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12/06/2018 | FRANCE | N°15VE01065

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 4ème chambre, 12 juin 2018, 15VE01065


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...E...née D...et M. A...D..., reprenant l'instance engagée par leur frère M. C...D..., ont demandé au Tribunal administratif de Paris, lequel a transmis la demande au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, après avoir désigné un expert, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser la somme de 331 386,71 au titre du préjudice subi par leur frère et de déclarer l'Assistance Publique -Hôpitau

x de Paris (AP-HP) responsable du défaut d'information préalable de leur frè...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...E...née D...et M. A...D..., reprenant l'instance engagée par leur frère M. C...D..., ont demandé au Tribunal administratif de Paris, lequel a transmis la demande au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, après avoir désigné un expert, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser la somme de 331 386,71 au titre du préjudice subi par leur frère et de déclarer l'Assistance Publique -Hôpitaux de Paris (AP-HP) responsable du défaut d'information préalable de leur frère Georges D...et de l'indemniser du préjudice d'impréparation subi par ce dernier.

Par un jugement n° 1200249 du 12 février 2015, Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté cette demande et mis les frais d'expertise à la charge de Mme E...et M.D....

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 8 avril 2015, Mme E...et M. D...représentés par la SELARL Coubris, Courtois et Associés, avocats, demandent à la Cour :

1° de réformer le jugement dans toutes ses dispositions leur faisant grief ;

2° de déclarer l'ONIAM tenu à l'indemnisation des préjudices résultant pour M. C... D...de l'accident médical non fautif dont il a été victime le 6 juillet 2009 ;

3° de déclarer l'AP-HP responsable du défaut d'information préalable à l'intervention du 6 juillet 2009 et tenu d'indemniser le préjudice d'impréparation qui en est résulté pour M. C...D... ;

4° en conséquence, de condamner l'ONIAM à leur verser :

- une somme de 185 950, 71 euros au titre des frais divers ;

- une somme de 31 492, 92 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels ;

- une somme de 35 436 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

- une somme de 50 000 euros au titre des souffrances endurées ;

- une somme de 50 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;

5° de condamner l'AP-HP à leur verser une somme de 10 000 euros au titre du préjudice d'impréparation ;

6° d'assortir ces sommes des intérêts de droit y afférant à compter du jour de la présentation de leur recours amiable ;

7° de mettre à la charge des défendeurs le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens de l'instance.

Ils soutiennent que :

- l'accident survenu et les dommages qui en ont résulté s'inscrivent dans le cadre d'un acte de soins au sens des dispositions de l'article L. 1142-1 II du code de la santé publique ;

- s'agissant du caractère de gravité, au jour du décès du requérant, les séquelles de la paraplégie imputable à l'accident occasionnaient un déficit fonctionnel temporaire de 80% depuis le mois de juillet 2009 ; ce caractère de gravité permet une prise en charge des conséquences de cet accident au titre de la solidarité nationale ;

- s'agissant de l'anormalité du dommage, la paraplégie du patient a été causée par la procédure d'embolisation de la tumeur ; l'embolisation d'une artère irrigant la moelle épinière n'était pas nécessaire à l'exérèse de la tumeur ;

- il appartenait au tribunal administratif de rechercher si la survenue du dommage présentait une probabilité faible dans les conditions dans lesquelles il a été accompli ; tel est le cas en l'espèce ; la fragilité de la moelle et sa vascularisation maximum dans la zone de la tumeur n'est pas en cause dans la réalisation du dommage ; l'embolisation de l'artère d'Adamkiewicz n'est due qu'au fait que cette artère n'avait pas été visualisée sur la cartographie réalisée dans le cadre de cette intervention ;

- M. D...n'a pas été informé du risque auquel il se trouvait exposé de devenir paraplégique à l'issue de l'intervention ; le patient n'a pas été préparé à l'éventualité d'une paraplégie à l'issue de l'embolisation ; le délai de prise en charge laissait aux praticiens le temps d'informer le patient sur les risques encourus ; la charge de la preuve pèse sur le centre hospitalier ; le tribunal administratif a inversé la charge de la preuve en considérant qu'il n'existait pas dans le dossier de document établissant le refus par le patient des modalités thérapeutiques ;

- il en résulte :

o s'agissant des préjudices patrimoniaux :

- un préjudice de dépenses de santé correspondant aux frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation avancés par la caisse primaire d'assurance maladie ;

- un préjudice de frais d'assistance par une tierce personne à raison de 185 950, 71 euros ;

- un préjudice de perte de gains professionnels, M. D...ayant dû cesser son activité professionnelle à hauteur de 31 412, 92 euros ;

o s'agissant des préjudices extra-patrimoniaux :

- un déficit fonctionnel temporaire : il y a lieu d'intégrer la période du 28 avril 2010 au 28 juin 2010 au titre du déficit fonctionnel total et la période du 29 juin 2010 au 22 décembre 2010 au titre du déficit fonctionnel partiel ; cette dernière période pourrait être évaluée de la même manière que le déficit fonctionnel postérieur au 16 avril 2011 puisque M. D...se trouvait dans une situation similaire ; le déficit fonctionnel partiel doit être évalué sur la base d'un taux de déficit de 80% ; le forfait journalier relatif au déficit fonctionnel temporaire doit être évalué sur la base de 30 euros par jour ; ce poste de préjudice doit donc être évalué à la somme de 35 436 euros ;

- les souffrances endurées estimées à 6/7 par l'expert doivent être indemnisées à hauteur de 50 000 euros ;

- le préjudice d'impréparation doit être indemnisé à hauteur de 10 000 euros ;

- le préjudice esthétique temporaire, estimé à 6/7 par l'expert, dit être indemnisé à hauteur de 50 000 euros.

..................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lepetit-Collin,

- et les conclusions de Mme Rollet-Perraud, rapporteur public.

1. Considérant qu'en 2009, alors que M. C...D...se plaignait de douleurs lombaires, des radiographies du rachis ont permis de découvrir une lésion lytique de la première vertèbre lombaire ; que M. D...a alors été adressé aux urgences de l'hôpital Tenon où une IRM a permis de constater l'existence d'une volumineuse lésion tumorale de la première vertèbre lombaire, dont l'aspect évoquait une métastase, tumeur responsable d'un important rétrécissement du canal rachidien lombaire en regard ; qu'une échographie a également retrouvé une très probable lésion expansive du rein droit dont l'aspect évoquait un cancer ; que devant ce tableau, M. D...a été adressé à l'hôpital Beaujon où il a été hospitalisé en chirurgie orthopédique ; que, préalablement au traitement chirurgical consistant en une vertébrectomie associée à une néfrectomie, une embolisation pré opératoire de la tumeur a été décidée en vue d'éviter le risque hémorragique ; que toutefois, à l'issue de l'embolisation vertébrale réalisée le 6 juillet 2009, le patient a présenté des troubles moteurs d'aggravation rapide aboutissant à un déficit neurologique complet des deux membres inférieurs qui ne connaitra aucune amélioration, M. D...restant définitivement atteint d'une paraplégie complète associée, notamment, à des troubles sphinctériens majeurs ; que M. D... a alors saisi la Commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) d'Ile-de-France le 23 septembre 2009 d'une demande d'indemnisation rejetée par une décision du 17 juin 2010 ; que le 2 décembre 2011, M. D...a présenté une demande préalable d'indemnisation à l'AP-HP avant de saisir le Tribunal administratif de Paris le 16 décembre 2011 d'une demande indemnitaire transmise au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise ; que M. D...étant décédé le 21 avril 2013 de sa maladie, sa soeur Mme B...E...et son frère M. A...D...ont repris cette instance ; que la demande de Mme E...et M. D...a été transmise au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise devenu compétent qui, par un premier jugement en date du 18 avril 2013, a refusé de faire droit à la demande de Mme E...et M. D...en tant qu'elle reposait sur la faute médicale commise par l'AP-HP et a ordonné une expertise médicale afin de statuer sur les conclusions de la requête fondées sur la solidarité nationale ; que, par jugement en date du 12 février 2015, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande des consorts D...fondée sur la solidarité nationale et la responsabilité pour faute de l'AP-HP à raison d'un défaut d'information ; que Mme E...et M. D...relèvent appel de ce jugement ;

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

En ce qui concerne les conclusions fondées sur la solidarité nationale :

2. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25%, est déterminé par ledit décret " ; qu'aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24%. (...) " ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 ; que la condition d'anormalité du dommage prévue par les dispositions précitées doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement ; que lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible ; qu'ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage ;

4. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction, qu'à son arrivée à l'hôpital Beaujon, M. D...était atteint d'un cancer du rein avec métastases osseuses et rachidiennes multiples dont la principale était localisée au niveau de la première vertèbre lombaire qui était déjà à l'origine d'une hypoesthésie de la cuisse gauche avec sensation d'engourdissement ; que le rapport d'expertise rédigé par le professeur Claude Marsault (neuroradiologue) et le professeur Marc Tadie (neurochirurgien) relève que le traitement choisi pour la prise en charge de cette métastase vertébrale l'a été pour éviter l'évolution vers une paraplégie présentée comme totalement prévisible en cas d'évolution spontanée compte tenu de l'important rétrécissement du canal rachidien en regard de la métastase vertébrale ; que le rapport rédigé par les Docteurs Philippe Pernot et Martin Thibierge, présente cette aggravation comme un " haut risque ", voire un " risque majeur ", inéluctable notamment en raison du fait que la " la lyse osseuse décrite intéresse (...) tout le corps vertébral de la première vertèbre lombaire ; il s'agit alors d'une lésion à grand risque d'instabilité rachidienne et donc de paraplégie ; " ; que si Mme E...et M. D...soutiennent que le terme d'une telle évolution, certes prévisible, ne pouvait être déterminé, il résulte de l'instruction que M. D...avait été pris en charge en urgence compte tenu des caractéristiques de la tumeur et de l'état d'avancement de son cancer, et alors que celui-ci commençait à ressentir les premiers signes des conséquences en termes " moteur " de sa pathologie ; qu'il résulte dès lors de ce qui précède que la pré-embolisation opératoire ne peut être regardée comme ayant entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles M. D...était exposé de manière suffisamment probable à court ou moyen terme en raison de sa pathologie en l'absence de traitement ;

5. Considérant, d'autre part, qu'il n'est pas contesté que l'embolisation pré opératoire constitue une thérapeutique dangereuse rendue nécessaire, dans le cas de M.D..., par le volume de la métastase de la première vertèbre lombaire avec un risque majeur de compression de la queue de cheval, ainsi qu'un risque hémorragique très important au moment de l'acte chirurgical d'exérèse ; que l'accident dont M. D...a été victime, à savoir le risque d'ischémie médullaire lié au passage de particules d'embolisation dans l'artère d'Adamkiewicz, est un risque connu, même si peu fréquent car de l'ordre de 1 à 3%, et lié aux difficultés de repérage de l'artère d'Adamkiewicz qui irrigue la moelle épinière ; que dans le cas de M.D..., ces risques ont été majorés par le volume et la localisation de sa tumeur qui était hypervascularisée, une fragilité particulière de sa moelle épinière liée à la maladie, les conditions de réalisation de l'embolisation qui n'a pu être achevée qu'au moyen d'une sédation du patient en raison des douleurs ressenties ce qui n'a pas permis un suivi neurologique pleinement satisfaisant et, enfin, l'impossibilité pour les médecins de repérer l'artère d'Adamkiewicz préalablement à l'examen ; que dès lors, la survenue de l'accident ne peut être regardée comme résultant en l'espèce de la réalisation d'un risque présentant une probabilité faible au regard des conditions dans lesquelles l'acte a été accompli de sorte que la condition d'anormalité à laquelle les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique subordonnent la prise en charge du risque au titre de la solidarité nationale n'est pas remplie ; que c'est par suite à juste titre que les premiers juges ont estimé que Mme E... et M. D...n'étaient pas fondés à solliciter une quelconque indemnisation au nom de leur frère sur le fondement de ces dispositions ;

En ce qui concerne les conclusions fondées sur le défaut d'information :

6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver. / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. " ;

7. Considérant que, lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation ;

8. Considérant qu'un manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée ; que c'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, de sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nier l'existence d'une perte de chance ; que, par ailleurs, indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité ; que s'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée ;

9. Considérant qu'il n'est pas contesté que le risque d'ischémie médullaire lié au passage de particules d'embolisation dans l'artère d'Adamkiewicz est un risque connu lié aux difficultés de repérage de cette artère ; que si les rapports d'expertise indiquent que le tableau clinique et radiologique présenté par Monsieur D...lui a été expliqué avec, en particulier, le risque, en cas d'évolution naturelle, de paraplégie et que rien n'indique que le patient ait refusé tout ou partie des modalités thérapeutiques qui lui étaient proposées, l'AP-HP n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, de la délivrance au patient d'une information sur les risques liés, plus particulièrement, à la procédure d'embolisation de la tumeur et notamment les risques d'accidents neurologiques propres à cette procédure ; qu'elle ne saurait se prévaloir de l'impossibilité devant laquelle elle se serait trouvée de délivrer cette information compte tenu de l'urgence qui présidait à la prise en charge de M.D..., alors qu'il résulte de l'instruction que le patient a été transféré à l'hôpital Beaujon le 29 juin 2009 et que l'embolisation a eu lieu le 6 juillet 2009 après la tenue d'une réunion de concertation pluridisciplinaire le 3 juillet 2009 ; que dès lors, s'il résulte de l'instruction que l'état de santé de M. D...nécessitait une prise en charge urgente, il n'apparait pas que cette prise en charge ait été menée dans des conditions telles qu'elles aient fait obstacle à la délivrance d'une information du patient sur les risques liés à une embolisation préalablement à cette intervention ; qu'ainsi, et sans qu'il soit besoin de statuer sur le moyen tiré d'une inversion de la charge de la preuve par les premiers juges, c'est à tort que le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a écarté toute responsabilité de l'AP-HP sur le fondement du défaut d'information ;

10. Considérant que les requérants ne soutiennent pas que M. C...D...aurait pu se soustraire ou se serait soustrait à l'opération s'il avait été pleinement informé de ses risques ; qu'il résulte d'ailleurs de l'instruction que, dans le cas de M. C...D..., l'embolisation était impérieusement requise en raison du fort risque hémorragique, qualifié de " cataclysmique " par les experts en cas de réalisation, de sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refuser cette intervention ;

11. Considérant toutefois que si les requérants ne soutiennent pas davantage que M. D... n'aurait pas donné son consentement à cette intervention, ils se prévalent de ce que ce consentement n'était pas éclairé dès lors qu'il n'était pas complètement informé ; qu'en conséquence, ils se prévalent d'un préjudice moral d'impréparation né de ce que M. C...D...s'était soumis à l'embolisation avec l'espoir de préparer efficacement l'exérèse de sa tumeur et retarder l'évolution défavorable de sa pathologie et ne s'était absolument pas préparé psychologiquement à la survenue de l'aléa dont il a été victime et qui a entraîné sa paraplégie ainsi que d'importants troubles associés ; que l'AP-HP ne peut utilement faire valoir que le patient, qui connaissait l'évolution prévisible de sa pathologie, n'aurait subi aucun préjudice moral du fait de la survenue précoce d'une paraplégie ; que Mme E... et M. D... sont ainsi fondés à solliciter la réparation du préjudice moral né de l'impossibilité devant laquelle M. D...s'est trouvé de se préparer au risque qui s'est réalisé ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice, compte tenu de la gravité des préjudices dont M. C...D...a été victime à l'issue de la procédure d'embolisation et du préjudice moral qui en est nécessairement résulté pour le patient, en leur allouant à ce titre une somme de 5 000 euros ;

Sur les intérêts :

12. Considérant que Mme E...et M. D...ont droit aux intérêts sur la somme de 5 000 euros à compter du 8 décembre 2011, date de réception de la demande préalable de M. C...D...par l'AP-HP ;

Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris :

13. Considérant qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel. (...) " ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que seul un préjudice à caractère personnel de M. D...doit être indemnisé ; que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris tendant au remboursement de ses débours, aux intérêts et au versement de l'indemnité forfaitaire de gestion, ne peuvent donc qu'être rejetées ;

Sur les dépens :

15. Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties (...) " ;

16. Considérant que le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a mis les frais d'expertise exposés en première instance pour un montant de 1 600 euros à la charge des requérants ; qu'il y a lieu toutefois, en conséquence de ce qui précède et dans les circonstances particulières de l'espèce, d'infirmer le jugement attaqué sur ce point et de mettre ces dépens à la charge de l'AP-HP ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Considérant qu'en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 2 000 euros à verser à Mme E...et M.D... ; que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, introduites sur le fondement de ces mêmes dispositions, ne peuvent en revanche qu'être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'AP-HP est condamnée à verser à Mme E...et M. D...ensemble une somme de 5 000 euros. Cette somme sera assortie des intérêts à compter du 8 décembre 2011.

Article 2 : Les frais de l'expertise ordonnée par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, taxés et liquidés à la somme de 1 600 euros, sont mis à la charge de l'AP-HP.

Article 3 : Le jugement du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise n° 1200249 du 12 février 2015 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'AP-HP versera à Mme E...et M. D...une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

2

N° 15VE01065


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 15VE01065
Date de la décision : 12/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01-01-04 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier. Existence d'une faute. Manquements à une obligation d'information et défauts de consentement.


Composition du Tribunal
Président : Mme BESSON-LEDEY
Rapporteur ?: Mme Hélène LEPETIT-COLLIN
Rapporteur public ?: Mme ROLLET-PERRAUD
Avocat(s) : SELARL BOSSU et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2018-06-12;15ve01065 ?
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