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07/06/2012 | FRANCE | N°11VE03607

France | France, Cour administrative d'appel de Versailles, 6ème chambre, 07 juin 2012, 11VE03607


Vu le recours, enregistré le 21 octobre 2011, du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT ; le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 1009291 du 17 juin 2011 par lesquels le Tribunal administratif de Montreuil a, d'une part, prononcé la restitution de la différence entre la cotisation acquittée par M. Nethanel A sur les plus-values de cession de biens réalisées les 14 septembre 2007, 19 septembre 2007, 13 décembre 2007, 9 janvier 2008 et 14 novembre 2008

au titre du prélèvement de 33,1/3 % prévu par l'article 244 bi...

Vu le recours, enregistré le 21 octobre 2011, du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT ; le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement n° 1009291 du 17 juin 2011 par lesquels le Tribunal administratif de Montreuil a, d'une part, prononcé la restitution de la différence entre la cotisation acquittée par M. Nethanel A sur les plus-values de cession de biens réalisées les 14 septembre 2007, 19 septembre 2007, 13 décembre 2007, 9 janvier 2008 et 14 novembre 2008 au titre du prélèvement de 33,1/3 % prévu par l'article 244 bis A du code général des impôts et la cotisation résultant de l'application du taux de 16 % à la même base et, d'autre part, mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rétablir à 33 1/3 % le taux du prélèvement libératoire auquel M. A a été soumis ;

Il soutient que le jugement est entaché d'erreur de droit ; que le principe de liberté de circulation énoncé par l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne n'oblige pas les Etats à imposer résidents et non-résidents au même taux ; qu'en outre, la décision d'investir en France ou dans un autre Etat est davantage fonction d'une étude comparée des fiscalités applicables aux placements étrangers dans chacun d'entre eux que du taux d'imposition applicable aux résidents ; qu'au demeurant l'article 244 bis A du code général des impôts ne vise pas exclusivement les cessions de biens immobiliers ayant constitué un investissement ou un placement en France ; qu'ainsi ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet d'apporter des restrictions aux mouvements de capitaux et que, dès lors, le tribunal a commis une erreur de droit au regard des stipulations de l'article 56 du traité ; qu'en tout état de cause, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la clause de gel prévue par l'article 57 du traité est applicable ; qu'en effet, institué par l'article 8 de la loi n° 76-660 du 19 juillet 1976, le prélèvement d'un tiers en litige existait avant le 31 décembre 1993 et le premier paragraphe de l'article 57 ne se limite pas aux investissements directs mais inclut également les investissements immobiliers transfrontaliers ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité instituant la Communauté européenne, notamment son article 56 ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 63 ;

Vu la directive 88/361/CEE du Conseil du 24 juin 1988 sur la mise en oeuvre de l'article 67 du traité ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 mai 2012 :

- le rapport de M. Delage, premier conseiller,

- les conclusions de M. Soyez rapporteur public,

- et les observations de Me Ladreyt pour M. A ;

Et après avoir pris connaissance de la note en délibéré, enregistrée le 25 mai 2012, présentée par Me Ladreyt pour M. A ;

Considérant que M. Nethanel A, domicilié en Israël, a cédé en 2007 et 2008 plusieurs biens immobiliers situés en France ; qu'au titre de ces cessions, il s'est acquitté du prélèvement sur les plus-values au taux du tiers prévu à l'article 244 bis A du code général des impôts pour un montant total de 45 657 euros ; que, par réclamation présentée le 22 décembre 2009, il a demandé que ce prélèvement soit calculé par application du taux de 16 % réservé aux résidents français ou communautaires ; que le service ayant rejeté sa réclamation, il a saisi le Tribunal administratif de Montreuil ; que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT relève appel du jugement du 17 juin 2011 par lequel le Tribunal a décidé la restitution à M. A de la différence entre la cotisation qu'il a acquittée et celle résultant de l'application du taux de 16 % à la même base ;

Sur le bien-fondé de l'imposition :

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 150 U du code général des impôts : " I. - Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices agricoles et aux bénéfices non commerciaux, les plus-values réalisées par les personnes physiques ou les sociétés ou groupements qui relèvent des articles 8 à 8 ter, lors de la cession à titre onéreux de biens immobiliers bâtis ou non bâtis ou de droits relatifs à ces biens, sont passibles de l'impôt sur le revenu dans les conditions prévues aux articles 150 V à 150 VH (...) " ; qu'aux termes de l'article 200 B du même code : " Les plus-values réalisées dans les conditions prévues aux articles 150 U à 150 UC sont imposées au taux forfaitaire de 16 % (...) " ;

Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 244 bis A du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur : " I. 1. Sous réserve des conventions internationales, les personnes physiques qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B, les personnes morales ou organismes, quelle qu'en soit la forme, dont le siège social est situé hors de France, les sociétés ou groupements qui relèvent des articles 8 à 8 ter dont le siège social est situé en France et les fonds de placement immobilier mentionnés à l'article 239 nonies, au prorata des droits sociaux ou des parts détenus par des associés ou porteurs qui ne sont pas domiciliés en France ou dont le siège social est situé hors de France, sont soumis à un prélèvement d'un tiers sur les plus-values résultant de la cession d'immeubles (...) / Par dérogation au premier alinéa, les personnes physiques, les associés personnes physiques de sociétés ou groupements dont les bénéfices sont imposés au nom des associés et les porteurs de parts, personnes physiques, de fonds de placement immobilier mentionnés à l'article 239 nonies, résidents d'un Etat membre de la Communauté européenne, ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale, sont soumis à un prélèvement de 16 % (...)" ;

Considérant que M. A ayant été soumis au prélèvement sur les plus-values au taux d'un tiers conformément aux dispositions précitées du I de l'article 244 bis A du code général des impôts, le Tribunal administratif de Montreuil a considéré que le taux de l'imposition en litige constituait une restriction aux mouvements de capitaux entre les Etats membres de l'Union européenne et les Etats tiers prohibée par l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne ;

Considérant qu'aux termes de l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne devenu l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites (...) " ; qu'aux termes de l'article 57 de ce traité : " 1. L'article 56 ne porte pas atteinte à l'application, aux pays tiers, des restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit communautaire en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu'ils impliquent des investissements directs, y compris les investissements immobiliers, l'établissement, la prestation de services financiers ou l'admission de titres sur les marchés des capitaux. " ; qu'enfin, aux termes de l'article 58 du même traité : " 1. L'article 56 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les États membres: a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ; b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers, de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d'information administrative ou statistique ou de prendre des mesures justifiées par des motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité publique. 2. Le présent chapitre ne préjuge pas la possibilité d'appliquer des restrictions en matière de droit d'établissement qui sont compatibles avec le présent traité. 3. Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l'article 56. " ;

En ce qui concerne l'existence d'une restriction aux mouvements de capitaux :

Considérant que les dispositions précitées de l'article 244 bis A du code général des impôts prévoient des taux d'imposition différents selon que les contribuables sont ou non résidents d'un Etat membre de la Communauté européenne, ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude ou l'évasion fiscale ; que cette différence de taux constitue une différence de traitement ; que, contrairement à ce que soutient le ministre, celle-ci ne s'apprécie pas uniquement au regard de l'assiette ; qu'en effet, les assujettis auxquels le taux du tiers est appliqué sont soumis à une charge fiscale supérieure à celle des résidents français, soumis au taux de 16 % ; que si cette imposition s'applique, comme en l'espèce, aux plus-values résultant de la cession d'un bien immeuble, elle porte sur une seule catégorie de revenus des assujettis, qu'ils soient résidents ou non-résidents français ; que, de plus, l'Etat membre source du revenu imposable est toujours la France ; qu'il n'existe dès lors objectivement aucune différence de situation de nature à justifier une inégalité de traitement fiscal en ce qui concerne l'imposition des plus-values entre les deux catégories d'assujettis ; qu'en imposant à certains investisseurs non-résidents cette charge fiscale supérieure, les dispositions en cause sont de nature à dissuader ceux-ci de procéder à des investissements en France, ainsi que les opérations y afférentes telles que la cession d'un bien immobilier ; que le ministre n'invoque aucune raison impérieuse d'intérêt général justifiant une telle différence de traitement ; que dès lors elle doit être regardée comme constituant une restriction aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et les Etats tiers telle que prohibée par l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne ;

En ce qui concerne le bénéfice de la " clause de gel " :

Considérant, en premier lieu, que le ministre soutient que le prélèvement d'un tiers dont s'agit ayant été institué par l'article 8 de la loi n° 76-660 du 19 juillet 1976, soit antérieurement à la date du 31 décembre 1993 mentionnée à l'article 57 du traité instituant la Communauté européenne, il est fondé à se prévaloir de la dérogation admise par cet article, dite " clause de gel " ; que pour écarter cette argumentation, le Tribunal s'est fondé sur la nomenclature des mouvements de capitaux figurant à l'annexe I de la directive susvisée 88/361/CEE du Conseil du 24 juin 1988, pour la mise en oeuvre de l'article 67 du traité dans sa rédaction antérieure au traité d'Amsterdam, pour en déduire que les investissements immobiliers effectués sur le territoire national par des non résidents ne sont pas des investissements directs au sens de l'article 57 précité ; que, toutefois, si la Cour de justice de l'Union européenne reconnaît une valeur indicative à cette nomenclature, il résulte de l'instruction que les investissements immobiliers en litige consistent en des biens immeubles détenus directement par M. Richard A, père du défendeur qui les a hérités selon la loi successorale française avant de les céder ; qu'ils constituent ainsi des investissements directs au sens des stipulations de l'article 57 précité, alors même que la nomenclature susvisée définit en les distinguant les investissements directs et les investissements immobiliers ;

Considérant, en second lieu, que M. A soutient à titre subsidiaire que le prélèvement du tiers de l'article 244 bis du code général des impôts n'était pas déjà discriminatoire au 31 décembre 1993 mais seulement à compter de l'année 2004 à compter de laquelle un prélèvement forfaitaire a été mis en place pour les résidents à un taux de 16 %, auquel les résidents communautaires ont alors également été soumis, les résidents d'Etats tiers faisant l'objet d'un prélèvement d'un tiers sur les plus-values en cause ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que du fait de l'application d'une imposition progressive sur le revenu existant depuis 1976, les contribuables résidents n'étaient soumis au taux applicable aux non-résidents qu'à partir du moment où leur revenu global atteignait un certain seuil ; qu'ils étaient ainsi soumis, en deçà de ce seuil, à une imposition moindre que celle des non-résidents ; que M. A ne peut à cet égard utilement faire valoir des considérations générales sur la distribution statistique des revenus et des patrimoines pour en déduire que cette discrimination n'était pas effective ; qu'ainsi, au 31 décembre 1993, les ressortissants des Etats tiers faisaient l'objet d'une différence de traitement constituant, pour les motifs exposés ci-dessus, une restriction aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et les Etats tiers prohibée par l'article 56 du traité instituant la Communauté européenne ; que si les dispositions applicables aux résidents ont été modifiées en 2004, elles sont, dans leur substance, identiques à celles résultant de la législation existant au 31 décembre 1993 ; qu'ainsi le cadre juridique dans lequel s'insère la restriction en cause a fait partie de l'ordre juridique de manière ininterrompue depuis cette dernière date ; que, par suite, le ministre est fondé à se prévaloir de l'article 57 du traité instituant la Communauté européenne pour faire obstacle à l'application de l'article 56 dudit traité ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a prononcé la restitution à M. A de la différence entre la cotisation qu'il a acquittée au titre du prélèvement du tiers prévu par l'article 244 bis A du code général des impôts et la cotisation résultant de l'application du taux de 16 % à la même base ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement n°1009291 du 17 juin 2011 du Tribunal administratif de Montreuil sont annulés.

Article 2 : La différence entre la cotisation acquittée par M. Nethanel A sur les plus-values de cession de biens réalisées les 14 septembre 2007, 19 septembre 2007, 13 décembre 2007, 9 janvier 2008 et 14 novembre 2008 au titre du prélèvement d'un tiers prévu par l'article 244 bis A du code général des impôts et la cotisation résultant de l'application du taux de 16 % à la même base est remise à la charge de M. A.

Article 3 : Les conclusions de M. A tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

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N° 11VE03607


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Versailles
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 11VE03607
Date de la décision : 07/06/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Communautés européennes et Union européenne - Règles applicables - Liberté de circulation - Libre circulation des capitaux.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières - Plus-values des particuliers - Plus-values immobilières.


Composition du Tribunal
Président : M. DEMOUVEAUX
Rapporteur ?: M. Philippe DELAGE
Rapporteur public ?: M. SOYEZ
Avocat(s) : A.A.R.P.I. GIDE-LOYRETTE-NOUEL

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.versailles;arret;2012-06-07;11ve03607 ?
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