dispositions susvisées que la prime d'option, ne saurait être prise en compte pour le calcul de ce plafond de déduction des pertes latentes. Si l'administration fiscale fait, certes, valoir que cette prime ne subit aucune variation de valeur au sens du troisième alinéa du 3° du 6 de l'article 38 du code général des impôts, cette circonstance ne saurait être déterminante sur la détermination du gain résultant d'une position boursière au sens du premier alinéa de ce 3°. Ainsi, en l'absence de toute autre précision, le calcul des " gains non encore imposés " prévu au premier alinéa du 3° du 6 de l'article 38, qui n'est qu'une anticipation du gain futur qui sera réalisé lors du débouclage de l'opération, conduit à déterminer un gain net et doit ainsi prendre en compte l'ensemble des coûts de l'opération et notamment les primes versées lors de la souscription des contrats d'option, quand bien même le débouclage de l'opération financière concernée n'intervient que postérieurement à la clôture de l'exercice au cours duquel le gain ou la perte latente est constaté.

4. En second lieu, l'article 38 quater de l'annexe III au code général des impôts dispose : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt ".

5. Si la société DEUTSCHE BANK AG a enregistré dans deux comptes distincts, conformément à l'article 372-2 du Plan comptable général, d'une part, les variations de valeur afférentes aux prises de position symétriques, sans prendre en compte le montant des primes d'option pour le calcul de ces variations et, d'autre part, les primes d'option, qui ont été comptabilisées en charges pour leur montant couru, il résulte de ce qui a été dit au point 3. que les dispositions du 3° du 6 de l'article 38 du code général des impôts impliquent nécessairement de s'écarter des règles comptables et donc de procéder à des ajustements extra-comptables permettant de respecter la règle fiscale. Dans ces conditions, le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à se prévaloir des dispositions susvisées de l'article 38 quater de l'annexe III au code général des impôts.

6. Il en résulte de tout ce qui précède que la société DEUTSCHE BANK AG est fondée à soutenir que c'est à tort que le service a remis en cause, pour le calcul des pertes déductibles du résultat imposable au titre de l'exercice de l'année 2010, la prise en compte des primes versées lors de la souscription des contrats d'options et que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

Sur les conclusions de la société DEUTSCHE BANK AG tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y pas lieu à cette condamnation ".

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le paiement à la société DEUTSCHE BANK AG d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1506591 du 15 décembre 2016 du Tribunal administratif de Montreuil est annulé.

Article 2 : Les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés et aux contributions additionnelles à cet impôt de la société DEUTSCHE BANK AG au titre de l'année 2010 sont réduites à hauteur de la somme de 250 738 449 euros.

Article 3 : La société DEUTSCHE BANK AG est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale sur cet impôt et des intérêts de retard mis à sa charge au titre de l'exercice clos en 2010, en conséquence de la réduction de bases ci-dessus.

Article 4 : L'État versera à la société DEUTSCHE BANK AG la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2

N° 17VE00442


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17VE00442
Date de la décision : 26/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-01-04 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. Bénéfices industriels et commerciaux. Détermination du bénéfice net.


Composition du Tribunal
Président : M. BRESSE
Rapporteur ?: Mme Nathalie RIBEIRO-MENGOLI
Rapporteur public ?: M. HUON
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2019-03-26;17ve00442 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award