Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SA Kering, anciennement dénommée PPR, a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée déduite en 2006 et 2007 au titre des frais afférents à la cession des actions des sociétés France Printemps et Kadéos, à concurrence d'un montant global de 5 014 864 euros.
Par un jugement n° 1312151 du 29 juin 2015, le Tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge des rappels litigieux.
Procédure devant la Cour :
Par un recours et un mémoire, enregistrés le 16 octobre 2015 et le 29 janvier 2016, le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement en tant qu'il a prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée déduite en 2006 et 2007 au titre des frais afférents à la cession des actions de la société France Printemps ;
2° de remettre les rappels litigieux à la charge de la SA Kering.
Il soutient que :
- les premiers juges n'ont pas suffisamment motivé leur jugement ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les frais de conseil litigieux constituent des frais généraux de la SA Kering qui constituent des éléments du prix des services fournis par cette dernière et dont elle peut demander la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée correspondante ; que s'agissant de dépenses inhérentes à la cession des actions, ainsi qu'elles ont été qualifiées à juste titre par les premiers juges, la décision du Conseil d'Etat du
23 décembre 2010, société Pfizer Holding France, n°307698, a précisé qu'elles étaient présumées être en lien direct avec la cession de titres et n'ouvrir aucun droit à déduction de la taxe correspondante, sauf si la société établit qu'elles n'ont pas été incorporées au prix de cession des titres ; que les stipulations de l'article 8.7 du protocole du 2 août 2006 selon lesquelles le cessionnaire paiera les frais et coûts qu'il a engagés dans ce cadre ne suffisent pas à établir l'absence d'incorporation au prix de cession des frais litigieux ; la non incorporation des frais au prix de cession n'est pas davantage établie par l'article 5.1 de ce protocole qui détermine le prix de cession des actions en appliquant divers ajustements à une valeur de base des titres de 786 millions d'euros, sans préciser toutefois les modalités de détermination de ce dernier montant ; la Cour administrative d'appel de Versailles s'est prononcé en ce sens dans une espèce similaire par un arrêt du 4 avril 2013, n°11VE02772, société Bouchara Recordati.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 et la directive 2006/112 du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Chayvialle, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Belle, rapporteur public.
1. Considérant que la SA Kering, anciennement dénommée PPR, qui exerce une activité de holding mixte, s'est engagée, par un protocole en date du 2 août 2006 conclu avec la société Le Printemps Contemporain S.A.S, à céder ses actions de la société France Printemps, correspondant à 99,96 % du capital de cette dernière ; que les actions ont été cédées en deux fractions, la première le 31 octobre 2006 portant sur 51 % du capital de la société cédée et la seconde le 30 mars 2007 portant sur le solde ; que la SA Kering a déduit en 2006 et 2007 la taxe sur la valeur ajoutée acquittée au titre des divers frais de conseil engagés lors de cette opération ; que le service vérificateur a remis en cause la déduction de cette taxe ; que le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS relève appel du jugement du 29 juin 2015 en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge des rappels de la taxe sur la valeur ajoutée déduite au titre des frais afférents à la cession des actions de la société France Printemps ;
Sur le recours du MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS :
2. Considérant que, pour prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée litigieux, les premiers juges ont estimé que les dépenses de conseil engagées par la SA Kering à l'occasion de la cession des actions de la société France Printemps devaient être regardées comme des frais généraux se rattachant à son activité économique d'ensemble ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 261 C du code général des impôts : " Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée :/ 1° Les opérations bancaires et financières suivantes :/ .../ e. Les opérations, autres que celles de garde et de gestion portant sur les actions, (...) " ; qu'aux termes de l'article 271 du même code : "I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. (...)" ; qu'il résulte de ces dispositions, interprétées à la lumière des paragraphes 1 et 2, 3 et 5 de l'article 17 de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977, repris aux articles 167 à 169 et 173 de la directive 2006/112 du Conseil du 28 novembre 2006, que l'existence d'un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction est, en principe, nécessaire pour qu'un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée en amont soit reconnu à l'assujetti et pour déterminer l'étendue d'un tel droit ; que le droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée grevant l'acquisition de biens ou de services en amont suppose que les dépenses effectuées pour acquérir ceux-ci fassent partie des éléments constitutifs du prix des opérations taxées en aval ouvrant droit à déduction ; qu'en l'absence d'un tel lien, un assujetti est toutefois fondé à déduire l'intégralité de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé des biens et services en amont, lorsque les dépenses liées à l'acquisition de ces biens et services font partie de ses frais généraux et sont, en tant que telles, des éléments constitutifs du prix des biens produits ou des services fournis par cet assujetti ;
4. Considérant que, lorsqu'une société holding, qui se livre à une activité économique à raison de laquelle elle est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, envisage de céder tout ou partie des titres de la participation qu'elle détient dans une filiale et expose à cette fin des dépenses en vue de préparer cette cession, elle est en droit, sous réserve de produire des pièces justificatives, de déduire la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ces dépenses, qui sont réputées faire partie de ses frais généraux et se rattacher aux éléments constitutifs du prix des opérations relevant de cette activité économique ; qu'il en va ainsi lorsque l'opération de cession des titres ne se réalise pas ; que, lorsque cette cession est intervenue, que cette opération soit en dehors du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée ou dans le champ mais exonérée, l'administration est toutefois fondée à remettre en cause la déductibilité de la taxe ayant grevé de telles dépenses quand, compte tenu des éléments portés à sa connaissance et au vu des pièces qu'il appartient le cas échéant à la société qui les détient de produire, elle établit que cette opération a revêtu un caractère patrimonial dès lors que le produit de cette cession a été distribué, quelles que soient les modalités de cette distribution, ou que, en l'absence d'éléments contraires produits par la société, ces dépenses ont été incorporées dans le prix de cession des titres ;
5. Considérant que si la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les dépenses inhérentes à la transaction elle-même n'est en principe pas déductible dès lors que ces dépenses présentent un lien direct et immédiat avec l'opération de cession des titres, cette société est néanmoins en droit de déduire cette taxe si, compte tenu de la nature des titres cédés ou par tous éléments probants tels que sa comptabilité analytique, elle établit que ces dépenses n'ont pas été incorporées dans leur prix de cession et que, par suite, doivent être regardées comme faisant partie de ses frais généraux et se rattachant ainsi aux éléments constitutifs du prix des opérations relevant des activités économiques qu'elle exerce comme assujettie ; que la déductibilité de la taxe ayant grevé de telles dépenses doit être également refusée quand l'administration établit que cette opération a revêtu un caractère patrimonial du fait que le produit de cette cession a été distribué, quelles que soient les modalités de cette distribution ; que les mêmes règles s'appliquent dans le cas où les dépenses ont été payées à un même intermédiaire, chargé à la fois de préparer cette cession et de réaliser la transaction, dès lors que ces deux catégories de prestations n'ont pas donné lieu à une rémunération distincte et qu'elles doivent alors être regardées comme un tout indissociable se rattachant à la transaction ;
6. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'incorporation des dépenses engagées par une société holding mixte dans le prix de cession des titres de la participation qu'elle détient dans une filiale, qu'il s'agisse de dépenses engagées en vue de préparer cette cession ou de dépenses inhérentes à la transaction elle-même, fait obstacle à ce que ces dépenses puissent être regardées comme des frais généraux autorisant l'assujettie à déduire la taxe qui les a grevées ;
7. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que si une partie des factures produites par la société requérante porte sur des frais inhérents à la cession des titres litigieux, du fait de l'objet de tout ou partie des prestations fournies par les prestataires, au contraire, certaines dépenses litigieuses doivent être regardées comme portant sur des frais engagés en vue de préparer cette cession ; qu'en tout état de cause le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES soutient que les frais litigieux, quelle que soit leur nature, ont été incorporés au prix de cession des titres de la société France Printemps ;
8. Considérant, en second lieu, que si la SA Kering se prévaut des stipulations de l'article 8.7 du protocole du 2 août 2006 aux termes desquelles : " Le cessionnaire et le cédant paieront chacun tous les frais et coûts qu'ils auront respectivement engagés dans le cadre du protocole et des opérations qu'il prévoit, y compris les honoraires et frais de leurs consultants financiers, experts comptables et conseils respectifs ", ces stipulations ne sauraient la dispenser de produire les éléments, qu'elle est seule à détenir, relatifs au calcul du prix de cession des titres ; qu'à cet égard, si l'article 5 du protocole stipule que le prix des actions litigieuses a été déterminé en appliquant à un montant de base, fixé à 786 millions d'euros, puis porté à
787,3 millions d'euros, des ajustements destinés à tenir compte de la situation financière de la société cédée, notamment son niveau de dettes et de besoin de fonds de roulement, ou du règlement de certains litiges, la SA Kering ne produit toutefois aucun élément sur les modalités de détermination du montant de base à partir duquel le prix de cession a été fixé et permettant d'établir que ce prix reflète la seule valeur économique de la participation cédée ; que, par ailleurs, la SA Kering ne produit aucun élément de comptabilité analytique justifiant que les frais litigieux font partie des ses frais généraux et sont constitutifs, à ce titre, du prix des opérations relevant de ses activités économiques soumises à la taxe sur la valeur ajoutée ; que, dans ces conditions, pour ce qui concerne les dépenses engagées en vue de la cession des titres de la société France Printemps, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS doit être regardé comme apportant la preuve de leur incorporation au prix de cession des titres ; que pour ce qui concerne les dépenses inhérentes à cette cession, la SA Kering n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, de ce que ces dépenses n'ont pas été incorporées dans ce prix ; que, par suite, les dépenses litigieuses ne peuvent être regardées comme des frais généraux pour lesquels la SA Kering peut demander la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée correspondante ; que cette seule circonstance faisant obstacle à la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée litigieuse, la SA Kering ne saurait utilement invoquer la circonstance que le produit de la cession n'a pas été distribué et que la cession des actions litigieuses ne peut donc être regardée comme ayant revêtu un caractère patrimonial ; qu'ainsi et sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement en l'absence de tout autre moyen présenté par la SA Kering devant être examiné dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont prononcé la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée déduite par la SA Kering en 2006 et 2007 au titre des frais afférents à la cession des actions de la société France Printemps ;
Sur les conclusions de la SA Kering tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la SA Kering demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n°1312151 du 29 juin 2015 du Tribunal administratif de Montreuil est annulé en tant qu'il a prononcé la décharge des rappels de la taxe sur la valeur ajoutée déduite par la SA Kering en 2006 et 2007 au titre des frais afférents à la cession des actions de la société France Printemps.
Article 2 : Les rappels de taxe sur la valeur ajoutée déduite en 2006 et 2007 au titre des frais afférents à la cession des actions de la société France Printemps dont le Tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge sont remis à la charge de la SA Kering.
Article 3 : Les conclusions de la SA Kering présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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N°15VE03105