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09/02/2016 | FRANCE | N°13VE00524

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 3ème chambre, 09 février 2016, 13VE00524


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Compagnie Française Eiffel Construction Métallique, devenue la SAS EIFFAGE CONSTRUCTION MÉTALLIQUE, a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de la décharger de l'obligation de payer résultant du titre de perception émis le 27 novembre 2009 par le trésorier-payeur général des Hauts-de-Seine pour avoir paiement de la somme de 717 506 euros.

Par un jugement n° 1004606 du 21 décembre 2012, le Tribunal administratif de

Cergy-Pontoise a rejeté cette demande.

Proc

dure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 18 février 2013, 17 j...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Compagnie Française Eiffel Construction Métallique, devenue la SAS EIFFAGE CONSTRUCTION MÉTALLIQUE, a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de la décharger de l'obligation de payer résultant du titre de perception émis le 27 novembre 2009 par le trésorier-payeur général des Hauts-de-Seine pour avoir paiement de la somme de 717 506 euros.

Par un jugement n° 1004606 du 21 décembre 2012, le Tribunal administratif de

Cergy-Pontoise a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 18 février 2013, 17 juillet 2013,

15 octobre 2013 et 8 janvier 2015, la SAS EIFFAGE CONSTRUCTION MÉTALLIQUE, représentée par Me David, avocat, demande à la Cour :

1° d'annuler ce jugement ;

2° de prononcer la décharge de l'obligation de payer résultant du titre de perception émis le 27 novembre 2009 par le trésorier-payeur général des Hauts-de-Seine pour avoir paiement de la somme de 717 506 euros ;

3° de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens.

La SAS EIFFAGE CONSTRUCTION MÉTALLIQUE soutient que :

- la créance litigieuse est dépourvue de base légale ; si le règlement (CE) n° 659/1999 du 22 mars 1999 prévoit en son article 14 que les sommes octroyées en vertu d'une aide d'État illégale doivent être reversées sans délai, il renvoie aux règles nationales pour la mise en oeuvre de la procédure de reversement ; en l'espèce, ainsi que l'avait d'ailleurs fait valoir la France devant la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) dans l'instance n° 214/07 ayant donné lieu à l'arrêt du 13 novembre 2008, le droit national, et particulièrement l'article 80 du décret du 29 décembre 1962 modifié, ne permettait pas un tel reversement ; ce dernier texte est, en effet, privé de base légale à la suite de l'abrogation de l'ordonnance du 2 janvier 1959 dont il était issu ; il est, au demeurant, sans cohérence avec le cadre législatif des lois de finances, et est, enfin, illégal en ce qu'il ne prévoit, en méconnaissance de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 et de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, aucune obligation de motivation des actes de reversement, lesquels constituent pourtant des décisions retirant ou abrogeant des décisions créatrices de droits, particulièrement au cas où, comme en l'espèce, le bénéfice de l'exonération avait été expressément garanti par un rescrit fiscal ;

- la procédure de reversement a été viciée par le non-respect du devoir d'information édicté par l'article 20-1 du règlement (CE) n° 659/1999 du 22 mars 1999, qui prévoit que les bénéficiaires concernés doivent être informés d'une décision de la Commission européenne prise en application de l'article 7, ce qui en l'espèce obligeait les autorités françaises à informer ces bénéficiaires de la décision prise en 2003 par cette Commission sur le caractère incompatible du régime d'aide de l'article 44 septies du code général des impôts ; en l'absence de cette information, la société Munch a été privée de la possibilité de contester en temps utile la décision de la Commission européenne, et l'argument tiré de cette absence de contestation est sans portée ;

- dans la mesure où est réclamé, dix années après, le reversement de sommes dont le versement avait été garanti par l'administration par un rescrit fiscal du 2 juin 1995, les principes de droit communautaire de confiance légitime et de sécurité juridique ont été méconnus ; ces principes s'appliquent dans le présent litige portant sur une situation régie par le droit communautaire, et leur méconnaissance doit être appréciée compte tenu de la bonne foi de la bénéficiaire et de l'absence d'évidence du caractère incompatible du régime de l'article

44 septies alors en vigueur du code général des impôts avec l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union ; en l'espèce, cette atteinte aux principes généraux du droit communautaire ne se justifie par aucune " impérieuse nécessité " de préserver les principes de libre concurrence, au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans l'arrêt du 21 février 2008, 271/06, § n° 18 ; la clause de sauvegarde édictée par l'article 14 § 1 du règlement (CE) n° 659/1999 du 22 mars 1999 prévoit à cet égard que la récupération des aides ne doit pas être poursuivie si elle entraîne une méconnaissance de principes généraux du droit communautaire, ce qui est le cas en l'espèce ; une application rétroactive est illégalement faite des dispositions de ce règlement prévoyant la récupération des sommes versées en vertu d'une aide d'État incompatible, alors que son article 30 prévoit qu'il entre en vigueur vingt jours après sa publication au JOCE ; cette application rétroactive viole les règles de valeur constitutionnelle contenues dans les articles 5, 6, 17 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et le principe, résultant de l'article 34 de la Constitution, qui impliquent que la loi ne peut porter aux situations légalement acquises, une atteinte non justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ; elle viole également, en l'absence d'utilité publique manifeste, le droit aux respect des biens garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, principe général du droit communautaire en vertu de l'article 6-2 du traité de Maastricht ; l'administration ne peut à cet égard se prévaloir de la primauté du droit de l'Union, dès lors que la procédure mise en oeuvre contrevient elle-même gravement aux deux principes généraux du droit communautaire précités ; ce principe de primauté, posé par l'article 55 de la Constitution, impose que le juge vérifie que, dans le présent litige, gouverné par le droit communautaire, dès lors que la base légale de la créance se trouve dans l'obligation de récupération prévue par le règlement (CE) n° 659/1999 du 22 mars 1999, la décision litigieuse ne contrevient pas aux principes généraux du droit communautaire ; les premiers juges ont ainsi jugé à tort, eu égard à la hiérarchie des normes, que la méconnaissance de règles nationales, règlementaires, législatives ou constitutionnelles ne peut être utilement invoquée à l'encontre du titre de perception émis en application de la décision de la Commission européenne du

16 décembre 2003 ; il y a lieu, en effet, de faire application des principes généraux de droit communautaire de portée équivalente aux principes à valeur constitutionnelle invoqués, tels que proclamés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, relatifs, notamment, à la garantie des droits et, par voie de conséquence, à la sécurité juridique, et à la protection due à la propriété privée, en application de l'avis du Conseil d'État du 1er avril 2010, SAS Marsadis,

n° 334465.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 55 et 88-1 ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité instituant la Communauté économique européenne, devenu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d'application de l'article 93 du traité CE ;

- la décision C 2004/343/CE du 16 décembre 2003 de la Commission européenne concernant le régime d'aide mis à exécution par la France concernant la reprise d'entreprises en difficulté ;

- l'arrêt C-214/07 de la Cour de justice des Communautés européenne en date du 13 novembre 2008 ;

- l'ordonnance du 4 décembre 2014 C-202/14 de la neuvième chambre de la Cour de justice de l'Union européenne rejetant la demande de décision préjudicielle introduite par la Cour administrative d'appel de Nantes ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général de la comptabilité publique, modifié par le décret n° 92-1369 du 29 décembre 1992 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bergeret,

- et les conclusions de M. Coudert, rapporteur public.

1. Considérant que la SARL Munch, ultérieurement absorbée par la SAS Compagnie Française Eiffel Construction Métallique, devenue la SAS EIFFAGE CONSTRUCTION MÉTALLIQUE, a bénéficié, au titre de l'exercice clos en 1995, de l'exonération d'impôt sur les sociétés alors prévue par l'article 44 septies du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi n° 88-1149 du 23 décembre 1988 portant loi de finances pour 1989 ; que, par sa décision susvisée du 16 décembre 2003, la Commission européenne a estimé que le dispositif d'exonération d'impôt ainsi codifié à l'article 44 septies du code général des impôts constituait un régime d'aide d'État incompatible avec les règles du marché commun, illégalement mis en vigueur à défaut de notification préalable, et a ordonné la récupération des sommes ainsi illégalement versées, sous réserve de celles représentant des aides dites " de minimis " ou des aides compatibles au titre des régimes applicables aux aides à finalité régionale et aux aides en faveur des petites et moyennes entreprises ; que par son arrêt susvisé du 13 novembre 2008, la Cour de justice de l'Union européenne a condamné la République française pour manquement en raison de l'insuffisance de ses efforts pour procéder, en exécution de la décision précitée de la Commission européenne, au recouvrement de ces aides d'État illégales auprès des bénéficiaires ou de leurs ayant-droits ; que pour procéder à la récupération de la fraction illégale de l'aide dont avait bénéficié la SARL Munch, le trésorier-payeur général des Hauts-de-Seine a émis le 27 novembre 2009 un titre de perception à l'encontre de la SAS Compagnie Française Eiffel Construction Métallique, venant aux droits de cette première société, pour une somme de 717 506 euros correspondant au montant de l'aide nette majorée des intérêts communautaires comme prescrit par le règlement (CE) n° 659/1999 du 22 mars 1999 ; qu'après rejet de l'opposition formée par la destinataire contre ce titre de perception, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, par jugement du 21 décembre 2012, a rejeté sa demande d'annulation de l'obligation de payer résultant de ce titre de perception ; que la SAS EIFFAGE CONSTRUCTION MÉTALLIQUE relève régulièrement appel de ce jugement ;

2. Considérant, en premier lieu, qu'en vertu de l'article 14 du règlement (CE) n° 659/1999 du 22 mars 1999, le reversement des sommes octroyées en vertu d'une aide d'État illégale doit être poursuivi " sans délai " par la mise en oeuvre des règles nationales adéquates, à moins que ces dernières ne permettent pas d'atteindre ce but, auquel cas elles doivent rester sans application ; que l'article 5 de la décision précitée du 16 décembre 2003 de la Commission européenne dispose ainsi que : " La France prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de leurs bénéficiaires les aides octroyées au titre du régime visé à l'article 1er, autres que celles visées aux articles 2 et 3, et illégalement mises à leur disposition. / La récupération a lieu sans délai, conformément aux procédures du droit national, pour autant qu'elles permettent l'exécution immédiate et effective de la présente décision (...) " ; que conformément aux modalités de reversement ainsi définies, le titre de perception objet du présent litige a été émis, le 27 novembre 2009, au visa de l'article 80 du décret susvisé du 29 décembre 1962 modifié alors en vigueur, régissant le recouvrement des créances de l'État autres que fiscales et domaniales ;

3. Considérant que pour soutenir que ce titre a ainsi été émis illégalement, la SAS EIFFAGE CONSTRUCTION MÉTALLIQUE fait valoir que ce décret du 29 décembre 1962, était lui-même privé de base légale à la suite de l'abrogation au 1er janvier 2005 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances dont il aurait été issu ; que, toutefois, si le décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique vise en effet l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, il n'en résulte pas que ce décret, ou à tout le moins les dispositions de son article 80, avaient été pris pour l'application de cette ordonnance, et qu'en conséquence, l'abrogation de celle-ci, à l'effet du 1er janvier 2005, aurait eu pour effet d'abroger implicitement ces dispositions règlementaires, qui n'auraient pu ainsi constituer la base légale de tout titre de perception ; qu'au demeurant, à supposer même qu'une telle absence de base légale puisse être retenue, elle ne pourrait conduire à l'annulation de l'obligation de payer résultant du titre de perception litigieux, en application du principe ci-dessus rappelé conduisant à neutraliser les règles nationales s'opposant à la mise en oeuvre d'une procédure de reversement " sans délai " des aides d'État illégalement accordées, dans la mesure où aucune autre disposition du droit national ne régit le recouvrement des créances telles que celle objet du présent litige, qui relèvent, ce qui n'est d'ailleurs plus contesté devant la Cour, de la catégorie des créances de l'État autres que fiscales et domaniales ;

4. Considérant, par ailleurs, que si la SAS EIFFAGE CONSTRUCTION MÉTALLIQUE soutient, aux mêmes fins que ci-dessus, que le décret du 29 décembre 1962 est " sans cohérence " avec le cadre législatif des lois de finances, l'invocation d'un tel défaut de cohérence sans autre précision ne saurait suffire à démontrer que le décret est entaché d'une illégalité pouvant priver de base légale le titre de perception pris en application de son article 80 ;

5. Considérant, enfin, que dès lors que l'article 81 du décret précité du

29 décembre 1962 prévoit que les titres de perception émis pour le recouvrement des créances de l'État autres que fiscales et domaniales doivent spécifiquement être motivés, la SAS EIFFAGE CONSTRUCTION MÉTALLIQUE n'est pas fondée à soutenir que ce décret serait à cet égard illégal au regard des dispositions de la loi susvisée du 11 juillet 1979 imposant la motivation de certaines décisions individuelles défavorables, dont feraient partie les titres de perception, et ne peut utilement soutenir, à supposer que ce moyen soit effectivement soulevé, que le titre de perception serait lui-même irrégulier faute d'une motivation conforme aux exigences de la loi du 11 juillet 1979 ; qu'elle ne peut davantage se prévaloir, à ces mêmes égards, des dispositions de l'article 24 de la loi susvisée du 12 avril 2000 qui n'emportent en elles-mêmes aucune obligation de motivation des décisions administratives ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que la SAS EIFFEL CONSTRUCTION MÉTALLIQUE soutient qu'eu égard aux termes de l'article 20 du règlement (CE) n° 659/1999 du 22 mars 1999 et du § 16 de son préambule, dont il résulte que les parties intéressées et les bénéficiaires d'une aide individuelle sont informés des décisions prises par la Commission européenne, la procédure de reversement mise en oeuvre par le titre de perception litigieux aurait été viciée par l'absence de notification à la SARL Munch de la décision précitée du

16 décembre 2003 de la Commission européenne déclarant incompatible avec le marché commun le régime d'aides d'État prévu à l'article 44 septies du code général des impôts et ordonnant la récupération des aides ainsi illégalement octroyées, une telle carence ayant privé la SARL Munch de la possibilité de contester en temps utile, directement devant les juridictions européennes, cette décision de la Commission dont le titre de perception contesté est une mesure d'exécution ;

7. Considérant, toutefois, que le règlement précité ne prévoit pas de sanction en cas de défaut de notification d'une décision de la Commission, telle que celle précitée du 16 décembre 2003, aux entreprises susceptibles d'être concernées ; que, par ailleurs, la Cour de justice de l'Union européenne dit pour droit, notamment dans sa décision du 23 février 2006, C-346/03, Giuseppe Atzeni e.a. contre Regione autonoma della Sardegna, qu'au cas où il n'est pas manifeste qu'un recours en annulation à l'encontre d'une décision de la Commission aurait été recevable, les demandes de décisions préjudicielles sont recevables ; qu'ainsi, eu égard à cette possibilité ouverte de contestation de la décision de la Commission, en tant qu'elle ordonne la récupération des aides, à l'occasion d'une procédure de contestation des mesures d'exécution de celles-ci, le moyen ci-dessus doit être écarté, les premiers juges ayant à cet égard jugé à bon droit que la protection juridictionnelle des bénéficiaires était suffisamment garantie par les recours organisés devant les juridictions européennes, qui, notamment, ne peuvent être regardées, contrairement à ce que semble vouloir soutenir la société appelante, comme ne préservant pas les droits de la défense ;

8. Considérant, en troisième lieu, que le titre de perception litigieux, comme il a été dit ci-dessus, a été émis pour l'application de la décision précitée du 16 décembre 2003 de la Commission, prise elle-même pour l'application de l'article 88 du traité instituant la Communauté économique européenne, devenu l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; que si cette décision, qui est directement applicable dans l'ordre juridique interne, prévoit la mise en oeuvre du reversement des aides illégalement octroyées selon les modalités prévues par le règlement (CE) n° 659/1999 du 22 mars 1999, ce règlement, qui se borne à préciser les modalités à mettre en oeuvre pour le reversement, ne constitue pas pour autant le fondement légal du titre de perception contesté ; que, dès lors, c'est en tout état de cause en vain que la SAS EIFFAGE CONSTRUCTION MÉTALLIQUE soutient qu'en l'absence de base légale permettant le recouvrement des aides auprès des particuliers avant l'intervention du règlement du 22 mars 1999, la procédure mise en oeuvre à son encontre, aux fins de récupération d'aides illégalement accordées en 1995, antérieurement à l'entrée en vigueur de ce règlement, serait entachée d'une rétroactivité pouvant, de ce seul fait, caractériser une méconnaissance du principe de sécurité juridique, ou pouvant porter une atteinte excessive au droit aux respect des biens garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ou encore pouvant méconnaître les règles de valeur constitutionnelle contenues dans les articles 5, 6, 17 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ou le principe, résultant de l'article 34 de la Constitution selon lequel la loi ne peut porter aux situations légalement acquises une atteinte non justifiée par un motif d'intérêt général suffisant, ou encore les principes généraux du droit européen évoqués par l'appelante ;

9. Considérant, en quatrième lieu, qu'en vertu du § 1 de l'article 14 du règlement (CE) n° 659/1999 du 22 mars 1999, la récupération des aides ne doit pas être poursuivie si elle entraîne une méconnaissance de principes généraux du droit communautaire ; que la SAS EIFFEL CONSTRUCTION MÉTALLIQUE fait valoir à cet égard que le titre de perception contesté, aussi bien que la décision de la Commission européenne dont il fait application, méconnaissent les principes communautaires de confiance légitime et de sécurité juridique, dès lors que ces actes ordonnent la récupération d'aides accordées à un bénéficiaire de bonne foi, la SARL Munch, à qui l'administration fiscale, par courrier du 5 juin 1995, avait confirmé qu'elle pouvait bénéficier du régime d'exonération de l'article 44 septies du code général des impôts, et qui, compte tenu de l'absence d'évidence du caractère incompatible du régime de l'article

44 septies alors en vigueur du code général des impôts avec l'article 87 du traité instituant la Communauté économique européenne, ne pouvait s'attendre à ce que les aides ainsi obtenues soient déclarées illégales ;

10. Considérant, toutefois, que compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides étatiques opéré par la Commission européenne en application des dispositions communautaires, les entreprises bénéficiaires d'une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l'aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue par ces dispositions ; qu'un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s'assurer que cette procédure a été respectée ; qu'en particulier et en l'état actuel de la jurisprudence du juge communautaire, lorsqu'une aide est mise à exécution, serait-ce par le moyen d'un dispositif législatif, sans notification préalable à la Commission de sorte qu'elle est illégale en vertu de l'article 88 du traité instituant la Communauté économique européenne, devenu l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le bénéficiaire de l'aide ne peut avoir, à ce moment, une confiance légitime dans la régularité de l'octroi de

celle-ci ; que l'opérateur concerné ne saurait davantage invoquer ensuite le principe de sécurité juridique en vue de faire obstacle à la restitution de l'aide, le risque qu'elle soit déclarée incompatible avec le droit communautaire étant prévisible dès la mise à exécution de l'aide ; que seules des circonstances exceptionnelles telles que des assurances précises données par les institutions européennes elles-mêmes lui ayant permis de fonder une confiance légitime dans le caractère régulier de cette aide permettent au bénéficiaire d'une aide illégale de s'opposer à son remboursement ;

11. Considérant, en l'espèce, qu'il est constant que le régime d'exonération d'impôt sur les sociétés prévu à l'article 44 septies du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 88-1149 du 23 décembre 1988, n'avait pas été notifié à la Commission européenne préalablement à sa mise en oeuvre, ce qui s'oppose à ce qu'un bénéficiaire des exonérations d'impôt accordées dans ce cadre se prévale d'une confiance légitime dans la légalité de celles-ci, alors même que l'administration fiscale l'aurait, comme en l'espèce, assuré de son éligibilité à ce régime d'exonération, une telle assurance ne portant pas sur la compatibilité de ce régime avec le marché commun mais seulement sur l'applicabilité des dispositions de l'article 44 septies du code général des impôts à l'intéressé ; que, de même, l'absence d'évidence de l'incompatibilité avec le marché commun de ce régime d'aide, même avérée, ne peut davantage être invoquée à cet égard, dès lors qu'il était loisible à tout intéressé d'interroger les organes compétents sur l'existence, ou l'état d'avancement, de la procédure de notification à la Commission ; qu'ainsi, en l'absence de toute circonstance exceptionnelle s'opposant à la récupération des aides illégales, ou d'assurances données au bénéficiaire par un organe communautaire, ayant pu faire naître des espérances fondées quant à la compatibilité du régime d'aide litigieux avec le marché commun, c'est en vain que la SAS EIFFAGE CONSTRUCTION MÉTALLIQUE se prévaut des principes communautaires de confiance légitime et de sécurité juridique et fait valoir qu'il n'existait aucune impérieuse nécessité de porter atteinte à ces principes ;

12. Considérant, en cinquième lieu, que, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, la SAS EIFFAGE CONSTRUCTION MÉTALLIQUE ne peut utilement faire valoir, à l'encontre tant du titre de perception litigieux que de la décision de la Commission européenne pour l'application de laquelle il est pris, une méconnaissance du principe général du droit communautaire de portée équivalente au principe à valeur constitutionnelle proclamé par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, relatif à la garantie des droits ;

13. Considérant, enfin, qu'eu égard à la finalité poursuivie par la procédure de reversement des sommes représentant des aides d'État illégalement accordées, qui est de préserver les principes de libre concurrence, l'invocation par la SAS EIFFEL CONSTRUCTION MÉTALLIQUE d'une atteinte aux biens ou au droit de propriété, tel que protégé notamment par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est, en tout état de cause, sans portée utile ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une demande de question préjudicielle, que la SAS EIFFAGE CONSTRUCTION MÉTALLIQUE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ; qu'enfin, en l'absence de dépens dans la présente instance, ses conclusions tendant à ce qu'ils soient mis à la charge de l'État ne peuvent également qu'être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SAS EIFFAGE CONSTRUCTION MÉTALLIQUE est rejetée.

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N° 13VE00524


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 13VE00524
Date de la décision : 09/02/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Communautés européennes et Union européenne - Règles applicables - Droit de la concurrence - Règles applicables aux États (aides).

Comptabilité publique et budget - Créances des collectivités publiques - Recouvrement - Procédure - État exécutoire.


Composition du Tribunal
Président : M. BRESSE
Rapporteur ?: M. Yves BERGERET
Rapporteur public ?: M. COUDERT
Avocat(s) : SOCIETE ATELEIA

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2016-02-09;13ve00524 ?
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