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30/04/2015 | FRANCE | N°13VE00493

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 5ème chambre, 30 avril 2015, 13VE00493


Vu la requête, enregistrée le 15 février 2013, présentée pour la société ATLAS, ayant son siège social 400 rue Henri Millez à Louvil (59830) par Me Cartron, avocat ;

La société ATLAS demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement n° 1102901 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 18 décembre 2012 rejetant sa demande de condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 698 871,30 euros au titre d'une garantie apportée par le directeur des constructions navales dans le cadre d'un marché portant sur la réalisation de portes étanches pour la construction de b

timents de surface ;

2° de condamner l'Etat à lui verser la somme de 698 871,3...

Vu la requête, enregistrée le 15 février 2013, présentée pour la société ATLAS, ayant son siège social 400 rue Henri Millez à Louvil (59830) par Me Cartron, avocat ;

La société ATLAS demande à la Cour :

1° d'annuler le jugement n° 1102901 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 18 décembre 2012 rejetant sa demande de condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 698 871,30 euros au titre d'une garantie apportée par le directeur des constructions navales dans le cadre d'un marché portant sur la réalisation de portes étanches pour la construction de bâtiments de surface ;

2° de condamner l'Etat à lui verser la somme de 698 871,30 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 mars 2000, et de la capitalisation à compter du 2 mars 2001 ;

3° de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- la responsabilité sans faute et pour faute de l'Etat sont engagées ;

- l'Etat a reconnu sa propre responsabilité à son égard par un mémoire enregistré par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 6 août 2012 et ne peut désormais plus revenir sur cet aveu judiciaire ;

- la lettre de la DCN du 2 mars 2000 engage la responsabilité de l'Etat dès lors que l'action en contrefaçon a été reconnue comme légitime par la juridiction judiciaire et que l'Etat lui a demandé de poursuivre l'exécution du marché malgré les risques importants sur la poursuite de l'exploitation ;

- les conditions économiques de ce marché ont été modifiées de façon substantielle, ce qui autorise une indemnisation sur le fondement de la théorie de l'imprévision ;

- l'Etat est responsable de ne pas l'avoir informée que les plans qui lui ont été fournis n'appartenaient pas à la DCN ;

- elle a subi un préjudice important lié au coût des procédures judiciaires, aux frais financiers liés à l'exécution des décisions de justice, au coût de gestion administrative qu'elle a dû supporter, et à des coûts de perte de production à la suite de la saisie pour contrefaçon de ses outils de production ;

Vu le mémoire, enregistré le 4 juin 2013, présenté pour le ministre de la défense, qui conclut au rejet de la requête ;

Il fait valoir que :

- l'aveu judiciaire ne peut porter que sur des questions de fait et non de droit ;

- la lettre d'engagement du 2 mars 2000 n'a pas de portée en l'absence de condamnation par les juridictions judiciaires ;

- la théorie de l'imprévision ne peut être soulevée en appel dès lors que seule la responsabilité contractuelle a été invoquée en première instance ;

- la responsabilité pour faute de l'Etat ne saurait être engagée pour défaut d'information de la société requérante, la société IDP ayant formulé une demande de brevet sans avertir la DCN ;

- les demandes d'indemnisation sont liées aux demandes d'indemnisation pour contrefaçon, formées par la société IDP devant la juridiction judiciaire ; les frais financiers et le coût de la gestion administrative n'ont à aucun moment été reportés sur les mandatements effectués par l'Etat lors du solde du marché et la société ATLAS ne les a pas réclamés ; la demande de prise en charge du coût de la perte de production n'a pas fait l'objet d'une réclamation par la société requérante lors du décompte final ;

Vu le mémoire, enregistré le 26 mars 2014, présenté pour la société ATLAS qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ;

Vu le mémoire, enregistré le 21 mai 2014, présenté pour le ministre de la défense, qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ;

Vu l'ordonnance, en date du 17 février 2015 du président de la 5ème chambre, fixant la clôture d'instruction au 12 mars 2015 ;

Vu le mémoire, enregistré le 4 mars 2015, présenté pour la société ATLAS, qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens et soutient en outre qu'elle a droit à une indemnisation sur le fondement de la théorie du fait du prince ;

Vu le mémoire, enregistré le 12 mars 2015, présenté par le ministre de la défense qui conclut aux mêmes fins que précédemment ;

Vu la lettre en date du 19 mars 2015, informant les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la décision est susceptible de soulever d'office un moyen d'ordre public tiré de ce que le moyen tiré de la théorie du fait du prince et celui tiré de l'imprévision sont nouveaux en appel et à ce titre irrecevables ;

Vu les observations, enregistrées le 26 mars 2015, présentées pour le ministre de la défense et celles enregistrées le 7 avril 2015, présentées pour la société ATLAS, en réponse à la communication faite aux parties en l'application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative ;

..........................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 avril 2015 :

- le rapport de M. Pilven, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Besson-Ledey, rapporteur public,

- et les observations de Me A...pour la société ATLAS ;

1. Considérant que la Direction des constructions navales (DCN), qui était alors un service de l'Etat, a confié à la société industrielle du Ponant, par un acte d'engagement notifié le 9 août 1995, un marché portant sur la réalisation de plans et d'études de portes étanches de bâtiments de surface, dans le cadre d'un programme dénommé Sawari et destiné à l'Arabie saoudite ; que la Direction des constructions navales a ensuite confié à la société ATLAS, par un acte d'engagement notifié le 17 décembre 1998, un marché portant sur la réalisation et la fourniture des portes et panneaux étanches ; que la société industrielle du Ponant (IDP), qui avait déposé en 1997 à l'insu de l'administration une demande de brevet français et une demande de brevet européen pour " une porte pivotante du type comportant au moins un battant, sur lequel sont montées en parallèles deux tringles par l'intermédiaire de biellettes ", a engagé en 1999 devant les juridictions judiciaires une action en contrefaçon et une action en concurrence déloyale à l'encontre de la société ATLAS ; que par un arrêt du 21 mars 2006, la Cour d'appel de Rennes a débouté la société industrielle du Ponant sur les deux fondements invoqués, en prononçant la nullité du brevet français pour défaut de nouveauté ; que cette décision a été partiellement cassée par un arrêt du 6 novembre 2007 de la Cour de cassation, seulement en ce qu'elle a rejeté la demande de la société industrielle du Ponant fondée sur la concurrence déloyale ; que par un second arrêt, en date du 5 mai 2009, confirmé par une décision du 26 octobre 2010 par laquelle la Cour de cassation a déclaré non admis le pourvoi formé par la société industrielle du Ponant, la Cour d'appel de Rennes a de nouveau rejeté sa demande fondée sur la concurrence déloyale ; que la société ATLAS a demandé au Tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 698 871,30 euros au titre de la garantie accordée par le directeur de la DCN dans le cadre du marché susmentionné ; que par un jugement du 18 décembre 2012, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté cette requête ; que la société ATLAS demande la condamnation de l'Etat à lui verser cette somme ;

2. Considérant qu'à la suite des poursuites, engagées en 1999 par la société IDP à l'encontre de la société requérante, le directeur de la DCN s'est, par lettre du 2 mars 2000, engagé auprès de la société ATLAS à la garantir des actions en justice engagées par la société IDP dans l'hypothèse où ses demandes seraient reconnues par la justice comme légitimes, une fois toutes les voies de recours épuisées ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 1356 du code civil : " L'aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son fondé de pouvoir spécial. / Il fait pleine foi contre celui qui l'a fait. / Il ne peut être divisé contre lui. / Il ne peut être révoqué, à moins qu'on ne prouve qu'il a été la suite d'une erreur de fait. Il ne pourrait être révoqué sous prétexte d'une erreur de droit. " ;

4. Considérant que la société requérante soutient en premier lieu que l'Etat a reconnu, par un mémoire enregistré le 6 août 2012 en première instance, sa responsabilité en la matière avant de se rétracter par un mémoire postérieur alors que cet aveu judiciaire ne pouvait plus faire l'objet d'une rétractation ; que, toutefois, si l'aveu exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaitre pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques, il ne saurait porter sur des questions de droit ; que la reconnaissance de sa responsabilité par l'Etat dans son mémoire enregistré le 6 août 2012 porte sur un point de droit et ne peut donc être retenue comme un aveu judiciaire opposable à l'Etat sur le fondement de l'article 1356 du code civil ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que la société ATLAS soutient que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, le litige l'opposant à la société IDP lui a été défavorable dès lors qu'elle a été condamnée par jugement du Tribunal de Grande Instance de Rennes du 22 mars 2004 à verser à la société IDP la somme de 107 000 euros pour contrefaçon et qu'ainsi l'Etat, au vu des termes de la lettre du directeur de la DCN du 2 mars 2000, a engagé sa responsabilité et est tenu de lui apporter sa garantie ; que, toutefois, l'Etat n'était tenu d'apporter sa garantie à la société requérante que dans la mesure où la société IDP aurait obtenu une condamnation définitive de la société requérante pour contrefaçon, voire pour concurrence déloyale ; qu'il est constant que, par un arrêt du 21 mars 2006, la Cour d'appel de Rennes a débouté la société IDP de son action en contrefaçon et a réformé sur ce point le jugement du Tribunal de Grande Instance ; qu'ainsi, cet arrêt est devenu définitif sur ce point ; que, par ailleurs, par un arrêt du 5 mai 2009, devenu définitif, la Cour d'appel de Rennes a rejeté la demande d'indemnisation de la société IDP sur le fondement de la concurrence déloyale ; qu'ainsi le moyen, tiré de ce que la responsabilité de l'Etat serait engagée au motif que la société IDP aurait obtenu satisfaction à l'encontre de la société requérante par une décision ayant un caractère définitif, ne peut qu'être écarté ; que, dès lors, celle-ci n'est pas fondée à réclamer une indemnisation au titre de la garantie que l'Etat lui aurait apportée par l'engagement du directeur de la DCN du 2 mars 2000 ;

6. Considérant, en troisième lieu, que la société ATLAS demande que l'Etat soit condamné à l'indemniser au titre de sa responsabilité sans faute par application des règles relatives à l'imprévision et à la théorie du fait du prince ; que, toutefois, ces conclusions sont fondées sur des causes juridiques différentes de celles sur lesquelles étaient fondées les conclusions de première instance, tendant à la mise en cause de la responsabilité de l'Etat au titre de sa responsabilité contractuelle pour faute et de sa responsabilité extra-contractuelle ; que ces conclusions constituent, par suite, des demandes nouvelles, non recevables devant le juge d'appel ;

7. Considérant, en quatrième lieu, que la société requérante soutient que la responsabilité extracontractuelle de l'Etat est engagée au motif que la DCN ne l'a pas informée que les plans qui lui ont été fournis n'étaient pas la propriété de l'Etat mais ceux de la société IDP, et que l'Etat aurait ainsi manqué à son obligation d'information et d'exécution de bonne foi ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que le brevet portant sur les portes étanches, à l'origine de la procédure engagée par la société IDP, a été déclaré nul par la Cour d'appel de Rennes pour défaut de nouveauté ; que, par ailleurs, il n'est pas contesté que l'Etat n'a pas été informé par la société IDP de la demande de brevet qu'elle avait déposée ; que par suite le moyen, tiré de ce que l'Etat aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité extracontractuelle en fournissant à la société requérante les plans de la société IDP destinés à la réalisation des portes étanches, et aurait manqué à son obligation de loyauté et d'exécution de bonne foi ne peut qu'être écarté ; qu'il appartient à la société requérante, si elle s'y croit fondée, de saisir le juge judiciaire aux fins d'obtenir la réparation du préjudice subi du fait d'une saisie de ses outils de production et d'une perte de production entre mai 1999 et mars 2000, à raison de l'action de la société IDP ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société ATLAS n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa requête tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser à hauteur de 698 871,30 euros ;

Sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant que la société ATLAS étant la partie perdante, ses conclusions tendant à ce soit mise à la charge de l'Etat une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ne peuvent qu'être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société ATLAS est rejetée.

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N° 13VE00493 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 13VE00493
Date de la décision : 30/04/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-05-04 Marchés et contrats administratifs. Exécution financière du contrat. Nantissement et cautionnement.


Composition du Tribunal
Président : M. LE GARS
Rapporteur ?: M. Jean-Edmond PILVEN
Rapporteur public ?: Mme BESSON-LEDEY
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS CARTRON-L'HOSTIS ; SOCIETE D'AVOCATS CARTRON-L'HOSTIS ; SEILLER

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2015-04-30;13ve00493 ?
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