Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Versailles le 30 juillet 2010, présentée pour Mme Khadija A, demeurant ..., par Me de Lataillade, avocat ; Mme A demande à la Cour de :
1°) réformer, en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à ses conclusions indemnitaires, le jugement n° 0706990 du 31 mai 2010 par lequel le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné l'Etablissement français du sang à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation des préjudices subis consécutivement à l'aggravation de son état de santé après sa contamination par le virus de l'hépatite C ;
2°) condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) à lui verser une somme de 80 000 euros en réparation des préjudices subis consécutivement à sa contamination par le virus de l'hépatite C, assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande préalable et de leur capitalisation année par année ;
3°) mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Mme A soutient que :
- l'Etablissement français du sang a été reconnu responsable de sa contamination par le virus de l'hépatite C par des transfusions administrées lors de son hospitalisation à la clinique Alexis Carrel à Sarcelles du 13 au 17 septembre 1986 ;
- l'expert a relevé que deux donneurs de globules rouges ainsi que deux donneurs de plasma n'avaient pu être testés ; la fibrine qui lui a été administrée a été préparée à partir de plasma, vraisemblablement d'un pool de plasma, constitué d'une dizaine de donneurs ; ainsi ce sont au moins cinq donneurs, pour sans doute une quinzaine des produits sanguins qui n'ont pu être testés au VHC ;
- les risques de contamination nosocomiale lors des interventions chirurgicales subies en 1984 et 1987 apparaissent extrêmement hypothétiques ;
- le tribunal a fait une évaluation insuffisante de ses différents chefs de préjudice ;
- la crainte d'une évolution défavorable de la maladie justifie une indemnisation importante des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral, même si la personne contaminée par le virus de l'hépatite C n'a développé, au jour de l'indemnisation, aucun symptôme grave ; l'expert a relevé que son anxiété à propos de l'évolution de son état de santé était une des composantes de son préjudice personnel ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de santé publique ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;
Vu la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 ;
Vu le décret n° 2010-251 du 11 mars 2010 relatif à l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de contaminations par le virus d'immunodéficience humaine ou par le virus de l'hépatite C causées par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang ainsi qu'à l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de vaccinations obligatoires ;
Vu le décret n° 2010-252 du 11 mars 2010 relatif à la dotation couvrant les dépenses liées à l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de contaminations par le virus de l'hépatite C causées par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang ;
Vu l'arrêté de la ministre de la santé et des sports du 15 mars 2010 portant nomination au conseil d'orientation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 juillet 2011 :
- le rapport de M. Brumeaux, président assesseur,
- et les conclusions de Mme Jarreau, rapporteur public ;
Considérant que Mme A a demandé réparation, devant les premiers juges, des préjudices que lui a causés sa contamination, découverte le 12 août 2004, par le virus de l'hépatite C, imputée aux transfusions sanguines qui lui ont été administrées pendant son hospitalisation à la maternité de la clinique Alexis Carrel à Sarcelles du 13 au 17 septembre 1986 ; que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a reconnu la responsabilité de l'Etablissement français du sang et a évalué le préjudice subi à 10 000 euros ; que Mme A fait valoir en appel que le tribunal s'est livré à une appréciation insuffisante des conséquences dommageables résultant de sa contamination par le virus de l'hépatite C alors que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) s'en remet à la sagesse de la Cour pour déterminer si cette contamination est imputable aux transfusions susmentionnées ;
Sur la personne publique responsable :
Considérant que le paragraphe I de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale a introduit, dans le code de la santé publique, l'article L. 1221-14 qui confie à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), en lieu et place de l'Etablissement français du sang, l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang ; que l'article L. 1221-14 institue également, au profit de ces victimes, une procédure de règlement amiable devant l'ONIAM ; que, compte tenu de la nécessité de mettre en place de manière simultanée, conformément à l'intention du législateur, tant la procédure d'indemnisation amiable qu'il a instituée pour les victimes d'une contamination par le virus de l'hépatite C que le conseil d'orientation commun aux trois procédures de règlement amiable dont l'ONIAM a désormais la charge, la date d'entrée en vigueur des dispositions de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique et du paragraphe IV de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008 est intervenue à la date d'entrée en vigueur des décrets en Conseil d'Etat d'application des articles L. 1221-14 et L. 3122-1 du code de la santé publique et du décret prévu à l'article L. 1142-23 du même code ; que les décrets susvisés n° 2010-251 et 2010-252 du 11 mars 2010 ont été publiés au Journal officiel le 12 mars 2010 ; qu'aux termes de l'article 8 du premier de ces deux décrets : les dispositions du présent décret entrent en vigueur le premier jour du troisième mois suivant la publication de l'arrêté de nomination des membres du conseil d'orientation et au plus tard avant le 1er juillet 2010 ; que les membres du conseil d'orientation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ont été nommés par arrêté de la ministre de la santé et des sports du 15 mars 2010, publié au Journal officiel le 18 mars 2010 ; qu'en vertu de ces diverses dispositions, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales se trouve substitué à l'Etablissement français du sang à compter du 1er juin 2010 ;
Sur la responsabilité de l'ONIAM :
Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades : En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable. ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'il appartient au demandeur, non pas seulement de faire état d'une éventualité selon laquelle sa contamination par le virus de l'hépatite C provient d'une transfusion, mais d'apporter un faisceau d'éléments conférant à cette hypothèse, compte tenu de toutes les données disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que si tel est le cas, la charge de la preuve contraire repose sur le défendeur ; que ce n'est qu'au stade où le juge, au vu des éléments produits successivement par ces parties, forme sa conviction, que le doute profite au demandeur ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par le tribunal administratif en date du 7 février 2007, qu'en raison du risque hémorragique qu'elle encourait alors, Mme A a reçu du 13 septembre 1986 au 17 septembre 1986, au cours de son hospitalisation à la clinique Alexis Carrel , divers produits sanguins constitués par 7 lots de globules rouges, 4 lots de plasmas frais congelés et un lot de fibrine ; que si l'enquête transfusionnelle a permis d'établir l'innocuité de 5 lots de globules rouges et de 2 lots de plasmas frais congelés, la sérologie de deux des donneurs de globules rouges et de l'un des donneurs de plasma frais congelés n'a pas pu être contrôlée ; que s'agissant du dernier lot de plasma frais congelé, la sérologie de l'un des cinq donneurs possibles n'a pas pu être établie ; qu'ainsi, l'enquête transfusionnelle n'a pas permis de retrouver 4 personnes sur les 11 donneurs qui sont à l'origine de l'élaboration des produits sanguins utilisés pour procéder aux transfusions litigieuses ; qu'enfin l'origine de la fibrine, poudre lyophilisée préparée vraisemblablement à partir d'un pool de plasma provenant de plusieurs donneurs, est inconnue ; qu'il résulte de ce qui précède que l'innocuité de cinq produits sanguins n'a pas pu être démontrée ; que le lien de causalité entre les transfusions pratiquées du 13 au 17 septembre 1986 et la contamination de l'intéressée par le virus de l'hépatite C présente un degré suffisamment élevé de vraisemblance et doit être regardé comme établi, même si Mme A a subi en 1984 et 1997 deux interventions chirurgicales de nature à l'avoir exposée à un risque de contamination par la voie nosocomiale ;
Sur le préjudice :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que l'hépatite chronique virale C dont souffre Mme A a une activité minime (score Metavir A1F1) et n'a justifié aucun traitement antiviral ; que, s'agissant d'un virus de génotype 2 reconnu peu évolutif, cette affection hépatique ne présente aucune caractéristique de fibrose et n'a pas entraîné de perturbation fonctionnelle ; que si la requérante n'a subi aucun préjudice esthétique ni d'agrément, ses souffrances physiques peuvent être évaluées à 2 sur une échelle de 7 en raison de la biopsie du foie qui a été effectuée le 26 avril 2005 et elle a enduré une douleur morale du fait de l'anxiété provoquée par sa contamination et par son état de santé ; qu'il sera fait une juste appréciation de ces préjudices en portant la somme de 10 000 euros que le tribunal administratif lui a allouée à ces titres à la somme de 15 000 euros ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à soutenir que le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a procédé à une évaluation insuffisante de ses préjudices personnels qui doivent être réparés par une indemnité de 15 000 euros ;
Sur les intérêts et leur capitalisation :
Considérant que Mme A a droit aux intérêts au taux légal afférents à la somme de 15 000 euros à compter du 18 juin 2007, date retenue par les premiers juges et qui n'est pas contestée en appel ; qu'elle a demandé la capitalisation des intérêts dans un mémoire enregistré le 30 juin 2008 au greffe du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; qu'il y a lieu, par suite, en application de l'article 1154 du code civil, de faire droit à cette demande à cette date ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de celle-ci ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales le versement à Mme A d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : La somme que l'Etablissement français du sang a été condamné à verser à Mme A est portée de 10 000 euros à 15 000 euros. Elle sera versée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 18 juin 2007. Les intérêts échus le 30 juin 2008 seront capitalisés à cette date ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de celle-ci.
Article 2 : L'article 1er du jugement n° 0706990 du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 3 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera à Mme A la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A est rejeté.
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N° 10VE02469 2