Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SA SAFRAN venant aux droits de la société Sagem a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge, d'une part, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés, à la contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés et à la contribution sur l'impôt sur les sociétés assignées à la société Sagem au titre de l'exercice clos en 2003 et des pénalités correspondantes, à raison de commissions versées aux sociétés nigérianes Maurang, Officetron et Sagem Africa, soit 14 773 850 euros en base, et d'autre part, de la retenue à la source, d'un montant de 2 607 150 euros, et des pénalités correspondantes auxquelles la société Sagem a été assujettie au titre du même exercice.
Par un jugement n° 1206451-1206453 du 18 novembre 2014, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté ces demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 19 janvier 2015 et
6 août 2015, la SA SAFRAN, représentée par Me Chaouat, avocat, demande à la Cour :
1° d'annuler ce jugement ;
2° de prononcer la décharge sollicitée, assortie des intérêts moratoires ;
3° de mettre à la charge de l'État la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SA SAFRAN soutient que :
- le tribunal n'a pas répondu à tous les moyens concernant la justification de la réalité des prestations qui lui ont été rendues ;
- par un arrêt du 7 janvier 2015, la Cour d'appel de Paris a jugé qu'il n'était pas établi que les commissions versées aux sociétés nigérianes Maurang, Officetron et Sagem Africa aient servi à corrompre des agents publics nigérians et l'a ainsi relaxée des fins de la poursuite engagée contre elle pour ce motif ; par suite, ainsi d'ailleurs que l'admet le ministre, les rappels litigieux ne sauraient être légalement maintenus sur le fondement des dispositions du 2 bis de l'article 39 du code général des impôts, dont, au surplus, l'application se heurte en l'espèce au principe non bis in idem repris notamment par l'article 4 du protocole n° 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il n'est pas davantage possible pour l'administration de recourir aux dispositions du
1° du 1. de l'article 39, invoqué à titre subsidiaire par le vérificateur, dès lors que du recours à ces dispositions résulterait d'une application rampante du 2 bis de ce même article ;
- l'ensemble des justifications apportées devant le Tribunal et la Cour ainsi que les éléments issus du dossier d'instruction pénale et de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris
du 7 janvier 2015 permettent de tenir pour établie la réalité de prestations fournies, d'une part, par la société Officetron en matière d'étude et d'assistance dans l'obtention du marché des cartes d'identité du Nigéria ainsi que dans l'exécution de ce marché, d'autre part, par la société Maurang, chargée de la surveillance des 774 sites où se trouvait le matériel nécessaire et, en particulier, les valises biométriques, et, enfin, par la société Sagem Africa qui a fourni des prestations de stockage, de mise à disposition de personnel, dont des gardes du corps, de fourniture d'équipements mobiliers et de mise en place d'un bureau de représentation ; les objections formulées à cet égard par l'administration sont dépourvues de pertinence, dès lors, en particulier, qu'il n'est pas contesté que le marché a bien été exécuté alors qu'elle ne dispose d'aucune filiale ni d'infrastructures au Nigéria, de sorte que les sommes litigieuses, sans lien avec une activité de corruption, ne peuvent que correspondre à la rémunération de services effectifs ;
- les commissions en litige étant déductibles du résultat, elles ne peuvent être regardées comme des revenus occultes au sens du c. de l'article 111 du code général des impôts ; par suite, la retenue à la source, ainsi que la majoration prévue à l'article 1728 du code général des impôts, ne peuvent qu'être déchargées ;
- la majoration de 40 % pour manquement délibéré doit également être abandonnée par voie de conséquence ; en tout état de cause, et à supposer que la Cour admette le bien-fondé des rappels, l'administration n'apporte pas la preuve d'une minoration volontaire des bases d'imposition alors que les commissions en cause, liées à un marché de plus de 200 millions d'euros, ont au contraire contribué à les augmenter ; enfin, si la Cour d'appel de Paris a indiqué que les faits seraient davantage susceptibles de constituer un abus de bien social, cette mention ne concerne pas les commissions en litige mais des sommes versées à des sociétés costaricaines.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Huon,
- les conclusions de M. Coudert, rapporteur public,
- et les observations de Me Chaouat, avocat de la SA SAFRAN.
1. Considérant qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité de la SA Sagem devenue la SA SAFRAN et aux termes d'une proposition du 20 décembre 2006, l'administration a notamment remis en cause, à titre principal sur le fondement du 2 bis de l'article 39 du code général des impôts et, à titre subsidiaire sur celui du 1° du 1. du même article, la déduction de commissions, d'un montant total de 14 773 850 euros versées en 2003 aux sociétés Officetron, Maurang et Sagem Africa, sises au Nigéria, dans le cadre de la passation et de l'exécution d'un marché conclu avec les autorités de ce pays en vue de la mise en place d'un système généralisé de carte nationale d'identité ; que, parallèlement, les commissions en cause, regardées comme des avantages occultes au sens des dispositions du c. de l'article 111 du code général des impôts ont été soumises à la retenue à la source prévue au 2 bis de l'article 119 de ce code ; que la SA SAFRAN relève appel du jugement du 18 novembre 2014 par lequel le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté ses demandes tendant à la décharge des droits supplémentaires et des pénalités correspondantes auxquels elle a ainsi été assujettie au titre de son exercice clos en 2003 en matière d'impôt sur les sociétés, de contributions additionnelles à cet impôt et de retenue à la source ;
Sur les conclusions à fin de décharge :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature (...) / 2 bis. A compter de l'entrée en vigueur sur le territoire de la République de la convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, les sommes versées ou les avantages octroyés, directement ou par des intermédiaires, au profit d'un agent public au sens du 4 de l'article 1er de ladite convention ou d'un tiers pour que cet agent agisse ou s'abstienne d'agir dans l'exécution de fonctions officielles, en vue d'obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indu dans des transactions commerciales internationales, ne sont pas admis en déduction des bénéfices soumis à l'impôt (...) " ;
3. Considérant, d'autre part, que les constatations de fait qui sont le support nécessaire d'un jugement définitif rendu par juge pénal s'imposent au juge de l'impôt ; qu'en revanche, l'autorité de la chose jugée par la juridiction pénale ne saurait s'attacher aux motifs d'une décision de relaxe tirés de ce que les faits reprochés au contribuable ne sont pas établis et de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité et, notamment, sur la nature des opérations effectuées ; que, par suite, en présence d'un jugement définitif de relaxe rendu par le juge répressif, il appartient au juge de l'impôt, avant de porter lui-même une appréciation sur la matérialité et la qualification des faits au regard de la loi fiscale, de rechercher si cette relaxe était ou non fondée sur des constatations de fait qui s'imposent à lui ;
4. Considérant que, par un arrêt du 7 janvier 2015, devenu définitif, la Cour d'appel de Paris, se prononçant, en matière pénale, sur les faits à raison desquels ont été opérés les rehaussements litigieux, a relaxé la Sa Sagem du chef de corruption active d'agents publics étrangers ; qu'eu égard à cet arrêt, le ministre renonce à se prévaloir, au soutien des impositions en litige, des dispositions du 2 bis de l'article 39 du code général des impôts mais persiste à invoquer, ainsi que l'avait fait le vérificateur à titre subsidiaire et ce, pour la totalité des commissions en cause, les dispositions du 1° du 1. du même article ;
5. Considérant que pour prononcer, par l'arrêt susmentionné, la relaxe de la Sa Sagem, la Cour d'appel de Paris, après avoir notamment analysé en détail l'objet des contrats conclus entre cette société et les sociétés nigérianes Officetron, Maurang et Sagem Africa, toutes trois dirigées par M.A..., les conditions dans lesquelles ces contrats ont été passés et exécutés ainsi que les modalités de versement des rémunérations dues à ces prestataires, a jugé que " les facturations étalées dans le temps des sociétés dirigées par Niji Adelagun (...) reposaient sur de réelles prestations " ; que ce motif, excluant l'existence d'actes de corruption, constitue le support nécessaire de la relaxe prononcée par la juridiction répressive et est ainsi revêtu de l'autorité de la chose jugée, de sorte qu'il s'impose au juge de l'impôt ; que, par suite, le ministre ne saurait utilement remettre en cause la réalité des prestations facturées à la requérante par ses trois cocontractants ; que, dans ces conditions, et alors que, par ailleurs, il n'est pas soutenu que les rémunérations versées seraient excessives au regard de la consistance de ces prestations, l'administration ne pouvait légalement en refuser la déduction sur le fondement des dispositions précitées du 1° du 1. de l'article 39 du code général des impôts, motif pris de ce que la matérialité desdites prestations n'était pas établie ; que la SA SAFRAN est donc fondée à demander la décharge des suppléments d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt établies de ce chef, et, par voie de conséquence, de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie à raison de la requalification en revenus distribués des commissions litigieuses ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SA SAFRAN est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant au versement d'intérêts moratoires :
7. Considérant qu'il n'existe aucun litige né et actuel entre la SA SAFRAN et l'administration concernant les intérêts dus en vertu de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ; que, dès lors, les conclusions de la requérante à fin de paiement d'intérêts moratoires doivent être rejetées comme irrecevables ;
Sur les dépens :
8. Considérant que la présente instance n'a donné lieu à aucun dépens ; que, par suite, les conclusions présentées à ce titre ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
10. Considérant que, par application de ces dispositions, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SA SAFRAN et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1206451-1206453 du 18 novembre 2014 du Tribunal administratif de Montreuil est annulé.
Article 2 : Les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés et aux contributions additionnelles à cet impôt de l'exercice clos en 2003 de la société Sagem devenue la SA SAFRAN sont réduites d'un montant de 14 773 850 euros.
Article 3 : La société Sagem devenue la SA SAFRAN est déchargée des cotisations des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés et aux contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de son exercice clos en 2003 à hauteur de la réduction de bases prononcée à l'article 2, ainsi que des pénalités correspondantes.
Article 4 : La société Sagem devenue la SA SAFRAN est déchargée de la retenue à la source assise sur la somme de 14 773 850 euros qui lui a été assignée au titre de l'année 2003, ainsi que des pénalités correspondantes.
Article 5 : L'État versera à la SA SAFRAN une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de la SA SAFRAN est rejeté.
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N° 15VE00168