Vu la décision n° 315425 du 26 mai 2010, enregistrée le 1er juin 2010 au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles, par laquelle le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi en cassation présenté pour M. A, a annulé l'arrêt de la Cour de céans du 19 février 2008 en tant qu'il rejetait les conclusions tendant à l'indemnisation de la perte de chance de M. A de bénéficier d'un maintien en activité et renvoyé l'affaire devant la même Cour dans la mesure de cette annulation ;
Vu la requête, enregistrée le 21 août 2006, présentée pour M. Ange A, demeurant ..., par Me Kerfant Merlino ; M. A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement nos 0300251-0302185 du 24 mai 2006 en tant que le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision en date du 10 mars 2003 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande indemnitaire et à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 94 281,85 euros en réparation des préjudices subis du fait des décisions du 20 août et du 13 novembre 2002 rejetant sa demande de maintien en activité ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 94 281,85 euros ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
M. A soutient que c'est à tort que le tribunal a considéré que le ministre de l'intérieur était tenu de rejeter sa demande de maintien en activité, formée sur le fondement de l'article 88 de la loi de finances rectificative pour 2001, au motif qu'il avait atteint la limite d'âge à la date de sa demande ; qu'il n'a pas formulé de demande avant sa mise à la retraite dès lors qu'il pensait être exclu du bénéfice du maintien en activité du fait de l'erreur d'interprétation des dispositions légales applicables commise par l'administration dans un télégramme diffusé le 15 janvier 2002 et dans la circulaire du 22 avril 2002, lesquels assimilaient à tort les bonifications d'ancienneté pour la retraite à des services effectifs et n'ont été modifiés que par une circulaire du 17 septembre 2002 ; que ce n'est qu'à l'occasion de la prolongation d'activité, le 12 juillet 2002, de l'un de ses collègues, en poste au ministère et dans la même situation que lui, qu'il s'est aperçu de l'erreur de l'administration ; qu'il n'a ainsi été à même de demander le bénéfice de ces dispositions que le 12 juillet 2002 après avoir été admis à la retraite et après que son poste a été pourvu suite à l'avis favorable de la commission administrative paritaire du 20 mars 2002 ; que l'administration ne saurait invoquer l'intérêt du service pour lui refuser une prolongation d'activité dès lors que de nombreux postes de commissaire de police étaient à pourvoir depuis plusieurs mois lors de sa demande et qu'il pouvait être muté si son poste était pourvu ; que le refus de prolonger son activité méconnaît le principe d'égalité entre les fonctionnaires dès lors, d'une part, que la vacance de son poste a été diffusée plus de quatre mois avant son départ alors que le poste de son collègue n'a pas été offert à la mutation et, d'autre part, que ce dernier, qui avait connaissance de la lettre du 16 mai 2002 de la direction de la fonction publique informant le ministère de son erreur d'interprétation, a bénéficié d'informations privilégiées du fait de son affectation au cabinet du ministre, lui permettant de demander son maintien en activité avant les autres fonctionnaires ; que l'erreur commise par l'administration constitue une faute de nature à engager sa responsabilité ; qu'il démontre que, contrairement à ce qu'a considéré le tribunal, il aurait demandé le bénéfice des dispositions de l'article 88 dès lors qu'il lui fallait une ancienneté de six mois dans l'avancement obtenu le 19 juin 2002 pour que celui-ci soit pris en compte dans le calcul de sa pension retraite ; que le nombre de postes de commissaire de police non pourvus démontre qu'il avait une chance sérieuse d'être maintenu en activité ; que son préjudice résulte de la perte de ses revenus d'activité sur deux ans et de l'absence de prise en compte de son dernier échelon dans le calcul de sa retraite ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
Vu la loi de finances rectificatives pour 2001 n° 2001-1276 du 28 décembre 2001 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 avril 2012 :
- le rapport de M. Bigard, premier conseiller,
- les conclusions de M. Soyez, rapporteur public,
- et les observations de Me Capdevila pour M. A ;
Considérant qu'aux termes du II. de l'article 88 de la loi susvisée du 28 décembre 2001 : " - Sans préjudice des droits au recul des limites d'âge reconnus au titre des dispositions de la loi du 18 août 1936 concernant les mises à la retraite par ancienneté, les fonctionnaires des corps actifs de la police nationale mentionnés à l'article 19 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, et dont la période de services effectifs accomplis est inférieure au nombre maximal d'annuités liquidables dans la pension civile mentionné à l'article L. 14 du code des pensions civiles et militaires de retraite, lorsqu'ils atteignent les limites d'âge applicables aux corps auxquels ils appartiennent, peuvent, sur leur demande et sous réserve de l'intérêt du service et de leur aptitude physique, être maintenus en position d'activité. / La prolongation d'activité prévue à l'alinéa précédent, soumise à reconduction annuelle par le ministre de l'intérieur, ne peut avoir pour effet de maintenir le fonctionnaire concerné en activité au-delà de son soixantième anniversaire. / Cette prolongation d'activité est prise en compte au titre de la constitution et de la liquidation du droit à pension, nonobstant les dispositions prévues par les articles L. 10 et L. 26 bis du code des pensions civiles et militaires de retraite. Toutefois, les annuités obtenues au titre de la bonification du cinquième prévue par l'article 1er de la loi n° 57-444 du 8 avril 1957 instituant un régime particulier de retraites en faveur des personnels actifs de police sont réduites à due concurrence de la durée des services accomplis au-delà de la limite d'âge. " ;
Considérant que pour la mise en oeuvre de ces dispositions, le ministre de l'intérieur a précisé, dans un télégramme du 15 janvier 2002, que pour déterminer si un fonctionnaire de police atteint ou non à l'âge de sa mise à la retraite une durée des services effectifs de 37,5 années, il convenait de prendre en compte les bonifications d'ancienneté prévues par la loi n° 57-444 du 8 avril 1957 instituant un régime particulier de retraites en faveur des personnels actifs de la Police, interprétation qu'il a repris dans une circulaire en date du 27 mars 2002 ; que cette interprétation erronée et fautive des termes de la loi a dissuadé M. A dont les annuités de cotisation majorées des années de bonification atteignaient le seuil de 37,5 années au 6 juillet 2002, date à laquelle il avait atteint la limité d'âge de 57 ans prévue par son statut, de présenter une demande de maintien en activité avant d'avoir atteint la limite d'âge de son grade ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'intérêt du service aurait fait obstacle au maintien en activité de l'intéressé ; que, dès lors, M. A doit être regardé comme ayant été privé d'une chance sérieuse d'être maintenu en activité s'il avait pu présenter sa demande en temps utile ; que, dans ces conditions, M. A a droit à l'indemnisation du préjudice résultant de cette perte de chance ;
Considérant, en premier lieu, que le préjudice financier de M. A est égal à la différence entre le traitement net qu'il aurait perçu s'il avait été maintenu en activité durant les deux ans qu'il pouvait demander, y compris les indemnités dont il aurait bénéficié, et la pension de retraite dont il a bénéficié ; qu'il résulte de l'instruction que ce préjudice doit être évalué à la somme de 45 659,77 euros ;
Considérant, en second lieu, que M. A, promu au 5ème échelon du grade de commissaire principal à compter du 19 juin 2002, n'a pu bénéficier de l'indice correspondant à cet échelon pour la liquidation de sa pension ; que, dans ces conditions, l'intéressé est fondé à soutenir que son maintien en activité lui aurait permis de bénéficier d'un montant plus élevé de sa pension de retraite ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 48 622,08 euros ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort, que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 94 281,85 euros ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
Considérant que M. A a droit aux intérêts à taux légal sur la somme de 94 281,85 euros à compter du 20 janvier 2003, date de sa demande ; que les intérêts étaient dus au moins pour une année entière à la date du 1er mars 2011, à laquelle le requérant en a demandé la capitalisation, et, par suite, doivent être capitalisés à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à M. A au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement nos 0300251-0302185 du 24 mai 2006 du Tribunal administratif de Versailles est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions tendant à l'indemnisation de la perte de chance de M. A de bénéficier d'un maintien en activité.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. A la somme de 94 281,85 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 20 janvier 2003. Les intérêts échus à la date du 1er mars 2011, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Etat versera à M. A la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A est rejeté.
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N° 10VE01782 2