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24/07/2018 | FRANCE | N°17VE00190

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 24 juillet 2018, 17VE00190


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) STRAT JLF a demandé au Tribunal administratif de Versailles de prononcer la restitution des créances de crédit d'impôt pour dépenses de recherche dont elle estime pouvoir bénéficier au titre des années 2008, 2009 et 2010, à hauteur des sommes respectives de 93 436 euros, 83 010 euros et 23 468 euros.

Par un jugement n° 1301223 du 18 novembre 2016, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la

Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 janvier et 17 novembre 2017, l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) STRAT JLF a demandé au Tribunal administratif de Versailles de prononcer la restitution des créances de crédit d'impôt pour dépenses de recherche dont elle estime pouvoir bénéficier au titre des années 2008, 2009 et 2010, à hauteur des sommes respectives de 93 436 euros, 83 010 euros et 23 468 euros.

Par un jugement n° 1301223 du 18 novembre 2016, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 janvier et 17 novembre 2017, l'EURL STRAT JLF, représentée par Me Bonin, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de prononcer la restitution des créances de crédit d'impôt litigieuses ;

3° subsidiairement, d'ordonner la tenue d'un entretien contradictoire avec l'expert désigné par le ministre chargé de la recherche en vertu de l'article L. 45 B du livre des procédures fiscales ou, à défaut, de désigner, sur le fondement des dispositions de l'article R. 621-1 du code de justice administrative, un expert qui sera chargé d'apprécier l'éligibilité des dépenses exposées par la société au crédit d'impôt pour dépenses de recherche au titre des années en cause ;

4° de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué a été rendu en méconnaissance du principe du contradictoire, en ce que le tribunal administratif s'est notamment fondé sur une contre-expertise du 26 juin 2013 réalisée à la demande de l'administration fiscale par un expert désigné par le ministre chargé de la recherche, et qui n'a donné lieu à aucun débat contradictoire avec la société ;

- elle n'a pas bénéficié, en dépit de sa demande, d'un débat oral et contradictoire avec l'expert désigné par le ministre chargé de la recherche et dont les conclusions sur l'éligibilité des dépenses exposées par elle au titre des années 2008, 2009 et 2010 au titre du développement d'outils de mesure de la confiance au sein des entreprises ont conduit l'administration fiscale à lui refuser le remboursement du crédit d'impôt en cause ;

- l'administration fiscale ne peut adopter une position divergente en ce qui concerne son éligibilité au crédit d'impôt pour les dépenses de recherche et celles de la société Stratorg, dès lors qu'elles ont concouru ensemble, avec l'appui de six autres EURL, à la réalisation de l'outil de mesure du niveau de confiance interne aux entreprises dénommé " Six Mâts ", et que la société Stratorg a bénéficié du crédit d'impôt en cause ;

- la circonstance que M.A..., gérant de l'EURL STRAT JLF, soit également le président de la société Stratorg ne fait pas obstacle à ce qu'elle puisse bénéficier du crédit d'impôt recherche dès lors qu'il est constant que la société Stratorg n'a pas inclus les éventuelles rémunérations de M. A...au titre des travaux de recherche de ce dernier dans l'assiette du calcul de son crédit d'impôt pour les dépenses de recherche ; au demeurant, les rémunérations allouées aux dirigeants non salariés qui participent personnellement aux travaux de recherche de l'entreprise qu'ils dirigent peuvent être prises en compte dans l'assiette du calcul du crédit d'impôt recherche conformément aux commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-BIC-RIC-10-10-20-20 ou, à défaut, au rescrit à portée générale n° 2009/53 au 15 septembre 2009 ;

- les travaux des recherche menés par M. A...dans le cadre de l'EURL STRAT JLF, et qui ont trait à l'élaboration des concepts théoriques ayant permis le développement de l'outil de mesure de la confiance " Six Mâts " sont éligibles au crédit d'impôt pour dépenses de recherche à hauteur de 22,2% de son temps de travail annuel total pour les trois années en cause.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 12 septembre 2017 et 20 juin 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le moyen tiré de l'irrégularité du jugement de première instance est irrecevable en ce qu'il a été présenté après l'expiration du délai de recours ; il est, en tout état de cause, mal fondé puisque l'expertise litigieuse n'a pas été réalisée à la demande du tribunal administratif mais de l'administration, dans les conditions prévues par les articles L. 45 B et R. 45 B-1 du livre des procédures fiscales ;

- il n'existe aucune obligation pour l'expert désigné par le ministre de la recherche en vertu des dispositions des articles L. 45 B et R. 45 B-1 du livre des procédures fiscales d'engager un débat oral et contradictoire avec le contribuable ayant demandé le bénéfice du crédit d'impôt pour les dépenses de recherche ; il n'apparaît pas, au surplus, que l'expert aurait eu besoin d'informations complémentaires de la part de l'EURL STRAT JLF ou que celle-ci aurait effectivement demandé une entrevue avec cet expert ; la Cour appréciera s'il y a lieu de diligenter une nouvelle expertise sur le fondement des dispositions de l'article R. 621-1 du code de justice administrative pour la résolution du litige ;

- la réalisation de travaux conjointement avec d'autres entités s'avère sans incidence sur la solution du litige, dès lors que le bénéfice du crédit d'impôt en cause nécessite la justification de la réalisation effective et personnelle d'opérations de recherche par chacun des contribuables ;

- les travaux de M.A..., dirigeant de la société, ne constituent pas une opération de recherche éligible au crédit d'impôt pour les dépenses de recherche ; en outre, l'EURL STRAT JLF ne justifie pas de l'existence de travaux personnels de l'intéressé qui seraient distincts de ceux menés, notamment, par la société Stratorg, ni d'ailleurs de la fraction de son temps de travail qu'il aurait consacré à ces travaux ;

- l'EURL STRAT JLF ne peut utilement se prévaloir du bénéfice des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-BIC-RICI-10-20-20-20 n° 20150506 qu'elle invoque, celle-ci reprenant les termes du rescrit à portée générale n° 2014/02 du 4 avril 2014 qui est postérieur aux années au titre desquelles le bénéfice du crédit d'impôt pour dépenses de recherche est demandé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Livenais,

- les conclusions de M. Skzryerbak, rapporteur public ;

- et les observations de Me Bonin, avocat de l'EURL STRAT JLF.

1. Considérant que l'EURL STRAT JLF, qui exerce une activité de conseil en stratégie et en organisation des entreprises, a déposé le 23 décembre 2011 une déclaration spéciale modèle " 2069-A ", faisant ressortir à son profit un crédit d'impôt pour dépenses de recherche au titre des années 2008, 2009 et 2010 d'un montant total de 200 274 euros, correspondant à des travaux de recherche menés conjointement avec la société Stratorg, cabinet de conseil dont le dirigeant, M.A..., est également gérant de l'EURL STRAT JLF, et avec six autres EURL appartenant aux associés de la société Stratorg, et portant sur " le climat de confiance ", " le contrat invisible " et " la confiance dans l'entreprise : objectifs et performances " ainsi que sur le développement d'un outil de mesure du degré de confiance interne aux entreprises dénommé " Six Mâts " ; qu'elle a alors sollicité le remboursement du crédit d'impôt correspondant ; que, par décisions du 28 août 2012 et du 11 janvier 2013, l'administration fiscale a rejeté cette réclamation tendant à la restitution de créances de crédit d'impôt pour dépenses de recherche en cause ; que l'EURL STRAT JLF relève appel du jugement du 18 novembre 2016 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant au remboursement de ces créances ;

Sur la demande de restitution du crédit d'impôt litigieux :

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :

2. Considérant qu'aux termes du I. de l'article 244 quater B du code général des impôts : " Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A, 44 duodecies, 44 terdecies à 44 quindecies peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année " ; qu'aux termes de l'article 49 septies F de l'annexe III au même code : " Pour l'application des dispositions de l'article 244 quater B du code général des impôts, sont considérées comme opérations de recherche scientifique ou technique : (...) b. Les activités ayant le caractère de recherche appliquée qui visent à discerner les applications possibles des résultats d'une recherche fondamentale ou à trouver des solutions nouvelles permettant à l'entreprise d'atteindre un objectif déterminé choisi à l'avance. Le résultat d'une recherche appliquée consiste en un modèle probatoire de produit, d'opération ou de méthode ; (...) c. Les activités ayant le caractère d'opérations de développement expérimental effectuées, au moyen de prototypes ou d'installations pilotes, dans le but de réunir toutes les informations nécessaires pour fournir les éléments techniques des décisions, en vue de la production de nouveaux matériaux, dispositifs, produits, procédés, systèmes, services ou en vue de leur amélioration substantielle (...) " ;

3. Considérant que, sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si les opérations réalisées par le contribuable entrent dans le champ d'application du crédit d'impôt pour les dépenses de recherche, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles elles sont effectuées ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'objectif des recherches menées par M.A..., ès qualités de gérant de l'EURL STRAT JLF, conjointement avec la société Stratorg et les six autres EURL participant à ce projet était de développer, dans le cadre des trois projets de recherche portant sur la confiance au sein des entreprises, un outil de mesure du degré de confiance interne existant au sein des entreprises en vue de permettre à ces dernières de piloter, notamment, leurs opérations de réorganisation interne, dénommé " Six Mâts " ;

5. Considérant, d'une part, que, comme le relève sans être contredite la société requérante, l'administration fiscale a admis l'éligibilité au crédit d'impôt en faveur de la recherche des dépenses exposées pour le développement de l'outil " Six Mâts " par la société Stratorg et par les six autres EURL ayant participé aux recherches permettant ce développement ; que l'outil théorique de gestion interne des entreprises en cause doit donc être regardé comme le produit d'une opération de recherche, au sens de l'article 49 septies F de l'annexe III au code général des impôts ;

6. Considérant, d'autre part, que l'EURL STRAT JLF produit des éléments précis permettant d'établir la nature d'opération de recherche que revêtent spécifiquement les travaux menés personnellement par M. A...dans le cadre de l'outil " Six mâts " ainsi que le volume de son activité consacrée à ces travaux ; qu'au nombre de ces éléments figure, notamment, un descriptif circonstancié des étapes de collecte des données de travail, de traitement de celles-ci, et de définition des concepts fondamentaux déterminant les objectifs et les principales caractéristiques de l'outil en cause auxquelles s'est livré M.A..., seul spécialiste au sein de l'équipe de recherche de la notion de confiance au sein des organisations industrielles, ainsi que du temps consacré par ce dernier à la réalisation de chacune de ces étapes ; qu'en outre, et dès lors qu'il résulte également de l'instruction que la société Stratorg n'a déclaré, pour l'évaluation de son propre crédit d'impôt pour les dépenses de recherche, aucune dépense qui aurait correspondu à la rémunération de M.A..., agissant en qualité de président de cette société, à raison des travaux de recherche que celui-ci a conduit dans le cadre du développement de l'outil de gestion interne des entreprises en cause, celui-ci doit être regardé comme ayant accompli des travaux de recherche dans le seul cadre de l'EURL STRAT JLF ; qu'enfin, l'administration fiscale ne fait état d'aucun élément qui serait de nature à remettre en cause le montant des dépenses engagées par l'EURL STRAT JLF pour la réalisation de ses opérations de recherche, constituées exclusivement par une fraction, évaluée à 22 %, de la rémunération annuelle servie à son gérant ; que, dans ces conditions, l'EURL STRAT JLF est fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration fiscale a refusé de lui accorder le bénéfice du crédit d'impôt pour dépenses de recherche prévu par l'article 244 quater B du code général des impôts au titre de la fraction précitée de la rémunération annuelle versée à M. A...au titre des années 2008, 2009 et 2010 ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ou d'ordonner la tenue d'une expertise ou d'un entretien contradictoire entre l'EURL STRAT JLF et l'expert du ministre chargé de la recherche, que la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de jsutice administrative :

8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 000 euros à l'EURL STRAT JLF au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1301223 du 18 novembre 2016 du Tribunal administratif de Versailles est annulé.

Article 2 : Il est accordé à l'EURL STRAT JLF la restitution de créances de crédit d'impôt sur les dépenses de recherche à hauteur des sommes respectives de 93 436 euros au titre de l'année 2008, de 83 010 euros au titre de l'année 2009 et de 23 468 euros au titre de l'année 2010.

Article 3 : L'Etat versera à l'EURL STRAT JLF une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de l'EURL STRAT JLF est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL STRAT JLF et au ministre de l'action et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 3 juillet 2018, à laquelle siégeaient :

M. Bresse, président de chambre,

M. Livenais, président assesseur,

M. Huon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 juillet 2018.

Le rapporteur,

Y. LIVENAISLe président,

P. BRESSELe greffier,

A. FOULON

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

Le greffier,

6

N° 17VE00190


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17VE00190
Date de la décision : 24/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-01-08-01-01 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. Bénéfices industriels et commerciaux. Calcul de l'impôt.


Composition du Tribunal
Président : M. BRESSE
Rapporteur ?: M. Yann LIVENAIS
Rapporteur public ?: M. SKZRYERBAK
Avocat(s) : SELARL ERIC BONIN

Origine de la décision
Date de l'import : 31/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2018-07-24;17ve00190 ?
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