Vu 1°), sous le n° 14VE01080, la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La fondation Calouste Gulbenkian, prise en la personne de son représentant légal, a demandé au Tribunal administratif de Montreuil d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 28 juin 2012 par laquelle le directeur des résidents à l'étranger et des services généraux a refusé de lui délivrer l'attestation prévue par l'instruction administrative 4 H-2-10, publiée le 15 janvier 2010.
Par un jugement n° 1208602 du 12 février 2014, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé cette décision et enjoint au directeur des résidents à l'étranger et des services généraux de délivrer cette attestation à la Fondation Calouste Gulbenkian dans un délai de trois mois.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés respectivement 9 avril 2014 et le 24 mars 2015, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS demande à la Cour d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Montreuil du 12 février 2014.
Le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS soutient que :
- l'intimée n'est pas gérée de manière désintéressée, en raison du nombre de ses dirigeants rémunérés et de l'importance de leur rémunération ;
- elle exerce une partie de son activité dans le secteur concurrentiel et recourt à des moyens tels que la publicité, similaires à ceux d'une entreprise commerciale ;
à la différence d'une fondation française reconnue d'utilité publique, elle n'établit pas qu'en cas de dissolution, son actif échoie à une autre fondation d'un objet comparable ou, à défaut, à l'État.
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Vu 2°), sous le n° 14VE01751, la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 6 juin 2014, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS demande, par les mêmes moyens que ceux soulevés à l'appui du précédent recours, à la Cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement déjà mentionné du Tribunal administratif de Montreuil.
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Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le traité instituant la Communauté européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 10 mai 2012, " Santander Asset Management SGIIC SA et autres " (C-338/11 à 347/11) ;
- le code général des impôts, modifié notamment par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Soyez,
- les conclusions de M. Delage, rapporteur public,
- et les observations Me Roux, avocat, pour la fondation Calouste Gulbenkian.
Sur la jonction :
1. Considérant que les recours n° 14VE01080 et 14VE01751 tendent à l'annulation et au sursis à exécution d'un même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt ;
Sur le recours n° 14VE01080 :
2. Considérant que la fondation de droit portugais Calouste Gulbenkian, reconnue d'utilité publique au Portugal où elle a son siège, a sollicité, préalablement à la cession d'un immeuble sis au 51 avenue d'Iéna, à Paris (75008), l'attestation, qui permet aux organismes à but non lucratif dont le siège est situé dans un autre État membre de l'Union européenne ou dans un État partie à l'accord sur l'espace économique européen, de bénéficier, sous certaines conditions, pour les revenus de source française qu'ils perçoivent, du même régime fiscal que leurs homologues français ; que l'administration fiscale ayant refusé le 28 juin 2012 de délivrer cette attestation en raison de l'importance des rémunérations versées par cette fondation portugaise à ses administrateurs, celle-ci a obtenu l'annulation de cette décision par un jugement, dont le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS relève présentement appel par la requête n°14VE01080 ;
3. Considérant, d'une part, qu'aux termes du 1 de l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne, devenu l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " (...) Toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres (...) sont interdites " ; qu'aux termes de l'article 58 du même traité, devenu l'article 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. L'article 56 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les Etats membres : a. d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ; b. de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale (...) 3. Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l'article 56 " ; que si ces stipulations n'imposent pas aux Etats membres qu'un organisme reconnu sans but lucratif dans son Etat membre d'origine bénéficie automatiquement de la même reconnaissance sur leur territoire, le pouvoir d'appréciation dont disposent les Etats membres doit s'exercer conformément au droit de l'Union européenne ; qu'en outre, il appartient à chaque Etat membre d'organiser, dans le respect du droit de l'Union, son régime d'imposition des revenus et plus-values réalisés ; que lorsqu'une réglementation fiscale nationale établit un critère de distinction pour l'exonération, au profit de certains organismes, de l'impôt sur les sociétés et sur leurs profits, l'appréciation de la comparabilité des situations doit être effectuée en tenant compte dudit critère ; que la Cour de justice de l'Union européenne a précisé à cet égard dans l'arrêt du 10 mai 2012 " Santander Asset Management SGIIC et autres " (C-338/11 à C-347/11) que seuls les critères de distinction pertinents établis par la réglementation en cause doivent être pris en compte aux fins d'apprécier si la différence de traitement résultant d'une telle réglementation reflète une différence de situation objective ;
4. Considérant, d'autre part, qu'aux termes du 5 de l'article 206 du code général des impôts, issu de l'article 140 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 : " Sous réserve des exonérations prévues aux articles 1382 et 1394, les établissements publics, autres que les établissements scientifiques, d'enseignement et d'assistance, ainsi que les associations et collectivités non soumis à l'impôt sur les sociétés en vertu d'une autre disposition, à l'exception (...) des fondations reconnues d'utilité publique (...), sont assujettis audit impôt en raison en raison des revenus patrimoniaux qui ne se rattachent pas à leurs activités lucratives./ Sont qualifiés de revenus patrimoniaux : /a. Les revenus de la location des immeubles bâtis et non bâtis dont ils sont propriétaires, et de ceux auxquels ils ont vocation en qualité de membres de sociétés immobilières de copropriété visées à l'article 1655 ter ; /b. Les revenus de l'exploitation des propriétés agricoles ou forestières ; /c. les revenus de capitaux mobiliers dont ils disposent, lorsque ces revenus n'entrent pas dans le champ d'application de la retenue à la source visée à l'article 119 bis ; ces revenus sont comptés dans le revenu imposable pour leur montant brut ;" ; et qu'aux termes du 5° bis du 1 de l'article 207 du même code, sont exonérés de l'impôt sur les sociétés : " Les organismes sans but lucratif mentionnés au 1° du 7 de l'article 261, pour les opérations à raison desquelles ils sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée " ; qu'aux termes de l'article 261 du même code : " Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée : (...) 7. 1° b) Les opérations faites au bénéfice de toutes personnes par des oeuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée, lorsque les prix pratiqués ont été homologués par l'autorité publique ou que des opérations analogues ne sont pas couramment réalisées à des prix comparables par des entreprises commerciales, en raison notamment du concours désintéressé des membres de ces organismes ou des contributions publiques ou privées dont ils bénéficient. (...) / d. Le caractère désintéressé de la gestion résulte de la réunion des conditions ci-après : L'organisme doit, en principe, être géré et administré à titre bénévole par des personnes n'ayant elles-mêmes, ou par personne interposée, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l'exploitation. / Toutefois, lorsqu'une (...) fondation reconnue d'utilité publique ou une fondation d'entreprise décide que l'exercice des fonctions dévolues à ses dirigeants justifie le versement d'une rémunération, le caractère désintéressé de sa gestion n'est pas remis en cause si ses statuts et ses modalités de fonctionnement assurent sa transparence financière, l'élection régulière et périodique de ses dirigeants, le contrôle effectif de sa gestion par ses membres et l'adéquation de la rémunération aux sujétions effectivement imposées aux dirigeants concernés ; cette disposition s'applique dans les conditions suivantes : (...) / un tel organisme peut rémunérer trois de ses dirigeants si le montant annuel de ses ressources, majorées de celles des organismes qui lui sont affiliés et qui remplissent les conditions leur permettant de bénéficier de la présente disposition, hors ressources issues des versements effectués par des personnes morales de droit public, est supérieur à 1 000 000 euros en moyenne sur les trois exercices clos précédant celui pendant lequel la rémunération est versée ; / un tel organisme peut verser des rémunérations dans le cadre de la présente disposition uniquement si ses statuts le prévoient explicitement et si une décision de son organe délibérant l'a expressément décidé à la majorité des deux tiers de ses membres ; (...) / le montant de toutes les rémunérations versées à chaque dirigeant au titre de la présente disposition ne peut en aucun cas excéder trois fois le montant du plafond visé à l'article L. 241-3 du code de la sécurité sociale " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'une fondation reconnue d'utilité publique ayant son siège en France n'est pas assujettie à l'impôt sur les sociétés ;
5. Considérant, en premier lieu, que pour remettre en cause le caractère non désintéressé de la fondation Calouste Gulbenkian, le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS relève le montant annuel, excessif selon lui, de la rémunération de son président, qui s'est élevée à 202 146 euros en 2010, et de celles qui, conformément à l'article 22 de ses statuts, sont versées aux membres exécutifs du conseil d'administration et dont la moins élevée est de 134 769 euros ; que ces rémunérations sont supérieures au triple du plafond de la sécurité sociale, qui était alors de 103 860 euros, et ont été versées à dix personnes et non à trois au plus, contrairement à ce que prévoient les dispositions précitées du d du 1° du 7 de l'article 261 du code général des impôts ; que le ministre expose également que le président du conseil d'administration dispose d'un fonds de 502 862 euros qu'il emploie discrétionnairement au soutien de tel ou tel projet et que les administrateurs perçoivent, en plus de leurs rémunérations, des avantages en nature et des remboursements de frais ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que les rémunérations ainsi versées, qui ne sont pas liées aux performances des placements de la fondation laquelle ne réalise aucun profit sur ses activités, sont justifiées par la difficulté de la mission confiée à ces administrateurs ; qu'ils sont en effet chargés de gérer, à plein temps pour quatre d'entre eux, un patrimoine évalué en 2009 à 2,5 milliards d'euros et un budget de fonctionnement annuel de plus de 100 millions d'euros ; qu'ils sont, ainsi que cela n'est pas contesté, personnellement responsables des conséquences financières des décisions qu'ils prennent à cet égard ; que le montant des rémunérations qu'ils perçoivent et l'importance des avantages en nature dont ils bénéficient en contrepartie font l'objet, ainsi que l'usage fait du fonds destiné à soutenir certains projets, d'un contrôle permanent d'une firme renommée d'experts-comptables ainsi que d'une commission de contrôle des comptes ; que, dans ces conditions, ces rémunérations, dont l'ensemble ne représente que 2,7 % de la masse salariale et 0,9 % des ressources d'une fondation qui emploie cinq cents personnes à titre permanent, n'apparaissent pas disproportionnées par rapport aux limites fixées par les dispositions précitées de l'article 261 du code général des impôts, eu égard aux sujétions imposées aux dirigeants de cette fondation et compte tenu des règles spécifiques auxquelles cet organisme est soumis dans son Etat de résidence ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS fait valoir, pour la première fois en appel et sans en avoir fait état dans la décision litigieuse, que la fondation se livre, dans le cadre de son objet statutaire, à des activités relevant du secteur concurrentiel et recourt à des méthodes analogues à celle d'une entreprise commerciale ; qu'il résulte toutefois de ses statuts approuvés par décret-loi du 18 juillet 1956 que lui ont été assignés des " buts charitables, artistiques, éducatifs et scientifiques " ; qu'elle gère à ce titre, notamment, une bibliothèque, un centre d'art moderne, le plus grand musée portugais, un orchestre et trois auditoriums ; que les ressources tirées de la gestion de ces établissements, de cet orchestre et de l'activité de publications à caractère éducatif et culturel ne représentent que 2,06 % de ses ressources au cours des années 2007 à 2011, les prix et tarifs pratiqués étant fixés un niveau proche du prix de revient ; qu'à supposer que ces activités à caractère culturel puissent être qualifiées de concurrentielles, ses concurrents sur ce marché sont des orchestres et des musées, soit publics, soit gérés par des fondations reconnues d'utilité publique ; qu'il s'ensuit qu'en dépit des dépenses de communication de 600 à 700 000 euros exposées annuellement au cours de cette période, l'activité prépondérante de la fondation Calouste Gulbenkian ne revêt pas un caractère lucratif ; que ladite fondation ne peut donc être regardée comme exerçant des activités lucratives sur un marché concurrentiel et selon des méthodes commerciales ;
7. Considérant, en troisième lieu, que le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS soutient que les statuts de la fondation Calouste Gulbenkian ne comportent pas de dispositions particulières identiques à celles qui régissent les fondations françaises reconnues d'utilité publique, notamment celles relatives à la dévolution de son patrimoine en cas de dissolution, et à l'aliénation de ses biens ; que, toutefois, cette circonstance, à la supposer établie, est sans incidence sur la solution du litige dès lors que la fondation revendique exclusivement, comme il a déjà été dit, être dans une situation objectivement comparable à un organisme français à but non lucratif ;
8. Considérant, en quatrième lieu, que la différence de traitement, résultant du refus de délivrer l'attestation prévue par l'instruction administrative 4 H-2-10, publiée le 15 janvier 2010, alors que des fondation françaises reconnues d'utilité publique placées dans la même situation sont exonérées de toute imposition, entrave l'exercice par la fondation requérante de la liberté de circulation des capitaux et constitue une restriction à ladite liberté ; que l'administration n'établit ni même ne soutient que cette restriction serait justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général ; qu'il suit de là que le refus de délivrer l'attestation prévue par l'instruction administrative 4 H-2-10, publiée le 15 janvier 2010, laquelle a été prévue pour autoriser le bénéfice, s'agissant de ces revenus, du régime fiscal applicable aux organismes sans but lucratif français, méconnaît l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; qu'est sans incidence la circonstance, à la supposer établie, que le bénéfice de ce régime fiscal en faveur d'une fondation qui pratique dans de telles rémunérations, créerait une discrimination défavorable aux organismes sans but lucratif résidant en France ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a annulé la décision litigieuse et enjoint la délivrance de l'attestation prévue par l'instruction administrative 4 H-2-10, publiée le
15 janvier 2010 ;
Sur le recours n° 14VE01751 :
10. Considérant que la Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions du recours n° 14VE01080 tendant à l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Montreuil en date du 12 février 2014, les conclusions présentées par le MINISTRE DES FINANCES ET DES COMPTES PUBLICS dans l'instance n° 14VE01751, tendant à ce qu'il sursis à l'exécution de ce même jugement, sont devenus sans objet ;
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a plus lieu à statuer sur le recours n° 14VE01751.
Article 2 : Le recours n° 14VE01080 est rejeté.
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N°s 14VE01080, 14VE01751