Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C...a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du
2 août 2013 par laquelle l'inspectrice du travail de la première section de l'unité territoriale de la Seine-Saint-Denis a autorisé son licenciement, ensemble, la décision implicite par laquelle le ministre chargé du travail a rejeté son recours hiérarchique et la décision du 11 février 2014 par laquelle le ministre chargé du travail a confirmé sa décision implicite de rejet.
Par un jugement n° 1403159 du 18 mai 2015, le Tribunal administratif de Montreuil a fait droit à sa demande.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête enregistrée le 29 juin 2015 sous le n° 15VE02040, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de rejeter la demande présentée par M. C...devant le Tribunal administratif de Montreuil.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce qu'il n'indique pas en quoi l'inspectrice du travail et le ministre chargé du travail n'ont pas contrôlé la régularité de la procédure générale de consultation du comité d'entreprise ;
- aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait à l'inspectrice du travail de motiver sa décision par une considération expresse faisant état de son contrôle sur la régularité de la procédure générale de consultation du comité d'entreprise lorsque celle-ci n'est pas entachée d'irrégularité ;
- la décision de l'inspectrice du travail du 2 août 2013 et celle du ministre chargé du travail du 11 février 2014 sont régulièrement motivées au regard des exigences de l'article
R. 2421-2 du code du travail ;
- l'inspectrice du travail et le ministre chargé du travail ont effectivement contrôlé la régularité de la procédure générale de consultation du comité d'entreprise .
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II. Par une requête enregistrée le 20 juillet 2015 sous le n° 15VE02290, la société du Garage Bosquet, représentée par la Selafa Audit Conseil Défense, avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de rejeter la demande présentée par M. C...devant le Tribunal administratif de Montreuil ;
3° de mettre à la charge de M. C...et de l'Etat le versement d'une somme de
2 500 euros chacun sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il n'est pas démontré que la requête de M. C...devant le tribunal a été introduite dans le délai prévu par l'article R. 421-1 ;
- le jugement attaqué a été rendu à l'issue d'une procédure non contradictoire, le mémoire du ministre chargé du travail n'ayant pas été communiqué aux parties ;
- la décision de l'inspectrice du travail ne devait pas comporter de motivation particulière concernant la procédure de consultation du comité d'entreprise dès lors qu'aucune irrégularité n'était relevée ;
- à la supposer établie, cette irrégularité n'a pas privé l'intéressé d'une garantie ni exercé une influence sur le sens de la décision et ne peut par suite conduire à son annulation ;
- la procédure de consultation du comité d'entreprise n'est pas entachée d'irrégularité ;
- l'inspectrice du travail et le ministre chargé du travail ont reçu tous éléments utiles pour contrôler la régularité de la procédure générale de consultation du comité d'entreprise.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Guibé,
- les conclusions de Mme Orio, rapporteur public,
- et les observations de Me Metge, avocat, pour la société du Garage Bosquet.
1. Considérant que les requêtes n° 15VE02040 présentée par le ministre chargé du travail et n°15VE02290 présentée pour la société du Garage Bosquet sont dirigées contre un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
2. Considérant que la société Garage du Bosquet, qui exploite un atelier de services automobiles à Saint-Ouen, a sollicité l'autorisation de licencier pour motif économique M. C..., employé en qualité de tôlier confirmé et membre suppléant de la délégation unique du personnel ; que, par une décision du 2 août 2013, l'inspecteur du travail de la Seine-Saint-Denis a accordé cette autorisation ; que M. C...a exercé un recours hiérarchique contre cette décision auprès du ministre du travail le 1er octobre 2013 ; que le ministre a rejeté ce recours par une décision implicite, confirmée par une décision expresse du 11 février 2014 ; que le ministre chargé du travail et la société Garage du Bosquet relèvent appel du jugement du 18 mai 2015 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a fait droit à la demande de M. C...tendant à l'annulation de ces décisions ;
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
3. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions d'effectifs envisagées et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié ;
4. Considérant que lorsque l'inspecteur du travail conclut, à l'issue de l'enquête contradictoire, que la procédure de consultation du comité d'entreprise n'est pas entachée d'irrégularité, il n'est pas tenu de l'indiquer expressément dans sa décision en l'absence d'observations particulières du salarié sur ce point ; qu'en l'espèce, M. C... n'établit pas qu'il a émis des observations relatives à cette procédure au cours de l'enquête contradictoire de l'inspectrice du travail de la Seine-Saint-Denis comme il le soutient ; qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier que l'inspectrice du travail n'aurait pas, comme il lui appartenait de le faire, contrôlé la régularité de la procédure de consultation du comité d'entreprise sur le projet de licenciement économique de la société Garage du Bosquet ; qu'au contraire, le rapport du
4 novembre 2013 qu'elle a établi à la demande du ministre chargé du travail, saisi du recours hiérarchique du salarié, fait expressément état de la consultation générale du comité d'entreprise sur le projet de licenciement collectif ainsi que de la consultation spéciale de ce comité sur le projet de licenciement de M. C... ; que, par ailleurs, si le ministre n'a pas expressément répondu à l'argument exposé dans le recours hiérarchique formé par M. C...le
1er octobre 2013 et tiré de ce que la consultation du comité d'entreprise était entachée d'irrégularités, cette absence ne révèle pas, dans les circonstances de l'espèce, une méconnaissance par le ministre de l'étendue de sa compétence dès lors que la décision a été prise au vu du rapport précité établi par l'inspectrice du travail faisant état des consultations effectuées au cours de la procédure de licenciement ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre chargé du travail et la société Garage du Bosquet sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur le motif tiré de la méconnaissance par l'administration de l'étendue de sa compétence pour annuler la décision de l'inspectrice du travail du 2 août 2013 et les décisions par lesquelles le ministre chargé du travail a rejeté le recours hiérarchique formé par M. C...le 1er octobre 2013 ;
6. Considérant qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C...devant le tribunal administratif de Montreuil à l'appui de ses conclusions contre ces deux décisions ;
Sur les moyens soulevés par M. C...devant le tribunal :
7. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 1233-8 du code du travail : " L'employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique de moins de dix salariés dans une même période de trente jours réunit et consulte le comité d'entreprise dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, les délégués du personnel dans les entreprises de moins de cinquante salariés, dans les conditions prévues par la présente sous-section " ; qu'aux termes de son article L. 1233-10 : " L'employeur adresse aux représentants du personnel, avec la convocation à la réunion prévue à l'article L. 1233-8, tous renseignements utiles sur le projet de licenciement collectif. Il indique : 1° La ou les raisons économiques, financières ou techniques du projet de licenciement (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 2421-3 du même code : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un délégué du personnel ou d'un membre élu du comité d'entreprise titulaire ou suppléant, d'un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'un représentant des salariés au comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail est soumis au comité d'entreprise, qui donne un avis sur le projet de licenciement " ; qu'il appartient à l'autorité administrative saisie d'une demande d'autorisation de licencier un salarié protégé de contrôler la régularité des procédures de consultation du comité d'entreprise prévues par ces dispositions ;
8. Considérant que la société Garage du Bosquet a consulté le comité d'entreprise sur le projet de réorganisation de l'entreprise, dans le cadre des attributions générales de cette instance définies à l'article L. 2323-15 du code du travail, les 28 février et 12 mars 2013 ; que le comité d'entreprise a été consulté sur le projet de licenciement collectif pour motif économique en application des dispositions l'article L. 1233-8 du code du travail les 15 et 30 avril 2013 ; que le licenciement de M. C...a été soumis au comité d'entreprise en application des dispositions de l'article L. 2421-3 du code du travail le 24 mai 2013 ; que le requérant ne saurait utilement faire valoir que l'employeur n'a pas fourni l'ensemble des informations nécessaires à l'examen du projet de licenciement collectif lors de la réunion du 28 février 2013 dès lors que les renseignements prévus à l'article L. 1233-10 du code du travail ont été communiqués avant les réunions des 15 et 30 avril 2013 au cours desquelles le comité d'entreprise a été consulté sur ce projet ; que, notamment, la note économique transmise par l'employeur à l'appui de la convocation à la réunion du 15 avril 2013, qui analyse les résultats de la société et des autres filiales du groupe et la profitabilité de l'activité de carrosserie, relève l'arrêt prochain de l'activité de la filiale Ingolstadt Motors sur le site de Levallois-Perret en raison d'une procédure d'expulsion engagée par la ville et expose le projet de transformation de l'atelier carrosserie en atelier mécanique, apportait des informations suffisamment précises quant au motif économique du projet de licenciement collectif pour permettre au comité d'entreprise d'émettre un avis en toute connaissance de cause sur ce point ; que l'expert-comptable mandaté par le comité pour l'assister a d'ailleurs procédé à l'analyse détaillée de la situation économique de l'entreprise ; qu'enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment, du procès-verbal signé par le secrétaire du comité d'entreprise, que les membres du comité auraient été consultés dans des conditions irrégulières au cours de la réunion du 30 avril 2013 ; que, dès lors, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure de consultation du comité d'entreprise doit être écarté ;
9. Considérant, en deuxième lieu, que la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise peut constituer un motif économique justifiant le licenciement à la condition que soit établie une menace pour la compétitivité de l'entreprise, laquelle s'apprécie, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d'activité dont relève l'entreprise en cause au sein du groupe ; que la société Garage du Bosquet exerce, à l'instar du groupe Urcun auquel elle appartient, des activités de concessionnaire automobile, d'atelier mécanique et d'atelier de carrosserie ; qu'il ressort des pièces du dossier que le résultat net du groupe a chuté de 89% entre 2011 et 2012, son résultat financier étant estimé à - 98.000 euros au 31 mars 2013 ; que les résultats d'exploitation des deux principales filiales du groupe ont baissé de 43% s'agissant de la société Ingolstadt Motors et de 111% s'agissant de la société Garage du Bosquet au cours de la même période ; que, par ailleurs, la société Ingolstadt Motors, qui exerçait des activités de concessionnaire automobile et d'atelier de mécanique à Levallois-Perret, faisait l'objet d'une mesure d'expulsion prenant effet le 31 décembre 2013 ; qu'ainsi, la décision de l'entreprise d'arrêter l'activité carrosserie exercée par la société Garage du Bosquet à Saint-Ouen, qui enregistrait depuis 2009 une marge contributive inférieure au seuil de rentabilité, pour permettre la continuation de l'activité de mécanique, rentable, précédemment exercée sur le site de Levallois-Perret répond à une réelle nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ;
10. Considérant, en troisième lieu, qu'il n'appartient pas à l'autorité administrative de contrôler les modalités d'application de l'ordre des licenciements ; que, par suite, le moyen tiré de l'illégalité du périmètre d'application des critères d'ordre et de la définition des catégories professionnelles par l'employeur est inopérant et doit être écarté ;
11. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient (...) " ; que, pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à la recherche des possibilités de reclassement du salarié dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel ;
12. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la réorganisation de l'entreprise s'est traduite par la suppression de six des postes de tôliers et de peintres affectés à l'atelier de carrosserie de la société Garage du Bosquet ; que l'arrêt complet de l'activité de carrosserie au sein du groupe empêchait que fût proposée à M. C...une offre de reclassement interne en qualité de carrossier, l'application des critères d'ordre ayant exclu que l'unique poste de tôlier conservé pour une activité de vitrerie lui soit proposé ; que, par ailleurs, l'employeur n'était pas tenu de lui proposer une offre de reclassement dans les fonctions de mécanicien dès lors qu'un tel poste suppose une formation initiale distincte de celle de carrossier et ne relève pas de la même classification professionnelle au sein de la convention collective nationale des services de l'automobile ; qu'ainsi, M. C...ne peut utilement faire valoir que la société a proposé des offres de reclassement aux salariés de la filiale Ingolstadt Motors et au mécanicien de l'atelier de carrosserie, ne s'agissant pas de postes de carrossiers ; qu'enfin, l'employeur a justifié avoir effectué des recherches de reclassement externe auprès d'entreprises de carrosserie locales, dont quinze ont répondu positivement à sa demande ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance par l'employeur de son obligation de reclassement manque en fait et doit être écarté ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête de première instance ni sur la régularité du jugement attaqué, que le ministre du travail et la société du Garage Bosquet sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 2 août 2013 et les décisions par lesquelles le ministre chargé du travail a rejeté le recours hiérarchique formé par M. C...le 1er octobre 2013 ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat et de la société du Garage du Bosquet, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement des sommes réclamées par Me B...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
15. Considérant que les conclusions présentées par la société du Garage du Bosquet au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et dirigées contre l'Etat ne peuvent qu'être rejetées, bien que M. C...ait obtenu l'aide juridictionnelle, dès lors que si, dans une telle hypothèse, l'article 42 de la loi du 10 juillet 1991 prévoit que le juge peut laisser une partie des dépens à la charge de l'Etat, l'article 75 de la même loi ne prévoit pas une telle faculté pour les frais qui ne sont pas compris dans les dépens ; que, par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C...le versement de la somme que la société Garage du Bosquet demande sur le fondement des mêmes dispositions ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°1403159 du 18 mai 2015 du Tribunal administratif de Montreuil est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C...devant le Tribunal administratif de Montreuil ainsi que ses conclusions présentées en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions des recours est rejeté.
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N° 15VE02040,15VE02290